Le coup d’état à travers la correspondance du Comte de Flahaut

article publié dans le Bulletin n°22, janvier 2003 

Le coup d’État de 1851, à travers la correspondance du Comte de Flahault

 Paul Varcin

Le livre s’appelle Le secret du coup d’État, Paris, Émile Paul, 1928. Son auteur est Lord Kerry (Comte de Kerry, arrière petit-fils du troisième marquis de Lansdowne, qui fut Président du Conseil dans le cabinet de John Russel de 1847 à 1852). La fille du Comte Flahault de la Billarderie épousa un Lansdowne. La correspondance fut conservée dans cette famille, en Angleterre. Le Comte Flahault avait épousé en 1817 une Anglaise, honorable Mercer Elphinstone, amie de toute l’aristocratie anglaise, ainsi que de la cour de Louis-Philippe retirée à Claremont, après la Révolution de 1848.

 

Cette correspondance presque quotidienne avec sa femme et sa fille, avec Morny et sa maîtresse, Comtesse Le Hon, avec le Prince Louis Napoléon, etc., montre que Flahault fut dans le secret du coup d’État, “y prit une part plus importante qu’il n’est généralement cru” (p.3).  En effet, on avait longtemps pensé que seuls Saint-Arnaud (armée), Morny, Maupas, Persigny et le secrétaire Moqard étaient dans le secret.

Mais qui est le Comte de Flahault (de la Billarderie) ? Il était parmi les intimes de l’Élysée. Il avait été l’amant de la Reine Hortense de Beauharnais, après sa séparation d’avec Louis Bonaparte, Roi de Hollande. D’où était né Auguste, adopté par les Morny-Flahault, père de Morny, lui même demi-frère du futur Napoléon III, voilà qui crée des liens !

Flahault avait, de plus, été à 27 ans un brillant général de Napoléon Ier, qui appréciait ses qualités de diplomate et l’avait envoyé en mission à Vienne, en 1815, pour récupérer Marie-Louise… Il était près de lui à Waterloo et commanda la dernière charge de cavalerie.

Mais Flahault était lui-même le fils incestueux d’un jeune abbé qui devait faire une exceptionnelle carrière politique, Talleyrand ! La mère de Flahault, Adèle Filleul, avait été mariée à 17 ans avec “un vieux d’âge mûr” dont elle n’avait pas d’enfant. On comprend que le Comte Flahault, de haute naissance, avec des qualités personnelles de haute tenue, ait été suivi dans sa carrière par Talleyrand, la Reine Hortense, puis Napoléon Ier.

Revenons encore un instant sur la vie aventureuse de sa mère, mariée à 17 ans au Comte de la Billarderie, guillotiné en 1792. Elle avait émigré avec son fils en Angleterre, avait fréquenté Lord Lansdowne, qui lui avait témoigné “un vif intérêt”. Ensuite en Suisse, où elle vécut “quelque temps” avec un certain Monsieur Corbie, professeur de langues vivantes. Or ce Mr Corbie n’était autre que le Duc d’Orléans, futur roi Louis Philippe. Elle se maria par la suite (“elle prit son nom”) avec De Souza, ambassadeur de Portugal.

Nous avons vu Charles de Flahault marié en 1817 en Angleterre (Hortense semble l’avoir écarté). Il se fit oublier pendant la Restauration, mais en 1830, il fut “un des premiers à être accueilli par le roi de Français” : conseiller du Roi, ambassadeur à Berlin en 1831, écuyer du jeune Duc d’Orléans jusqu’en 1838, puis ambassadeur à Vienne jusqu’en 1847. Après 1848, lui-même, sa femme, sa fille conservèrent toujours avec la Reine Amélie et les Princes une correspondance amicale.

Arrive le coup d’État. Il est dans le secret. Le Prince Louis-Napoléon, dans son bureau, tel le sphinx, rédige des ordonnances. Magnan fait fonctionner le télégraphe. Saint-Arnault fait arrêter tous les députés, occupe Paris, particulièrement passif dans la nuit du 2 au 3 décembre. Mais Morny a droit à tous les éloges : “il a été héroïque”. “Pas possible d’avoir montré plus de courage, de fermeté, de bon sens, de prudence, de calme, de bonne humeur, d’urbanité et de tact” (lettre à sa femme, 3-12).

En somme, l’ordre règne. La confiance revient, les rentes remontent. Le peuple de Paris approuve : “Il est bonapartiste et républicain” (lettre du 3-12). “Pas d’agitation politique sur aucun point du territoire, sauf de multiples mouvements socialistes et communistes dans plusieurs départements : châteaux et maisons brûlées, propriétaires tués” (lettre à sa femme, 10-12). Encore le 14-12 : “Tout va aussi bien qu’on peut le souhaiter, sauf dans quelques départements du Midi où le socialisme s’affirme par le meurtre, le pillage, les cruautés et les brutalités qui ne respectent ni l’âge, ni le sexe”. Donc le Prince-Président est le défenseur de l’ordre social.

Il se base sur un rapport officiel de Magnan pour affirmer que le nombre de morts et de blessés n’est que de 540 (215 + 155 blessés civils – 26 + 184 blessés militaires [il y a donc bien eu combat], alors que la presse anglaise avait parlé de 1200 morts, et l’opposition française, de plus du double.

