Victor Hugo, écrivain engagé

article publié dans le Bulletin n° 21, octobre 2002

Victor Hugo, écrivain engagé

 

 

Avec l’aimable autorisation de “ Envol ”, revue mensuelle de la Fédération des Œuvres Laïques de l’Ardèche, nous avons le plaisir de publier, cet article de notre ami et adhérent Raymond Huard. Depuis 1948, sans tambour ni trompettes et sans discontinuer, Envol poursuit son chemin d’information et de responsabilisation, 10 fois l’an. La commémoration de la résistance républicaine de 1851 dans l’Ardèche lui doit beaucoup.

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Victor Hugo fut un écrivain  » engagé « , pour reprendre un terme que Sartre popularisa. De ses choix successifs qui furent variés, on a retenu surtout celui qui marqua la seconde moitié de sa vie, la prise de position résolue, intransigeante, en faveur de la République à partir de 1849, qui lui valut un exil de près de vingt ans, entre la fin de 1851 et 1870, mais qui lui permit aussi de devenir à la fin de sa vie un des  » phares  » du Panthéon de la Troisième République.

 

 

L’engagement de V.Hugo est en fait plus complexe qu’il ne paraît. Il ne se limite pas à ses choix politiques. Car, transcendant ceux-ci, on perçoit tout au long de la vie de Hugo, des options encore plus fondamentales qui, elles, ont été constantes et qui servent en quelque sorte d’ossature à sa personnalité. Le choix de la liberté d’abord. La liberté en littérature, qui est première à ses yeux sans doute, mais aussi la liberté politique. La liberté en littérature, c’est-à-dire celle de renouveler les formes littéraires, le vocabulaire ( » je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire « ), et surtout de traiter librement n’importe quel sujet. Or Hugo a connu la censure, sous la Restauration où sa pièce Marion de Lorme est interdite, et sous la Monarchie de Juillet où il en est de même pour Le Roi s’amuse. Il a lutté pour la défense de la liberté de la presse, contre le parti de l’Ordre sous la Seconde République. Après 1851, ses œuvres hostiles à Napoléon III (Napoléon le Petit, Les Châtiments) ont du être publiées à l’étranger et n’ont été diffusées en France que clandestinement. Ce combat pour la liberté littéraire s’inscrit dans une vision plus fondamentale du devenir humain, présente dès Notre Dame de Paris (1829), celle d’une humanité qui progresse sur la voie de la conscience grâce à l’instruction, au livre, qui remplacera la cathédrale comme instrument privilégié de l’éducation du peuple, grâce aussi à la liberté de penser. Dès la Restauration, ce même souci de liberté l’amène à prendre position en faveur des peuples opprimés. C’était alors la Grèce. Ce sera plus tard, l’Irlande, Cuba, le Mexique etc.

 

 

Convaincu que l’humanité est irréductiblement présente dans chaque homme, V.Hugo refuse la peine de mort. Cette option, présente dès les premières œuvres (Han d’Islande en 1823), et développée pour la première fois dans Le dernier jour d’un condamné en 1829 est plus originale que la précédente et tranche avec les sentiments dominants à l’époque… Sans doute, l’expérience des âpres luttes de la révolution, le souvenir de la terreur ont-ils alerté l’opinion contre les excès d’une répression impitoyable. Mais la peine de mort reste largement admise, fait l’objet d’un cérémonial qui a même la faveur du peuple. On se dispute les bonnes places près de l’échafaud. Dans la bourgeoisie, l’idée que la société doit se venger des atteintes portées à l’ordre moral et social est couramment répandue. Hugo, ici, va vraiment à contre courant. On le sent révulsé par la violence que la société peut exercer sur un individu jugé par elle -et parfois à tort- coupable, et définitivement perverti. L’image du bourreau, celui qui donne la mort au nom de société, hante d’ailleurs une bonne partie de son œuvre. Ce même souci de l’humanité dans chaque homme explique que V.Hugo, ait également pris position, très tôt dès Bug Jargal, contre l’esclavage.

 

 

