Les débuts de la Troisième République à Figeac

Bulletin de la Société des études du Lot

4ème fascicule 1998 – Octobre-décembre – Tome CXIX

Les débuts de la IIIe République à Figeac

par Mme Simone Foissac

 

Pourquoi revenir sur quelques années dans l’histoire d’une petite ville de la France profonde, à une époque tragique certes, mais dont le drame a été enseveli dans la mémoire collective sous le souvenir de tant d’autres drames nationaux ?

C’est que je vois dans cette période un aboutissement et un point de départ. L’histoire de Figeac pouvait-elle traverser indemne les convulsions d’une époque (1815-1870) dont les bases restent ébranlées par la Révolution que François Furet dit à la fois irrévocable et inachevée ?

Monarchie aristocratique, monarchie bourgeoise, République démocratique et sociale sombrant dans le césarisme bonapartiste se sont succédées au rythme des journées révolutionnaires parisiennes républicaines ou ouvrières.

Dans le cadre paisible d’une société hiérarchisée et paternaliste prudemment gérée par une oligarchie de propriétaires et d’hommes de loi, des turbulences ont agité la vie locale ; à Figeac au XIXe siècle on ne s’est pas toujours coulé dans le moule des idées reçues et des régimes établis.

Déjà, en 1823, le Sous-Préfet, chevalier de l’ordre de Saint-Louis, il est vrai, écrivait :

« La ville de Figeac est une République » (en ce sens qu’elle échappe aux lois communes) « il y a une grande quantité de jeunes gens désœuvrés et libertins qui commettent toutes sortes de méfaits sans que la police puisse les surprendre ».

Quelques années plus tard 1834 le Préfet du Lot qualifiait le tempérament figeacois de « passionné, irritable, processif » pour constater plus loin : « dans son comportement général, la population est apathique, peu encline à se remettre en cause » (admirons la subtile distinction entre tempérament et comportement).

Lorsqu’il évoque l’histoire de la deuxième république, Monsieur Estebe écrit : « C’est naturellement dans le Figeacois que la République Égalitaire a le plus d’adeptes« . Y aurait-il une particularité figeacoise pour ne pas dire un particularisme ?

Une plongée dans les archives locales et départementales démontre que si Figeac s’est ralliée à la Troisième République dès sa proclamation, le sentiment républicain n’a émergé qu’à la suite d’une longue maturation coupée d’accès de fièvre. 

 

Les origines et les progrès du parti républicain à Figeac sous la Restauration et la Monarchie de Juillet

L’opposition à la monarchie des Bourbons regroupe l’agitation nostalgique et brouillonne des demi-soldes fidèles à l’Empire et la réserve sceptique des libéraux, bourgeois et voltairiens ralliés aux grands principes de la Révolution.

Les rapports de police se bornent à évoquer des  » cris séditieux « , des réunions illégales, tel un banquet bonapartiste réunissant 16 convives (1818) « on y voyait père de famille appartenant à la classe aisée tandis que des artisans amis des doctrines révolutionnaires au nombre de 8 ou 10 y étaient assis auprès des chefs »

Les autorités déplorent que les cafés les plus réputés de Figeac, y compris le café Calmels, lieu de promenade où se rendent aussi quelquefois les dames, ne soient pas abonnés aux bons journaux ; il existe aux archives une savoureuse liste des cafés et des cabinets littéraires de Figeac (1822) qui recevaient exclusivement les journaux de l’opposition : le Constitutionnel, le Journal des débats ; chez Valet, chez Fanarme, chez Descamps (connu aussi comme restaurateur sous le surnom très figeacois de « Ventre de Far »). La seule « émotion populaire » en 1829 est une réaction de colère contre les difficultés au ravitaillement.

