Antoine Gaubert

extrait de Volonne, sa géographie, son histoire, par Camille REYMOND, ancien député des Basses-Alpes à l’Assemblée Constituante, ancien conseiller général du canton de Volonne, Forcalquier, imprimerie Testanière, 1961, pp. 185-189

 

Les notes de bas de page sont de l’éditeur du site

 

Un résistant de 1851 [Antoine Gaubert]

 

Antoine Gaubert, menuisier, mon grand-père maternel, né à Volonne le 10 octobre 1812 est, en 1851 (après le coup d’Etat de Napoléon III) le chef des insurgés de Volonne et des environs.

Vaillant, bon, très pondéré, très intelligent et instruit, très écouté, il conduit les troupes aux Mées. Là, rencontre avec les soldats envoyés de Digne[1] (16ème Léger, je crois[2]). Échauffourée, bataille.

Après la lutte, grand-père fait preuve de mansuétude, de bonté, sauvant, par son intervention, le capitaine Drillers que les insurgés veulent fusiller. Comme il n’y a aucun mort : « Capitaine, dit-il, mes amis sont intacts, vous êtes libre, vous pouvez vous retirer, aucun mal ne vous sera fait.[3] »

Plus tard, ce capitaine, retiré à Lyon, dira : « Un homme m’a sauvé la vie, mais j’ignore son nom. »

Après la dislocation (les insurgés du Var étant arrivés trop tard[4]), les bas-alpins traqués se dispersent.

Mon grand-père , pourchassé, s’enfuit, erre dans les montagnes aux environs de Volonne. Sa femme (née Rose Scholastique Estublier) et ses enfants se réfugient momentanément chez la mère Estublier, habitant chez une de ses filles mariée aux environs de Thoard (Saint-Estève ou Auribeau).

La nuit, le grand-père va les voir en cachette, reste un instant, se réfugie parfois chez son ami intime et coréligionnaire Chaix César d’Auribeau, qu’il aime beaucoup (Ce Chaix était le grand-père maternel de Monsieur Jules Frison de Volonne), – repart, revient vers Volonne dans les montagnes neigeuses (Décembre). Une nuit, il voit flamboyer des yeux dans l’ombre, des yeux de loups (il y en avait, paraît-il, encore à cette époque).

« Oh ! Ceux-là, dit-il, n’iront pas dire qu’ils m’ont vu. »

Qulle vie ! Toujours en alarme, sa tête mise à prix (200 francs). Pour obtenir ces 200 francs, le grand Bayle de l’Escale le cherchait.

Une Compagnie de soldats est lancée à sa poursuite. Il entend le tambour. Il se hâte, va se réfugier à la ferme de son ami Colombon[5] à Saint-Symphorien. Là, il rencontre un camarade insurgé comme lui. Les gendarmes arrivent, fouillent, interrogent, en vain. Déçus, mais doutant toujours, ils font mine de se retirer, s’embusquent. Le compagnon de grand-père, content d’avoir échappé, se met à chantonner malgré les abjurations de celui-ci. Les gendarmes l’entendent, retournent, se saisissent des deux hommes, les enchaînent et menacent Colombon (celui-ci recevra plus tard, grâce aux réclamations de grand-père, une petite pension de la République). Il avait 8 ou 10 enfants[6], l’une de ses filles (Clarisse) se maria avec Armand de Volonne. Elle se rappelait fort bien avoir vu grand-père se réfugier chez son père.

Ainsi donc, Antoine Gaubert, enchaîné, est déposé dans une charrette avec d’autres compagnons.

La rage de Napoléon III étant un peu calmée, tous évitent la fusillade subie par les premiers insurgés pris au début. Eux sont expédiés soit à Cayenne, soit en Afrique.

Antoine Gaubert est déporté en Afrique au camp de Douéra (immatriculé sous le n°3362 comme en fait foi son livret de déporté)[7]. Il y arrive vers le 25 juin 1852. Il sera libéré en 1853 (avril-mai).[8]

Avant de partir, enchaîné, il embrasse ses trois petits garçons qui pleurent, s’accrochent à lui, réclamant le père. Sa femme, la pauvre grand’mère, est là, vaillante, stoïque, mais triste, voyant partir son soutien, elle qui va être mère pour la cinquième fois.

Ah ! quelle détresse ! Ainsi donc, pendant qu’Antoine Gaubert, le patriote, va casser des pierres, là-bas au camp de Douéra, une petite fille lui est née à Volonne, le 10 juin 1852. C’est a mère Julie, née dans les larmes et la douleur, mais soignée avec dévouement et tendresse par la mère toute heureuse d’avoir une petite fille au milieu de ses trois garçons : Antoine (l’aîné), Alexandre et Junius, une petite fille était morte.

Robuste, vaillante, la pauvre mère traverse l’atelier de menuiserie vide, silencieux et, aidée par son beau-frère, va travailler aux champs et élève une famille. L’aîné des enfants surveille parfois la toute petite.

Enfin le père revient sain et sauf malgré la rude vie du camp ; il revient plus républicain que jamais.

Il reprend ma scie et le rabot ; il est non seulement artisan, mais artiste ; il possède le génie du bois et de la mécanique ; esprit inventif (pressoirs, ventilateurs, moulins, etc…). Il reprend donc son travail pour un salaire très modique à l’époque. Il est en surveillance et reçoit des lettres décachetées (cabinet noir de la poste : Jacques Heyriès dit « Tata ») et aux veilles d’élections se voit constamment menacé de sanctions, d’emprisonnement, s’il se produit contre le candidat officiel. « Père Gaubert, tenez-vous tranquille ou sinon gare ! dit le jury (Payan) ou le gendarme accourus en son logis. »

—    Ah ! Messieurs, un de ces jours nous l’aurons, malgré tout, la belle République, répond le père Gaubert, oui, vous l’aurez aussi, car, lettré sans avoir cependant trop fréquenté l’école, il lisait, jugeait et prévoyait.

