La répression bonapartiste après le 2 décembre 1851 dans le Var
La répression bonapartiste après le 2 décembre 1851 dans le Var
par Jean-Bastien URFELS
Université de droit, d’économie et des sciences d’Aix-Marseille
DEA Histoire des institutions et des idées politiques
Rapport de recherche sous la direction de M. Marc PENA
Conférence de méthode : Le droit politique
2003-2004
Abréviations utilisées : A. D. V. : Archives départementales du Var. Chapitre 2. Entre légalisation et atténuation de la répression : la recherche d’une légitimité.
L’adhésion massive des français, lors du plébiscite de 1851, constitue un tournant politique majeur : elle marque “ le point de départ d’un ordre constitutionnel nouveau ”[1]. La volonté de transfigurer un acte matériellement et formellement illégal en rupture fondatrice, conduit Louis-Napoléon Bonaparte à asseoir la légitimité de son régime sur le seul suffrage universel[2]. Cette tendance césariste est accentuée lors du passage à l’Empire, le 2 décembre 1852. Cependant, dans les départements fidèles à la République, l’image du coup d’Etat risque de lézarder dangereusement l’édifice. Par conséquent, les autorités cherchent à montrer que le régime est un Etat de droit, soucieux de restaurer la concorde civile. L’exemple du Var illustre leur tentative de modifier la portée des mesures répressives, non seulement en recourant aux juridictions ordinaires, mais aussi en les légalisant et en les atténuant, par l’exercice du droit de grâce.
Section 1. Le recours aux juridictions ordinaires.
A la fin du mois de mars 1852, la répression change progressivement de nature. Comme l’indique une circulaire de Maupas, “ le jour où sera promulgué dans votre département, le décret du 27 mars, qui met fin aux juridictions exceptionnelles, les Commissions mixtes cesseront leurs fonctions, et les lois du droit commun reprendront leur empire ”[3]. Dans le Var, certains prévenus n’ayant pas encore été jugés, leurs dossiers sont renvoyés devant les juridictions ordinaires. Toutefois, l’examen des critères qui déterminent ces renvois, et des jugements prononcés aux Assises du Var, permet de nuancer l’idée d’un véritable retour à la légalité.
§ 1. Les critères de mise en œuvre des juridictions ordinaires.
A l’issue des avis rendus par la Commission mixte, deux catégories de prévenus attendent encore, au début du printemps 1852, d’être fixés sur leur sort. Il s’agit des personnes placées dans la septième et la première catégorie. Les uns ont été renvoyés devant les tribunaux correctionnels où ils sont poursuivis pour des petits délits ; les autres devant les conseils de guerre, où ils encourent jusqu’à la peine capitale.
Un état nominatif des condamnés de la première catégorie est conservé aux Archives départementales du Var[4]. Il concerne 25 individus parmi lesquels ont peut distinguer les chefs de l’insurrection, Camille Dutheil, Pierre Arambide et Campdoras ; les personnes reconnues coupables d’attaques sur des gendarmes qui ont eu lieu dans deux localités : onze insurgés à Cuers, où le brigadier Lambert a été assassiné le 5 décembre[5], et cinq à Vidauban, où le gendarme Neveu a été pris sous le feu des insurgés le 4 décembre. D’après l’avis de la Commission mixte, les six hommes restants sont coupables de tentative de meurtre et de séquestration dans plusieurs autres communes.
L’article premier du décret des 5-30 mars 1852 “ relatif aux décisions rendues par les commissions départementales ” prévoit que “ les individus placés […] dans les catégories de ceux qui doivent être traduits devant les conseils de guerre ou devant les tribunaux correctionnels devront être immédiatement renvoyés devant les tribunaux compétents ”[6]. Ce texte est donc partiellement modifié par le décret du 27 mars, cité plus haut, qui met un terme aux juridictions exceptionnelles. La modification concerne uniquement les renvois devant les conseils de guerre, puisque les tribunaux correctionnels sont considérés comme des juridictions de droit commun.
Ainsi, pour les cas les plus graves, les autorités finissent par abandonner l’idée d’un renvoi devant la justice militaire. Nous avons souligné, il est vrai, à quel point le recours à ce type de juridiction avait été critiqué sous la monarchie de Juillet, au nom du principe du juge naturel. L’état d’exception instauré de facto durant l’état de siège est levé : plus rien ne justifie de soustraire des individus aux juridictions ordinaires. On peut se demander, au-delà d’arguments proprement juridiques, si cette option n’est pas motivée par des raisons essentiellement politiques. Le recours aux tribunaux militaires peut s’avérer néfaste pour le régime qui cherche avant tout à instaurer une nouvelle légalité.
