Alphonse Baudin et la Seconde République

publié dans le bulletin numéro 2 (juillet 1998)

Alphonse Baudin et la Seconde République

par René Chauville

La famille Baudin s’est établie à Nantua (Ain) dans les premières années du XIXème siècle. Le père, né en en 1779, engagé dans les armées de la Révolution, aurait suivi Napoléon Bonaparte en Egypte, pour se retrouver prisonnier des Turcs à Constantinople, avant de revenir à Nantua exercer la profession de médecin. Son fils, Alphonse, est né d’un premier mariage le 28 octobre 1811. Il fit ses études d’abord au collège de Nantua, puis obtint son diplôme de bachelier ès-lettres à Lyon en juillet 1828 et celui de bachelier ès-sciences « pour étudier la médecine » à Grenoble en novembre de la même année.

Etudiant à Lyon, il s’enthousiasme lorsque éclate la révolution de juillet 1830, comme le montre une lettre écrite à son cousin : « Quand la patrie est menacée, lorsque des hommes scélérats ont remis en question notre avenir et nos libertés, je ne puis te parler que des mesures prises par des citoyens […] généreux pour assurer notre repos et repousser les efforts de l’arbitraire. »

Il  est aussi l’auteur du texte d’une chanson patriotique, L’astre français, chantée au banquet de Nantua, sur l’air de La sentinelle, le 19 septembre 1830 et dont voici quelques vers :

 

Un nouvel astre a brillé dans les cieux

O mon pays, reconnais ton étoile

[.. .]

 

L’éclat de sa triple couleur

Efface une couleur flétrie

Liberté, victoire et bonheur

Se sont levés sur ma patrie.

Héros français dont les fronts abattus

Portaient du lys la pâleur abhorrée

Levez les yeux, voyez comme à Fleurus

Briller sur vous notre étoile adorée.

 

Pour alléger les charges de son père, il postule la place de chirurgien-élève à l’hôpital militaire d’instruction du Val de Grâce dès 1831, puis est promu à Toulon et enfin à Strasbourg jusqu’en janvier 1835. Le 26 juin 1837, il obtient son diplôme de médecine et il est affecté au 3e bataillon de zouaves en Algérie où il reste un an et rencontre peut-être Cavaignac alors chef de bataillon au corps des zouaves.

Baudin démissionne le 2 avril 1838, fait un court séjour dans l’Ain et s’installe à Paris, médecin à Montmartre. D’après son passeport, il a «une taille de 1,72 m, les cheveux châtains, le front élevé, la bouche grande, les yeux gris, le nez ordinaire, la barbe châtain, le menton rond, le visage ovale et le teint coloré ».

À Paris, il est le «médecin des pauvres», en contact quotidien avec le monde ouvrier dont il connaît la vie difficile, ce qui le conforte dans ses idées généreuses. Il fréquente sans doute les cercles politiques, et en juin 1842 adhère à la Loge maçonnique « Le Temple des Amis de l’Honneur français ».

document trouvé sur le corps de Baudin après son meurtre (Papiers Maupas, propriété des descendants, document inédit)

Cependant les événements se précipitent, pour aboutir aux journées de février 1848 : le gouvernement provisoire prend d’importantes mesures et le 23 avril une assemblée est élue pour établir une constitution. Alphonse Baudin est candidat dans l’Ain, son programme est sans ambiguïté :

«Républicain dès mon enfance, je demande l’éducation nationale gratuite et obligatoire… l’organisation progressive du travail industriel et agricole…, l’abolition de l’esclavage, la liberté absolue des associations et de la presse… ».

C’est un échec pour lui.

Dès le 5 mai, les «battus» d’avril, Blanqui entre autres, organisent une manifestation dont l’échec entraîne arrestations ou exil. Après les journées de juin où la répression se fait impitoyable, la constitution est enfin votée : Baudin se présente à nouveau aux législatives dans le département de l’Ain et il est élu. Siégeant sur les bancs de la Montagne, il intervient vigoureusement sur les lois répressives votées en 1850. Il s’élève en janvier 1850 contre les pouvoirs des préfets qui peuvent révoquer les instituteurs dont l’activité déplaît, «ce qui, dit-il, les livrera à des ennemis politiques, adversaires implacables habitués à procéder par calomnies… ». Il s’attire ainsi les foudres du président Dupin dont il dit avec humour :

«Nous avons un autre non moins grand tort, c’est celui d’être relativement à M. Dupin plus rapprochés d’une oreille dont M. le Président entend mieux que de l’autre.»

 

Après le coup d’État du 2 décembre 1851, les montagnards, déjouant la police onmiprésente, se retrouvent une soixantaine environ, rue Blanche, avec Victor Hugo, Quinet, Jules Favre, et Baudin et proclament la mise hors la loi de Louis-Napoléon. C’est Baudin qui, sous la dictée de Victor Hugo, rédige le premier manifeste : «Louis-Napoléon Bonaparte a violé la Constitution, il s’est parjuré, il est mis hors la loi ». Malgré la réticence des Parisiens (lassitude, souvenir des répressions de juin 1848…), quelques barricades s’élèvent faubourg Saint-Antoine. La troupe arrive, Schoelcher et quelques députés essaient de parlementer. Un coup de feu, la troupe riposte, Baudin et un ouvrier côte à côte sur les barricades tombent mortellement blessés. L’annonce de ces morts suscite l’érection de nouvelles barricades, et l’espérance renaît pour quelques heures, mais le lendemain, l’armée écrase l’insurrection.

La mort de Baudin. Lithographie en couleur. F.-C. Wentzel, G. Burckardt suce., Wissembourg (Alsace). Vers 1880. Collection médiathèque d'Anbérieux.

A une femme qui disait aux députés souhaitant la résistance des Parisiens : «Croyez-vous que nos hommes vont se faire tuer pour que vous conserviez vos vingt-cinq francs? », Baudin aurait répondu : «Restez et vous verrez comment on meurt pour vingt-cinq francs.»

Ainsi prit fin cette République controversée, fragile et instable. Mais c’est aussi au cours de ces années tumultueuses que le « parti de l’ordre » fut confronté à un parti républicain ami du peuple qui mena un combat difficile «pour que la République soit humaine, en tempérant par des mesures socialisantes les cruautés (de ce) libéralisme économique… »(Maurice Agulhon).

Alphonse Baudin, l’adolescent romantique de 1830, le «médecin des pauvres » de l’âge mûr, élu représentant de la Nation, qui avait su rester fidèle à ses idées démocratiques, paya de sa vie cette fidélité.

 

René CHAUVILLE

RÉFÉRENCES

Victor Hugo, Histoire d’un crime.

Pierre Foras, Le docteur Alphonse Baudin cet inconnu, Thèse de médecine, Lyon, 1975.

 

RECHERCHES

Des recherches sont en cours pour retrouver des descendants de républicains insurgés dans l’Ain et la région Rhône-Alpes. Merci à ceux qui peuvent posséder des informations et documents de se faire connaître à l’association, qui fera le relais.