ROUGES OUTRE-MER
article publié dans La Marseillaise-Hérault du jour du 19 juillet 2002 ROUGES OUTRE-MER Le théâtre de verdure du Parc Sans-Souci de Pézenas était garni ce samedi 13 juillet pour la représentation de « Rouges outre-mer » la dramatique en cinq actes de Jean-Claude Audemar. Une pièce construite à partir de la correspondance d’Adrien Calas, professeur de musique habitant Caux, qui se retrouve transporté en Algérie après le Coup d’Etat du 2 décembre 1851. Introduisant la soirée, Claude Alberge a rappelé que 110 Piscénois avaient été interpellés par la justice pour leur opposition républicaine à celui qui allait se proclamer Empereur sous le nom de Napoléon III. 80 d’entre eux, dont 9 femmes, furent l’objet de condamnations, transportation en Algérie pour la plupart. La pièce était jouée par les étudiants en licence professionnelle des métiers du spectacle de l’UNSA (Université de Nice Sophia Antipolis), promotion « Gabriel Monnet » présent dans le public et à qui a été dédié le spectacle. Claude Alranq, qui dirige cette licence, a rappelé les trois principes qui guident son activité : 1- la France est riche de sa diversité culturelle ; 2- connaître son passé permet de comprendre le présent et d’affronter l’avenir ; 3- la culture populaire est liée au quotidien de chacun. La musique qui accompagne le texte est due au groupe « La Fabrique, acide folklorique et dérivés » lequel assurait le baléti qui suivait la représentation théâtrale. La pièce débute avec le chœur des femmes qui se lamentent sur cette journée maudite qui voit le départ de leurs hommes pour l’Algérie. Le convoi des prisonniers enchaînés va traverser l’Hérault au pont de Montagnac et se diriger vers Sète pour embarquer direction Bône. Parmi eux Adrien Calas, simplement coupable d’avoir adhéré à une société secrète, se retrouve à la caserne des Caroubiers où la vie ne serait pas trop pénible si ce n’était le manque de liberté et l’éloignement de sa femme, Alexandrine et de son fils Edmond. Le rôle d’Alexandrine est tenue par Amélia Fofana, une jeune femme de couleur, métisse tout au moins, ce qui n’enlève rien à sa crédibilité. A plusieurs reprises elle lit à haute voix les lettres – elles sont authentiques – qu’elle reçoit de son mari. A Bône Adrien Calas s’est lié avec Aimable Théolier, poète et philosophe, condamné à « Algérie moins » seulement mais qui est par ailleurs recherché pour désertion. On fait connaissance de Pey, le rossignol de Marseillan, coureur de jupon toujours gai, victime d’une femme éconduite qui l’a dénoncé. A Bône le rossignol a de quoi faire avec las bugadièras (les lavandières), femmes transportées qui s’emploient ici, auprès des autres victimes de la répression, à une activité rémunérée. Ce Pey intervient dans les débats politiques qui opposent Adrien Calas et Aimable Théolier et ne manque pas de perspicacité. Il a compris, ce qui n’était pas le cas de la plupart des transportés, la situation qui est faite aux autochtones dans le cadre de la colonisation. On a, à travers la correspondance d’Adrien Calas, des échos d’une rébellion qui n’a pas attendu 1954 ! Les choses vont s’aggraver quand nos trois comparses se retrouvent à casser des cailloux sur une route près de Beleat Bou S’ Baa où le lieutenant Dupin, dont le rôle est curieusement joué par une femme, n’est pas particulièrement tendre avec les détenus héraultais en général et avec Pey en particulier. Ce sont ensuite des allers retours de courrier entre Adrien et Alexandrine (dans la réalité ce n’est pas Alexandrine qui écrivait mais un parent à elle qui tenait la plume.) Il est question de demande de grâce, à formuler en termes d’allégeance à l’Empire. Guiraud, l’oncle d’Adrien, conformiste, ne manque pas de faire à son neveu des leçons de morale que celui-ci n’apprécie pas. Beaucoup de proscrits de Caux sont déjà rentrés et Adrien Calas est toujours au bagne où les rigueurs de l’hiver dégradent encore un moral déjà bas. Mais finalement la Jalaberte, la cousine de Magalas, une parvenue qui a pris ses distances par rapport au peuple, annonce à Alexandrine le retour d’Adrien. Ce sont sur les retrouvailles des deux époux que se termine la pièce. Le cœur des femmes peut alors s’exprimer dans le registre d’allégresse de cette journée bénie. Une pièce pas facile à construire sans doute car sans guère d’action, mais retraçant fidèlement un certain climat, celui vécu par le proscrit Adrien Calas, tel du moins qu’il était apparu à l’auteur de ces lignes à la lecture de sa correspondance.
« Le Rossignol « de Marseillan lutinant « las bugadièras » Photo Olivier Rodriguez
Jacques Cros
|