Déposition de Jean-Marie Eugène Allaman

Ce texte a été publié dans la brochure « Résistances. L’insurrection de décembre 1851. La Résistance pendant la deuxième guerre mondiale à Tourves », 2001

pour commander cette brochure cliquez ici

document

Déposition de Allaman auprès du juge d’instruction près le tribunal de première instance de Brignoles, Louis Hyacinthe Reynaud, le 31 décembre 1851, en la Mairie de Tourves.

 

 

 

Je me nomme Allaman Jean Marie Eugène, âgé de cinquante et un ans, notaire, domicilié et demeurant à Tourves, non parent des inculpés.

 

Le soir du 4 décembre au soir, vers les six ou sept heures, le sieur Riquier, cordonnier et le sieur Joseph Plauchier, cultivateur, viennent m’inviter à livrer les armes de la commune au peuple, ce que je refusai malgré leur insistance très vive à cet égard. Ils se retirèrent. Environ une heure après, le valet de ville vient m’avertir qu’il y avait un attroupement nombreux devant la Mairie et dans la Mairie même ; qu’on avait déjà donné des coups violents à la porte intérieure de la salle de la Mairie et qu’on menaçait de l’enfoncer. Le valet de ville me désigna un tailleur de pierres surnommé Bourguignon, ouvrier du sieur Benet (Bonet ?), comme étant celui qui avait donné les coups à la porte et qui s’était montré le plus furieux. D’autres personnes m’ont cité plus tard les sieurs Riquier et Maloye fils comme ayant excité l’attroupement à enfoncer la porte de la Mairie. Comme j’étais indisposé, j’envoyai le sergent de ville chez monsieur Bouchard, commandant de la Garde nationale, pour le prier de passer chez moi tout de suite. Il vint, je lui fis part de ce qui se passait, je le priai d’aller dissiper l’attroupement, de m’appeler si ma présence était indispensable et d’organiser tout de suite un poste pour garder la Mairie et les armes qui y étaient enfermées. Il me promit de se conformer à mes instructions et de commencer lui-même le poste qu’il établirait. Le lendemain au matin, je pars à la mairie. Monsieur Bouchard n’y était plus mais le poste y était encore, il était commandé par Probace Verdillon. Je reconnus qu’il était composé en entier de membres de la société connue à Tourves sous le nom de Société des Rouges ou d’individus qui, sans être membres de la société, la fréquentaient. Il y avait Louis Sivan tanneur, 2. Philippe Antonin Barbarroux dit féline tanneur, 3. Probace Imbert, cultivateur, d’autres dont les noms échappent à ma mémoire ou me sont inconnus. Je dis à ces gens là qu’il me paraissait inutile de garder la Mairie pendant le jour, je voulais ainsi les éloigner de la Mairie mais ils me répondirent que monsieur Bouchard en se retirant, leur avait dit de maintenir le poste pendant la journée.

 

Je sortis de la commune ; plus tard, Pierre Sayou, sacristain de la paroisse, me dit que Probace Imbert qui montait la garde à la Mairie ne lui avait pas permis d’entrer dans la maison commune où il allait pour faire dresser un acte de décès. J’allai de suite à la mairie pour demander à Imbert quelle avait été la cause de l’empêchement qu’il avait opposé à l’entrée de Sayou. Il m’a dit qu’il avait empêché Sayou d’entrer parce que celui-ci ne lui avait pas fait connaître le motif pour lequel il voulait entrer.

 

Un peu plus tard, vers trois ou quatre heures de l’après-midi, le valet de ville vint me dire qu’un voyageur, que des postes avaient arrêté, me priait de venir là où il était. Je vins, je reconnus que monsieur Auquier (?) de Brue-Auriac avait été arrêté par le poste qui était sur la place de la Mairie, j’en fis des reproches aux hommes qui composaient ce poste, je leur dis que leur conduite était arbitraire et les compromettait ; ils le laissèrent alors passer. Je crois qu’il y avait là le sieur Tochou dit Messine ; je ne connaissais pas l’autre personne qui avait aussi arrêté le sieur Auquier. J’appris le même jour que des postes établis aux issues du pays empêchaient les travailleurs d’aller travailler dans les champs et que le poste de la Mairie arrêtait les voitures et visitait les voyageurs et avait arrêté le courrier. Je compris que mon autorité n’était plus que nominale. Je ne reçus ce soir là mon journal qu’à neuf heures et demi, c’est monsieur le distributeur qui vint me le donner et qui me dit qu’il avait été retenu par les gens qui étaient à la Commune.

 

Dans la matinée, j’avais fait des observations à M. Bouchard sur la composition du personnel du poste, il me répondit qu’il avait cru utile à la tranquillité publique de ne pas mélanger les opinions et qu’il avait choisi les personnes sur lesquelles il croyait pouvoir le mieux compter.

 

Dès le lendemain samedi, en me levant, je vais à la Mairie où je trouvai Tochou qui était chef de poste, Giraud dont la sœur est mariée au sieur Florens, postillon, Jean-Baptiste Brémond et d’autres qui habitent la campagne que je ne connais pas. Je m’adressai à Tochou et je protestai vivement contre l’arrestation des voitures et des courriers. Ces gens là ne répondirent rien ; quelques-uns déposèrent leur fusil et partirent ; Tochou et quelques autres me regardèrent en riant ; l’expression de leur physionomie voulait dire que je me mêlai là encore d’une chose qui ne me regardait plus. Quelques heures après, je fus appelé encore à la Mairie de nouveau, c’était pour voir et viser les papiers d’une famille anglaise voyageant en poste. Je m’y rendis et quand j’allais signer les passeports, Tochou me dit : il est inutile que vous signiez. Je lui demandai le motif et j’ajoutai que tant que je serai Maire, je dois en exercer les fonctions. Tochou répliqua : eh bien ! signez, je signerai moi-même comme chef de poste, c’est ce qu’il fit. Sivan, le maître de poste me dit : Oh ! Mon dieu ! Quelle chose ! Je lui répondis: est-ce que tu ne comprends pas que nous sommes dans un état d’anarchie complet depuis deux jours ?

