Quelques précisions biographiques sur Cyrus HUGUES

article publié dans le Bulletin des Amis de La Seyne ancienne et moderne, septembre 2003

Quelques précisions biographiques sur Cyrus HUGUES (1823-1896)

 

Pour les tous jeunes gens de ma génération (je suis né en 1936 !), la rue Cyrus HUGUES était la rue principale de La Seyne, la plus commerçante, la plus animée et la plus arpentée… Mais si le nom de HUGUES devait encore parler à nos aînés, qui dans la jeunesse connaissait cet HUGUES au prénom surprenant ?

Il faudra attendre 1965 et la publication de la somme de Louis BAUDOIN[1] pour apprendre que le pharmacien Cyrus HUGUES, ardent républicain, résistant au coup d’État de décembre 1851, avait été sous la Troisième République conseiller général et maire de La Seyne.

J’étais alors loin de me douter que je serai amené à préciser un épisode majeur de sa biographie son action en 1851.

En 1997 naissait l’association 1851-2001, qui se proposait de célébrer dignement le 150e anniversaire de la résistance républicaine au coup d’État du 2 décembre 1851[2]. J’en devenais président. En 1998 se tenait à Toulon sa seconde journée de rencontres. Le Seynois que j’étais ne pouvait que s’interroger sur la résistance seynoise à ce coup d’État, d’autant que le président des Amis de la Seyne ancienne et moderne, notre ami Jacques BESSON, me sollicitait pour une conférence sur ce thème[3]. Cet épisode n’était alors connu que les quelques lignes figurant dans les chroniques seynoises : la constitution, aussitôt brisée par la répression, d’un comité de résistance républicain animé par Cyrus HUGUES… L’ouvrage capital en la matière, publié en 1869, ne faisait aucune mention de La Seyne[4]. Mais sa réédition, en 1983[5], avait été complétée par une liste des victimes de la répression, dressée commune par commune par C.GALFRÉ. Parmi les 17 Seynois cités figurait HUGUES, pharmacien.

Le Bulletin officiel donnant, en septembre 1882, la liste des pensions attribuées par la Troisième République aux très nombreuses victimes varoises du coup d’État me le confirmait : HUGUES Cyrus Probace, pharmacien à La Seyne, obtenait une pension de 800 francs. Et, sur les quelque 3500 pensions attribuées, celle de Cyrus HUGUES figurait à la très remarquable 34e place[6] qui marquait l’importance du récipiendaire.

Pour en savoir plus sur HUGUES, il convenait évidemment de consulter aux Archives départementales les pièces concernant les événements de 1851 à La Seyne. Ce dossier allait me procurer une double surprise : d’une part, la révélation d’une vraie résistance seynoise, puissante et populaire, qui dépassait largement ce qu’avaient pu en dire les chroniques postérieures[7], d’autre part l’absence totale d’une mention de Cyrus HUGUES.

L’engagement de HUGUES dans la résistance de 1851 étant avéré, il fallait donc supposer qu’il ne s’était pas manifesté à La Seyne.

Les chroniques seynoises (et l’état-civil seynois le confirme) donnaient Cyrus HUGUES natif de Tourves. Aussitôt consulté, notre compatriote et ami Guy LOVISOLO, aujourd’hui installé à Tourves[8], nous le confirmait : Cyrus Probace Honoré HUGUES est né à Tourves le 13 novembre 1823, fils de Probace Jacques Antoine HUGUES, propriétaire et de Emilie Reine RENOUX, domiciliés à Tourves[9]. Le grand-père HUGUES était tailleur, le père possédait à Tourves une exploitation de presque 3 ha, une maison et une écurie au village.

Mais aucune mention des HUGUES n’était faite dans le dossier concernant l’insurrection de 1851 à Tourves. Et pour cause.

Le remarquable travail de Maurice BEL[10], nous ouvrait une tout autre piste sur la liste des transportés varois en Algérie, où figurent plusieurs HUGUES, nous rencontrons HUGUES Cyrus Probace Honoré, né à Tourves en 1823, pharmacien à Collobrières. Condamné à une déportation de 5 ans, HUGUES, après un emprisonnement à Toulon, était embarqué sur le Labrador le 9 mars 1852. Destination le camp de Bourkika, département d’Alger.

