L’inauguration du monument d’Aups dans la presse réactionnaire (1881)
Ce document fait partie d’une série consacrée à l’inauguration du monument d’Aups.
L’inauguration du monument d’Aups dans la presse réactionnaire
La Sentinelle du Var, 17 juillet 1881 :
« Aups. Il n’y a eu ici aucune fête [du 14 juillet]. La population s’est rendue comme à l’ordinaire à son travail. Mais la municipalité se réserverait, nous dit-on, pour le 30 juillet, jour où aura lieu l’érection d’une colonne en l’honneur des honnêtes citoyens qui en 51 ont pillé des maisons et un château, violé des filles et des femmes, commencé d’étrangler un enfant de 18 ans, enchaîné des vieillards, tué des gendarmes et des soldats et décidé la pendaison de citoyens inoffensifs qu’ils étaient allé saisir dans leurs maisons pour les emmener comme prisonniers et que l’arrivée de la troupe à Aups a pu seule sauver. »
La Sentinelle du Midi, 2 août 1881 :
« Le monument d’Aups. La presse républicaine a fait un tel bruit autour des insurgés de 1851, que nous nous voyons obligé de dire à notre tour ce que nous pensons des bandes qui parcoururent à cette époque notre département. Nous donnerons ainsi à ce que l’on appelle pompeusement « le monument d’Aups » sa véritable signification.
Le Gaulois, 1er août 1881
Aups, 31 juillet.
Aujourd’hui a eu lieu l’inauguration du monument élevé par la démocratie du Var à la mémoire des victimes de Décembre 1851.
Dès hier, des salves d’artillerie annonçaient la cérémonie ; ce matin, arrivaient, en même temps M. Rey, préfet du Var, les fonctionnaires départementaux, les membres du conseil général, les sous-préfets, les députés, et les sénateurs du département.
A trois heures, on inaugurait le monument ; plus de cent couronnes ont été envoyées par les cercles républicains du département. Plusieurs discours rappelant la conduite des victimes pendant le combat ont été prononcés ; l’allocution du vice-président du conseil général a été particulièrement applaudie ainsi que celle du préfet du Var.
Un accident qui aurait pu avoir de sérieuses conséquences s’est produit ; l’estrade sur laquelle se trouvaient les invités s’est écroulée ; on n’a eu heureusement à constater que des contusions sans gravité.
Beaucoup de représentants de la presse assistaient à la cérémonie ; ils ont été reçus avec la plus franche cordialité par !a municipalité. Un grand nombre de survivants de l’époque s’étaient donné rendez-vous au pied du mausolée ; des places avaient été réservées aux veuves et aux enfants des victimes fort nombreuses dans le département, en effet, dans le combat acharné qui fut livré par les républicains, commandés par Duteil, il n’y eut pas moins de 50 morts, 80 blessés et autant de prisonniers.
Le monument est élevé au milieu du Cours, à l’endroit même où les défenseurs de la Constitution essuyèrent la première fusillade ; où Martin Bidauret fut fusillé deux fois par ordre du préfet Pastoureau.
La colonne qui fait le sujet du mausolée porte sculptés sur ses faces une Constitution déchirée par un sabre, puis un navire portant l’inscription Cayenne et une forteresse sur laquelle on lit : Lambessa. Sur les côtés, sont figurées des couronnes d’immortelles enlacées de branches de laurier, avec cette inscription :
A LA MEMOIRE
DES CITOYENS QUI PÈRIRENT
POUR LA DÉFENSE
DES LOIS ET DE LA LIBERTE
La ville est brillamment pavoisée ; divers écussons rappellent la date de la. Révolution. Ce soir banquet et illuminations.
Le Clairon, 1er août 1881
Le monument d’Aups
Par télégraphe
Il faut passer un jour et une nuit en chemin de fer, et cinq heures de voiture pour arriver dans ce village.
Des affiches rouges annonçaient aux paysans accourus en foule pour admirer les beaux uniformes des fonctionnaires de la R.F., la fête commémorative pour « les martyrs de la loi et les défenseurs du droit. »
Outre le préfet Rey et M. Garipuy, sous-préfet de Brignoles, étaient présents de nombreuses délégations de conseillers municipaux.
