L’insurrection républicaine dans le canton de Fayence
article mis en ligne le 8 février 2017
Décembre 1851
L’insurrection républicaine dans le canton de Fayence
par Gabriel CHABAUD
INTRODUCTION
Le 2 décembre 1851, Louis Napoléon Bonaparte, président de la République, trahit la Constitution par un coup d’Etat afin de se maintenir au pouvoir et priver le parti républicain d’un succès aux futures élections. Aussitôt, le Var et la Provence se soulèvent pour sauver la République et défendre le droit ; c’est un formidable mouvement d’hommes et de femmes qui défient le pouvoir central pendant plus d’une semaine mais le tragique affrontement avec l’armée à Aups le 10 décembre marque la fin de l’insurrection et ouvre une impitoyable répression. Les habitants du canton de Fayence ont été aussi au cœur de ces événements et ces quelques pages permettent de rappeler leur engagement et leur sacrifice.
L’ATMOSPHÈRE POLITIQUE
La population est jeune et essentiellement rurale, composée en majorité de petits propriétaires, d’ouvriers agricoles, d’artisans et de quelques familles possédant de nombreux biens.
Fayence est le chef-lieu du canton avec 2365 habitants ; on y trouve la perception, la gendarmerie, le bureau des dépêches et le juge de paix. Seillans est presque aussi peuplé avec 2070 h. Le recensement de 1846 indique pour Montauroux 1728 h, Callian 1515 h, Mons 1027 h, Tourrettes 816 h, Tanneron 780 h, St-Paul 505 h. Chaque village possède sa garde nationale, sorte de milice armée et équipée aux frais de la communauté.
En 1848, le fleuve Var est à la fois frontière du département qui porte son nom mais aussi frontière d’état ; Nice est une ville étrangère et dépend du royaume de Savoie-Piémont-Sardaigne. Les habitants du canton ont beaucoup de relations avec Draguignan et Grasse.
On habite principalement au village où la sociabilité est forte ; les hommes se réunissent après le travail dans des clubs pour jouer mais aussi échanger des idées et s’entraider. Ces clubs, après leur interdiction par le préfet en juin 1849, vont se reconstituer sous la forme ancienne de chambrées. Chaque village possède de nombreuses sociétés, particulièrement Fayence où le maire autorise la création de six de ces sociétés en août 49. Les cinq chambrées citées ci-dessous seront accusées par le juge de paix d’être des foyers de diffusion des idées républicaines :
- la société de Prévoyance et de Secours se réunit rue du Mezel dans une maison lui appartenant
- la Fraternité loue un local dans la maison Philip, rue de la Peigière
- les Grenadiers se rassemblent dans la maison Arnoux, rue St-Roch
- la société dite Égalité et Fidélité se réunit dans la maison Carlevan, rue la Baraque
- les Amis Réunis se rencontrent dans la maison Camatte, rue la Place .
La sixième société dite « le Cercle » est dans la maison Carlevan rue la Place, elle rassemble les notables du village qui sont hostiles aux nouvelles idées démocratiques.
L’activité politique républicaine est importante dans la région de Fayence après 1848 : deux des principaux fondateurs du club du Jeu de Paume de Draguignan sont originaires du canton, les avocats Honoré Pastoret et François Rebuffel sont issus respectivement de Seillans et de Fayence. Ils exercent une grande influence sur les démocrates du canton, participent à des réunions, organisent des banquets républicains et sont sociétaires de chambrées. L’ouvrier sur soie Benoît Lions, président de l’ancien club, est aussi un passeur de ces nouvelles idées. Tous ces personnages diffusent le nouvel esprit de revendications démocratiques, à savoir : droit à l’éducation laïque et gratuite, fin de l’usure et création de banques, réforme du système fiscal, droit au travail et à la propriété. Ils désirent une république démocratique et sociale qu’ils appellent « la bouane ou bòna ».
François Rebuffel est membre de la société dite « de Prévoyance et du Secours » à Fayence tandis que son frère Benoît Rebuffel, notaire, est un élément actif de « la Jeune France » à Montauroux, présidée par le tailleur d’habits Marius Jouan ; dans cette dernière chambrée on lit le journal « Le Démocrate du Var » et on reçoit le militant socialiste Arambide au cours de sa tournée de propagande dans cette partie du département.
