1852-2002. Damase Arbaud, le parti de l’Ordre et l’actualité

Article publié dans le Bulletin n° 22, janvier 2003

1852 – 2002, Damase ARBAUD, le parti de l’Ordre et l’actualité

Colette Chauvin

 

Dans le journal L’Ami de l’Ordre, journal des Basses-Alpes, organe du parti de l’Ordre, ainsi s’exprimait Damase Arbaud, le 26 août 1852 : 

 » Réprimer, améliorer, tel est le double but qu’a dû se proposer le gouvernement dans sa campagne contre le socialisme ;

Réprimer : c’est-à-dire empêcher une surprise ou un coup de main heureux de livrer la société aux barbares ;

Améliorer : c’est-à-dire les désarmer en leur enlevant tout moyen d’agir par des promesses décevantes sur les intelligences peu cultivées, en les privant de leurs plus puissants auxiliaires, la misère et les souffrances des classes pauvres.

La première partie de ce programme a été remplie d’une manière aussi énergique qu’heureuse, personne ne le contestera, car chacun se sent protégé, défendu, car on peut s’endormir sans craindre d’être réveillé par les tintements sinistres des tocsins ou les lugubres roulements de la générale ; les Jacques sont expatriés ou repentants ; les bons sont rassurés et les méchants tremblent.

Les effets des améliorations réalisée, pour être moins apparents ne sont pas moins réels. C’est que pour que leur bienfaisante influence se fasse sentir, elles ont besoin du temps ; on ne construit pas aussi vite qu’on démolit ; et c’est une rude et longue tâche d’améliorer la situation matérielle et morale d’un pays.  Cependant la semence est confiée au sol, viennent maintenant un beau soleil et une pluie bienfaisante et la moisson sera belle. « 

 

À lire ces propos angéliques on ne doute pas que la répression fut toute en douceur, que les coups sont tombés comme un déluge bienfaiteur, l’écrasement des Républicains est un terreau de première qualité.

On peut reconnaître, d’autre part, à cet illustre presque inconnu, ancien maire de Manosque, le talent de visionnaire par rapport à cette année 2002 qui connaît une République tellement fragilisée qu’elle en devient sécuritaire.

Ce membre du Parti de l’Ordre, porte-parole acharné de l’impérialisme, que l’on connaît comme érudit local d’histoire du Moyen Age, comme collecteur de chants provençaux, n’a pas souhaité promouvoir la culture politique pourtant avancée de ses concitoyens Bas-Alpins. Il a préféré les tenir pour des « intelligences faibles, peu cultivées » pour qui les élections démocratiques, à commencer par les élections municipales n’auraient eu aucun intérêt, surtout étant pluralistes et politiques.

 

Pour preuve, l’extrait de son éditorial de L’Ami de l’Ordre, du 17 juin 1852 :

 » Croyez-vous que le jour d’une élection communale ou départementale l’électeur villageois, avant de déposer son vote, se recueille et pèse dans sa conscience le mérite de chacun des candidats qui briguent ses suffrages ? Point du tout. Dans les petites communes on se passionne pour la largeur ou la direction d’un chemin rural ; on s’échauffe pour le pavage d’une rue, on se menace, quand on n’en vient pas aux coups, pour les versures de la fontaine ; le curé, le garde champêtre sont le point de mire de tous les quolibets des esprits forts de la commune, contre eux on relance toutes les phrases acérées que le journal de l’opposition a décrochées contre le pouvoir, et voilà justement ce qui fait les élections locales. L’homme des champs appelé un beau matin à la vie publique qu’il doit laisser l’après midi pour reprendre sa charrue, se détermine par ses affections ou ses répugnances, consulte son intérêt ou ses passions du jour sans se soucier de son intérêt pour ses besoins du lendemain. Ainsi c’est la question qui, dans le moment, défraie les conversations du cabaret qui nomme le conseiller ; c’est un intérêt minime, presque toujours éphémère, qui est représenté neuf ans au conseil général, qui pèse six ans dans le conseil de la commune. Et puis on se plaint que les communes sont mal administrées ! On s’étonne que leurs affaires soient livrées au hasard ou au caprice de quelques-uns ! « 

 

Et que dire de son point de vue sur la décentralisation, cette peur de voir le pouvoir se diluer, sujet brûlant aujourd’hui, mais où, curieusement, le pouvoir du département est encore en question.

Mesdames, messieurs les conseillers généraux n’ont qu’à bien se tenir !

 

 » Si malheureusement les idées de décentralisation qui défrayent la polémique de quelques journaux venaient un jour à passer dans la pratique, si les communes étaient affranchies de la tutelle salutaire du préfet, si les conseils généraux pouvaient librement, sans l’approbation du ministre, disposer des fonds départementaux, avant dix ans avec des conseils électifs, communes et départements seraient ruinés sans autre perspective que la banqueroute ou une surcharge de centimes sous laquelle plieraient les contribuables les plus robustes. « 

 

D’ailleurs sur ce sujet si brûlant d’actualité à l’heure où cet article est rédigé (début novembre 2002) ne vient-on pas d’apprendre que le premier ministre J.P. Raffarin s’est efforcé, jeudi 31 octobre à Strasbourg, de rassurer les présidents des conseils généraux qui craignent de voir les départements perdre leurs prérogatives au profit des régions.