Comparés à ces prises de parti, de nature existentielle, les choix politiques concrets de V.Hugo ont varié avant qu’il ne se rallie cette fois durablement à la République au cours de l’année 1849.Ses adversaires l’ont souvent brocardé sur ce point, décrivant un Hugo royaliste sous la Restauration, familier de Louis Philippe sous la Monarchie de Juillet, bonapartiste au début de la Seconde République, « Montagnard » à la fin de celle-ci. Mais ce conformisme supposé aurait dû se poursuivre par une adhésion au Coup d’Etat louis-napoléonien et ce ne fut pas le cas, bien au contraire, puisque Hugo fut l’un des opposants les plus résolus et les plus durables à celui-ci. Plus important pour nous est le fait que comme d’autres écrivains du XIXe siècle, Chateaubriand ou Lamartine, V.Hugo n’a pas hésité à rechercher et à assumer des fonctions politiques : pair de France sous la Monarchie de Juillet, représentant à la Constituante et à la Législative entre 1848 et 1851, député en 1871, sénateur après 1875, V.Hugo a connu l’atmosphère des grandes assemblées parlementaires. Orateur, il a affronté des salles hostiles. On en retrouve bien des aspects dans son œuvre que ce soit dans quatre-vingt treize ou dans l’Homme qui rit. Mais il a connu aussi l’envers de la médaille, les troubles intérieurs en juin 1848 (sa maison est envahie par les insurgés), les vains efforts pour entraîner le peuple en décembre 1851, la fuite à l’étranger devant la répression, la douleur de l’exil, et même, en 1871, l’hostilité du peuple de Bruxelles qui l’accuse de complicité avec la Commune de Paris et lapide sa maison. L’écrivain ne s’est pas réfugié dans sa tour d’ivoire pour ciseler des vers. Il a vibré avec les passions politiques de son temps et y a puisé au moins en partie, le grand souffle qui l’anime.

 

 

Plutôt que de parcourir avec V.Hugo, les étapes de son trajet politique, tâchons plutôt d’en saisir la logique interne. V.Hugo a lui-même signalé le schisme présent au sein de sa  propre famille entre sa mère ralliée à la Monarchie et son père, fidèle serviteur de l’Empire. L’influence de la mère qui a guidé l’enfance de Victor et de ses frères, l’a d’abord emporté. Avec l’âge adulte, celle du père a repris son ascendant. Mais ne réduisons pas cette évolution à des aspects uniquement personnels (même s’ils ont de l’importance). Dès la Restauration, V.Hugo s’est situé assez clairement. Il revendique l’ensemble du passé français, et refuse qu’on en condamne une partie. La Monarchie certes, mais aussi la Révolution et l’Empire ont fait la grandeur de la France. Il faut assumer l’une et l’autre, sans vouloir effacer non plus les contradictions qui les affectent. Du moment napoléonien par exemple, Hugo a vécu les tensions internes. À travers son père, général fidèle jusqu’au bout à Napoléon, il a l’image de la gloire impériale. Mais sa mère abrite un opposant  au régime le général Lahorie, parrain de Victor, qui sera fusillé à la suite de la conspiration de Malet. De l’Empire, V.Hugo retient la gloire, le rayonnement de la domination française, les victoires éclatantes, non le despotisme. En 1815, la France est vaincue. Paradoxalement, elle doit à cette défaite de retrouver une certaine liberté intérieure, un régime constitutionnel, permettant un exercice limité des libertés politiques. Que V.Hugo ait été sensible à cet aspect n’est pas étonnant. Beaucoup d’autres le furent aussi. Le jeune poète chante le nouveau régime qui d’ailleurs l’honore. Mais lorsque celui-ci, plutôt que d’élargir les libertés tend à les restreindre, à les menacer, lorsqu’il refuse d’assumer l’héritage révolutionnaire et impérial dans leur grandeur, on ne s’étonnera pas que V.Hugo s’insurge, et c’est l’Ode à la colonne Vendôme de 1827 En 1830, V.Hugo ne participe pourtant pas au renversement des Bourbons et son attitude sera d’abord réservée vis-à-vis du nouveau pouvoir dont cependant il se rapproche peu à peu dans les années 1840. La révolution de 1848 ne fait pas non plus de lui, du jour au lendemain, un nouveau converti de la république démocratique et sociale. Il plaide d’abord pour une république modérée. S’il ne récuse pas les conquêtes de la révolution de février (le suffrage universel par exemple) il est plus sensible aux craintes d’un dérapage socialisant ou extrémiste qu’à l’espoir de justice sociale présent dans les milieux populaires parisiens. Mais – c’est là que Hugo surprend – alors que ceux qui ont fait le même choix que lui iront en général de plus en plus vers la droite, Hugo, dans les années suivantes, fait le trajet inverse. Cette république modérée mise en place de fait par l’Assemblée constituante et – on a pu le croire un moment – consolidée par l’élection de Louis-Napoléon à la présidence, Hugo n’accepte pas qu’on la confisque, que l’on renverse en son nom la république romaine, qu’en France une politique systématique de réaction tende à museler la pensée (la loi Falloux) à restreindre les libertés de presse et de réunion, à porter même atteinte au suffrage universel. L’écrivain ne ménage pas ses anciens amis et, dans le style imagé et théâtral qu’il affectionne, les affronte sans ménagement, supportant sans faiblir leurs risées et leurs sarcasmes. Dans la logique de cette attitude, V. Hugo fait partie des représentants montagnards peu nombreux (une cinquantaine sur 180) qui au moment du coup d’Etat de Louis Napoléon, en décembre 1851 cherchent à animer la résistance parisienne. Vains efforts. Hugo, aidé par Juliette Drouet, doit s’enfuir en Belgique avant d’être officiellement banni un peu plus tard.