Le café d’Etienne Beuf à Fayence est un lieu fréquenté par tous les responsables républicains du canton. Son neveu Désiré Henri a participé à la Révolution de Février à Paris et, de retour à Fayence, il est considéré comme un héros des barricades. Dans ce bistrot, on échange les dernières informations et on lit le journal à haute voix par une traduction en provençal.
À Callian, le vétérinaire Amable Veyan est un personnage très influent parmi les républicains affiliés à la société dite « la bienfaisance ».
À Tourrettes, c’est autour du maréchal-ferrant Hyppolite Fabre et du menuisier Jacques Vanide que s’organise une chambrée républicaine.
La révolution de février 1848 s’étant déroulée essentiellement à Paris, les habitants du canton ont appris par communiqué officiel le rétablissement de la République et l’instauration du suffrage universel masculin. Quatre bureaux de vote ou sections sont prévus pour le canton : la section Fayence, Tourrettes et St-Paul ; la section Seillans ; la section Mons et la 4° section avec Montauroux, Callian et Tanneron.
Malgré la surprise et la rapidité des changements, les Républicains vont montrer leur force croissante au cours des différents scrutins.
François Rebuffel est élu conseiller général en juillet 1848 sous l’étiquette « démocrate avancé » (il obtient la majorité dans trois sections sauf à Seillans où les habitants préfèrent le Seillanais Pellicot).
Aux élections présidentielles de décembre 1848, Ledru-Rollin candidat de la gauche obtient 61% des suffrages à Fayence (un de ses meilleurs résultats dans le Var) et Louis Napoléon Bonaparte n’a que 2% des voix. À Seillans, Bonaparte arrive en seconde position avec 30% des voix et obtient son meilleur score dans le canton alors que Ledru-Rollin connaît son plus mauvais résultat avec seulement 14% des suffrages. Dans les autres communes, Cavaignac, le candidat officiel républicain modéré, obtient la majorité mais le score de Ledru-Rollin reste important et celui de Louis Napoléon négligeable.
Voici les résultats en voix pour les 4 sections :
Cavaignac | Louis-Napoléon Bonaparte | Ledru-Rollin | |
Fayence | 235 | 12 | 386 |
Seillans | 145 | 75 | 36 |
Mons | 92 | 3 | 60 |
Montauroux | 336 | 96 | 177 |
On voit bien que dès 1848, les positions les plus fragiles des républicains sont bien dans la commune de Seillans et que Fayence est par contre un foyer républicain de première importance. À l’image du Var les habitants du canton montrent leur adhésion aux idées républicaines et leur refus de Napoléon Bonaparte ; tout ceci en opposition avec le score national.
Aux élections législatives de mai 1849, alors que sur le plan national les conservateurs sont vainqueurs, le Var envoie 4 députés dits républicains avancés (que l’opinion qualifie de rouges) à la chambre sur les 7 postes attribués ; tous les villages du canton les placent en tête sauf Seillans qui préfère des républicains modérés(qualifiés de bleus). Pour l’élection partielle de 2 représentants du peuple en mars 1850, suite à la destitution des députés Ledru-Rollin et Suchet, Seillans place pour la première fois les deux « rouges » en tête du scrutin à l’image des autres villages ; ce changement prouve que les républicains seillanais ont réussi à s’organiser.
Les autorités face à de tels résultats et redoutant la diffusion grandissante des idées socialistes dites de la « Montagne » prennent alors des mesures répressives. Elles considèrent que les chambrées sont des foyers de propagande républicaine qu’il faut contrôler ou interdire ; elles vont multiplier les actes d’intimidation pour freiner leur activité. La brigade de gendarmerie de Fayence y fait de véritables perquisitions et ayant trouvé des emblèmes séditieux, à savoir les portraits de Ledru-Rollin, Proudhon, Pyat, Raspail, procède à la fermeture en avril 1850 de chambrées à Callian, à Fayence et à Montauroux, ce qui dans ce dernier village provoque une grande agitation populaire au cours de laquelle les gendarmes venus pour perquisitionner dans le local de la chambrée « la Jeune France » sont hués et pris à partie par une foule de deux cents personnes le 15 avril et à nouveau le 17 au cours de la fête des Saintes. L’intervention de l’adjoint Bourgarel permet de rétablir le calme non sans difficulté. En novembre 1850, la maréchaussée disperse une farandole organisée par la société dite “La légalité et La Fidélité” sur la place de Fayence à neuf heures trente du soir, prétextant que les bandes de papier rouge accrochées aux lanternes brandies par les danseurs sont aussi des marques de contestation.
