Deux lettres du Var

Article mis en ligne le 21 septembre 2022

 

Documents aimablement communiqués par Mathieu Cecchinato, issus de sa collection privée

 

Présentation de Frédéric Negrel

 

Le premier document est un courrier adressé à M. Veyan, notaire à Bargème[1], signé Barneaud, daté de Draguignan le 31 décembre 1851.

La lettre porte uniquement sur des affaires traitées à La Roque-Esclapon par les correspondants. Mais un court post-scriptum donne quelques nouvelles de la répression de la résistance républicaine de décembre 1851.

 

Toujours incarcérations… Pellicot est à Nice. On ignore le refuge de Pastouret et de Pascal. Déjà près de 300 prisonniers ont été dirigés sur Toulon où doit se tenir le conseil de guerre.

 

Au total, d’après un registre établi en 1881[2], ce sont 1780 victimes du coup d’État qui passèrent par la prison de Draguignan. Plusieurs convois ont mené les prisonniers de Draguignan vers Toulon. Certains par la route via Le Luc et Cuers, d’autres par mer via le port de St Raphaël. Ils ne les dirigeaient pas vers le conseil de guerre (initialement prévu et qui fut remplacé par une commission mixte) mais vers la prison du Fort Lamalgue qui, très vite trop exiguë, fut supplée par des vaisseaux-pontons en rade de Toulon. Les prisonniers y attendirent le verdict de la commission mixte avant d’être libérés pour subir leur peine en métropole ou déportés vers l’Algérie ou la Guyane.

 

Pellicot, Pastoret et Pascal, tous trois avocats, étaient les principaux notables républicains de Draguignan durant la Seconde République. C’est sur eux que parti républicain local, mais aussi départemental, comptait pour mener la résistance au coup d’État.

Le 3 décembre, Louis Pascal d’Aix, en tant qu’ancien représentant des Bouches-du-Rhône à la Constituante, avait demandé l’arrestation du préfet qui, en faisant afficher, se faisait complice de la violation de la Constitution. Mais après bien des tergiversations, au final, la réticence de Pastoret à appeler aux armes ne permit pas le soulèvement de la ville préfecture.

A l’arrivée de l’armée du coup d’État conduite par le nouveau préfet Pastoureau, ils prirent la fuite. La commission mixte les condamna par contumace à la déportation en Algérie.

Louis Pascal, dit Pascal d’Aix, se réfugia en Suisse d’où il refusa le bénéfice de l’amnistie de 1859[3]. Il mourut à Genève le 3 août 1867.

Gustave Pellicot s’exila également à Genève. Il fut bientôt de retour à Draguignan où il fut arrêté en 1858 en vertu de la loi de sûreté générale, avant d’être relâché. De retour à la vie politique à partir de 1864, il fit partie de la Commission départementale nommée par Paul Cotte en décembre 1871 pour remplacer le Conseil général de l’Empire. Il mourut en Suisse à Plainpalais en 1897[4].

Quant à Honoré Pastoret, principal adversaire du préfet Hausmann sous la Seconde République en tant qu’animateur du club du jeu de paume ou club des allées, il s’enfuit à Nice où il fit fortune comme avocat d’affaires. Il revint dans le Var en 1871. Il y fût élu conseiller général du canton de Fayence (il était originaire de Seillans), puis président du Conseil général de 1873 à 1881. Il avait conservé ses affaires à Nice où il décéda en 1889[5].

 

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Le second document est une lettre de la sœur d’un républicain incarcéré.

 

 

Marseille, le 24 xbre 1852 [sic][6]

 

Monsieur le Procureur de la République à Draguignan (Var)

 

Monsieur le Procureur, j’ai l’honneur de vous adresser ci-inclus, un certificat de Messieurs les membres de la commission Municipale de la commune de St Martin constatant que mon frère Marc Etienne Bonnaud, a été présent dans cette susdite commune pendant l’insurrection du Var, c’est à dire pendant les journées des sept, huit, neuf et dix décembre dernier ; afin Monsieur le Procureur que vous ayez l’obligeance de le lui faire tenir dans la maison d’arret salle N°8 quartier des femmes, ou en faire l’usage que vous jugerez le plus convenable pour que justice se fasse.

J’ai l’honneur d’être Monsieur le Procureur votre bien dévouée servante.

Pour Adélaïde Bonnaud

épouse Fabre rue Ferrary 68

[Signé] L. Noël

 

Marc Etienne Bonnaud, né à Bras le 25 avril 1806, était en 1851 maréchal-ferrant à Saint-Martin de Pallières[7].

La résistance à St Martin reste à étudier.

Comme dans bien des communes varoises, les résistants ont envahi la mairie et mis en place une commission insurrectionnelle. Une colonne de républicains, drapeau rouge en tête, a marché vers Draguignan, via Barjols, et s’est jointe au contingent dirigé par Arrambide qui a pris position à Tourtour.

Dix-neuf Saint-Martinois furent condamnés par la commission mixte. Marc Etienne Bonnaud était de ceux-là. Il écopa de l’expulsion du territoire pour 3 ans, comme « Chef de la société secrète. A participé à la nomination du conseil municipal insurrectionnel. » Sa peine fut commuée en surveillance le 16 avril 1852. Il est décédé le 8 juin 1875 à Bras.

 


[1] Le cachet visible sur l’enveloppe indique Bargemon.

[2] Archives départementales du Var, 1 M 215

[3] Notice du Maitron.

[4] Emilien Constant, Le département du Var sous le Second Empire et au début de la IIIe République, thèse, Aix-en-Provence, 1977 ; éditée par l’Association 1851 pour la mémoire des résistances républicaines, Les Mées, 2009

[5] Emilien Constant, ibid.

[6] Il s’agit là d’une étourderie. Le cachet de la poste visible au verso indique bien 28 janvier 1852.

[7] Où il s’était marié le 6 octobre 1831 à Appolonie Constantin.