INTERROGATOIRE de GIRAUD Joseph Laurent dit GRATALAR
document transmis par Jean Jarry, notes de Frédéric Negrel Document INTERROGATOIRE de GIRAUD Joseph Laurent dit GRATALAR[1], le 28 décembre 1851. Agé de 38 ans, perruquier, né et domicilié à Saint-Maximin, marié, un enfant. N’a jamais été condamné.
Ø Qui vous a reçu membre de la société secrète ? C’est le sieur MOULET père[2], marchand de bois et un ouvrier corroyeur qui travaillait chez M. PORTE aîné et qui a quitté le pays il y a environ dix mois. Ø A quelle époque avez-vous été reçu ? Vers la fin de septembre ou le commencement d’octobre 1850. Ø Dans quel lieu avez-vous été reçu ? Dans la maison du sieur MOULET. Ø Quel est le serment que l’on vous a fait prêter ? Le serment que j’ai prêté était ainsi conçu : « Moi, homme libre, je jure au nom des martyrs de la démocratie d’armer mon bras contre la tyrannie, de prêter secours à mon frère dans le cas de nécessité, de donner la mort à un frère s’il venait à trahir le serment et de me donner la mort si je trahissais le serment. »
Ø Avez-vous prêté serment sur des couteaux ou des poignards ? J’ai prêté serment sur un couteau et un pistolet placés en croix. Ø Quel était votre chef de section ? C’était moi-même qui l’étais. Ø Qui étaient vos sectionnaires ? Ma section avait été réorganisée parce qu’on avait pris de simples sectionnaires pour en faire des capitaines, des chefs de sections. Ø Quels étaient les sectionnaires qui vous restaient ? Il restait Auguste GERBAS plâtrier .2/la Bogue( ?) dont les noms sont Honoré AUGIER[3] chaufournier .3/Louis PAYAN et 4/Benoît PAYAN cultivateurs. Ø Combien y avait-il de sections dans la commune de Saint-Maximin ? Il devait y avoir 25 sections, nous étions 250 affiliés environ. Ø Quelle était l’organisation ? Il y avait les simples sectionnaires, les chefs de sections, les capitaines, le vice-président et le président. Ø Quel était l’emploi des chefs de sections ? Ils devaient convoquer les sectionnaires dans le cas où la société devait se réunir. Ø Quel était l’emploi du capitaine ? C’était de convoquer trois chefs de sections. Ø Quel était l’emploi du vice-président ? De présider dans le cas d’absence du président. Ø Que faisait le président ? Il faisait exécuter les ordres qu’il recevait Ø Avec quelle ville correspondait-il ? Avec Marseille. Ø Qui était le correspondant à Marseille ? Monsieur RIQUE[4] : je l’ai vu ici avec Monsieur MOULET visitant l’église. M. RIQUE était le président de la société à Marseille. Ø M.RIQUE recevait-il les ordres de Paris, de Lyon ou de Genève ? Je l’ignore. Ø Qui était le vice-président de St-Maximin ? C’était ROUX Joachim facteur rural. Ø Qui étaient les capitaines ? Celui de ma section était GIRAUD (…) tailleur ; je ne connais pas les autres. Chaque capitaine n’était connu que par les chefs de section qu’il commandait. Ø Puisque votre section avait été désorganisée et que ses membres étaient devenus chefs de sections ou capitaines, vous devez connaître d’autres chefs de section et d’autres capitaines ? J’ignore s’ils sont devenus chefs de sections ou capitaines. Ø Donnez-moi le nom de ces six membres de la société Il y avait Etienne Hugues SUMIAN cultivateur ; CAIRETY[5] tanneur chez M. PORTE aîné ; J. Baptiste HUGOU[6] cultivateur ; Lazare AUGIER[7] cultivateur ; FLORENS Joseph[8] cultivateur ; Toussaint GIRAUD cultivateur. Ø Dites-moi le nom des chefs de section. Je vais vous désigner ceux que j’ai connus, il y avait : Joseph FLORENS cultivateur ; Justinien ALEXIS[9] perruquier ; Lazare ESCARTEFIGUE menuisier ; je n’en connais pas d’autre. Ø Depuis que vous avez été reçu membre de la société, combien de fois avez-vous été convoqué ? Trois fois. Ø Où vous êtes-vous réunis la première fois ? Nous avons été chez AUGIER dit Mirel cafetier[10]. Ø Combien étiez-vous à peu près ? Environ 60. Ø A quelle époque ? C’était deux ou trois mois après que j’ai été reçu (déc. 1850) Ø Dans quel but ? Il n’y avait pas de but déterminé ; nous fûmes présidés par MOULET qui nous dit que tout allait bien à Marseille ; que le nombre des affiliés s’accroissait chaque jour et qu’il nous fallait travailler nous-mêmes à l’augmenter. Ø Où a eu lieu la deuxième réunion et à