Le préfet Haussmann engage un véritable combat contre les municipalités républicaines du département et profite des différentes opportunités pour révoquer maires et conseillers municipaux : en mars 1850, Hermentaire Perrimond, conseiller adjoint à Callian, est démis de ses fonctions pour avoir entonné des chants patriotiques, puis en juin 1851, c’est est au tour du maire Louiset Mandon d’être révoqué par décret signé de Louis-Napoléon Bonaparte. À Mons, après l’élection du républicain Bertou à la tête de la commune, le préfet du Var demande en avril 1850 la dissolution du conseil municipal au ministère de l’intérieur, mais celui-ci la refuse en soulignant la faiblesse des arguments avancés. Le maire de Fayence, Jean-Baptiste Rebuffel (ex-notaire et père de Benoît et François) est contraint de démissionner en avril 1850.
Victimes de l’acharnement des autorités et redoutant un coup de force du prince- président, les républicains s’organisent en sociétés secrètes qui se dissimulent souvent derrière les chambrées. Allongue, le juge de paix du canton, prétend que le café Beuf à Fayence abrite une de ces sociétés ainsi que la chambrée dite de la Bienfaisance instituée à Tourrettes par le maréchal-ferrant Hyppolite Fabre et dans laquelle les affiliés jureraient sur le Christ fidélité à leurs statuts.
Des réunions secrètes se tiennent dans les grottes de Mons et les chefs républicains se rassemblent sur les bords de la Siagne, à proximité de Montauroux, au cours de l’été 1850. L’affrontement paraissant inévitable, il s’agit de se préparer pour organiser la riposte.
En 1851, le climat politique dans le canton est extrêmement tendu et il est bien conforme à celui de tout le département. Malgré la répression, les arrestations et la remise en question du suffrage universel, les idéaux républicains sont partagés par une population grandissante et peuvent s’imposer lors des futures élections législatives et présidentielles prévues pour 1852.
LE MOUVEMENT INSURRECTIONNEL
La constitution de 1848 ne permettant pas au prince-président de se représenter, Louis-Napoléon Bonaparte prend le pouvoir par la force le 2 décembre 1851. Les conservateurs sont rassurés, tout scénario de victoire des « rouges » aux futures élections est maintenant écarté.
La nouvelle du coup d’état est connue dans la soirée du 3 décembre. Dèss le lendemain, le canton entre en insurrection, les républicains appliquent le plan diffusé par les sociétés secrètes visant à rétablir la légalité dans chaque commune puisqu’à Paris la constitution vient d’être bafouée.
Les cinq chambrées républicaines que compte Fayence se réunissent alors dans le café Beuf avec des délégués de toutes les communes du canton, on prend connaissance des dernières informations sur la capitale et on se concerte pour les actions à venir. On envoie un émissaire à la campagne des frères Rebuffel mais ceux-ci semblent garder leurs distances avec l’insurrection. De son côté Hyppolite Fabre, le chef des sociétés secrètes du canton, envoie Jean-Baptiste Massugue à Draguignan pour conforter les contacts avec les républicains ; c’est Carbonnel le boucher de Fayence qui lui fournit un cheval pour ce voyage !
Le vendredi 5 décembre, la ville de Fayence est aux mains des insurgés : la maison du juge de paix est cernée par six hommes en armes, au même moment des individus armés envahissent le bureau des dépêches, mais le directeur des postes se défend et ne livre aucune nouvelle, une commission municipale insurrectionnelle s’établit à la mairie gardée par des Fayençois armés, le maire Martel acquis aux idées républicaines cédant facilement les clefs. Il est d’ailleurs nommé membre du comité de salut public avec Fabre Hyppolite, Rebuffel Benoît, Lambert Henri, Mazard Louis, Mireur Justin, Roux Guillaume et Audier dit « bellas ». Pendant ce temps d’autres insurgés parcourent la ville où règne une grande agitation, des armes sont réquisitionnées chez des particuliers, les tambours battent la générale et on danse la farandole. Le seul gendarme encore présent est convoqué devant la commission de salut public pour donner connaissance des dernières dépêches, les deux autres ayant été réquisitionnés à Draguignan pour défendre la ville. Le même jour, on tente de déposer les maires du canton avec plus ou moins de fortune : on réussit à Montauroux où Marius Jouan prend la direction de la commission insurrectionnelle, ainsi qu’à Callian avec le vétérinaire Veyan et à Mons dont la municipalité dirigée par Bertou Jean honoré est du côté des républicains. À Tourrettes, le maire François Tallent, médecin, refuse de céder les clefs de la mairie à Vanide Jacques et Massugue Antoine armé d’un pistolet, tous deux accompagnés d’une troupe de républicains où figurent les membres de la chambrée « la bienfaisance » et plusieurs Fayençois. À Seillans, le maire Louis Esprit Gues s’oppose aux républicains seillanais emmenés par Fortuné Malbec et Casimir Equy venus lui réclamer les clefs de la mairie.