D’autre part, les principaux chefs de l’insurrection étant en fuite, leurs procès auront lieu par contumace : le risque qu’ils se voient transformés en tribunes politiques est donc minime, d’autant plus que la presse est muselée. Enfin, la comparution publique des insurgés ayant tué ou agressé des membres des forces de l’ordre peut avoir un impact bénéfique dans l’opinion ; elle accrédite la thèse de la jacquerie si souvent avancée par les partisans du coup d’Etat pour justifier la répression menée à l’encontre des républicains.
Le 3 juin 1852, une lettre du procureur général près la Cour d’appel d’Aix-en-Provence est adressée aux procureurs de la République de Draguignan, Brignoles et Toulon. Elle contient “ l’ordre de M. le Garde des Sceaux de déférer à la juridiction ordinaire les individus qui ont pris part à l’insurrection du Var et qui pour ce fait avaient été renvoyés par la Commission mixte devant les Conseils de guerre ”[7]. L’instruction des dossiers commence. Elle est menée, conformément aux dispositions du Code d’instruction criminelle de 1808, par les juges d’instruction placés sous l’autorité des procureurs de la République près les tribunaux de 1ère instance de Draguignan, de Brignoles et de Toulon, chargés des éventuelles poursuites.
En vertu des articles 133 et 134 du Code d’instruction criminelle, les pièces de l’instruction sont ensuite transmises au procureur général près la Cour d’appel d’Aix-en-Provence[8]. A ce stade de la procédure, la Chambre des accusations de la Cour d’appel d’Aix est chargée de statuer sur tous les chefs d’accusation ; elle ordonne le renvoi des prévenus aux assises du Var[9], siégeant à Draguignan. C’est devant cette cour que va donc se dérouler le procès des insurgés initialement renvoyés devant les Conseils de guerre.
§ 2. Les renvois aux Assises du Var.
Sur un plan strictement formel, le déroulement des procès des insurgés devant les Assises du Var semble être conforme au droit commun. Les prévenus bénéficient d’une assistance juridique, de nombreux témoins sont interrogés, les jugements sont motivés et les peines prononcées en vertu du Code pénal. Cependant, certains éléments indiquent une instruction souvent menée à charge, et une impartialité parfois incertaine de la cour.
En ce qui concerne les chefs de l’insurrection, tout d’abord, tous sont jugés par contumace. Arambide, Dutheil et Campdoras sont inculpés et reconnus coupables “ d’excitation à la guerre civile, de commandement de bandes armées, et d’arrestation, détention et séquestration de personnes avec menaces de mort ”[10]. Ces chefs d’inculpation soulèvent une question essentielle : comment accuser, sur la base de crimes et délits prévus par le Code pénal, des individus qui ont pris les armes en conformité avec la norme suprême en vigueur, la Constitution de 1848 ?
On assiste, en effet, à une curieuse inversion de légalité. En vertu du nouvel ordre légal instauré après le coup d’Etat et la promulgation de la constitution du 14 janvier 1852, les insurgés sont reconnus coupables de crimes commis, selon toute logique, par les serviteurs du nouveau régime. Ce type de raisonnement est proche de la rétroactivité des peines, principe condamné par les textes fondamentaux depuis 1789.
L’observation précédente est également valable pour les autres prévenus. Ceux de Cuers, par exemple, sont accusés de “ rébellion à main armée et au nombre de plus de vingt personnes, de pillage, d’incendie, et d’assassinat. Crimes prévus et punis par les articles 210, 440 et 302 du Code pénal ”[11]. De plus, leur procès semble entaché de plusieurs irrégularités qui feront l’objet d’un pourvoi en cassation. Parmi ces vices de forme, la composition de la cour et du jury est dénoncée par les avocats de deux accusés.
La présidence est confiée au Conseiller Euzières ; or, celui-ci “ avait procédé à l’instruction de l’affaire en qualité de magistrat délégué par la Cour d’appel d’Aix “ pour surveiller et diriger l’instruction relative aux troubles de décembre 1851 ”[12]. Enfin, un membre du jury, M. Raybaud, “ avait siégé [en tant que membre du Conseil de Préfecture du Var] au tribunal administratif chargé de fixer l’indemnisation des victimes du 5 décembre ”[13]. Malgré l’action des défenseurs des accusés, le pourvoi en cassation est rejeté, le 23 décembre 1852.