 

 

La rupture avec Louis-Napoléon est totale et sans appel. Plus qu’aucun autre -et ils sont pourtant nombreux dans ce cas- V.Hugo s’identifie désormais à la figure du proscrit. L’exilé sur son rocher, à Jersey ou Guernesey, c’est aussi l’intellectuel qui, contre le pouvoir, fait appel à la conscience pour vaincre la force. Mais alors qu’un Voltaire avait été souvent conduit à biaiser avec l’autorité, chez V.Hugo, l’attaque est frontale. Dès avant le coup d’Etat, il avait stigmatisé Louis-Napoléon du surnom de  » Napoléon le Petit « . Un pamphlet paraît sous le même titre en 1852 et est suivi bientôt par le brûlot des Châtiments. En 1859, Hugo refuse hautement l’amnistie offerte. Il aide de façon concrète les proscrits en difficulté. En outre il se fait l’écho des forces progressistes en lutte dans le monde, que ce soient les noirs d’Amérique, les Irlandais, les Crétois, et les Grecs, les Mexicains qui combattent l’armée d’invasion française. Dans une Europe où la guerre rôde sans toutefois provoquer de grands embrasements, V.Hugo s’affirme pacifiste et il soutient les congrès de la paix, nouveauté de l’époque. Il envisage, pour l’avenir, des Etats-Unis d’Europe.

Victor Hugo à Hauteville House (Guernesey)

 

L’exil, s’il est une souffrance qu’il ne faut jamais oublier, donne pourtant à V.Hugo le loisir de se consacrer pleinement à l’écriture qu’il avait un peu délaissée pour la politique depuis 1843. Une grande partie des œuvres maîtresses sont alors composées, que ce soient des romans (Les Misérables, les Travailleurs de la mer, l’Homme qui rit) des recueils poétiques (Les Contemplations, La Légende des siècles,) du théâtre (le Théâtre en liberté, qui témoigne chez Hugo, d’une inspiration nouvelle). Certaines de ces œuvres donneront à V.Hugo sa réputation d’écrivain social. Le  » socialisme  » de V.Hugo est certes très modéré. C’est plus un sentiment de compassion sincère pour les misères du peuple qu’un désir de voir celui-ci prendre en main son destin et s’imposer au premier plan. On a pu remarquer que le monde ouvrier -qui commence à s’organiser à l’époque– , est à peu de choses près, absent des Misérables. Pour Hugo, comme pour la plupart des républicains de l’époque, c’est par la République, par la réforme politique d’abord, que le sort du peuple progressera. Il n’empêche que sur ce terrain aussi, V.Hugo a été un éveilleur. En même temps La légende des siècles fait de lui le poète de l’Humanité en marche vers son devenir.

 

 

Lorsqu’il rentre à Paris le 6 septembre 1870, V.Hugo trouve une France en guerre, envahie humiliée par des défaites honteuses. La République pourra–t-elle la sauver comme l’avaient fait les grands ancêtres conventionnels ? Hugo soutient la défense nationale et admire le patriotisme de la population parisienne qui supporte sans faiblir les bombardements et la disette. C’est pourquoi un peu plus tard, quand la Commune de Paris est instaurée, il ne la condamne pas avec haine comme nombre d’écrivains de renom et même s’efforce un peu plus tard d’obtenir l’amnistie pour les communards. Le poète dont la figure s’identifie maintenant à celle du patriarche, de l’auteur de l’Art d’être grand père, donne son dernier grand chef d’œuvre romanesque avec quatre-vingt Treize et livre son dernier combat contre la réaction menaçante en publiant l’Histoire d’un Crime, un récit au jour le joura du coup d’Etat de 1851, en 1877. À sa mort en 1885, c’est un peuple entier, lors d’obsèques d’une extraordinaire solennité, qui rendra hommage au plus grand auteur français du siècle et sans doute de tous les temps.

 

 

Nombre d’écrivains français ont participé aux luttes politiques de leur époque et ceci est particulièrement vrai au XIXe siècle où l’on peut citer Paul-Louis Courier, Benjamin Constant, Lamartine, Chateaubriand, Hugo, Vallès, Zola, Barrès, et bien d’autres auteurs de moindre renom. Hugo se distingue par la continuité de son engagement, la vigueur de ses prises de position, l’originalité de son parcours, effet d’une remarquable liberté d’esprit. Il a su aussi féconder son œuvre par ses activités citoyennes tout en conservant à travers ces luttes ou en marge d’elles, une fraîcheur, une capacité à exprimer selon le cas de grandes préoccupations humaines, de graves questionnements métaphysiques, ou tout simplement des sentiments familiers et de malicieux badinages. C’est ce qui fait de la lecture de son œuvre, encore de nos jours, une perpétuelle surprise. Avez-vous lu V.Hugo ?  interrogeait Aragon lors du cent cinquantenaire de la naissance de l’écrivain. La question est d’actualité aujourd’hui alors qu’il est plus nécessaire que jamais de donner de la hauteur à l’esprit.

 

 

Raymond HUARD