Il faut attendre la monarchie de Juillet pour qu’apparaissent des Figeacois conseillers municipaux officiellement taxés de républicanisme – le pharmacien Puel, l’avocat Cabriniat – (je n’ai pas pu savoir s’ils faisaient partie des 300 abonnés lotois du journal républicain le Radical créé par Marcelin, Lachièze avocat à Martel et Pierre Lafon médecin à Gramat). Le Radical a pendant 6 ans diffusé les idées de gauche avant de succomber sous le poids de procès ruineux.

 

Tout change avec la révolution parisienne de février 1848 et la proclamation de la Deuxième République. La France vient-elle de reprendre le cours de la Révolution pour la mener à son terme démocratique et social proclamant le suffrage universel et le droit au travail ? Comment réagit-on à Figeac ?

Pour les élections à l’Assemblée Constituante (avril 1848), le vote figeacois est mêlé à celui de tous les Lotois, en revanche dans les consultations suivantes (organisées après les journées de juin qui ont réveillé la peur sociale) le Figeacois se distingue du reste du département.

Aux élections à la présidence de la République, le Figeacois a résisté à la vague bonapartiste en donnant (de justesse) sa préférence au Républicain modéré Cavaignac.

Aux élections législatives en 1849, délaissant la République modérée alors que triomphe le parti de l’ordre, Figeac désigne pour le représenter deux députés qualifiés de « rouges » : les démocrates socialistes Labrousse et Lafon, ex « citoyens commissaires du gouvernement provisoire » représentant les idées défendues par le journal le Réformateur, propagandiste d’une république populaire respectueuse d’une Église qui se dissocierait des riches.

Liberté de presse, liberté de réunion, ont permis aux éléments les plus avancés du parti républicain de sortir de l’ombre : certains, tel le secrétaire de mairie, sont affiliés à des sociétés d’obédience socialiste ou anarchisante. Galut, un artisan, est le propagandiste pour le Lot de la Solidarité républicaine. Venu du nord, l’énigmatique pasteur Lherminier[1] tient des propos qualifiés de démagogiques. Au café Valet, on aurait chanté un air à la gloire du socialiste Ledru-Rollin. En 1850, le Ministre de l’Intérieur s’émeut des obsèques solennelles d’un sieur « Chiezé » qui aurait réuni 150 anarchistes et 10 membres de la garde nationale. Interpellé, le Préfet minimise l’affaire en invoquant une coutume locale (!).

Le conflit ouvert entre l’Assemblée et le prince Président aboutit au coup d’état du 2 décembre 1851.

Une arrestation préventive avait été ordonnée contre Julien Bailly propriétaire à Panafé, l’âme du parti républicain à Figeac, mais celui-ci est introuvable.

Le 5 décembre des troubles éclatent à Figeac : le tocsin sonne ; le commandant de la garde nationale, Gauzens, dirige la troupe (ouvriers, artisans, un percepteur, un huissier, ministre protestant) qui s’empare de la Gendarmerie. Président du comité de résistance, il se présente à la poste pour se faire remettre les dépêches officielles ; l’hôtel de ville est envahi, la déchéance de toutes les autorités est proclamée. La municipalité se retire.

L’ordre est rétabli le 7 décembre par une colonne de 200 hommes du 11e Régiment de ligne et 80 gendarmes, 6 arrestations immédiates sont opérées. En février 1852, les communications mixtes prononcent une vingtaine de condamnations dont 9 à la déportation (J. Bailly à Cayenne par contumace, 8 autres en Algérie). Le parti républicain est écrasé (notons toutefois qu’interviendront des mesures de grâce : d’après un état des pensions allouées aux victimes du 2 décembre 1851 et daté de 1882, seuls deux condamnés ont subi un internement de 18 mois en Algérie).

Une étroite surveillance pèse encore en 1854 sur les « exaltés ». Qu’en pense-t-on dans le camp des modérés ?

Dans un département en état de siège, les Figeacois ont boudé le plébiscite du 20 décembre 1851.