Au même moment, tout n’est pas si simple, J.L. Debré, président de l’Assemblée Nationale, se livrait à une mise en garde sévère en ces termes : la décentralisation ne doit pas être  » voulue comme un affaiblissement de l’Etat (…) On ne saurait accepter que l’Etat ne dispose que d’une compétence résiduelle, celle que les collectivités locales voudraient bien lui donner « .

Ces paroles comparables, séparées de cent cinquante ans, sont significatives de la peur de voir s’affaiblir le pouvoir de l’Etat. Nous pouvons nous attendre à bien d’autres déclarations avant le publication du bulletin  mais nous ne sommes pas au bout non plus des prévisions politiques de Damase Arbaud en la matière.

 

Pour lui , seul remède à tous les risques de dérive : le pouvoir totalitaire, la nomination de tous les conseils locaux, disons le tout net : le parti unique.

 

 » Avec des conseils à la nomination du pouvoir, rien de semblable. Régularité dans l’administration, esprit de suite dans les décisions du conseil départemental ou des municipalités, concours de toutes les forces locales vers un même but, et partant résultat aussi avantageux qu’on peut le désirer, telles sont les conséquences du droit que nous réclamons pour le pouvoir de nommer les conseils locaux « .

 

 » Au sommet le Président gouverne, c’est la Constitution qui le dit, au moyen des Ministres, du Sénat, du Conseil d’Etat et du Corps législatif. Pourquoi donc le Préfet, le Maire, n’administreraient-ils pas ou moyen du Conseil général ou du Conseil municipal. Mais pour cela il faut que ces agents d’administration tirent leur pouvoir de la même source. Il faut qu’ils aient une origine commune pour qu’ils aient les mêmes vues, les mêmes tendances ; il faut que la confiance soit réciproque. Non pas seulement entre eux, mais avec les autorités qui leur sont supérieures, il faut, pour que la machine fonctionne avec harmonie, que cette confiance monte de l’humble conseiller municipal jusqu’au Prince Président, et redescende du chef de l’Etat au dernier conseiller municipal du dernier hameau à travers chacun des tours de cette spirale immense qui forme notre hiérarchie administrative. « 

 

Dans une organisation d’Etat tellement policée, point de place à la discussion.

Par contre les Républicains qui s’élevèrent contre le coup d’État avaient eux déjà mesuré l’importance du débat parlementaire, s’ils voulaient faire respecter la constitution c’était pour préserver la nation du danger du pouvoir exécutif tout puissant. Force est de constater que cette vue éclairée n’est pas à négliger aujourd’hui encore et dans de nombreux pays.

D’autre part, on pourrait même se demander si Damase Arbaud n’avait pas déjà intégré le rouleau compresseur du bipartisme, repoussoir des choix citoyens, donnés par ailleurs par la pluralité, lorsque par des effets remarquables de rhétorique, il habillait ainsi la République d’un costume monarchique.

Notre donneur de leçon politique n’oublie pas que, selon lui, pour faire marcher la machine de l’Etat, il faut verrouiller l’administration par des agents du pouvoir.

 

 » L’essence du gouvernement républicain est l’agitation, le mouvement ; de là sa prétention de personnifier le progrès. Sur un fond aussi mouvant, la liberté individuelle est impossible, parce que l’individu disparaît dans la masse, qu’il n’est qu’un nombre et que le total seul est quelque chose, parce que son sort est intimement lié au sort du navire qui le porte, qu’il est toujours obligé à un rôle actif, et qu’il ne conserve l’équilibre qu’à la condition de s’agiter sans cesse. Sous la république la liberté est en fusion ; jetez-la dans le moule monarchique et vous lui donnez une forme, vous en faites un être réel, le bronze est devenu statue.

Qu’après cela on veuille définir la république : Le gouvernement qui permet de marcher le plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation, tout en assurant l’ordre le plus stable, nous y souscrivons volontiers, pourvu  qu’on convienne avec nous alors que la monarchie est la meilleure des républiques. « 

 

Après l’article ci-dessus de René Merle qui nous éclaire sur le cadre social et culturel de Damase Arbaud, l’approche facile de cet homme politique par des extraits de ses éditoriaux nous donne une idée de l’état d’esprit des hommes au pouvoir après le coup d’Etat et de leurs intentions.

 

Damase Arbaud associé à Fortoul également Bas-Alpin, ministre de la répression et de l’Education Nationale de Louis Napoléon Bonaparte ont passé au pilori, eux les savants, les lettrés, ces Républicains de leur génération, les déguisant en gueux influençables, avinés et destructeurs.

Nous aurons l’occasion dans un prochain article d’étendre le point de vue de Damase Arbaud pour continuer à mettre à jour un pan détourné de l’histoire du département des Basses-Alpes, reflet fidèle de la situation politique de l’époque, les éditoriaux de Damase Arbaud relevant plutôt de politique générale que de règlement de comptes locaux.

 

Colette CHAUVIN