La répression et la mémoire à Paris
article publié dans la brochure Le coup d’Etat du 2 décembre 1851, éditée par la Ville de Paris et l’Association 1851-2001 (sommaire de la brochure) La répression et la mémoirePendant plus d’un mois, des arrestations innombrables continuent à être opérées dans Paris. En moins de huit jours, les prisons et les forts détachés de l’enceinte fortifiée sont encombrés de prisonniers. Si les ouvriers constituent le principal contingent, une partie des captifs appartiennent cette fois à la bourgeoisie. On a même emprisonné des représentants de la droite. Ils sont vite libérés, mais les principaux leaders de l’opposition orléaniste, Bedeau, Changarnier, Lamoricière, Leflô, Duvergier de Hauranne, Creton, Baze, Thiers, Chambolle, Rémusat et Jules Lasteyrie sont momentanément exilés. Les représentants républicains sont frappés de plusieurs manières et parfois très durement : cinq d’entre eux sont, par décret, désignés pour la transportation à Cayenne : MM Marc-Dufraisse, Greppo, Mathé, Miot et Richardet. 70 députés républicains sont expulsés de France, et parmi eux de grandes figures politiques et intellectuelles comme Victor Hugo, Raspail, Pierre Leroux, Edgar Quinet. Nombre d’entre eux n’ont pas attendu d’être exilés et ont pris la fuite vers la Suisse et la Belgique dans des conditions parfois rocambolesques. Il suffit souvent de raser moustache et barbe mais certains utilisent des subterfuges plus compliqués. Victor Schoelcher s’habille en prêtre : un digne ecclésiastique lui prête sa soutane et lui remet son propre passeport.
L’appel au peuple
La répression n’est pas le seul moyen de faire accepter le régime, et celui-ci ne s’est pas imposé uniquement par la contrainte et la force. Louis-Napoléon s’en réfère au peuple et recueille une large majorité au plébiscite du 20 décembre 1851. On dénombre 7,5 millions de oui, 640 000 non, et près de 1,5 million d’abstentions. À Paris, les écarts sont moins spectaculaires : 132 000 oui, 80 000 non, et 75 000 abstentions. Louis-Napoléon se fait alors accorder le droit de rester président dix ans, et de rédiger une nouvelle Constitution. On s’interroge sur ce choix d’une telle transition entre la république et l’empire : Louis-Napoléon évalue-t-il alors mal ses chances ? Tient-il une fois de plus à s’inscrire dans la continuité napoléonienne, la présidence décennale s’inspirant de la période intermédiaire du Consulat ?
En tout cas, le résultat du plébiscite ne peut que le conforter dans ses espérances : “Le 20 décembre 1851” écrit Victor Hugo dans son Napoléon le petit, “M Bonaparte a fourré la main dans la conscience de chacun, et a volé à chacun son vote.
Ces explications réconfortent les républicains, mais certains pensent comme George Sand que: « On vous a dit que le peuple avait voté sous la pression de la peur, sous l’influence de la calomnie. Ce n’est pas vrai. Il y a eu terreur et calomnie avec excès ; mais le peuple eût voté sans cela comme il a voté . »
Victor Hugo date du 2 décembre 1852 son poème intitulé “souvenirs de la nuit du 4 ”. Il raconte la mort d’un enfant en décembre 1851 :
Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c’est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d’avoir des chevaux, des valets,
De l’argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses : par la même occasion, il sauve
La famille, l’église et la société.
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l’été,
Où viendront l’adorer les préfets et les maires ;
C’est pour cela qu’il faut que les vieilles grand’mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.
Expulsé de Belgique, Victor Hugo choisit de s’installer dans les îles anglo-normandes pour “bombarder Napoléon le petit”. Le poète adossé au rocher des proscrits n’est pas seul dans ce combat. À Jersey et à Londres, les exilés publient de multiples ouvrages qui racontent le coup d’Etat et disent l’horreur de la répression.
Si l’exil est douloureux, c’est un sort plus tragique encore qui attend les transportés en Algérie et en Guyane. À quelque niveau que l’on se place, la répression laisse des séquelles durables. Même les mesures les plus bénignes sont traumatisantes. Les dénonciations, les mesures d’internement, les visites domiciliaires installent des suspicions et des règlements de compte dont les traces ne nous sont guère perceptibles qu’à travers les sources policières et administratives qui nous sont parvenues. Comme le proclame Victor Hugo : “Le coup d’état fit ce prodige d’ajouter du malheur à la misère (…), d’émietter sur les petits et sur les faibles, une catastrophe ”.