quelle époque ? Chez Joseph TASSY[11] cafetier ; c’était le lendemain de la foire de la quinzaine de 1851, nous étions plus de cent ; MOULET présidait encore. Ø Que vous dit-il ? Il nous dit qu’l avait reçu une lettre de M. RIQUE, que le coup était prêt à éclater, qu’il fallait être très ferme et solide. Ø A quelle époque a eu lieu la troisième réunion ? Il y a environ un mois et demi dans la campagne du sieur Joseph GASQUET[12] ancien buraliste ; il pleuvait, c’était dans la nuit ; nous nous réunîmes au nombre de cent seulement. MOULET nous présida ; il nous dit qu’il avait reçu une lettre de M. RIQUE et qu’il fallait se tenir prêt, que le coup partirait dans la semaine … Ø Qu’entendait-il et que comprenait-il par là ? Que partout on espérait le changement de la municipalité. Ø Quand MOULET et VIVARES vous ont reçu membre de la société que vous ont-ils dit pour vous engager à y entrer ? Ils m’ont dit que la société se proposait de défendre les droits du peuple, de créer une banque hypothécaire, d’établir l’impôt progressif, de donner l’instruction gratuitement. Ø Il devait y avoir autre chose, car pour l’instruction gratuite elle existe… Oui Monsieur, mais Moulet me dit qu’elle n’existait que pour l’école communale et que si un enfant faisait preuve dans ces écoles d’intelligence, il faudrait qu’il fût placé aux frais du gouvernement dans des écoles d’un degré supérieur et même à l’école polytechnique. Ø Quant à la banque hypothécaire comment l’expliquait-il ? Il disait que le gouvernement créerait une banque qui prêterait au 2 et demi, qu’en payant l’intérêt sur le pied de 3 et demi au bout de trente ans le capital serait amorti.
Ø Comment vous expliquait-il le système de l’impôt progressif ? Il me disait que celui qui n’avait pas encore trouvé de revenus ne paierait pas d’impôt et que le capitaliste qui augmenterait son capital paierait d’autant plus à l’état que son capital serait augmenté. Ø Cette dernière déclaration tomberait dans le système de l’impôt proportionnel, c’est-à-dire le système actuel. M. MOULET nous expliqua très bien que celui qui aurait un capital devant payer un impôt qui serait fixé au chiffre de dix, s’il parvenait à doubler son capital au lieu de payer 20, il paierait 40. Ø Y avait-il dans la société des sociétaires qui avaient plus de 1000 francs de revenus ? Oui Monsieur, il y en avait. Ø Désignez-les … Il y avait Monsieur Bruno VALETTE de GASQUET[13] 2/Adolphe SUDRE 3/Romuald LIVON. Je n’en connais pas d’autres. Ø L’impôt progressif, l’instruction gratuite et la banque hypothécaire étaient des choses à établir et qui ne constituaient pas encore des droits .Quels étaient les droits du Peuple que vous entendiez défendre par les armes ? MOULET nous avait parlé du suffrage universel. Ø N’avait-il pas été question du partage des terres ? Non Monsieur, il n’a jamais été question de cela. Ø Quand avez-vous été armés pour la dernière insurrection qui a eu lieu ? Nous avons été avertis le mercredi 3 décembre ; MOULET nous a dit qu’il fallait se tenir prêts pour prendre l’hôtel de ville et changer la municipalité. Notre société était en ce moment un peu désorganisée par suite d’une mésintelligence entre le président et le vice-président ; ce dernier voulait qu’il y eût parmi les capitaines un plus grand nombre de cultivateurs ; MOULET voulait au contraire que les capitaines fussent principalement des artisans ;cette contrariété dans l’opinion des deux chefs avait un peu désorganisé la société et quand nous avons été avertis qu’il fallait changer la municipalité, la convocation ne s’est pas faite régulièrement par les capitaines et les chefs de sections, mais nous nous sommes avertis les uns les autres en nous voyant dans les cafés. Ø Quand avez-vous été avertis de nouveau pour commencer réellement l’insurrection le 5 décembre ? Dans la matinée du 5, nous fûmes prévenus par MOULET de nous tenir prêts pour l’après-midi ; nous nous réunîmes dans le café AUGIER à 4 heures du matin ; c’est COULOMB maçon le cadet et Joseph GIRAUD chaufournier qui sont venus me faire lever ; nous n’étions guère que 20 dans le café AUGIER le matin ; dans l’espace de trois heures, le nombre s’est élevé à 250. Ø Etiez-vous tous armés ? Il y en avait 80 environ qui n’étaient pas armés. Ø Qui vous avait fourni de la poudre et des balles ? La poudre et les balles avaient été envoyées de Marseille. Nous les payions à Monsieur MOULET qui nous les fournissait. Nous avions payé les balles 50 cent. les 16 et la poudre 1,90F le paquet. Ø Vous devez avoir chez vous de la poudre et des balles ? Non Monsieur, j’ai tout jeté… Ø Où avez-vous jeté cela ? J’ai jeté la poudre dans les champs et les balles dans un gouffre de la rivière le CORON désigné sous le nom de « cul de chaudron ». Ø Avant de venir à la mairie aviez-vous fait des cartouches ? Non monsieur, nous avions chargé nos fusils en mettant d’abord la poudre et ensuite la balle. Les cartouches n’ont été faites que lorsque nous avons été maîtres de la mairie ; c’est MOULET fils cadet qui les a faites. Ø Quand vous vîntes à la mairie pour vous en emparer, vos armes étaient –elles chargées ? La mienne était chargée, je crois que celles des autres individus faisant partie de l’insurrection l’étaient aussi. Ø La poudre qu’on vous avait livrée était-elle de la Régie ? Non Monsieur, le grain était à peu près le même mais il n’était pas aussi brillant. Ø A quelle heure vous mîtes –vous en marche pour vous emparer de la mairie ? A trois heures après midi. Ø Qui vous commandait ? C’était M. MOULET. Nous étions venus sans armes, ayant en tête M. MOULET et au nombre de 8 ou 10, nous montâmes à la grand’ salle et MOULET dit à M. le Maire de lui remettre son écharpe. M. HONNORAT répondit : « Mes ordres ne sont pas tels, je ne la cède pas ! ». Je prie moi-même la parole et je dis à M. HONNORAT : « Cédez-la volontairement afin d’éviter du sang… » M. HONNORAT persista en disant qu’il ne cédait pas. M. MOULET prit alors de nouveau la parole, dit que la Constitution avait été violée et que tous les Citoyens avaient le droit de la défendre les armes à la main ; il invita de nouveau M. HONNORAT à rendre son écharpe. Celui-ci répondit qu’il ne se retirerait que devant la force majeure. Nous descendîmes alors, nous fûmes prendre nos fusils et nous revînmes au nombre de 250, mais il y en avait environ 80 qui n’étaient pas armés. Quand nous fûmes devant la fontaine, M. le juge de paix se présenta devant nous, nous invita ne pas prendre nos armes. Ceci se passait avant que nous les eussions prises. Nous ne tînmes pas compte de ces observations .Nous vînmes à la mairie avec les 80 qui n’avaient pas de fusils. M. MOULET monta avec un certain nombre des insurgés sans armes. M. RICARD fils aîné commandant de la garde nationale se mit à la tête de ceux qui montèrent en leur disant : « Montez sans armes, vous ne devez pas craindre que ceux qui sont dans la mairie tirent sur vous, je suis devant vous. » M. RICARD dit cela car il voulait nous faire déposer nos armes au champ de foire ; il paraît que M. HONNORAT rendit son écharpe parce qu’il fut convaincu qu’il ne pouvait résister à la force .je suis monté moi-même dans la salle de la mairie, celle où se trouve ordinairement le secrétaire, alors que M. HONORAT avait déjà remis son écharpe ;après avoir exigé une déclaration écrite de MOULET portant qu’il se chargeait de la tranquillité et qu’il restait responsable des registres de l’état civil. L’insurrection est restée maîtresse de la mairie jusqu’au lundi ou au mardi mais je n’y suis plus paru après le dimanche. Ø Qu’a fait l’insurrection dans ce temps-là ? Elle a empêché la liberté de la circulation, en ce sens que si quelqu’un voulait sortir du pays, il en demandait la permission à MOULET. Quand un voyageur passait, on visitait sa voiture pour voir s’il ne portait pas des pièces qui fussent compromettantes pour l’insurrection .Le vendredi soir, il arriva un gendarme de Saint-Zacharie qui venait apporter un ordre de service à la caserne. Le poste qui gardait la route l’arrêta et ne le laissa repartir que le lendemain matin. Ø Pendant le temps que vous étiez maîtres du pays, aucun des insurgés n’a-t-il proposé de se livrer au pillage ? Non Monsieur, si on avait fait de pareilles propositions, j’aurais moi-même brûlé la cervelle à celui qui l’aurait faite. Ø Comment espériez-vous pouvoir vous emparer du gouvernement ? Nous espérions que