Le coup d’état du 2 décembre
article publié dans la brochure Le coup d’Etat du 2 décembre 1851, éditée par la Ville de Paris et l’Association 1851-2001 (sommaire de la brochure) Le coup d’État du 2 décembre
Le 2 décembre 1851, le président Louis-Napoléon étranglait la République : l’Assemblée Nationale était dissoute, le peuple convié à plébisciter cette violation de la Constitution. Il fallut aux Parisiens qui le 3 et le 4 tentèrent de résister une grande fermeté, un grand courage et une grande lucidité. Comme il en fallut aux résistants qui se levèrent jusqu’au 10 dans trente-deux départements de Bourgogne, du Centre et du Midi, et particulièrement dans les campagnes. Une grande fermeté, car l’appareil d’État dans son ensemble (armée, police, justice, administration préfectorale) passait du côté du coup de force. Un grand courage, car, dans Paris occupé par 50.000 hommes de troupe, tout attroupement était dispersé par les armes, et les prisonniers fusillés sans jugement. Et dans les provinces, c’est l’armée qui réprimait avec la plus grande violence les manifestations de résistance. Une grande lucidité, car le Président qui commettait cette forfaiture prétendait agir dans l’intérêt même de la démocratie qu’il violentait.
Comment en était-on arrivé là ? Février 1848 : l’insurrection parisienne renverse la Monarchie de Juillet et proclame la Seconde République. Trois jours de combats abattent un régime où l’immense majorité de la population était privée du droit de vote, réservé aux plus fortunés. La République institue le suffrage universel masculin (renvoyant ainsi les femmes à une inégalité citoyenne qui perdurera presque un siècle). L’apparente fraternisation des Français autour du nouveau régime ne dure guère : dès juin, c’est dans le sang qu’est écrasée l’insurrection des ouvriers parisiens, qui exigeaient l’application du droit au travail, proclamé en février par la jeune République. La déception ouvrière, les frustrations paysannes, les inquiétudes bourgeoises affaiblissent les Républicains modérés qui avaient été portés au pouvoir. Le grand bénéficiaire de cette désaffection est l’aventurier politique Louis-Napoléon : en décembre 1848, il est élu au suffrage universel président de la République, dans l’ambiguïté d’un discours rassembleur au-dessus des partis. Le tout puissant chef de l’exécutif va gouverner avec l’assemblée législative unique élue dans la foulée, en mai 1849. À ces élections triomphe le parti de l’Ordre, conglomérat ultra-conservateur dominé par les factions royalistes (divisées et donc incapables d’assurer une restauration monarchique). Mais une forte minorité démocrate-socialiste, la Montagne, s’affirme dans nombre de départements, notamment dans la Seine. La Montagne se renforce aux élections partielles de 1850 : en avril, la triomphale élection d’Eugène Sue à Paris a un écho national. Ainsi, nourri du souvenir de la Première République (à peine vieux de soixante ans), ce républicanisme, propagé par des “élites” politiques éduquées, rencontrait les aspirations populaires au mieux-vivre et à la dignité. Sécurité devant la maladie et la vieillesse, droit à l’éducation, droit au travail, droit à la petite propriété, gagnée ou maintenue, ces espérances concrètes, liant justice sociale et démocratie, se focalisaient sur l’horizon des élections législatives du printemps 1852. Dès lors, le parti de l’Ordre va mener une “guerre légale” de surveillance et de répression contre la Montagne, jusqu’à amputer en mai 1850 le suffrage universel, au détriment de plus de 3 millions de Français, ouvriers pour la plupart. Dorénavant la démagogie présidentielle aura le champ libre : Louis-Napoléon se pose en défenseur du suffrage universel. Il se présente comme l’homme au-dessus des partis, qui va sauver le pays de la division et de l’anarchie, l’homme du progrès économique qui résoudra les problèmes sociaux.
Élu pour 4 ans, et non rééligible, le président sollicite en vain de l’assemblée (juillet 1851) la prolongation de ses pouvoirs. Louis-Napoléon et son groupe de comploteurs préparent le coup d’état par des mutations à la tête de l’armée, s’entourent d’officiers généraux sûrs formés par la guerre de conquête en Algérie. La terrible expédition de Kabylie venait d’être organisée pour permettre à Saint-Arnaud d’obtenir sa troisième étoile et prendre ainsi poste dans la capitale ! À l’automne, devant l’agitation montagnarde dans plusieurs départements, le parti de l’Ordre brandit plus que jamais le “spectre rouge”. Fin octobre, l’assemblée refuse la proposition présidentielle de rétablir le suffrage universel. Le 2 décembre, le président dissout l’assemblée. Il se présente comme le salvateur de l’Ordre et de la démocratie, qui a épuisé les moyens légaux, et doit malgré lui recourir à la force pour rétablir le suffrage universel… Mais il fallait au préalable écraser toute résistance à Paris, un Paris dont la population ouvrière désespérait de la République depuis les sanglantes journées de juin 1848. Deux jours de terreur suffiront. Il faudra encore une semaine pour réprimer la résistance qui embrasa une trentaine de départements de la Bourgogne, du Centre et du Midi. La répression fut terrible.
Le président, bientôt empereur, rétablira effectivement n suffrage universel (masculin) qu’il maîtrisera plus encore par l’endoctrinement ou l’assoupissement que par la coercition. (En cela il était bien porteur de modernité !). Il entérinait la fin du régime municipal de Paris, que la République avait rétabli, et nommait comme préfet le modernisateur Haussmann. Aujourd’hui, l’apologie, discrète ou affichée, du Second Empire fait passer aux pertes et profits de la modernisation économique l’illégalité et la brutalité du coup d’État, et fait oublier le sacrifice de ceux qui se levèrent pour défendre le Droit et la République, une République que beaucoup d’entre eux, dans les campagnes comme dans les villes, souhaitaient plus démocratique et plus sociale. Nous voulons, en ce cent cinquantième anniversaire, commémorer la responsabilité citoyenne de ces Résistants : les valeurs qui les inspiraient nous semblent toujours et plus que jamais d’actualité.
René MERLE, président de l’Association 1851-2001
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