De nombreux émissaires parcourent les différentes communes pour prêter main-forte aux délégations qui tentent de prendre les mairies.
Le 5 décembre Antoine Massugue , tonnelier à Tourrettes, se déplace à Bagnols accompagné de six républicains de St Paul et de deux Fayençois ; cette petite troupe vient prêter main forte aux « rouges » bagnolais afin de récupérer les clefs de la mairie. Le premier magistrat Autran, effrayé, cède à leur demande. Après la nomination d’une commission municipale insurrectionnelle, les républicains de Bagnols dirigés par François Digne partent au Muy rejoindre une colonne armée en formation.
Le Tourrettan Hyppolite Fabre, un des principaux chefs républicains, envoie des émissaires à Draguignan et Grasse. Le 5, il est sur la place du Clot à Montauroux où, armé d’un fusil, il exhorte les habitants à se joindre à l’insurrection et à marcher sur la préfecture.
De son côté, Amable Veyan, à la tête de la nouvelle commission municipale de Callian, se déplace à St-Cézaire pour organiser le soulèvement.
Des farandoles ont lieu notamment à Mons emmenées par l’instituteur Paul Sauvaire où on crie “à bas les blancs” et on chante “ça ira”, des lettres de dénonciation anonymes ne manqueront pas de fustiger l’attitude de certains des participants.
Le samedi 6 décembre est occupé à préparer la marche sur Draguignan qui doit permettre à la colonne insurrectionnelle d’enlever au passage la mairie de Seillans et de rallier par la suite les républicains de Bargemon, Claviers, Callas et Figanières. On passe la journée à fabriquer des balles dans le local de la société « la bienfaisance » à Tourrettes et au café Beuf de Fayence. De son côté le maire de Mons fait acheter six kilos de poudre pour sa commune ! Les tambours battent la générale même pendant la nuit.
Dans cette ambiance fiévreuse, certains républicains hésitent et des dissensions apparaissent. À Callian, Segond Jean qui arrive de Grasse où il a vu une ville totalement calme, essaie de calmer l’ardeur de ses collègues callianais. A Fayence, l’ancien maire Martel, Henri Lambert et Benoît Rebuffel informé par son père de la situation à Draguignan, s’opposent à Hyppolite Fabre président de la commission révolutionnaire ; par des paroles mesurées ils tentent d’apaiser la foule et de déjouer tous les projets insurrectionnels qui viseraient à marcher sur Seillans et Draguignan en pensant que cette action est vouée à l’échec. C’est l’opposition entre les modérés et les radicaux sur la stratégie à suivre, mais ces derniers, sachant qu’une colonne républicaine armée forte de quelques milliers d’hommes venue du centre Var et des Maures est en marche sur Draguignan, décident de la rejoindre pour prendre part au combat décisif.