Dans l’ensemble, les peines prononcées par la Cour d’assises du Var s’avèrent particulièrement sévères[14] :
– acquittement……………………………………………………………………………5
– deux ans de prison[15]……………………………………………………………………3
– quatre ans de prison…………………………………………………………………….1
– cinq ans de prison[16]…………………………………………………………………….4
– huit ans de prison……………………………………………………………………….2
– dix ans de prison[17]……………………………………………………………………..2
– quinze ans de travaux forcés[18]…………………………………………………………1
– vingt ans de travaux forcés[19]……………………………………………………………1
– déportation perpétuelle[20]……………………………………………………………….3
– mort[21]…………………………………………………………………………………..3
Au regard des jugements rendus par la Cour d’Assises il apparaît que le recours aux juridictions ordinaires n’est pas synonyme d’un assouplissement des mesures répressives. De plus, derrière d’incontestables apparences de légalité, la procédure indique que des pressions ont pu être exercées sur le cours de la justice. On peut, en effet, douter de l’indépendance réelle des juges et des jurés vis-à-vis du pouvoir exécutif.
A partir du printemps 1852 le nouveau pouvoir entreprend de mener à terme la politique de répression engagée dès le mois de décembre. Toutefois, celle-ci s’infléchit vers un souci apparent de légalisme, nécessaire pour ôter au régime sa réputation d’arbitraire. La justice est, en quelque sorte, instrumentalisée pour conforter l’opinion dans le sentiment de retour à l’ordre, après une courte période d’illégalité présentée comme indispensable pour déjouer le complot des forces de l’anarchie et de la démagogie. De même, l’instauration légitime d’un nouvel ordre constitutionnel, fondé sur la volonté constituante du peuple, va être l’occasion d’exercer le droit de grâce dévolu au prince-président, puis à l’empereur, tout en légalisant définitivement les mesures prises à la suite du coup d’Etat.
Section 2. De la légalisation des mesures répressives à l’exercice du droit de grâce.
Le souvenir du coup d’Etat du 2 décembre 1851 ne cessa de peser sur le Second Empire. Comme le notait François Furet, “ les milliers de pauvres bougres déportés sans être entendus, sur simple avis administratif, donnent à cette dictature drapée dans l’élection populaire son autre visage : celui de la peur sociale ”[22]. Napoléon III lui-même parait avoir tenté, à plusieurs reprises, d’estomper cette douloureuse trace. L’investiture populaire dont il bénéficie à partir de décembre 1851 et novembre 1852[23] ne semble y suffire. Le gouvernement est conscient que les mesures prises à la suite du coup d’Etat ne doivent pas rester illégales ; il faut donc légaliser a posteriori les décisions des Commissions mixtes. Le caractère césariste du régime pousse les autorités à atténuer la rigueur de la répression, en octroyant des grâces et des commutations de peines : nous verrons comment cette politique d’apaisement est menée dans le Var.
§ 1. La légalisation a posteriori des Commissions mixtes.
La volonté du gouvernement de Louis-Napoléon Bonaparte de légaliser a posteriori les décisions des Commissions mixtes s’affirme dès la fin de l’hiver 1852. Le décret du 5-30 mars précédemment cité[24] vise, notamment, la circulaire du 3 février et l’ “ état des affaires sur lesquelles il a été définitivement statué par les commissions départementales ”[25]. Il précise, dans les considérants, “ que les décisions rendues par ces commissions en vertu de la circulaire susénoncée ont besoin d’être revêtus d’une sanction pénale ”[26]. En fait, comme l’a noté l’avocat général Vercier, ce texte procède à une homologation “ en bloc des décisions rendues ”[27].
Le décret lui-même va bénéficier d’une sanction légale. En effet, l’article 58 de la Constitution du 14 janvier 1852 dispose :
“ La présente Constitution sera en vigueur à dater du jour où les grands Corps de l’Etat qu’elle organise seront constitués. – Les décrets rendus par le président de la République, à partir du 2 décembre jusqu’à cette époque, auront force de loi ”[28].
Désormais, l’existence des Commissions mixtes et l’ensemble de leurs décisions deviennent légales. La violation du droit, manifeste au moment du coup d’Etat et pendant tout le processus de répression, est dissimulée derrière un artifice juridique. Les condamnations politiques de l’hiver 1851-1852 constituent tout au plus des mesures d’exception qui ne dérogent plus à la légalité, telle qu’elle est définie dans la nouvelle constitution.