A midi, banquet à l’Hôtel-de-Ville, auquel le Conseil général, instigateur de la manifestation, n’était pas invité.
On se porte à trois heures sur le Cours où est élevé le monument à la mémoire des rebelles de 1851. La musique annonce l’ouverture de la cérémonie ; puis viennent les discours du citoyen Dréo, du maire d’Aups et du préfet du Var.
Le monument est construit au milieu du Cours, à l’endroit où les insurgés reçurent les premières décharges de mousqueterie, à quinze mètres de l’endroit où Bidauré fut fusillé.
L’une des faces représente la Constitution déchirée par un sabre et un navire sur lequel on lit les mots : Cayenne et Forteresse de Lambessa. Sur les côtés on voit des couronnes d’immortelles et de lauriers, ainsi que les armes de la ville avec cette inscription : A la mémoire des citoyens qui périrent pour la défense des lois et de la liberté en 1851. Au-dessus sont gravés les noms des 50 morts, 100 blessés et 70 prisonniers du Var.
Dans les discours, beaucoup de phrases sonores, sans signification.
Pendant l’allocution de M. Bon, vice-président du conseil général, l’estrade où se trouvaient les autorités s’est écroulée, mais il n’y a eu aucun accident. Le préfet a été obligé de partir immédiatement après ce discours.
Quoiqu’ayant fait excellent accueil aux représentants de la presse, la municipalité n’avait pas su leur faire parvenir des cartes pour les places qui leur étaient réservées.
Plus de cent couronnes, dont quelques-unes fort belles, ont été déposées au pied du monument par les diverses délégations.
Au total, manifestation peu intéressante.
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Du 6 juillet au 14 septembre 1890, l’Indépendant du Var publie en feuilleton un texte de Pierre Escolle, notaire et conseiller général du canton d’Aups, futur maire (en 1896). Il y relate les évènements de décembre 1851 à Aups, dont il a été témoin : Notes et souvenirs sur l’insurrection de 1851 à Aups.
En fait, le texte de ce notable royaliste a été écrit en septembre 1881, quelques semaines après l’inauguration du monument. Il y fait quelques références :
« Quelques mois après, en 1869, je lisais l’histoire de l’insurrection du Var en décembre 1851 par M. Blache, et je voyais que son auteur avait partagé les illusions de M. Ténot. L’avocat, comme le journaliste, transformait en héros, des ambitieux, des fanfarons, des ignorants, des fuyards et des victimes de l’insurrection elle-même. Et les erreurs de ces deux historiens se sont si bien propagées, que nous avons eu le 31 juillet dernier (1881) la stupéfaction d’assister à Aups à une fête qualifiée de patriotique ! En présence des premières autorités du département du Var, d’un député, du procureur général, de nombreux délégués du Conseil général et de diverses communes du département, en présence et avec le concours de la municipalité d’Aups, nous avons vu inauguré un monument élevé en l’honneur des insurgés tués le 10 décembre 1851, sur la principale place de cette même ville que ces hommes ou leurs compagnons avaient pendant trois jours terrifiée et mise à sac !!