Pendant ce temps les partisans de l’ordre s’organisent. À Callian, alors que les démocrates en armes occupent la maison communale, le chef de bataillon en retraite Mazar rassemble les habitants hostiles au mouvement républicain et demande au préfet la dissolution de la municipalité rouge ainsi que des fusils ! Dès le lendemain, le préfet le nomme président de la nouvelle commission communale ! À Tourrettes, un poste de surveillance est placé au lieu-dit “le Pavillon” sur la route de Grasse pour entraver les déplacements des républicains. De son côté le maire de Seillans a convoqué la garde nationale qui arrête un habitant de Claviers porteur de messages destinés à Fortuné Malbec et Hyppolite Fabre. Ces lettres appellent les amis de l’insurrection à se rendre à Draguignan pour prendre la ville, le maire de Seillans mobilise alors une partie de la population qui lui est acquise et se prépare à l’affrontement. Dans la nuit du 6 au 7, les républicains les plus déterminés se retrouvent au café Beuf, ils forment une colonne qui quitte Fayence par une température glaciale (il a beaucoup neigé sur tout le canton dans la journée du 2 décembre) et se dirige vers Seillans. Des éclaireurs postés dans la plaine du Peyron annoncent l’arrivée d’une centaine d’insurgés armés venus des différents villages du canton et emmenés par les quatre plus fervents républicains de Seillans : Equi Casimir, Godrau Marius, Lambert Honoré et Malbec Fortuné. Aussitôt le maire Gues fait battre la générale et sonner le tocsin, la garde nationale renforcée par de nombreux habitants se déploie aux deux entrées de la ville. Les républicains impressionnés par les cris, le bruit des armes, les tirs d’intimidation et la détermination de leurs adversaires très nombreux refusent l’affrontement et la colonne désemparée, surprise par tant de résistance, rebrousse chemin. L’enthousiasme des insurgés n’aura vécu que quatre jours dans le canton de Fayence, la colonne n’aura parcouru qu’une dizaine de kilomètres avant de se disloquer face à l’organisation des partisans de l’ordre à Seillans et les insurgés ne rejoindront jamais la colonne varoise qui entre ce jour-là dans Salernes.
Dès le 7 au soir, de nombreux républicains sont en fuite, ils se cachent dans des cabanons à la périphérie des villages, certains d’entre eux préparent déjà leur départ pour Nice.
Mais l’activisme du maire de Seillans ne s’arrête pas là. Informé que la colonne républicaine se trouvait à Aups et pouvait se diriger vers l’est du département, il maintient sa garde nationale mobilisée et demande des renforts aux autres communes. Le juge de paix Allongue, un moment prisonnier des insurgés, est maintenant libre de ses mouvements ; il parcourt le canton à cheval pour organiser toutes les forces antirépublicaines. À Callian, le nouveau maire bonapartiste Mazar mobilise une partie de la population à laquelle on distribue armes et munitions, le jeune curé Sauteron encourage ses fidèles à rejoindre le mouvement et marche au premier rang accompagné d’autres membres du clergé. Tourrettes fournit un contingent convenable mais Montauroux refuse toute collaboration et n’envoie aucun homme armé. A Fayence, Allongue réunit avec grande difficulté seulement dix-huit personnes dont il prend la tête pour rallier Seillans. Finalement, c’est une véritable troupe qui se rassemble, le juge de paix parle de six cents hommes pour la plupart armés et placés aux endroits stratégiques, en particulier sur les différents points d’accès au nord de la ville de Seillans dès le 10 décembre.
Ce jour-là, à Aups, l’armée surprend la colonne insurrectionnelle qui avait renoncé à prendre Draguignan mais voulait rallier les insurgés bas-alpins. L’affrontement entraîne la déroute des républicains, plusieurs dizaines d’entre eux sont tués, des centaines sont arrêtés et le reste est en fuite !
Le 12 à deux heures du matin six hommes et une femme armés tous originaires du Luc sont interceptés au col de St Arnoux, ils avaient fait partie d’un groupe de quarante personnes qui avaient été envoyées d’Aups à Vérignon pour y prendre les armes déposées dans le château de la famille Blacas, ce sont : Clairian Louis, Cantu Ferdinand, Vachier Joseph, Couadou Pierre, Testanier Jean-Baptiste, Arnoux Jacques et Malamaire Thérèse. Peu après un autre individu, Lion Jean, cultivateur à la Garde-Freinet et en fuite depuis Aups est arrêté ; puis dans le courant de la journée c’est le tour d’Amousse Antoine, Sénéquier Laurent, Arbaud Athanase, Gal Tonin, Colle Noël tous habitant la Garde-Freinet, ainsi que Lavagne Louis du Muy, Giraud Antoine de Bargemon et Beraud Antoine demeurant à Vidauban. Ils avaient tous quitté Aups après l’affrontement avec l’armée. En réalité, les milices mobilisées à Seillans ne se sont jamais heurtées à une quelconque colonne républicaine mais à des éléments en fuite qui tentaient de rejoindre leurs villages en évitant Draguignan. Tous ces prisonniers sont interrogés et témoignent de la déroute républicaine à Aups, ils sont conduits à la prison de Draguignan par un détachement de la garde nationale. Le 11 janvier, le maire de Seillans écrira au préfet pour demander une récompense qu’il a bien méritée en échange de sa conduite héroïque ! (il est vrai que la mobilisation antirépublicaine a rarement été aussi importante dans les autres communes du département). Le juge de paix signale l’arrestation à St-Paul de deux agitateurs républicains originaires de Bagnols et Claviers, les citoyens Digne et Devriès, qu’il est impossible de confier à la garde nationale de Fayence peu sûre ; celle-ci ne voulant pas collaborer avec les partisans de l’ordre !
