La Garde-Freinet (Var) – Les chemins de la conscientisation 1848-1851

Article publié dans le Bulletin de l’Association 1851-2001, 19 – 2001

 

La Garde Freinet (Var) – Les chemins de la conscientisation, 1848-1851

 

par René Merle

 

Conférence donnée à La Garde Freinet le 3 novembre 2001.

  

Je dois d’abord dire le plaisir que j’ai d’être ici dans une localité dont le rôle fut majeur dans la résistance au coup d’état, une localité où l’identification avec les trois termes de République démocratique et sociale fut sans doute une des plus éclatantes dans le Var, et, au présent, une localité dont l’activité commémorative est remarquable.

C’est donc avec émotion que, avec le salut de notre association, je vous apporte quelques éléments historiques en complément à une somme déjà considérable. Je pense bien sûr aux chapitres consacrés à La Garde Freinet par M.Agulhon, dans La République au village (Seuil, réed. 1979), et à sa préface à la revue Freinet Pays des Maures (n°2, 2001). Je pense au travail abondant des chercheurs locaux, encore stimulé et enrichi par la proximité de l’anniversaire, et tout particulièrement au travail de votre association 1851 et de son président Gérard Rocchia.

Nous avons tous en tête cette scène, digne d’un grand film historique : le départ, salué par les cris des femmes : “aduas la bouano !” (ramenez la Bonne République) de cette colonne impressionnante et déterminée, qui aurait pu faire basculer le destin si…

Mais pour en arriver là il avait fallu, comme toujours, la rencontre de données objectives (au premier chef géographiques, sociologiques, économiques), et de données plus difficiles à saisir, données liées à la ténacité militante et à la personnalité de certains intervenants. Bref, une maturation, une conscientisation. Je vais donc traiter des chemins de la conscientisation inscrits dans les 4 années de la Seconde République, 1848-1851, à La Garde Freinet, et en jetant un regard rapide sur les autres communes du pays du Freinet et aussi sur Collobrières. Situons les populations en 1851 :

Saint Tropez 3595 h, La Garde Freinet 2433h, Collobrières 2008h, Cogolin 1534h, Grimaud 1385h, Gassin 792h. Le Plan de la Tour, Ramatuelle sont de toutes petites communes.

Les chemins de la conscientisation sont déjà, bien évidemment, ici comme ailleurs, ceux de l’apprentissage du suffrage universel masculin, en 1848, qui vient bouleverser la donne précédente du suffrage censitaire.

Les votes d’avant 1848 ne sont pas encore vraiment politiques, mais bien plutôt des joutes entre notables pro-gouvernementaux. Cependant, avant 1848, on peut repérer déjà des courants d’opinion non cristallisés, avec aux deux extrêmes :

Saint Tropez, ville blanche des gens de mer traditionnalistes et conservateurs.

La Garde Freinet, une localité paysanne en mutation, dont la conscience sociale éveillée est déjà trempée dans les conflits et luttes d’une production bouchonnière en plein essor depuis les années 1830. La conscience politique républicaine y est diffusée par quelques jeunes fils de bourgeois, étudiants à Aix, et propagateurs du journal L’Ere nouvelle, ou par quelqu’un que vous connaissez bien, Jacques Mathieu, né en 1818, étudiant à Aix puis à Paris dans les années 1830-40. Elle cohabite avec une conscience politique à la fois républicaine et bonapartiste, diffusée par les anciens militaires, comme Amalric.

Entre ces deux cas extrêmes se situent les localités voisines, toujours très agricoles, mais dont certaines connaissent une poussée de la bouchonnerie. Dès mars 1848, avec le suffrage universel masculin, la participation politique devient une donne évidente et générale. Mais ici, la présence massive des travailleuses de la bouchonnerie, leur rôle dans l’organisation mutuelliste soulignera encore plus l’iniquité de l’exclusion des femmes du scrutin (“fremas non son gents”, disait le vieux précepte !).

Faut-il rappeler quelles furent alors les conditions de la vie politique dans cet apprentissage du suffrage universel, le rôle majeur de l’oralité bilingue, de la discussion et de la chanson, auquel s’ajoute bientôt l’apparition d’une presse démocratique à la diffusion militante.

Lors des premières élections de députés, élections peu politiques à vrai dire, Mathieu est candidat en 1848, parmi tant d’autres acquis ou ralliés au nouveau régime. Rien n’est encore politiquement structuré, ni dans les  » appareils « , ni dans les consciences.