Quant aux conseillers municipaux, hommes d’ordre pourtant, ils « traînent les pieds ». Appelés à prêter le serment exigé des autorités municipales avant le 15 mai 1852, ils attendent le 14 mai au soir pour proclamer : « Je jure obéissance à la Constitution et fidélité au Président ». Lorsque le 1er octobre, le maire, le docteur Guary, propose une motion formulant le vœu que le prince Louis Napoléon Bonaparte puisse continuer « l’œuvre commencée », il se heurte à plusieurs conseillers qui protestent vigoureusement : « La question n’est pas à l’ordre du jour ».

Toutefois une majorité se rallie à son maire pour adopter le texte suivant : « Le conseil municipal s’associant à la pensée exprimée par le Conseil Général du Lot et comme lui considérant les immenses services rendus par le prince Louis Napoléon Bonaparte à la société qu’il a sauvée des horreurs de l’anarchie et pénétré de la nécessité de donner de la stabilité à son gouvernement, émet le voeu que les pouvoirs qui lui ont été confiés cessent d’être temporaires et deviennent définitifs. »

Les résultats du plébiscite de novembre 1852 portant sur le rétablissement de l’Empire sont éloquents à Figeac : 

Inscrits 1840

Votants 1350

Oui 1242

Non 89

Voix perdues 19

N’ont voté que les partisans convaincus et les adversaires déclarés.

 

Le Second Empire et la IIIe République

Flonflons et crinolines, régime policier drapé dans une apparente démocratie, désastres diplomatiques et prospérité économique.

Les récoltes sont bonnes, les produits agricoles se vendent bien. Figeac ville marché, traverse une des périodes heureuses de son histoire : elle s’enrichit et entre dans la voie du progrès ; éclairée au gaz, dotée du télégraphe. La ville devient, avec l’ouverture des lignes Brive-Capdenac (1862) et Capdenac-Aurillac (1866), un nœud de communication ferroviaire (incomplet : comment joindre le Chef-lieu du département ?).

La prospérité avait-elle fait oublier la politique ? Il est plus honnête de dire que la candidature officielle, les pressions administratives et la censure muselaient l’opposition.

En 1870, les électeurs figeacois invités à se prononcer sur l’Empire, devenu officiellement libéral, lui refusent leur confiance à 40 % des votants ; dans le Lot 93 % des électeurs confirment leur attachement au régime.

La France impériale est emportée par les défaites d’août 1870 : le 4 septembre, l’Empereur et une armée de 82 000 hommes sont prisonniers à Sedan.

Le 4 septembre 1870 Figeac grâce au télégraphe est informé des événements. Le conseil municipal siège en permanence.

2 heures du soir : On connaît la captivité de l’Empereur. Première réaction : élan patriotique et inquiétude.

Douze conseillers municipaux votent une adresse au corps législatif « que le corps législatif prenne en main les destinées du pays, qu’il déclare la Patrie en danger, qu’on vote la levée en masse, qu’il s’inspire des héroïques volontaires de 1792. »

N’a pas voté l’adresse, le chaudronnier Boyer car il proposait d’attendre de nouvelles dépêches de Paris.

Dans l’urgence on dresse la liste des cadres pour former la garde nationale sédentaire.

4 septembre, 10 heures du soir : Le conseil a reçu la nouvelle de la proclamation de la République à Paris, après quelques paroles adressées par M. Puel au peuple qui se trouvait hors de la salle pour l’engager à l’ordre et à maintenir le conseil municipal en fonctions, celui-ci pour assurer l’ordre et maintenir la tranquillité dans la ville a nommé 3 commissions dotées de pleins pouvoirs pour requérir la force publique en cas de troubles.

Dans les jours qui suivent, le maire et les adjoints désignés par le pouvoir impérial démissionnent. Une commission provisoire composée des 5 premiers inscrits au tableau prend la direction de la mairie : son premier geste est de demander au préfet l’envoi d’armes pour la garde nationale sédentaire.