LA RÉPRESSION
Jusque-là le drame s’est joué dans le canton, l’insurrection et la contre-insurrection ont mobilisé les habitants des différents villages, les informations venues de Draguignan et Grasse étant les seules interférences extérieures. Désormais la tragédie va changer de dimension !
Le 10 décembre, le département du Var est placé en état de siège sous le commandement du général de brigade Levaillant. Celui-ci ordonne la fermeture des chambrées « parce qu’elles ont été le lieu de réunion de tous les anarchistes qui ont levé l’étendard de l’insurrection ».
Dès le 15 décembre, Allongue, le juge de paix de Fayence, fournit au préfet une liste de 130 personnes résidant dans le canton en détaillant leurs activités pendant ces jours de révolte. Une troupe de 45 soldats du 50e de ligne (celui qui a participé à la bataille d’Aups) investit les différents villages du canton à partir du 24 décembre. Ils sont par exemple le 27 à Mons où ils arrêtent 7 personnes, procèdent à la fermeture de deux cabarets servant de réunion aux socialistes et abattent l’arbre de la liberté. Le 28 décembre, ils interceptent 12 personnes, pour la plupart des habitants de Callian, ainsi que Blanc Jean Baptiste de Fayence qui se trouvait à St Tropez au début de l’insurrection et avait accompagné les républicains de Cogolin jusqu’à Aups. De nombreux insurgés se réfugient dans des cabanons reculés et regagnent les villages seulement la nuit. En janvier 1852, une trentaine d’individus sont signalés en fuite par le juge de paix, en particulier tous les Montauroussiens inquiétés et les principaux chefs républicains du canton qui ont rejoint Nice. Une centaine de personnes sont finalement arrêtées, et, enchaînées deux par deux, les soldats les transfèrent après une longue marche soit à la prison de Draguignan, soit au port de St Raphaël pour être transportées par bateau jusqu’à Toulon. Dans cette ville les détenus sont entassés dans les casemates du Fort Lamalgue ou sur le ponton d’un navire “le Généreux” immobilisé dans la rade. Après plusieurs semaines de détention dans des conditions effroyables, la commission mixte procède les 2 et 3 février à la condamnation de 63 habitants du canton :
- 3 sont condamnés à 10 ans de détention dans une forteresse en Algérie. Il s’agit de Fabre Hyppolite, Beuf Etienne et Malbec Fortuné. Ils sont considérés comme les chefs du mouvement insurrectionnel ; ils ont pu se réfugier à Nice.
- 16 sont condamnés à la « transportation » en l’Algérie pour 5 ans. Reclus dans une sorte de stalag la nuit, ils participent de jour à des travaux forcés.
- 18 sont condamnés à l’internement, à savoir obligés de vivre dans une ville éloignée sans pouvoir en sortir ;
- 6 à l’expulsion du territoire français (cette mesure touche particulièrement les Piémontais qui ont participé aux évènements)
- 3 à l’éloignement temporaire du territoire
- 17 à la surveillance policière dans les villages où ils résident.
On remarque que les 4 habitants de Seillans qui ont osé marcher avec la colonne sur leur ville sont tous condamnés à l’Algérie ; les républicains influents tels que Beuf Etienne de Fayence, Fabre Hyppolite de Tourrettes, Bertou Jean de Mons, Veyan de Callian, Jouan Marius de Montauroux, soupçonnés d’être à la tête de sociétés secrètes, sont tous condamnés à l’Algérie ; tous les membres des commissions municipales insurrectionnelles subissent de lourdes peines.
Fayence paye son engagement républicain : parmi les 49 Fayençois poursuivis donc arrêtés ou en fuite, la commission mixte procède à 25 condamnations.