En fait l’enjeu politique est plutôt municipal (pour la première fois, le maire est élu, et non nommé). Le nouveau maire est républicain de la veille, mais ce petit patron bouchonnier n’est pas chaud devant le projet de l’Union ouvrière bouchonnière. Déjà se manifestent des clivages dans la gauche républicaine.

Le premier vote vraiment politique est sans doute celui de l’élection présidentielle de décembre 1848. Avec 350 voix, le républicain  » officiel  » Cavaignac écrase Bonaparte (21 voix), mais le Montagnard Ledru-Rollin obtient déjà 130 voix. Pour autant, La Garde Freinet compte-t-elle 480 républicains ? Ce n’est pas évident, car la droite royaliste varoise a fait voter Cavaignac.

Notons que le candidat d’extrême-gauche Raspail n’obtient aucune voix, alors que l’année 1848 a été une année de conflits sociaux à la Garde, dont une grande grève de deux mois peu avant le scrutin. Il n’y a donc pas encore de lien direct entre revendication sociale et adhésion aux thèses de l’extrême-gauche.

Le deuxième acte est celui des législatives de mai 1849.

Alors se structure vraiment la Démocratie socialiste varoise, qui se dote d’un journal Le Démocrate du Var, afin de préparer ces élections.

En quoi le programme de la Montagne rouge, tel que le présente le n° spécimen du Démocrate du Var (19 janvier 1849) peut-il toucher les bouchonniers de la Garde-Freinet ?

« Le christianisme a affranchi l’esclave. La révolution de 1792 a affranchi le cerf (sic). C’est à la révolution de 1848 d’affranchir le salarié, en lui facilitant l’accès à la propriété […].

Réforme du crédit public ! qui mette à la disposition de la propriété, du travail, de l’industrie et du commerce des capitaux à bon marché, et nous délivre à jamais de l’usure et de l’agiotage.

Réforme des lois judiciaires ! qui permette de se faire rendre justice sans bourse délier.

Réforme des lois de l’impôt ! qui répartira plus équitablement les charges publiques.

Réforme du code forestier ! qui tout en sauvegardant les forêts contre tout abus, délivre cependant les communes de la tutelle tyrannique et tracassière qui pèse sur elles.

Institution de banques hypothécaires, agricoles et industrielles, gratuité de la justice, abolition des droits réunis, suppression des octrois, affranchissement administratif de la commune, organisation de l’éducation gratuite et obligatoire, telles sont les mesures principales immédiates, que nous réclamons avec les plus vives instances”.

On le voit, le programme ne propose rien de spécifique pour les ouvriers, sinon l’accès à la propriété, mais du concret pour les paysans.

Le journal (12 mai 1849) ne s’intéresse vraiment aux ouvriers que quelques jours à peine avant le scrutin :

“Aux ouvriers.

Sous les dehors du dévouement à la démocratie surgissent des ambitieux qui, sous prétexte de mieux servir votre cause, viennent se présenter à vos suffrages, sèment ainsi le désordre et introduisent dans notre camp une funeste division qui amènerait indubitablement le triomphe des hommes du passé”.

Qui sont ces “ambitieux” ? Il s’agit de eux qui ont été mis en minorité au congrès du Luc, c’est-à-dire à la réunion des comités démocratiques des arrondissements, assemblés pour constituer la liste. Ce sont eux qui lancent une liste montagnarde dissidente, marquée beaucoup plus à gauche, la liste du Comité des Travailleurs. Liste condamnée par Le Démocrate du Var, mais soutenue par La Voix du Peuple, le journal de la Montagne marseillaise, diffusé dans tout le Sud-Est, et dirigé par le neo-babouviste Laponneraye. Les leaders de ce courant sont l’avocat Thourel, de Toulon, Mathieu, de La Garde Freinet, et le maire de Barjols, cité ouvrière également, ainsi que des activistes démocrates de Saint Maximin et de Tourves, très liés au journal démocrate de Marseille.

Sans doute cette situation témoigne de rivalités personnelles, mais aussi d’une donne de fond, celle d’une conscience ouvrière naissante, appuyée sur les militants cabétistes communistes de l’arsenal de Toulon, présents sur la liste. Par contre, si aucun ouvrier de Barjols ou de La Garde Freinet n’y figure, on y trouve le maire de Barjols et Mathieu, de La Garde Freinet. Ainsi, à travers l’engagement (parfois seulement lié à des ambitions déçues) de bourgeois démocrates, cette liste est un vrai vecteur de conscientisation radicale sur un terrain socialement réceptif.

