Pierre Dupont et Juin 1848

Pierre Dupont et Juin 1848

 

René Merle

 

Pierre Dupont avait salué avec enthousiasme la République de Février 1848. Les journées de Juin le laissent, comme tant de démocrates, partagé entre la compréhension devant la révolte ouvrière, fille de la misère et de la faim, et l’approbation de son écrasement au nom de la légalité républicaine. Dans son Chant funèbre de juillet 1848, il se garde de toute prise de parti, de toute condamnation, et, alors que, dans l’Ordre rétabli, les prisons sont pleines et que les « transportations » s’organisent, alors que tant de Belles Âmes exigent la pire répression, Dupont appelle à la réconciliation et à la clémence.  Il ne sera pas entendu.

 

La France est blanche comme un lis,

Le front ceint de grises verveines ;

Dans le massacre de ses fils,

Le sang a coulé de ses veines ;

Ses genoux se sont affaissés

Dans une longue défaillance.

O Niobé des temps passés,

Viens voir la douleur de la France !

 

Refrain

Offrons à Dieu le sang des morts

De cette terrible hécatombe,

Et que la haine et les discords

Soient scellés dans leur tombe !

 

Quatre jours pleins et quatre nuits,

L’ange des rouges funérailles,

Ouvrant ses ailes sur Paris

A soufflé le vent des batailles.

Les fusils, le canon brutal

Vomissant à flots sur la ville

Une fournaise de métal

Qu’attisait la guerre civile.

 

Combien de morts et de mourants,

Insurgés, soldats, capitaines !

Que d’hommes forts dans tous les rangs !

Peut-il rester encor des haines ?

Le pasteur tendant l’olivier,

D’une balle est atteint lui même :

« Oh ! que mon sang soit le dernier !  »

Dit-il à son heure suprême.

 

(Le pasteur est évidemment l’archevêque de Paris, Mgr Affre, venu en pacificateur devant une barricade, et abattu par une balle « perdue » – la garde nationale avait ouvert le feu derrière lui alors qu’il commençait à parler. Les insurgés se sont toujours défendus de ce meurtre).

 

La faim aux quartiers populeux

Est une horrible conseillère ;

Le lion, que brûle ses feux,

Rugit et quitte sa tanière.

Un peu d’or dans l’ombre semé,

Un flambeau de pourpre qui brille,

Font sortir tout un peuple armé

Quand le pain manque à la famille.

 

(Dupont reprend ici la thèse largement développée alors d’une implication légitimiste : les royalistes auraient acheté des « meneurs » qui poussèrent à l’insurrection).

 

Ce n’est pas sans avoir saigné

Que notre capitale est sauve ;

Grâce aux canons, l’ordre a régné,

On a traqué la bête fauve.

La mort a souillé l’eau des puits,

Des ruisseaux et de la rivière.

On n’a fait que peupler depuis

Les cachots et le cimetière.

 

Il ne reste, après ce grand deuil,

D’autre profit de la bataille,

Que des frères dans le cercueil

Et des prisonniers sur la paille.

O République au front d’airain !

Ta justice doit être lasse :

Au nom du peuple souverain,

Pour la première fois, fais grâce !