Les archives de la répression à Collobrières nous le confirmaient aussitôt. En 1851, la famille HUGUES, fixée à Collobrières, est dénoncée pour ses idées républicaines avancées que propage tout particulièrement le jeune pharmacien dans cette population d’agriculteurs et de bouchonniers : « Cyrus HUGUES, 29 ans, pharmacien, demeurant à Collobrières, a été l’initiateur le plus actif de la société secrète et l’un de ses excitateurs les plus ardents au désordre, (…) c’est lui qui a proclamé la déchéance du maire[11]. » Ainsi HUGHES avait appliqué les consignes de ceux que l’on appelait alors les « démocrates-socialistes » : mise en place d’une structure de résistance au probable coup d’État, et, en cas de coup de force auquel se rallierait le maire nommé par le préfet, proclamation d’une municipalité refusant le viol de la constitution par le Président Louis-Napoléon. HUGUES est bon représentant de ces petits notables qui contribuèrent si activement dans le Var à propager les idéaux démocratiques.

Comme beaucoup de condamnés, il bénéficie d’une mesure de grâce à l’occasion du rétablissement de l’Empire en décembre 1852, et regagne la France. Mais ce n’est pas à Collobrières (où son père décède en 1857), qu’il peut résider. Dorénavant HUGUES sera pharmacien à La Seyne, à l’angle de cette rue de la Paix (qui deviendra plus tard rue Cyrus Hugues) et de la place du marché. Il a épousé Eugénie Marie ARMAND. Il est donc l’oncle de M. ARMAND, qui dirigera à sa suite la pharmacie que tous les Seynois de ma génération ont connue sous le nom de pharmacie Armand. Mais notons qu’à sa création en 1853, la pharmacie est située à l’emplacement du commerce qui fait face à la pharmacie actuelle.

Dorénavant, et jusqu’à sa mort, le nom de C.HUGUES est pleinement associé à la vie de la cité, dont l’histoire politique et municipale demeure grandement à faire.

Dans les années 1860, malgré les intimidations officielles, HUGUES est l’un des dirigeants de la gauche radicale à La Seyne. Qu’on ne donne pas au mot « radical » le sens de parti politique. Les partis politiques au sens moderne n’existent pas en France avant la fin du XIXe siècle, et tous les courants politiques se structurent autour de cercles, de journaux, de personnalités partageant peu ou prou les mêmes opinions. Au plan seynois, HUGUES sera jusqu’à sa mort une de ces personnalités.

À la chute de l’Empire, en 1870, alors que les électeurs donnent à la Troisième République une majorité conservatrice, les Varois soutiennent les républicains radicaux. À la naissance de la République, le canton de La Seyne, fraîchement créé[12], choisit Hugues comme conseiller général (radical), il le demeurera jusqu’en 1892.

Dans cette période de république conservatrice, le préfet crée de nombreuses difficultés à la municipalité républicaine de La Seyne. Les années 1871-1876 sont tumultueuses. Mais les Seynois confirment leur engagement en élisant en 1876 une municipalité radicale qui se donne Cyrus HUGUES pour maire.

Appliquant un point essentiel du programme radical, sa municipalité a été marquée par un important développement de l’école publique, gratuite et laïque, et ce bien avant les grandes lois scolaires des années 1880[13].

Fidèle aux idéaux de sa jeunesse, et persuadé que la démocratie est le seul moyen de promouvoir les réformes sociales, HUGUES ne partage en rien les idéaux collectivistes du socialisme naissant. Mais il est sensible aux revendications du monde ouvrier. En juin 1872, il soutient par sa médiation les grévistes des Forges et Chantiers. En 1879, il frôle la révocation pour avoir accueilli Blanqui, le dirigeant révolutionnaire enfin libéré, venu saluer ses amis seynois.