Il n’est donc que temps de réagir contre cette tendance à faire des héros de ces hommes, dont la majorité, je veux bien le reconnaître, n’était pas dangereuse, mais n’en ont pas moins traité notre cité en ville conquise, et qui, cédant à une panique folle, se sont complètement débandés à la vue de quelques soldats. »
« Il m’est difficile de répéter textuellement ce que j’ai entendu ; mais je ne crains pas de dire que j’étais au milieu de ce qu’il y a de pire dans la colonne insurrectionnelle, et que les propos horribles tenus par ces gens-là suffiraient à déshonorer tout parti qui voudrait les couvrir de son drapeau. Si M. Ténot et M. Blache, le préfet M. Rey et les personnages qui ont assisté à la fête du 31 juillet 1881, avaient passé avec moi un quart d’heure dans ce milieu dégoûtant, il est probable que l’on n’aurait jamais inauguré le monument élevé en l’honneur des victimes de l’insurrection à Aups. »
« Le premier insurgé tué a été l’homme à la jambe de bois. Il l’a été à 200 mètres de l’esplanade au pied d’une tour servant de pigeonnier. A son sujet, j’ai entendu le 30 juillet, lors de l’inauguration du monument élevé en l’honneur des victimes du 2 décembre, M. Viort du Luc, dans un mouvement vraiment éloquent, entourer la mort de l’homme à la jambe de bois, d’une auréole poétique. Ce Lyonnais voulut sauver une jeune fille de 18 ans qui allait être, malgré un officier, fusillée par les soldats, et aurait ainsi attiré sur lui seul la fureur de ces hommes qui l’auraient assassiné ! »
« En tête de cette narration, j’aurais dû placer pour épigraphe une phrase prise dans le discours que M. Gambetta a prononcé au Neubourg, le 4 septembre 1881.
« Les statues que l’on élèverait à ceux qui ne les auraient pas méritées ni par la grandeur d’âme, ni par les services rendus, ne seraient que le signe de la décadence d’un grand peuple, qui se donnerait le stérile plaisir d’avoir des grands hommes sans avoir de grands justes… »
Je me suis demandé en lisant ce discours, si M. Gambetta, qui avait connaissance de la fête du 31 juillet à Aups, n’avait pas, dans cette phrase, visé cette fête dont il jugeait l’inopportunité. Dans tous les cas, on ne risque rien d’appliquer le jugement du puissant tribun à la pensée qui a malencontreusement dirigé l’érection à Aups d’un monument en l’honneur des insurgés du Var en 1851.
Ces insurgés par leur héroïsme, par leur grandeur d’âme, par les services rendus, méritent-ils la glorification dont ils viennent d’être l’objet, les honneurs qu’on leur a rendus ?
Ou bien méritent-ils les épithètes de brigands et de lâches, dont on les a abreuvés pendant près de trente ans ?
Je n’hésite pas à le dire : les insurgés que nous avons vus à Aups, en 1851, ne méritent ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. Et je le prouve :
Pour les historiens républicains : MM. Ténot, Blache, Gariel et autres, ces insurgés sont des héros. Il en est de même pour la presse républicaine de nos jours, dont un organe imprimait le lendemain de l’inauguration de la pyramide élevée à Aups en leur honneur : « que le département tout entier était venu témoigner de son admiration pour les hommes vaillants et héroïques qui, impuissants à empêcher le crime, luttèrent contre lui jusqu’à la mort… ; »
Pour M. le Préfet, M. A. Rey, qui dans son discours, lors de la fête, va jusqu’à dire :
« Vous savez tous quel a été l’héroïsme, quel a été le dévouement, quelles ont été les cruautés de la victoire, quelles ont été aussi les gloires de la défaite… ; »
Pour ceux qui annonçaient dans leurs journaux le programme de la fête du 31 juillet ne craignaient pas d’écrire :
« Le département tout entier est convié à cette tragique fête, où les souvenirs les plus douloureux s’uniront aux élans de la reconnaissance populaire, où les triomphateurs seront traînés aux gémonies de l’histoire, et les vaincus rétablis dans la gloire qu’ils ont attendue 30 ans. »
Mais si héroïsme signifie en français : ce qui est propre aux héros, c’est-à-dire comme dit Littré, à ceux qui se distinguent par une valeur extraordinaire ou des succès éclatants à la guerre, ou à ceux qui se distinguent par la force de caractère, la grandeur d’âme, une haute vertu, comment peut-on justifier, dans l’espèce, l’application que l’on fait de ce mot ?
On sait, en effet, qu’Arrambide et sa compagnie, forte de 7 à 800 hommes, ont pris honteusement la fuite à la vue du premier soldat, et sans tirer un coup de fusil.
Que Duteil et son armée toute entière, et quoique dans une position inexpugnable, se sont débandés sans attendre le choc de la troupe régulière dix fois moins nombreuse. »