 

Le soir, vers les sept heures, le distributeur de la poste me rapporta des exemplaires d’une proclamation de monsieur le préfet du Var ; je les remis au valet de ville avec ordre de les afficher le lendemain en se levant. Dans la nuit, vers onze heures, la femme du valet de ville vint me dire que l’on me demandait à la Mairie. Je m’y rendis. En arrivant, je trouvais dans l’escalier de la salle de la Mairie une double haie d’hommes armés de fusils, il y en avait peut-être cent, je fus obligé de passer au milieu d’eux et de m’avancer ainsi jusqu’au bureau qui était occupé par Riquier et Joseph Tochou. Riquier m’adressa la parole et me dit que la constitution ayant été violée, le peuple reprenait ses droits et qu’au nom du peuple il me signifiait que j’eusse à cesser mes fonctions. Je lui répondis que je n’avais pas de résistance à opposer à la force et je me retirai. Je ne puis vous citer parmi les personnes qui étaient ainsi armées et faisaient la haie que les sieurs Castellan cultivateur, Philippe Barbarroux, Louis Castellan, les Maurin fils et Joseph Plauchier. Au moment où je me retirai, Joseph Plauchier s’avança vers moi et me dit : je regrette vivement ce qui se fait ici, j’ai cherché à l’empêcher mais je ne l’ai pas pu.

 

Le dimanche, j’ai vu de ma fenêtre proclamer sur la place une Mairie insurrectionnelle qui fut haranguée et installée par le sieur Augustin Cival, ouvrier tanneur, qui, d’après ce que l’on m’a dit, était allé au Luc pour prendre le pouvoir du comité central. Je n’ai rien à vous mentionner d’essentiel sur ce qui s’est passé depuis lors jusqu’au lundi soir.

 

Ce jour là, je reçus vers les sept heures la visite des sieurs Jean André Martin, vétérinaire, Honoré Garrel propriétaire, Joseph Plauchier, Philippe Barbarroux, Benoît Biscarre, Etienne Davin, ancien maire et Joseph Tochou qui faisaient tous partis de la commission insurrectionnelle à l’exception de Biscarre et Davin. Les sieurs Martin, Garrel et Biscarre qui seuls portèrent la parole me dirent que tous les insurgés s’étaient retirés à l’exception de 80 à 100, mais qu’il y en avait de très exaltés et qu’ils craignaient qu’il n’arrivât du désordre pendant la nuit et qu’ils venaient me demander mes conseils. Je leur répondis que je les engageais à tenter un dernier effort pour les porter à quitter les armes et à rentrer chez eux ; je leur dis qu’il fallait faire joindre à leurs exhortations les prières des femmes et des filles et des mères des insurgés ; je leur dis qu’en agissant ainsi, le commandant de la colonne mobile qui arriverait le lendemain trouverait le pays calme et que cela pourrait servir à atténuer la gravité des faits qui avaient eu lieu. Ils se retirèrent mais comme je ne comptais pas complètement sur l’effet de leur dernière démarche, je quittai mon domicile quelques heures après avec ma femme pour aller me réunir à la famille Ricard où se trouvaient quatre hommes bien armés et où nous pouvions nous défendre. Nous passâmes là la nuit sans nous coucher. Je dois dire cependant qu’à neuf heures et demi du soir, dans le trajet que j’avais à faire de ma maison à celle du sieur Ricard, je rencontrai le sieur Pierre Jaume, propriétaire, qui vers les six heures m’avait donné les nouvelles les plus sinistres en me disant que la nuit serait très mauvaise et de prendre mes précautions, qui s’avança de moi et me dit en se frottant les mains : je suis très satisfait, la débandade se fait, bon nombre de fusils ont déjà été rendus à la Mairie, ils rentrent chez eux. Cette circonstance ne m’empêcha cependant pas d’aller chez monsieur Ricard.

 

Ne savez-vous pas qu’il est parti environ 25 insurgés de Tourves dans la nuit de lundi à mardi pour se rendre à Saint-Maximin.

 

Si monsieur, je ne puis citer que Riquier et Augustin Cival qui étaient les chefs de bande.

 

Les insurgés qui partirent pour Saint-Maximin n’ont-ils pas emporté de la maison commune deux sacs de cartouches ?

 

Je présume qu’ils les ont emportés puisque je n’en ai pas retrouvé un seul paquet à la Mairie alors qu’il y en avait environ deux cents paquets. Un d’eux m’a été rendu après l’arrêté de désarmement par le sieur Joseph, fils de Flavie Castellan, qui était au nombre des insurgés.

 

Ne saviez-vous pas qu’il y avait dans votre commune une société secrète ?

 

Non monsieur, je l’ignorais.

 

J’ajoute que j’ai su que des insurgés étaient assis (?) à la campagne dite la Blanche appartenant à monsieur de St Martin, territoire de Tourves et avaient dit en l’absence de Benoît Moutte, fermier, au berger et son valet que le gouvernement était changé, qu’il fallait prendre les armes et venir à Tourves pour soutenir le nouveau gouvernement et que s’ils ne venaient pas, on les fusillerait et qu’on brûlerait la ferme. Les mêmes injonctions ont été faites au fermier de monsieur Roustan au domaine du Peyrourie et à celui de monsieur Laugier au domaine de la verrerie.