Si Le Démocrate du Var n’a pas consacré de place aux revendications et projets des bouchonniers, ce n’est pas par désintérêt ou cynisme, mais par volonté de rassembler : front de classe qui doit tout faire à la fois pour gagner le peuple et pour ne pas effrayer la petite et moyenne bourgeoisie.

Alors que la liste du Comité des Travailleurs fait un score insignifiant dans le Var, la poussée de l’extrême gauche est nette à La Garde Freinet : Raspail n’avait pas obtenu une voix en 1848, Mathieu et sa liste obtiennent la majorité, au détriment du montagnard  » officiel  » Ledru-Rollin (candidat dans le Var). On mesure ainsi le capital de sympathie dont jouit Mathieu, mais aussi le fait que dorénavant bien des ouvriers bouchonniers se retrouvent plus dans La Voix du Peuple neo-babouviste que dans Le Démocrate du Var.

On imagine la fureur du Démocrate du Var, qui écrit le 19 mai 1849 : “Toute la liste serait passée si Barjols, St Maximin, La Garde Freinet avaient voté comme il faut. Alors que Draguignan, Toulon, Grasse, Brignoles ont bien voté”.

La répression préfectorale accrue, et malgré tout la communauté d’idéal font que bientôt les deux courants de la démocratie socialiste se rabibochent en tirant les leçons des élections.

Dans le pays du Freinet, si les démocrates sont grandement présents, sauf à Saint Tropez, le poids du parti de l’Ordre demeure important, et parfois dominant. Ainsi les rouges ont été défaits à Collobrières, à cause des pressions et menaces de leurs adversaires.

La grande leçon des élections de 49 est donc qu’il faut gagner les paysans. Certains le sont déjà, particulièrement ceux qui habitent dans les villages et participent de la sociabilité collective. Beaucoup sont encore à gagner, particulièrement ceux des bastides et des écarts.

En est particulièrement convaincu le pharmacien de La Garde, Adrien Pons. Un homme jeune lui aussi, il est né en 1815, et il arrive en 1849 de Mostaganem où il s’était fixé depuis quelques années. C’est lui qui dorénavant va tenir les deux fils de la conscientisation, gagner les ouvriers, mais aussi gagner les paysans.

À cet égard, les démocrates de La Garde sont des novateurs, que Le Démocrate du Var cite en exemples le 1er juin (compte rendu du banquet tenu au hameau de La Mourre, le 27 mai) :

“Banquet patriotique. Nous ne saurions trop engager les démocrates de toutes les communes rurales à imiter l’exemple qui leur est donné par leurs frères de la Garde Freynet.

Il est beaucoup de communes où la lumière a déjà pénétré, mais dont les votes éclairés sont neutralisés par les votes malheureusement encore ignorants des habitants des bastides, qui s’approchent de l’urne sous l’impression d’une propagande anti-humanitaire, exercée personnellement par les propriétaires des grands tènements, et qui, par ignorance, y déposent leur propre condamnation, c’est-à-dire la continuation de tous les abus dont ils sont victimes, pour le plus grand profit de leurs exploiteurs”.

Comment ne pas penser à Ramatuelle, par exemple, avec ses trois grandes familles de maîtres…

Pons développe “les conséquences du principe républicain : instruction gratuite, bons hypothécaires, dégrèvement de la propriété foncière, extension de l’impôt au capital et aux objets de luxe”.

Mathieu tient un discours montagnard standard.

C’est peut-être une autre paire de manches entre Cogolin et Grimaud le 17 juin, où le propos est plus violent. Les démocrates de Cogolin, qui arrosent de vin rouge leur arbre de la liberté, sont plus conscientisés.

Le préfet saisit ce prétexte : Pons et Mathieu, accusés d’appel aux armes, sont arrêtés, jugés… et acquittés.

Le Démocrate présente magnifiquement la scène de leur retour à La Garde, où 2000 personnes, genou en terre, les saluent en chantant La Marseillaise.

En août, cependant que les incendies ravagent la forêt, est créée la société de prévoyance féminine, création dans laquelle Mathieu a joué un grand rôle. Il est élu maire en octobre 1849, et aussitôt le préfet Haussmann lui déclare la guerre. Mathieu ne pourra gérer que pendant deux mois : Le 22 novembre 1849, il est suspendu de ses fonctions, et sera révoqué début 50. Il doit se réfugier à Nice.

