Auguste Rozier, chanteur révolutionnaire
Bulletin de l’Association 1851-2001, n°8, février-mars 2000
Auguste Rozier (1813-1865), chanteur révolutionnaire
Nous sommes le 4 décembre 1851, sous les arcades de la place publique de Sauveterre-en-Rouergue, et Auguste Rozier crie sa rage. Autour de lui quelques habitants s’indignent : le Président de la République a osé faire un coup d’État pour détruire la Seconde République. Que faire ? « Prenons les armes et direction Rodez pour faire échouer cette ignominie » proclame partout Rozier qui réussira à provoquer une réunion pour organiser la révolte. Depuis 1848, les Républicains du village n’étaient pas restés les deux pieds dans le même sabot, aussi Rozier ne crie pas dans le désert. Pour preuve : le maire François Magne est avec eux. Expert géomètre comme Rozier, mais âgé de 59 ans, alors que notre héros en a 38, il va suivre les 45 habitants qui partent vers le chef-lieu pour se faire entendre. Pour en mentionner quelques autres, citons le limonadier d’avant la limonade Charles Louis Caussanel, le cordonnier Drulhe, bras droit de Rozier, ou Buissou, le paysan. L’insurrection rassemble les générations : Caussanel est un cousin du Caussanel qui dirige les Républicains à Rodez et Rozier conduit l’action aux côtés de son gendre. À parler des professions, il faut se méfier : parfois le limonadier est un peu paysan et le paysan peut avoir un pied en vile. Rozier est un bel exemple de révolté à la croisée de plusieurs mondes : en tant qu’expert géomètre, il est un citadin mais il traite souvent les problèmes des paysans et des partages des fermes. Ils sont partis 45 et arrivent 150 aux portes de Rodez. Au lieu d’une action surprise, les responsables laissent un délai au préfet, pour qu’il se range au côté de la République. Rozier enrage contre ses propres amis : « Les habitants de Rodez sont une bande de … et je désire qu’ils n’aient plus besoin de moi à l’avenir ». En effet, le préfet en profite pour organiser la riposte et, à Rodez comme partout, la victoire revient aux futurs bâtisseurs du Second Empire, une page sombre de l’histoire de France. Celui qui rapporte les propos de Rozier ne mentionne pas la langue parlée. Je pense qu’il cria en patois. Rozier, je l’ai choisi, pour rendre hommage aux républicains de la Seconde République, car il se distingua par l’usage de cette langue. Puisque le suffrage universel (que je dis masculin) venait d’être imposé, Rozier considéra que la République devait aller au-devant des paysans (la masse à convaincre) en s’appuyant sur leur culture : utilisation des veillées, des fables, des contes et des chants, le tout en patois (nous dirons maintenant en occitan). Face à la pédagogie du missionnaire qui voulait que l’idéal socialiste soit apporté de l’extérieur à des masses incultes, Rozier inventa la pédagogie de l’homme de terrain qui voulait faire surgir le nouvel idéal de la vie concrète à partir de l’histoire même. Je pense que l’idéal socialiste se situait au carrefour des deux démarches mais l’histoire fit que presque personne ne se présenta en ce lieu de rencontre : les ouvriers plus portés à se déplacer constituèrent le mouvement ouvrier sur les routes du progrès (et on parlera de l’aristocratie ouvrière) tandis que les paysans forcément attachés à leur territoire ne furent progressistes que pour eux (quand ils le furent). En 1848, nous étions à l’aube d’une ère nouvelle et en même temps que l’industrialisation s’imposait les militants socialistes se formaient. Le coup d’État du 2 décembre eut des conséquences considérables sur notre histoire progressiste. Cette histoire nous permet de poser mille questions cruciales dont j’extrais les trois suivantes : – Pourquoi est-elle si méconnue ? – Pourquoi et comment la Troisième République fut fille de la Seconde, engendrée par le Première ? – Pourquoi les Républiques françaises se sont-elles toutes effondrées dans le drame, à un moment où la gauche semblait avoir le vent en poupe ? (Je ne prétends pas ainsi annoncer le type de mort qui attend la Cinquième). Rozier comme des milliers d’autres sera condamné à la transportation en Algérie qu’il s’évita un temps en se cachant, mais arrêté à nouveau en 1858 il dut subir sa peine (François Magne y mourra). Plus tard, sa fille recevra une petite pension de la République qui en 1880 pensa aux vieux quarante-huitards. Le coup d’État avait ruiné le pauvre Auguste qui meurt dans la misère en laissant une œuvre destinée à l’oubli. Des chansons, des poèmes, des récits, des descriptions et même un livre de pédagogie destiné aux futurs experts géomètres. Parce que la République avait permis l’éclosion des journaux, il avait pu s’exprimer pendant quelques Mois. Le temps d’un éclair.
Jean-Paul DAMAGGIO
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