De Baudin à l’Affaire Baudin
Le 2 décembre n’a pas suscité les mêmes réactions que le 18 Brumaire. Les martyrs républicains n’ont pu être oubliés et le pouvoir impérial n’a jamais lui-même fêté le coup d’Etat. L’impératrice expliquait après la chute de l’Empire que le souvenir du 2 décembre “était un boulet que toute sa vie on traîne au pied”. L’empereur lui-même écrivait à propos du précédent de son oncle : “Une insurrection contre un pouvoir établi peut être une nécessité, jamais un exemple, qu’on puisse convertir en principe”. Les républicains comme Gambetta ne s’y sont pas trompés attaquant ainsi l’empereur en 1868 : “Depuis dix-sept ans, vous êtes les maîtres absolus, discrétionnaires de la France, c’est votre mot nous ne recherchons pas l’emploi que vous avez fait de ses trésors, de son sang, de son honneur et de sa gloire… mais ce qui vous juge le mieux, parce que c’est l’attestation de vos propres remords c’est que vous n’avez jamais osé dire : Nous célébrons, nous mettons au rang des solennités de la France 2 décembre comme un anniversaire national… Eh bien ! cet anniversaire, c’est nous qui le prenons”.
En juin 1868, Eugène Ténot, journaliste au journal Le Siècle publie Paris en décembre 1851 qui rappelle que “le souvenir de cette première barricade de décembre, qui devait être arrosée du sang du représentant Baudin est demeuré parmi les plus douloureux, mais en même temps les plus fiers souvenirs du parti républicain”.
De nombreux témoignages viennent s’ajouter à ceux qu’a produits Ténot. La presse républicaine invite les Français à témoigner. C’est dans cette atmosphère que se produit la « découverte » de la tombe de Baudin en novembre 1868. La piété républicaine se manifestait déjà depuis quelques années devant la tombe de Godefroy Cavaignac, le frère du général. Cette découverte au cimetière Montmartre provoque une vive émotion. Napoléon Gaillard militant révolutionnaire raconte : “Nous y sommes restés sur cette tombe, mon fils et moi une heure et demie sans dire un mot. C’est la vérité. J’ai entendu quelqu’un dire : on ne prononce donc pas de discours ? Mais moi je n’aurais pas pu prendre la parole tellement j’étais ému”. Charles Delescluze, directeur du journal Le Réveil, décide en accord avec Alphonse Peyrat de l’Avenir national de lancer une souscription pour donner “un monument à ce représentant héroïque”. La souscription connaît un grand succès auprès des républicains bien sûr mais aussi auprès de personnalités politiques comme le légitimiste Berryer. Le Siècle, Le Temps, le Journal de Paris, la Tribune ouvrent leurs colonnes et le gouvernement décide de contre-attaquer. Il lance des poursuites judiciaires assimilant la manifestation et la souscription à des « manœuvres de l’intérieur ». Les accusés tombent alors sous le coup de la loi de sûreté générale de 1858, toujours en vigueur. Les autorités agissent vite, le procès est fixé au 13 et 14 novembre. Sont inculpés les principaux participants à la manifestation du cimetière et les journalistes du Réveil et du National. Les avocats de la défense font partie du camp républicain, certains sont déjà des ténors célèbres d’autres attendent leur heure. C’est Gambetta qui défend Delescluze. L’accusé ne sera pas acquitté, il fera plutôt les frais du retentissement de la plaidoirie de son avocat. Gambetta ne défend pas le journaliste il attaque l’Empire : “ Il est donc clair déclare-t-il, qu’on n’a pas sauvé la société en mettant la main sur le pays. Le pays a approuvé, dit-on, le coup d’Etat. Oui, grâce aux moyens de communication, la vapeur, le télégraphe, on a trompé Paris avec la province et la province avec Paris. Paris est soumis, affichait-on, quand Paris était assassiné, mitraillé. Que parle-t-on de plébiscite, de ratification par la volonté nationale ? La volonté du peuple ne saurait changer la force en droit, pour détruire le peuple lui-même”. Le soir même Henri Allain-Targé proche de Gambetta écrit à son père : “Jamais l’éloquence humaine n’a atteint une pareille véhémence et de tels sommets. L’Empire est bien perdu. Je ne te dirai pas que tout va bien. Je te dirai que nous triomphons”. Cette opinion est partagée par beaucoup de républicains. Henri Brisson, un autre jeune républicain résume ainsi l’impression produite : “La veille du procès, on ne parlait que de Sadowa, du Mexique, du pape. Le lendemain, on ne parla plus que du 2 décembre, et, dévoilé, flétri dans son origine criminelle, L’empire était condamné”. L’impératrice elle-même est, semble-t-il, touchée et se serait écriée : “Mais qu’avons nous fait à ce jeune homme ? “
Le culte de Baudin
En décembre 1871, une première commémoration a lieu au cimetière Montmartre. Un monument est érigé sur la tombe de Baudin. Le sculpteur Aimé Millet l’a représenté gisant, le front troué d’une balle, en redingote, portant son insigne de représentant avec cette inscription : “A Alphonse Baudin, représentant du Peuple, mort en défendant le droit et la loi, le 3 décembre 1851”.. Les cérémonies sur sa tombe ont lieu chaque année.