Ces quelques mois ont été décisifs : la population ouvrière a pris conscience de la nécessité de l’association, dans la perspective de ce qu’on appelle le socialisme pratique, et le tabou de la mise de côté des femmes a volé en éclats. Le conflit de Mathieu avec le curé et le garde champêtre soutenu par Haussmann, loin d’être Clochemerle dans le microcosme gardois, font de la Commune le lieu où est vécu intensément le conflit politique avec le pouvoir répressif. Et l’extrême attention de Mathieu et de sa municipalité aux conditions matérielles de la vie quotidienne, font que le cadre municipal anticipe les espoirs mis dans une victoire de la Montagne au plan national en 1852. La destitution de Mathieu apparaît donc comme une violation majeure de la démocratie, une sorte de premier coup d’état.

Mais naturellement le pouvoir ne peut empêcher la perpétuation d’une municipalité républicaine.

Le jeu du préfet va être alors de s’appuyer ostensiblement sur la minorité conservatrice et de semer la méfiance dans les localités voisines, vis-à-vis de la rouge cité bouchonnière.

Inversement, les démocrates de La Garde Freinet vont développer la propagande en direction des communes voisines, aidés grandement en cela par le foyer républicain rouge de Cogolin. Du côté préfectoral, une répression indécente qui trempe les consciences.

Un vecteur important de cette conscientisation sera Le Démocrate du Var. Les querelles précédentes sont amorties, et le journal s’est lui-même radicalisé. Il a des diffuseurs itinérants, et en particulier Pierre Arrambide (le nom est orthographié aussi avec un seul r). Né vers 1811 dans les Pyrénées-Atlantiques, il a été contremaître serrurier à l’arsenal de Toulon, conseiller municipal de Toulon. Révoqué de l’arsenal pour militantisme démocrate au printemps 1849, il devient alors salarié du journal démocrate socialiste Le Démocrate du Var, dont il est « voyageur », c’est-à-dire collecteur d’abonnements. Il parcourt ainsi le département, et est pour cela suspecté d’organiser les sociétés secrètes, ce qui lui vaut la prison en 1850.

Arrambide est très présent dans le secteur du Golfe et le pays du Freinet. Certaines localités demeurent particulièrement réfractaires à la propagande rouge, comme Saint Tropez, où une poignée d’artisans essaient de conscientiser le milieu des gens de mer. Les choses sont également difficiles à Grimaud, dont le juge de paix écrira au lendemain du coup d’état :

« Cette commune a une population agglomérée de mille habitants. […] L’esprit public est bon. […] Quelques individus en fort petit nombre et la plupart étrangers à la localité formaient avant décembre 1851 un groupe rouge plus ridicule que dangereux et nos paysans eux-mêmes se riaient de l’importance politique qu’ils cherchaient à se donner en s’occupant à la lecture d’un journal. Mais ce petit nombre d’individus visité quelquefois, par Arrambide, Jacques Blanc et consorts établis à Cogolin, menaçait de devenir plus compact. La vigilance de l’autorité et le bon sens de la population rendirent vains tous les efforts des agents de la propagande socialiste »(A.D.Var, 4 M 20.3).

Vision à la fois juste et caricaturale d’une population partagée, qui fournira à la colonne insurrectionnelle de 1851 son contingent de jeunes ouvriers et cultivateurs, emmenés par un “estrangier du dedans” Joseph Ferrier (de Draguignan), 25 ans, charron, « maire insurrectionnel, fauteur de désordres » et sa jeune épouse Césarine Icard, épouse Ferrier, 19 ans, couturière, « connue sous le nom de la déesse. Femme sans pudeur et sans moralité ».

Le juge insiste sur le fait que nombre d’insurgés ne sont pas nés à Grimaud, [Benjamin Garnoux, 25 ans, cultivateur. Joseph Garnoux, 32 ans, bouchonnier. Gaspard Boulegon (né à Puymoisson, Basses-Alpes), 43 ans, ouvrier tisserand. François Pélissier, 32 ans, ouvrier maçon. François Bouisson (de Pierrefeu), 22 ans, cultivateur. François Mouniguet, 20 ans, ouvrier maçon. Baptistin Guigonnet, 33 ans, tisserand. Castueil (de Besse), 45 ans, bâtier. Baptistin Farnet, 30 ans, bouchonnier. Louis Christine, 30 ans, boulanger].

Mais il se trouvera à Grimaud suffisamment d’indécis et de blancs pour reprendre la commune en main après le départ de la colonne.

En d’autres endroits, progrès rapides de la Montagne. Aux bouchonniers déjà gagnés s’ajoutent les paysans. C’est le cas de Gassin. C’est le cas très intéressant de Collobrières, où là aussi milite un pharmacien rouge, Cyrus Hugues, futur maire radical de La Seyne.