Après 1879, qui voit la défaite nationale des conservateurs, et l’avènement de “la République aux Républicains”, les radicaux se divisent entre “opportunistes” et radicaux “intransigeants”. Les frères de la veille s’opposent violemment. À l’opposition des milieux conservateurs seynois s’ajoute dorénavant celle des républicains opportunistes. Malgré le soutien du grand quotidien Le Petit Var, dirigé par le maire radical de Toulon DUTASTA, la municipalité HUGUES n’y survivra pas, et, de 1882 à 1886, La Seyne verra se succéder cinq maires. Mais HUGUES demeure conseiller général, malgré les violentes attaques (en français et… en provençal !) des amis de Noël Blache et du Petit Toulonnais de Dominique[14]. À ces oppositions politiques se mêlent de complexes affrontements personnels et des controverses sur les réalisations municipales à mener dans une cité en pleine croissance.

En 1886, l’élection de Saturnin FABRE mettait fin à la valse des maires. Républicain conservateur en politique, et grand modernisateur visionnaire, ce rival n01 de HUGUES lui ravira le siège de conseiller général en 1892. C.HUGUES disparaîtra en 1896, alors que la grande querelle de l’émissaire commun mettait à bas les espoirs de FABRE et ouvrait une nouvelle phase d’instabilité municipale.

Les républicains de La Seyne sauront plus tard faire taire provisoirement leurs divisions en baptisant rue Cyrus HUGHES la rue principale.

Le 23 mars 2002, la municipalité de La Seyne prolongeait ce geste en apposant une plaque commémorative en l’honneur de Cyrus HUGHES et de ses compagnons, qui se levèrent “pour la défense de la Liberté et de la République”.

 

René MERLE

 


[1] Louis BAUDOIN, Histoire générale de La Seyne-sur-Mer et de son port depuis les origines jusqu’à la fin du XIXe siècle, La Seyne, 1965.

[2] Association 1851-2001 pour la mémoire des résistances républicaines, groupe scolaire Pasteur, 7 bd des Tilleuls, 04190 Les Mées.

[3] 9 octobre 2000 – Conférence de René MERLE aux Amis de la Seyne ancienne et moderne “La résistance républicaine au coup d’État du 2 décembre 1851 et ses aspects seynois”.

[4] Noël BLACHE, Histoire de l’insurrection du Var en décembre 1851, Paris, 1869.

[5] Noël BLACHE, L’insurrection du Var de 1851, Préface et notes de Charles GALFRÉ, La Table Rase, 1983.

[6] La République versait aux survivants ou à leur famille une pension de 1200 fr. pour la mort dans les journées de décembre et la déportation à Cayenne, une pension de 1000 fr pour une transportation, comme on disait alors, de plus d’un an, en Algérie, et de 800 fr. pour une transportation en Algérie de moins d’un an.

[7] Cf. René MERLE, “Décembre 1851 à La Seyne (Var)”. Bulletin Association 1851-2001 -n0 18, 2001.

[8] Guy LOVISOLO est un responsable de la très active Association d’histoire populaire tourvaine, dont les publications sont remarquables. Contacts : A.H.P.T, Hôtel de ville, 83170 Tourves.

[9] Mme Magali KERHOAS, de La Valette, descendante de Cyrus HUGUES, a dressé l’arbre généalogique de la famille.

[10] Maurice BEL, Les condamnés à l’Algérie dans le département du Var. Chez l’auteur M.BEL, le Mont Rose, 11 avenue de Picardie, 06000 Nice.

[11] Archives départementales du Var, 4 M 24-3.2. Notons que, tant aux Archives Nationales qu’aux Archives départementales, l’inculpé est parfois mentionné sous le patronyme de CYRUS et le prénom de Hugues. Le dossier varois le donne à tort comme natif de Collobrières.

[12] Jusqu’en 1869, La Seyne faisait partie du canton d’Ollioules. Le nouveau canton de La Seyne inclut les communes de La Seyne et de Six-Fours.

[13] Cf. Marius Autran, Histoire de l’école Martini. L’enseignement à La Seyne-sur-Mer. 1789-1980, La Seyne, G.R.A.I.C.H.S, 1982. Le texte est également consultable sur le site internet www.site-marius-autran.com

[14] Nous avons reproduit quelques-unes de ces amabilités dans René MERLE, Les Varois, la presse Varoise et le provençal, 1859-1910, La Seyne, S.E.H.T.D, 1996.