Le 2 mars 1852, 243 Varois parmi lesquels cinq insurgés du canton, à savoir : Guillon, Equi, Henri, Massugue et Vanide, quittent Toulon pour l’Algérie à bord du Labrador où ils se livrent à des manifestations, entonnant des chants interdits (la Marseillaise et le Chant du Départ) et criant « Vive la République » ou « Vive la République démocratique et sociale ».
L’arrêté Quentin-Bauchart du 26 mars 1852 allège une partie des peines prononcées par la commission mixte : parmi les 19 condamnés à la transportation, 9 sont en fuite, 3 ont leur peine commuée en internement et 7 sont incarcérés en Algérie :
Massugue Jean-Baptiste (Tourrettes), Gras Laurent (Seillans), Henri Désiré (Fayence) sont détenus à Bourkika ; Equi Casimir (Seillans), Guillon Joseph (Callian) à Ain Bénian ; Vanide (Tourrettes) à Birkadem et Bertou (Mons) à Mascara Bou Charif.
Le préfet nomme de nouveaux maires, pour la plupart anciens gradés de l’armée ; le capitaine Sardou à Fayence, bien sûr Mazar à Callian et François-Augustin Poulle qui avait servi dans les troupes du génie de l’armée impériale va bientôt diriger Montauroux.
Le clergé intervient à nouveau dans l’hiver 1852-53 : une importante mission catholique prêchée par le chanoine Layet d’Aups se déploie à Fayence ; les habitants de cette commune réputés indifférents et ignorants en religion et bien trop à l’écoute des idées nouvelles ont besoin d’être repris en main !
Les mesures de clémence adoptées par la justice importunent les maires qui expriment leur désapprobation au préfet et ne veulent pas revoir les proscrits de décembre de retour dans leurs murs. Ainsi Segond Jean de Callian, âgé de 52 ans, arrêté par la troupe le 25 décembre, détenu 3 mois à Draguignan, est condamné à 3 ans d’éloignement du territoire français ; sa peine est ensuite commuée en surveillance policière. Mazar, le maire de Callian proteste contre le retour de Segond, véritable menace pour l’ordre public et demande un nouveau châtiment exemplaire ; une lettre anonyme de dénonciation va précipiter une nouvelle arrestation. On le condamne alors à la transportation pour 5 ans à l’Algérie ! Heureusement pour lui des personnes influentes écriront au préfet en sa faveur et lui éviteront l’Afrique, l’internement sera sa peine définitive.
Les maires de Seillans, Tourrettes et Fayence écrivent au préfet pour dénoncer la libération de Benoît Rebuffel qui a pourtant fait l’objet de deux arrestations mais qui est à nouveau à Fayence en février 1852. Il est accusé d’être le principal responsable du désordre et on l’a vu réconforter et féliciter les républicains de retour de détention. Il est à nouveau écroué du 29 février jusqu’au 19 mars, la commission mixte le condamne alors à l’expulsion du territoire français pour 5 ans, sa peine est ensuite commuée en internement à Aix en Provence (interdiction de sortir de la ville).
Le marquis de Villeneuve-Bargemon, résidant à Tourrettes et nouveau conseiller général, se déplace à Nice pour rencontrer l’intendant du Piémont afin d’inquiéter certains républicains du canton qui y sont réfugiés, notamment Hyppolite Fabre et Antoine Massugue habitants de Tourrettes. Mais Mr de La Marmora refuse de livrer qui que ce soit, invoquant les nombreux ressortissants piémontais expulsés de France après le coup d’Etat.
L’acharnement de certains élus locaux contre les républicains est tempéré par les mesures de grâce accordées par le nouvel empereur les années suivantes :
- Jouan père de trois enfants, veuf, en exil à Nice, se constitue prisonnier en novembre 1852 ; il peut revenir à Montauroux en février 1853
- Veyan et Beuf également en fuite à Nice peuvent réintégrer leur village en 1856
- par contre Fabre Hyppolite, principal chef de l’insurrection en fuite à Turin, sollicite son retour en 1857 mais aucune indulgence ne lui est accordée.
De même les transportés en Algérie pourront revenir en métropole après bien des souffrances sauf Massugue Jean-Baptiste (Tourrettes) décédé à l’hôpital de Cherchell le 26 décembre 1852 à l’âge de 29 ans des suites d’une dysenterie ; leurs peines sont commuées en internement dans un autre département ou en surveillance. Ainsi l’ancien maire républicain de Mons, Jean Honoré Bertou, âgé de 52 ans et père de trois enfants, condamné à la transportation à l’Algérie pour 5 ans, est incarcéré pendant un an à Bourkika puis sa peine est commuée en internement à Valence ; il est définitivement gracié en juillet 1856.