Le 10 août 1850, Le Démocrate du Var polémique avec la presse réactionnaire de Toulon. Il relate comment à Collobrières le sous-préfet, accompagné de deux gendarmes, a dispersé  » 30 clubistes  » réunis  » en plein vent « . En effet, à Collobrières, des propriétaires se sont agrandis sur les biens communaux. Les hommes de Collobrières se sont vengés de la perte de leurs biens par des chansons.

“Que « le Toulonnais », que « la Sentinelle » surtout, considèrent comme le comble de l’anarchie des chants en faveur du respect des propriétés communales et dirigés seulement contre ceux qui auraient cru pouvoir s’enrichir en prenant le bien des autres, nous le comprenons sans peine. Mais ce qui est moins concevable, c’est que M. de Chambrun ait estimé la chose au même point de vue que les feuilles de tolérance. Il est vrai que M. de Chambrun est nouveau dans le département, il ne comprend pas le provençal. Il aurait pris pour un appel aux armes et un cri de propagande anarchiste et communiste ces deux vers adressés aux honnêtes modérés qui ont la main trop large, non pour donner, mais pour prendre :

Nous appeloun coummunistos / Elleis qu’an tout partegear”

Il y aura après le coup d’État 23 condamnés à Collobrières, pour moitié agriculteurs, pour moitié bouchonniers…

Les élections partielles de mars 50 donnent une bonne idée de l’évolution des consciences. Elles opposent deux candidats de la Montagne rouge, soutenus par toutes les tendances de la gauche, à deux candidats conservateurs, soutenus par toutes les tendances de la réaction.

Collobrières : Gauche 273 -271 / Droite 161 – 161

La Garde Freinet : Gauche 398 – 392 / Droite 159 – 158

Gassin : Gauche 105 – 98 / Droite 70 – 63

Cogolin : Gauche 190 – 187 / Droite 112 – 118

Dorénavant, l’accentuation de la répression va accentuer la conscientisation rouge et la division en deux camps.

En septembre 1850 est créée à La Garde Freinet l’association industrielle, coopérative ouvrière, avec Pons. L’initiative a depuis Marseille un grand écho dans le journal démocrate du Sud-Est, dorénavant Le Peuple (notamment sous la plume de Duteil, le futur  » général  » très controversé de la colonne républicaine varoise). Mais on ne lira pas d’échos dans Le Démocrate du Var, et pour cause. Le 14 novembre, Arrambide a été arrêté, et à la fin novembre, le journal doit cesser sa parution.

Arambide trouve un emploi de contremaître dans la mine de plomb argentifère de Cogolin, et va se consacrer entièrement à la propagande dans le secteur du Golfe et de La Garde Freinet. Quand il visite Grimaud, il loge chez Ferrier, dont l’épouse sera la fameuse Déesse de la Liberté menant la colonne. Notable est aussi l’influence de l’officier de marine Campdoras, en poste sur Le Pingouin ancré à Saint-Tropez, et dont les convictions républicaines se renforcent de sympathies  » communistes utopistes  » (après le coup d’État, on le retrouvera dans ces milieux cabétistes au Kansas, en compagnie des Ferrier).

En mai 51, la révocation par le préfet de la municipalité gardoise Pons-Gastinel suscite la haine contre les notables locaux mis aux affaires municipales par le pouvoir.

En octobre 51, deuxième coup d’état, le pouvoir procède à la fermeture de l’association, le procureur Niepce accompagné d’un fort détachement militaire investit une localité tout entière dressée contre le coup de force, et l’arrestation des dirigeants. Le représentant du pouvoir ne doit son salut qu’à l’appel au calme des chefs républicains. En novembre, Pons et les dirigeants de l’association sont condamnés à la prison (de3 à 8 mois). Le 30 novembre, 300 Gardois descendent sur Draguignan pour soutenir leurs frères lors du procès en appel. Ils connaissent désormais le chemin de la préfecture.

Trois jours après, le 3 décembre, parvenait la nouvelle du coup d’État. Le 4 tout commençait…

L’insurrection de La Garde Freinet sera formidable, parce qu’elle était la revanche de l’automne, parce que les espoirs de la république démocratique et sociale s’unissaient concrètement à des perspectives immédiates et toujours concrètes de justice sociale, parce que ces espoirs étaient en grande partie placés dans l’échéance brisée de 1852…

 

 

René Merle