La promulgation de la nouvelle constitution permet donc de conférer à la répression une existence juridique. La confirmation de la légitimité du chef de l’Etat l’autorise à “ entrer dans le droit ”[29]. En revanche, elle ne lui assure pas l’adhésion de ceux qui, précisément, se sont opposés au coup d’Etat. Dans le Var, l’enjeu est de taille : la condamnation de plus de 2 000 individus touche l’ensemble de leurs proches, mais aussi les différentes communautés d’habitants, souvent privées de bras. Dans un tel contexte, on comprend aisément que le chef de l’exécutif ait décidé d’user de sa prérogative pour atténuer les effets de la répression.
§ 2. Grâces et commutations de peines.
D’après la Constitution de 1852 (art. 9), le président de la République “ a le droit de faire grâce ”[30]. S’appuyant sur cette prérogative, Louis-Napoléon Bonaparte décide, dès le printemps 1852, de mettre en place des commissions chargées de réviser les avis prononcés par les commissions mixtes. Même si le calcul politique est évident, nous n’avons pu trouver de mention explicite de protestations massives ayant pu motiver la décision du chef de l’Etat[31].
Le 26 mars 1852, le prince-président rend un décret nommant le conseiller d’Etat Quentin-Beauchard commissaire extraordinaire chargé de présider la commission de révision pour le midi de la France. Le 4 avril 1852, celui-ci adresse une lettre au préfet du Var pour connaître le nombre de prisonniers politiques originaires du département[32]. La procédure de révision commence dans le Var. Malheureusement, il n’est pas possible, à partir du seul fonds des Archives départementales, de chiffrer avec exactitude le nombre de dossiers examinés, ni celui des bénéficiaires de commutations de peines. En revanche, il semble que cette première vague d’indulgence porte essentiellement sur les prévenus condamnés à des peines de transportation ; celles-ci, dans la plupart des dossiers favorables, sont commuées en internement.
Un recensement exhaustif est d’autant plus difficile à opérer que les décisions de la commission Quentin-Beauchard ne sont qu’une étape. En effet, le maintien dans la constitution impériale du droit de grâce, par le sénatus-consulte du 25 décembre 1852[33], permet de poursuivre l’action du conseiller d’Etat par l’intermédiaire – et sur proposition – du préfet. Plusieurs vagues de grâces ont lieu, lors d’événements symboliques, comme la proclamation de l’Empire ou le jour de la fête nationale, le 15 août. Ainsi, le 16 juillet 1856, à l’occasion de la naissance du prince impérial, l’autorisation de rentrer en France est accordée à tous ceux qui acceptent de reconnaître le gouvernement et de lui faire leur soumission. Enfin, en août 1869, a lieu l’amnistie finale.
Il convient de préciser que toutes ces mesures ne touchent pas uniquement les décisions prononcées par les Commissions mixtes : elles s’adressent aussi aux individus prévenus d’insurrection condamnés devant les juridictions ordinaires. Dans le cas des insurgés de Cuers condamnés à mort aux Assises du Var dans l’affaire du meurtre du brigadier Lambert, on observe également une forme de clémence – toute relative – de la part des autorités. Marius Mourre et Basile Jacon sont sauvés par la mobilisation des habitants de Cuers et de leur famille. Finalement, leur peine est commuée le 21 janvier 1853 en détention perpétuelle à Cayenne[34].
Pour gagner à leur cause des populations varoises qui s’était montrées hostiles à leur menées antirépublicaines, les autorités impériales ont donc conduit une habile politique, sur un double front : d’une part, au niveau national, elles ont procédé à la légalisation de l’arsenal répressif. D’autre part, elles ont tenté d’assouplir les mesures prononcées à l’encontre des insurgés. Cependant, cette mansuétude affichée ne saurait être confondue avec un relâchement, voire une libéralisation du régime vis-à-vis des opposants politiques ; il faudra, pour cela, attendre les années 1860. Les républicains varois continuent à faire, par exemple, l’objet d’une étroite surveillance policière. De plus, malgré la relative rapidité des mesures de clémence, de nombreux insurgés ont trouvé la mort en transportation ou en détention, dans les prisons françaises, les geôles d’Algérie et de Cayenne[35].