l’insurrection serait générale ; MOULET nous dit qu’il y avait 42 départements qui s’étaient soulevés. On nous disait qu’après la victoire de l’insurrection, le gouvernement serait dirigé par une commission de 10 à 20 membres que le peuple nommerait et qu’il révoquerait à volontiers. Ø Avez-vous reçu l’ordre de partir pour AUPS ? Non Monsieur, nous n’avons pas reçu l’ordre mais le lundi au soir, il vint des gens de TOURVES, de SEILLONS, d’OLLIERES et de POURCIEUX pour nous inviter à partir, je crois que c’est MOULET qui avait fait venir tous ces gens-là ; mais comme les journaux de PARIS annoncèrent le soir du lundi que l’insurrection avait été complètement vaincue à PARIS, il dit à ceux qui étaient venus de s’en retourner chez eux, qu’il ne fallait pas aller se battre contre la troupe. Le lieu de rendez-vous n’était pas AUPS, c’était SALERNES et de SALERNES on devait marcher sur DRAGUIGNAN. Ø Quel est l’âge de RIQUE ? Cet homme doit avoir de 65 à 70 ans. Ø Quel était le mot d’ordre de la société ? Les mots d’ordre avaient successivement changé, le dernier mot d’ordre était « : action, activité, avenir ». Les moyens de reconnaissance étaient en se touchant la main à faire sentir la pression du petit doigt ; en se saluant à prendre le chapeau d’une main et le remettre de l’autre ; s’il y avait parmi les personnes que l’on saluait un frère celui-ci devait se caresser le menton avec le pouce et l’index. Ø Votre société ne correspondait-elle pas avec BRIGNOLES ? Elle correspondait avec le sieur CONSTANT[14], président.
GIRAUD Joseph, perruquier est à nouveau interrogé le 8 janvier 1852. Ø RIQUE n’avait-il pas dit à St-Maximin que la société secrète couvrait toute la France, qu’il avait fait fusionner les trois sociétés dites : « la Jeune Montagne, l’Ancienne Montagne et la Solidarité républicaine » ? Je n’ai jamais parlé à RIQUE ; MOULET m’avait dit que la société secrète couvrait toute la France et même des pays autres mais il ne m’avait rien dit de la fusion dont vous me parlez.
[1] Joseph Laurent GIRAUD, né le 14 juin 1813 à St Maximin, tailleur d’habits et perruquier, condamné à l’Algérie plus, décédé le 23 décembre 1853 à St Maximin. [2] Pierre Jean Joseph MOULET, né le 14 mai 1800 à St Maximin, marchand de bois, chef de la société secrète et principal initiateur à St Maximin, Nans, Pourcieux, Ollières, condamné à l’Algérie plus, exil volontaire à Nice, puis en Espagne, décédé le 11 décembre 1871 à Nice. [3] Honoré François AUGIER, né vers 1817 à Cotignac, chaufournier, décédé le 1er février 1858 à St Maximin. [4] Louis RIQUE, né vers 1794 à Tarascon, tanneur, du Comité central de Marseille. Il vient à St Maximin en septembre 1851. Arrêté le 28 janvier 1852 à Marseille. Décédé le 31 août 1864 à Cayenne où il avait été transporté. [5] Louis Joseph CAIRETY, dit Campanon, né vers 1824 à St Maximin, tanneur, condamné à l’Algérie plus. [6] Jean Baptiste Calixte HUGOU, dit Coucho, né le 17 octobre 1820 à St Maximin, condamné à l’Algérie plus, décédé le 4 décembre 1897 à St Maximin. [7] Lazare Félicien AUGIER, né vers 1808 à St Maximin, cultivateur et chaufournier, condamné à l’Algérie moins. [8] Joseph FLORENS, dit Cougnigne, né le 14 juin 1824 à St Maximin, cultivateur, condamné à l’Algérie plus, décédé le 4 décembre 1880 à St Maximin. [9] Justinien Elzéar ALEXIS, né le 23 septembre 1819 à Gonfaron, perruquier, décédé le 5 janvier 1856 à St Maximin. [10] Jean Joseph Marius AUGIER, dit Mirel, né le 18 février 1813 à St Maximin, condamné à l’Algérie plus, commuée en surveillance. [11] Joseph Denis TASSY, né le 8 octobre 1824 à Rougiers, cafetier. [12] Joseph Lucien GASQUET, né vers 1803 à St Maximin, receveur buraliste, nommé maire insurrectionnel et commandant de la Garde nationale, condamné à l’Algérie plus, décédé le 28 janvier 1858 à St Maximin. [13] Bruno GASQUET de VILLENEUVE de VALETTE, né vers 1793, négociant en vins en gros, exil volontaire à Malte, décédé le 8 novembre 1864 à St Maximin. [14] Antoine CONSTANT, né vers 1798 à Brignoles, négociant à Brignoles, sous-préfet de Brignoles en 1848, président de la société secrète de Brignoles, décédé le 23 janvier 1878 à Marseille.
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