Deuxième réaction : Le 9 septembre, par l’intermédiaire de ses élus, Figeac se rallie à la République dans une vibrante adresse au gouvernement de la Défense Nationale : « En présence du danger de la patrie nous venons offrir notre concours au gouvernement républicain qui a pris en mains les destinées de la France. Un grand peuple se relève et vient se ranger autour de vous qui n’avez cessé de combattre pour les libertés perdues. Disposez de nous, notre entier dévouement vous est acquis. Notre devise est la même que celle de nos pères de 1792 : vivre libres ou mourir. Comme eux nous saurons vaincre et la République retirera la France de l’abîme où l’a plongée le pouvoir personnel. Vive la République ».

Le mouvement républicain avait triomphé, mais dans quelle atmosphère ?

La guerre continue. Des élections municipales se préparent. Les responsables de l’autorité locale souhaiteraient la présence d’une partie de la garde mobile en garnison à Cahors.

Les élections sont annulées. Il n’y a pas de fusils pour armer la garde nationale locale, l’arsenal de Toulouse était vide, il faut recourir à des fusils confisqués et déposés au greffe de Figeac.

Arrive l’hiver impitoyable. Figeac porte aussi le poids de la guerre en hébergeant 1300 gardes nationaux mobilisés et 100 militaires malades ou blessés.

Nous sommes entrés dans les drames de « l’année terrible », des températures polaires, le siège de Paris, la famine, la défaite, la Commune.

A Figeac (deuil, misère, chômage) appel à la générosité des particuliers. Interdiction de tout bal et spectacle public, tout concert et tous chants (autres que patriotiques) qui seraient une véritable insulte au malheur public.

En mai 1871, la commission municipale qui gérait la ville laisse la place à un nouveau conseil municipal tout aussi républicain.

Le registre des délibérations de la ville est pour cette période un document étonnant : agissant comme une assemblée représentative au plan national, nos élus interviennent auprès du gouvernement pour formuler leurs vœux sur la conduite des affaires de l’état.

14 mai : Adresse au chef du pouvoir exécutif Thiers à l’Assemblée Constituante (élue en février) formulant un double vœu :

• la cessation de la guerre civile ;

• l’extension des franchises communales à toutes les communes de France dans un cadre républicain.

Anticipant toute décision officielle, le conseil municipal désigne de lui-même son maire Arsène Teilhard, un avocat qui, en bon juriste pourtant, a mis ses collègues en garde contre leurs audacieuses initiatives.

30 juillet : Nouvelle adresse au gouvernement votée à l’unanimité des suffrages exprimés :

– que la France ne s’immisce pas dans les affaires d’Italie au sujet du pouvoir temporel du Pape ;

– que soit proclamée l’amnistie pour tous les délits politiques.

1er septembre 1871 : Adresse à l’Assemblée Nationale considérant :

– que l’Assemblée nationale actuelle élue aux termes de l’article 2 de l’armistice reproduit par le décret de convocation des électeurs n’a reçu du suffrage universel qu’un mandat limité à la gestion de la paix et de la guerre ;

– qu’elle perpétue le malaise du pays et s’épuise dans des luttes à la fois passionnées et stériles ;

Les soussignés demandent sa dissolution.

Cette proposition est adoptée à l’unanimité des votants par le conseil municipal qui décide à la majorité que la pétition sera publiée par voie d’affiches.

Délibération annulée par le préfet. Ces interventions expliquent la méfiance des autorités préfectorales vis à vis de Figeac : une lettre confidentielle du sous-préfet datée de mai 1873 précise que le réel danger de troubles vient du Figeacois, suit une liste de 35 personnes à surveiller à cause de « l’exaltation » de leurs opinions parmi lesquelles : Julien Bailly déporté (?) en 1852, ami de Louis Blanc, très « exalté », influent, le véritable chef peut-être des partis.

En janvier 1876, le même sous-préfet répond à une enquête du Ministère de l’Intérieur : « les Francs maçons de l’arrondissement de Figeac, appartenant pour la plupart aux opinions avancées ne sont pas réunis en loges mais dépendent des loges départementales voisines où se fait leur admission ».

L’administration peut bien s’inquiéter, à Figeac on en n’a cure : le choix républicain fait en 1870 n’a jamais été remis en cause.