En effet, elle vint la belle République, le 4 septembre 1870.

Dès lors, la maison de grand-père, très écouté toujours, fut le rendez-vous de tous les républicains, des candidats, des députés, des sénateurs : Sénateur Soustre, de Digne[9] ; son ami Jacques Paulon, de Volonne (député) ; Bouteille-Tourel (député) ; Cuisinier Bontrom (préfet) ; Gobinsky, etc…

Elu Conseiller Municipal, il fit beaucoup de bien ; il fut l’un de ceux qui établirent les écoles laïques à Volonne.

Ma mère qui avait grandi et écrivait très bien, faisait des bulletins, des listes à la main en grande quantité. Les candidats républicains étaient presque toujours élus, grâce à l’influence et au dévouement infatigable de grand-père. Aussi, les élections terminées, ils savaient le reconnaître.

—    Père Gaubert, disaient-ils, demandez-nous ce que vous voudrez pour votre peine.

—    Rien, vous êtes élus, c’est suffisant. Maintenez toujours les institutions républicaines, faites toujours pour le mieux et je serai payé.

Suprêmement désintéressé, il ne pensait qu’au triomphe de ses idées de justice, de liberté, de fraternité, de bonheur du peuple, de la Paix, le travail et la joie de vivre.

—    Ah ! disait-il parfois à ses enfants et aux jeunes gens, aimez-la bien, maintenez-la toujours intacte, cette belle République qui nous a tant coûté, car rien ne vaut la liberté. »

Bon jusqu’à la faiblesse, il souriait avec satisfaction quand il payait ses factures ; sobre et tempérant, il ne buvait pas, ne fumait pas, il travaillait, se promenait dans les bois et lisait beaucoup ; il s’instruisait par lui-même, écrivait bien et presque sans fautes. Les gens instruits étaient fort rares à Volonne à l’époque, on venait toujours le chercher pour apposer sa signature sur les actes de la Mairie ou du notaire.

Il n’était jamais plus heureux que lorsque il avait quelque étranger à sa table, ce qui arrivait très fréquemment au grand dommage de la ménagère, qui, obligée de calculer, voyait filer rapidement les vivres destinées à la subsistance de la famille.

Il ne devait jamais s’enrichir, même en accomplissant ses délicats travaux de métier (menuiserie, découpage, montage de machines, moulin). Il était inventeur.

—    Vous faites des travaux de Maître et qui méritent plus fort salaire, vous ne vous faites pas payer en conséquence.

—    Non, non, ma journée seulement est de tant, je ne veux pas davantage.

Lui qui ne voulait jamais de récompense, dut cependant accepter une modeste pension que la République donna à tous les proscrits de 1851.

Il eut la joie, vers la fin de sa vie, de voir bien marier sa fille Julie, ma mère, avec Antoine Rolland, de Volonne, bon ouvrier, honnête, lettré, fin, délicat, distingué de corps et d’esprit, caractère d’élite, bon républicain, tolérant, véritable fils spirituel de grand-père, mais mort trop tôt, hélas ! à l’âge de 49 ans.

Les fils d’Antoine Gaubert (Antoine, Alexandre et Junius), tous honnêtes ouvriers menuisiers, élevés dans l’atelier paternel, se marièrent bien aussi, à l’exception de Junius qui resta célibataire.

Antoine Gaubert, très tolérant, laissa sa fille fréquenter l’église assiduement et chanter au chœur.

Traqué par les réactionnaires fanatiques, il aimait parler aux prêtres tolérants de Volonne qui l’estimaient beaucoup.

Antoine Jean Gaubert s’est éteint tout doucement, vénéré de tous, à l’âge de 80 ans, à Volonne, le 20 juillet 1892.

Ses funérailles furent imposantes.

Voilà la vie d’un homme.

 

Antonia Rolland (sa petite-fille)

Fait à Volonne, le 1er septembre 1948



[1] La troupe du coup d’Etat vient en fait de Marseille.

[2] Il s’agit du 14ème léger, commandé par le colonel Parson.

[3] D’après Eugène Ténot (La province en 1851) et le Conseil de guerre de mars 1852, c’est André Ailhaud qui protégea des excités ce capitaine.

[4]Ils ne sont même jamais arrivés, dispersés par l’armée du coup d’État à Aups, le 10 décembre.

[5] Noël Casimir Colombon, né le 13 novembre 1815 à Vaumeilh, cultivateur à St Symphorien, décédé le 6 décembre 1898 à Sisteron.

[6] Neuf enfants bénéficieront de la reversion de sa pension de 1881.

[7] Antoine Gaubert porte le numéro 1570 sur le registre de la Commission mixte des Basses-Alpes. Il est inscrit comme propriétaire et menuisier à Volonne, condamné à Algérie plus. « Affilié (à une société secrète) ; s’est rendu à Digne et en a rapporté les ordres du Comité ; a commandé la bande qui a désarmé les gendarmes ; aigri par la misère ; forcené désespéré. »

[8] Un Jean-Antoine Gaubert, cultivateur à Oraison, transporté en Algérie, bénéficie d’une grâce le 2 février 1853. Il est possible qu’il s’agisse du même personnage puisque le second prénom de ce « grand-père » est bien Jean.

[9]Outre la fiche biographique disponible par le lien vers le site du Sénat, un article de Suzanne Blanchard-Gaillard dans notre bulletin rappelle que Marius Soustre fut un résistant de 1851.