Baudin est aussi honoré en mai 1879 : une plaque est posée sur la maison devant laquelle il est mort. On peut y lire : “devant cette maison est tombé glorieusement Jean-Baptiste Alphonse Baudin, représentant du peuple pour le département de l’Ain, tué le 3 décembre 1851 en défendant la Loi et la République”.
Mais Baudin n’a pas encore droit à l’attribution d’un nom de rue. En revanche, plusieurs communes de la Seine lui rendent hommage : Courbevoie et Montreuil sous Bois en 1882 et le Pré Saint Gervais en 1884, Issy les Moulineaux en 1894. En province, les départements qui l’honorent sont, en dehors sa ville natale Nantua, essentiellement ceux qui ont été marqués par la répression comme la Haute Vienne, l’Allier et surtout la Nièvre. Une colonne est érigée à Cosne sur Loire pour commémorer le cinquantenaire de sa mort.
À Paris, Baudin a droit à la panthéonisation le 4 août 1889. Sa statue est édifiée en 1901. Elle met en scène une barricade sous l’apparence de quelques pavés entassés. Baudin est en redingote le chapeau à la main, l’autre bras le long du corps la tête et le torse dressé. Sylvie APRILE Secrétaire générale de la Société d’Histoire de la Révolution de 1848
Deux récits divergents sur la mort de Baudin par deux partisans du coup d’État
P. Mayer : «Baudin fut tué raide par quelques soldats de la brigade Marulaz stationnée place de la Bastille. On vint prévenir le général qu’une barricade se construisait à la bifurcation des trois rues de Cotte, Ste-Marguerite et du faubourg St-Antoine. Trois compagnies du 19e léger sous les ordres du commandant Pujol, s’élancèrent dans cette dernière direction, c’est-à-dire au devant de la barricade. Tandis que le général à la tête d’un bataillon du 44e, enfilait au pas de course la rue de Charonne pour emporter la barricade à l’envers. Trois représentants décorés de leurs insignes étaient aux côtés de Baudin. Schoelcher (…). L’avocat Madier de Montjau (…), le poête Esquiros (…). Baudin fit signe qu’il voulait parler aux soldats, le commandant Pujol lui barra le passage. Il remonta sur la barricade et cria «feu». Quelques coups de fusil partirent derrière lui et l’un d’eux alla tuer un soldat du 44e. La troupe fit une décharge et Baudin fut touché en plein front raide mort». Les parenthèses correspondent à une suite de commentaires haineux sur chacun des trois représentants cités.
Belouino : «En voyant arriver la colonne du commandant Pujol, ils montent sur la barricade, et Baudin s’adressant aux soldats : «Camarades, leur dit-il, la constitution est violée, Louis-Napoléon est mis par le fait, hors-la-loi ; nous sommes les représentants du peuple, vous ne tirerez pas sur nous, vous ne tirerez pas sur vos frères». Le commandant Pujol somma les insurgés de se rendre, quand un coup de feu, parti de la barricade, vient frapper mortellement près de lui, le fusilier Suran. Le chef de bataillon commande le feu et Baudin atteint d’une balle au front tombe mort. Ce second récit semble plus proche de la réalité en regard des divers témoignages produits sur ce dramatique épisode de la résistance.
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