Et pourtant nous sommes dans un département où l’influence bonapartiste a été si forte qu’elle a valu au Lot le surnom de Petite Corse, et a une époque où l’on a pu se demander si la France ne basculerait pas de nouveau dans le régime monarchique, à Figeac, toutes les équipes municipales élues dès 1870 ont une majorité républicaine (1871, 1872, 1874, 1877).

Après le vote des lois constitutionnelles de 1875 organisant enfin le régime, deux gestes symboliques locaux glorifient la République :

– son buste est placé dans la salle des séances du conseil municipal ;

– son nom est donné à la nouvelle rue qui va de la place au froment à l’école maternelle ;

tandis que Figeac choisit « le proscrit de 1851 » comme délégué sénatorial : Julien Bailly.

En 1876, son maire Teilhard devient député du Lot, le seul représentant des républicains.

Or en France, le parti républicain progresse dans l’opinion d’où l’inquiétude des Royalistes, Bonapartistes, d’une partie des Catholiques constituant le parti de l’ordre, dans cette république présidée par un maréchal orléaniste Mac Mahon et dont la Chambre haute est un bastion conservateur.

Il existait à Figeac, près de la mairie, une petite ruelle pentue et au tracé en baïonnette, portant le nom mystérieux, pour ceux qui avaient oublié l’histoire, de rue du 16 mai.

Le 16 mai 1877, dernière tentative du parti de l’ordre pour arriver au pouvoir le président de la République, le maréchal Mac Mahon, dissout la Chambre des Députés et suspend un millier de municipalités « suspectes » ; celle de Figeac est du nombre. Une commission municipale présidée par le colonel de Flemans (décret du 9 août 1877) la remplace ;

Cette commission siège jusqu’au 23 décembre avec une particulière assiduité et applique la politique de l’ordre moral.

Malgré l’intensité de la propagande du parti au pouvoir et certaines contraintes (à Figeac, des mesures de police limitant le nombre des électeurs présents pour « prévenir l’encombrement et le désordre »), les élections ramènent à la Chambre une majorité républicaine. Mac Mahon se soumet au verdict des urnes et démissionne ; les municipalités dissoutes sont rétablies et Figeac retrouve son conseil municipal et son maire, réélu député.

L’un et l’autre votent une adresse de félicitations à Jules Grévy, nouveau président de la République et à Gambetta, président de la Chambre des Députés.

Les années passent, Figeac continuera à envoyer à la Chambre un député républicain, Teilhard, puis son neveu Rozières alors que le Lot s’entête dans le vote conservateur.

Il faut attendre 1889 pour qu’au terme d’une campagne électorale épique les quatre députés du Lot soient républicains : parmi eux Louis Vival, maire de Figeac depuis 1883.

Les couches nouvelles annoncées par Gambetta arrivent aux affaires dès 1881, le conseil municipal de Figeac repose sur des bases sociales élargies. Petits fonctionnaires, artisans, commerçants y ont la majorité face aux notables traditionnels. Figeac avait très tôt fixé son orientation politique et sera fidèle au radicalisme plus ou moins avancé.

Au terme d’une longue évolution, Figeac avait pris l’orientation politique que notre ville gardera jusqu’à la deuxième guerre mondiale. « Primum vivere deinde philosophare ». Les événements politiques, les querelles religieuses évoquées dans une chronique déjà publiée, voilà pour la pensée. Reste la vie quotidienne, son rythme et ses problèmes.

Les administrateurs locaux des années 1870-1880 ont sans cesse trouvé dans leur ordre du jour : l’approvisionnement en eau de la ville ou les cruelles fantaisies du Célé, la gestion du patrimoine communal ou les difficultés de circulation dans les vieux quartiers, les revenus de l’octroi ou la charge onéreuse des établissements scolaires, la question restée pendante des relations ferroviaires avec Cahors, sans compter les aléas de la conjoncture telle la crise phylloxérique de 1878 ; et cela malgré l’insuffisance, mainte fois déplorée, des ressources financières.

