Ferdinand Eyglunenc, de Mirabeau

Bulletin de l’Association, n°10, juin – juillet 2000

 

Ferdinand Eyglunenc de Mirabeau (Basses Alpes)

 

Suite à l’émission de FR3 du 23 février 2000 où Colette Chauvin, notre secrétaire adjointe, évoquait une des raisons qui l’ont amenée à se passionner pour l’insurrection bas alpine (la mémoire républicaine de la localité dont elle est originaire, Mirabeau), de nombreux téléspectateurs ont manifesté leur intérêt et lui ont demandé plus d’éléments d’information.

Nous sommes heureux de les apporter ici.

 

Au n°1517 du registre des condamnations établi par la Commission Mixte en 1852, on peut lire :

« Eyglunenc Ferdinand, natif de Mirabeau, domicilié en ce même lieu, condamné à Algérie + » et suivent les observations – accusations : « Affilié, reçoit l’ordre de départ, excite au départ, conduisit des gens chez des bourgeois de Digne pour les forcer à loger, exerçait un commandement dans la bande que Chemin conduisit à Thoard pour y exercer des actes rappine (sic). Comme maire, a entraîné ses administrés dans son parti ».

En 1851 et depuis 1848, Ferdinand Eyglunenc est, en effet, maire de Mirabeau, village de 500 habitants, au pied de la vallée des Duyes à 15 kms de Digne.

Il a 43 ans, il est cultivateur – propriétaire, père de huit enfants et fils de Jean-Louis Eyglunenc. Ce dernier s’était lui-même exercé, à plusieurs reprises, au sein de l’opposition républicaine de Mirabeau. Il y avait exercé le rôle d’adjoint de 1830 à 1835, de maire de 1835 à 1845, démissionné alors par la préfecture à cause de son opposition au pouvoir en place et comptait parmi son conseil municipal le sieur Latil, vice-président du tribunal, propriétaire à Mirabeau, que l’on retrouvera en bonne place dans les événements de 1851, et le sieur Charles Benoît Soustre, vérificateur des Domaines, dont le fils sera aussi un élément actif pour la défense de la République en 1851 et tout au long de sa vie (voir bulletin n°2, article de Suzanne Blanchard-Gaillard).

Alors, Ferdinand Eyglunenc, un exalté, un excité du moment, un gueux suiviste, un notable menacé ou un Républicain convaincu, conscient de la nécessité d’agir contre un pouvoir totalitaire qui se met en place ?

À Mirabeau comme ailleurs, cette prise de pouvoir préparée insidieusement avait été pressentie par les sociétés secrètes de la Montagne sans cesse en alerte dans la répression montante.

Cette République de l’Ordre est fragile. Elle n’est qu’un palliatif pour calmer les esprits. La menace est évidente d’une action anti-démocratique dure.

Pourtant, il ne manque rien à Ferdinand Eyglunenc ; il est riche, il possède la plus grande partie du domaine du château de Mirabeau, grande bastide vendue en biens nationaux après la Révolution et rachetée petit à petit par son grand-père, son père et lui même. Il est instruit, il a le pouvoir localement, sa famille est « respectable” et respectée.

Il aurait pu rester tranquille dans son village. Cela aurait évité à une partie de la mémoire collective de transmettre à son sujet, suite à la saisie de sa propriété, à cause de sa participation aux événement et à la vente aux enchères publiques, « oh, lui, il n’a pas bien su faire ses affaires…”

Mais, si cet homme responsable d’une commune et d’une famille nombreuse n’a pas hésité à prendre les armes, à se rendre à Digne, puis à aller chercher du renfort à Thoard, c’est parce que le devoir de la nécessité de défendre la République, qu’il avait toujours exprimé devant ses concitoyens, était plus fort que les intérêts personnels.

Condamné à la déportation en Algérie, son retour ne sera pas facilité par une lettre du maire en fonction après lui, qui répondra à une enquête qu’il était prématuré, début 1853, de le laisser rentrer au pays étant donné que l’agitation n’était pas calmée dans la commune.

 

Il est assigné à résidence à partir d’avril 1853 sous la surveillance de la gendarmerie impériale. Les rapports mensuels chronologiques sont clairs : « Sa conduite laisse à désirer, commence à comprendre, commence à être soumis, ne montre plus sa ceinture route », ou aussi « il faut avoir l’œil sur lui…”

En effet, même si la répression a anéanti sa position sociale, on le retrouvera en 1870 vice-président de la Commission Administrative Provisoire… La République est de retour et il reprend officiellement ses activités politiques.

Pour la Grande Histoire, Ferdinand Eyglunenc comme d’autres personnages reconnus ou totalement inconnus, est un ferment important parmi tous les acteurs de toutes les Résistances aux menaces rampantes envers l’égalité et la légalité.

Il représente aussi, avec eux, le ciment entre les générations de défenseurs des idées républicaines.

Pour la petite histoire qui image naïvement les propos ci-dessus, Ferdinand avait investi, à son retour d’exil, dans des chenets à l’effigie de Napoléon III. Certains ont pu croire que c’était pour « se faire bien voir”. Je ne crois pas trahir sa pensée en attisant le feu de bon cœur … sous ces chenets dont j’ai hérité !

 

Colette CHAUVIN