Mais la correspondance de Flahault semble montrer qu’il a été chargé officieusement d’adoucir les rapports entre le vainqueur du coup d’État et la couronne d’Angleterre (Victoria et John Russell avaient été si prudents qu’ils avaient exigé la démission de Palmerston (affaires étrangères) qui avait approuvé le coup d’État).

Il demande à sa femme de ne pas juger le coup d’État à travers “les principes et les actes anglais” ni à travers “les conceptions anglaises de monarchie constitutionnelle”. Napoléon III, à l’inverse de Napoléon Ier, sera un ami de l’Angleterre.

Mais un autre souci occupe de très nombreuses lettres : la conspiration des orléanistes, par le Prince de Joinville et le Duc d’Aumale. Si Flahault l’affirme, lui qui les a servis, si sa fille est avertie, qui a d’excellents rapports avec Claremont, c’est qu’il doit y avoir du vrai. Nous verrons que le Prince-Président a suivi l’affaire de près.

“Au surplus, il existait une conspiration en faveur du Prince de Joinville, qui n’attendait que le moment opportun pour éclater” (p.169). À sa fille : “Je serais navré que vos jeunes amis [Joinville et Aumale] fussent aussi insensés que vous me le dites [insurrection dans le Nord de la France, par la Belgique] car ils n’ont aucune chance que d’être arrêtés… Quant au petit homme [Thiers] il a consenti à s’éloigner à l’étranger” (p.174).

“Les d’Orléans manquent de sagesse en se conduisant ainsi. À rester tranquille et à accueillir avec respect une décision prise par la France, ils auraient amélioré leur position pour toute éventualité à venir. Je le regrette vivement pour eux. S’ils commettent une imprudence, ils mettront en danger leurs propriétés”(p.176). Tiens ! Tiens !

“S’ils avaient tant soit peu de bon sens, à Claremont, ils auraient recommandé à tous leurs partisans de voter pour lui : cela aurait mieux servi leurs chances à venir que tout ce qu’ils peuvent faire par ailleurs” (p.179). Exagère-t-il ?

Or, la fortune des d’Orléans en France est encore, en 1851, estimée à 300 millions. Louis-Napoléon ne leur fera pas de cadeaux : tous leurs biens seront confisqués : châteaux, propriétés, capitaux, par un décret du 22 janvier 1852.

Flahault en avait parlé dès le 10 décembre 1851.

Ce décret du 22 janvier 1852 devait avoir une conséquence inattendue, la démission de Morny de son poste de Ministre de l’Intérieur, ainsi que celles de Fould, Rouher et Magne. En somme la rupture entre le bénéficiaire et les artisans du coup d’État.

Flahault en donne les raisons, ou ce qu’il croit être la cause de cette rupture :

À Paris, Morny est exécré. Il ne s’agit pas du peuple, des Résistants, républicains ou socialistes qu’on arrêtera, jugera par des commissions mixtes… Mais des gens “du monde”, dans les salons parisiens.

À sa femme : “Pauvre garçon ! Il s’est admirablement conduit, mais il est l’objet de la haine de tous les représentants et de tout ce qui tient à eux” (p.172). “Dans le monde, on manifeste beaucoup d’aigreur” (8-12). “J’étais hier chez Madame de Lieven avec Montebello… Et bien, quand Fould entra, il se leva et s’en fut sans parler ni saluer. Le pauvre Auguste a inspiré des haines qui ne s’effaceront jamais” (p.175).

Le “Monde” : légitimistes, surtout orléanistes, bourgeois enrichis. Alors Morny veut les conquérir, il fait libérer les modérés, tels Rémuzat, Cavaignac, qui voulait se marier en prison (fort de Ham). Il n’accepte pas le décret du 22 janvier 1852.

La rupture sera de courte durée.

Essayons de transposer cette conspiration orléaniste, dont Flahault est convaincu, dans notre département bas-alpin. Je n’ai aucune preuve, mais ce serait une piste à suivre.

Joseph Gibert, de Vergons, le plus riche propriétaire de la commune, certainement pas “rouge”, fut considéré comme “très dangereux” par la commission mixte, et déporté à Cayenne. Ses biens furent vendus, et non restitués après 1880. Il mourut “grand pensionnaire” de l’état.

Même problème pour les Duchaffaut, à Digne. Le père fut exilé, et le fils déporté à Cayenne. Ils étaient, à Digne, les rivaux du clan Fortoul. Ils n’étaient pas parmi ceux que Flahault dénomme “socialistes”. Cependant, ils avaient été en relation avec Langomazino. Ils sont considérés comme “très dangereux”. Réquisitoire contre Duchaffaut : “Depuis 15 ans, il est le pivot dans lequel a toujours roulé l’opposition dans ce département” (cf. p.94 de Provence 1851). Ils passaient plutôt pour des Orléanistes.

 

Flahault devait mourir en septembre 1870, à quelques jours de la chute de l’Empire.

 

Nota bene : Dans la correspondance de Flahault, il n’est jamais question du ministre Fortoul. 

Paul VARCIN