Il n’était pas question de mettre en vigueur l’ambitieux plan d’urbanisme élaboré au milieu du siècle et le temps continue à marquer de sa griffe les vieilles demeures socialement déchues.

Pourtant la ville change : le chemin de fer a fait naître un nouveau quartier et réveillé le vieux faubourg St-Martin. Le faubourg Caviale prend de l’importance avec le projet de construction du Palais de Justice (décidé en 1871) et le prolongement des « quais ».

Seul demeure inchangé le faubourg du Pin traversé par le vieux canal des moines.

Dans le centre ville disparaissent des lieux de la mémoire locale : la vieille halle du XVIe siècle démolie (décision de 1877), l’ancien Mazel vendu, la mairie de la rue du Griffoul (bâtiment vétuste mais remarquable témoin de l’architecture locale) abandonnée en 1878 au profit du bel ensemble immobilier de la famille de Colomb légué à la ville par Fanny Delpuech.

Objet d’aménagements successifs, la place de la Raison, alias place de la République, alias place Bourbon devient le lieu des grands rassemblements festifs ou commémoratifs.

 

C’est une fête qui m’a suggéré ma conclusion.

Je vous livre un texte anonyme qui narre d’une plume malicieuse l’inauguration des bornes fontaines à Figeac à la fin du siècle. Plus qu’un récit vivant et plein d’humour, c’est l’expression de la réalité figeacoise (tempérament et comportement comme disait le préfet du Lot en 1834).

Extrait des notes d’un Figeacois : « Dimanche 23 août 1896, journée mémorable pour les habitants de Figeac, il s’agissait de l’inauguration des bornes fontaines par où s’écoulent les eaux du Berbezou, petit ruisseau prenant sa source à Latronquière que l’on a capté à 11 kilomètres d’ici. A cette fête avaient été conviés et sont venus :

– M. Bourgeois président du Conseil des ministres, prédécesseur de celui que nous avons actuellement (ministère Méline)

– une suite composée d’une quinzaine de députés et de sénateurs.

Tout ce monde a banqueté et péroré sous la Halle, levant son verre pour la prospérité de la République qui doit, par des réformes d’impôts projetées, augmenter la grandeur et la puissance du pays.

A ce banquet n’ont pas pris part les bourgeois de la ville, ennemis nés de toutes ces innovations fiscales comme le rat devant le chat enfariné.

17 sociétés de musiciens en cuivres et d’orphéonistes sont venus se disputer un grand nombre de prix et ont fait l’admiration de la ville et des étrangers accourus de toute part au nombre de 9 à 10 000.

Leur défilé au pas redoublé depuis la gare jusqu’à la place de la Raison a parcouru les boulevards, la rue d’Aujou, la place basse, la rue Gambetta, places et rues couvertes de guirlandes de buis faisant suite à un superbe arc de triomphe élevé de 8 à 10 mètres à la tête du pont du Griffoul, coté de la ville. Du haut de cet arc, par les deux faces latérales, 2 dauphins de zinc versaient de l’eau nouvelle dans le Célé où elle allait rejoindre sa congénère entrée dans la rivière au lieu dit le Colombier.

De nombreux coureurs « en » bicyclette étaient appelés à se mesurer dans le vélodrome établi pour la circonstance sur le plateau du champ de foire. La fête a présenté diverses attractions en dehors de la politique dont certains ont blâmé l’intrusion .

D’abord deux grandes orgues avec manège de chevaux de bois qui nous ont tout le temps assourdis, ensuite un ballon monté par un farceur d’aéronaute qui, parti de la place de la Raison est allé tomber près de la gare après s’être élevé à moins de 100 mètres de haut. Enfin un feu d’artifice qui n’a pas répondu dit-on à l’attente des spectateurs ». 

 



[1] Sur ce personnage, voir le passage de la lettre de Mlle Foumentèze qui lui est consacré (note de l’éditeur du site).