Tous les anciens proscrits feront par la suite l’objet d’une surveillance étroite, la correspondance que le juge de paix de Fayence entretient avec le préfet jusqu’en 1862 en témoigne ! Transtournel le boulanger de St-Paul, soupçonné d’avoir renoué avec les républicains de Bagnols est particulièrement surveillé et fait l’objet d’une lettre du préfet en avril 54 adressée aux gendarmes de Fayence. Le maire de Montauroux François-Auguste Poulle se plaint en 1856 de la grande influence qu’exercent toujours les insurgés de 1851 sur la population surtout que ce village n’a pas hésité à défier les nouvelles autorités au cours des différents scrutins : le plébiscite du 20 décembre 1851 a donné lieu à un vote exceptionnel où la moitié de la population s’est abstenue et les voix en faveur du oui sont quasi égales à celles du non ; le plébiscite du 21 novembre 1852 visant à rétablir l’empire est aussi marqué par un taux record de l’abstention pour le département avec 57% des inscrits !
La chute du Second Empire verra le retour des républicains aux affaires politiques : François Rebuffel obtient le plus de voix aux élections municipales de Fayence de 1871, ses colistiers sont pour la plupart d’anciens proscrits de 1851 ; Honoré Pastoret ancien président du club « le jeu de paume » de Draguignan exilé à Nice jusqu’en 1870 sera élu conseiller général du canton de Fayence en 1871 et en 1877 et il présidera le conseil général pendant 9 ans.
La Troisième République réhabilitera la mémoire des insurgés de 1851 et l’Assemblée nationale votera une loi de réparation aux victimes du coup d’état en 1882 : de nombreux insurgés ou leurs ayant-droits recevront une pension.
Dans le canton de Fayence, les évènements de décembre 1851 ont pris une tournure très particulière à la différence des autres cantons insurgés du Var : les forces conservatrices locales se sont organisées et ont tenu tête aux forces républicaines, un véritable face à face qui aurait pu dégénérer !
Puis le souvenir de ces hommes et ces femmes qui ont fait décembre 1851 va s’estomper, l’histoire officielle ne retiendra presque rien, seule la Résistance qui avait installé de nombreux maquis dans le Haut Var a revendiqué sa filiation avec les insurgés. Tous ces paysans, ces artisans, ces ouvriers se sont révoltés, sûrs de leur bon droit, pour défendre la liberté ; mais ils n’ont connu que les prisons et l’exil, certains ont laissé la vie. Cette tragédie qui a bouleversé notre région a été un véritable acte fondateur et scellera un profond attachement aux valeurs républicaines des habitants de notre département.
Quelques informations complémentaires :
- Le café Beuf se trouvait dans la maison cadastrée n°135 dans le cadastre de 1851. Actuellement ce bâtiment s’ouvre sur la place St-Pierre et comporte des colonnes devant la façade.
- La chambrée dite de de « la Jeune France » à Montauroux siégeait dans une maison appartenant à Mélanie Renoux, veuve Isnard, sur la place du Clot. Cette dame possédait deux maisons rapprochées toujours repérables et numérotées 393 et 303 dans le cadastre de 1851 ; la première est le bâtiment qui jouxte la pharmacie et la seconde est dans le prolongement de la Poste. Nous avons donc le choix.
- La grotte dite aujourd’hui « des peintures » et anciennement nommée « grotte pouveroa » à cause de l’exploitation du salpêtre et située sur le territoire de Mons à proximité du confluent Siagnole-Siagne a été un lieu de rencontre des républicains. En 1853, des emblèmes républicains sont peints sur les parois accompagnés des mots liberté et égalité.
SOURCES
Archives départementales de Draguignan
Archives communales de Fayence et Montauroux
Seillans 1848-1852, par Jean Salomone
La République au village, par Maurice Agulhon
Les condamnés à l’Algérie en 1852 dans le département du Var, par Maurice Bel
Bulletins de l’Association 1851-2001
L’insurrection varoise de 1851 contre le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte, par René Merle
La société secrète montagnarde d’Artignosc, par Frédéric Negrel
Le département du Var sous le Second Empire, par Emilien Constant
L’insurrection dans le Var en décembre 1851, par Maquan
Annexes