L’étude de l’évolution de la politique répressive, à partir du printemps 1852, révèle un changement d’attitude des autorités. L’heure n’est plus à la répression aveugle et arbitraire, même si cette dernière se voit légalisée. Le gouvernement cherche à la fois à rassurer les partisans de l’ordre, en montrant que le retour au droit commun n’est pas synonyme de relâchement vis-à-vis des républicains, et à se concilier les masses – principalement paysannes[36] – pour forger durablement sa légitimité. Ce dernier impératif l’amène à modifier la portée de la répression, en reconsidérant les peines infligées. Toutefois, la remise totale ou partielle de peines n’est en aucun cas un réexamen du fond des dossiers des condamnés. Le principe de la justice politique est intact : remettre en cause la justification des mesures répressives équivaudrait à s’interroger sur la légitimité du coup d’Etat. A l’inverse, les mesures de grâce octroyées par le prince-président, puis l’empereur, reflètent l’autoritarisme qui caractérise le fonctionnement du régime.
CONCLUSION
La répression menée par les complices du coup d’Etat du 2 décembre 1851 dans le Var est caractéristique des ambiguïtés du bonapartisme, en tant qu’idéologie, mais aussi en tant que modèle institutionnel. Conscient d’avoir violé la loi qu’il s’était engagé à conserver, Louis-Napoléon Bonaparte légitime cette mainmise illégale sur la jeune République par une politique à la fois plébiscitaire et autoritaire. Le mouvement républicain, encore peu enraciné dans les masses, est privé de son avant-garde par l’action de l’armée et de l’administration. Le nouveau régime entend désormais occulter le souvenir de l’arbitraire pour s’installer dans la durée.
Pourtant, si l’on tente de mesurer la portée de cette politique, le bilan apparaît nettement plus contrasté. Certes, le Var reste, pendant toute la durée de l’Empire, soumis au pouvoir impérial. La situation bascule toutefois avec la défaite de Sedan : les braises n’ont pas été éteintes, et le républicanisme reprend un élan notable dans le département où il constitue bientôt la première force politique. Les radicaux des années 1870-1880 comptent dans leurs rangs bien des rescapés de 1851 qui contribuent à entretenir la mémoire mobilisatrice d’un épisode longtemps douloureux.
Enfin, à bien des égards, les républicains ont mûri la leçon de 1851-1852. L’hommage rendu par la loi de réparation nationale du 30 juillet 1881 aux victimes du coup d’Etat n’est pas anodin. Il révèle une volonté “ de rappeler ces événements ou du moins d’en dresser une représentation dans les consciences qui lui permette de s’élargir aux dimensions du pays ”[37]. “Les pièges du suffrage universel ”[38] ont bouleversé l’univers mental républicain. Le projet scolaire, le respect de la constitution, la méfiance – durable – envers un pouvoir exécutif fort capable d’appeler au peuple par referendum, autant de lignes de force qui trouvent leur racine dans les lendemains du 2 décembre.
[1] F. Saint-Bonnet, “ Technique juridique du coup d’Etat ”, op. cit., p. 154. [2] Le préambule de la constitution du 14 janvier 1852 précise, en effet, que ce texte est élaboré “ en vertu des pouvoirs délégués par le peuple français à Louis Napoléon Bonaparte par le vote des 20 et 21 décembre 1851 ” (cité in J. Godechot, op. cit., p. 292). [3] A. D. V., 4 M24 1, circulaire du ministère de la Police générale du 29 mars 1852. [4] Sous la cote 4 M24 1. [5] Cf. M. Agulhon, “ Retour à la violence. La “ jacquerie ” de Cuers ”, La République au village, op. cit., pp. 418 à 435. [6] J.-B. Duvergier, op. cit., t. 52, p. 245. Nous reviendrons sur la portée de ce décret au cours de la dernière section. [7] A. D. V., 2U 425. Cour d’Assises du Var : dossiers de procédure. Réquisitoire d’information du 6 juin 1852 contre Camille Dutheil, Pierre Arambide et Marie Campdoras. [8] Nous ne disposons, malheureusement, que du Code d’instruction criminelle dans son état de 1909. Les articles 134 et 134 ayant été modifiés par la loi du 17 juillet 1856, nous ne pouvons déterminer avec précision leur formulation antérieure. Cependant, il semble que la modification de 1856 n’affecte pas le principe de la transmission des pièces de l’instruction au procureur général, “ si le juge d’instruction estime que le fait est de nature à être puni de peines afflictives ou infamantes, et que la prévention contre l’inculpé est suffisamment établie (art. 133). [9] Cf. Code d’instruction criminelle, art. 231. [10] A. D. V., 2U 425.
[11] A. D. V., 2U 428, ordonnance du 5 août 1852 du procureur de la République près le tribunal de 1ère instance de Toulon. [12] Ch. Galfré, op. cit., p. 174.
[13] Ibid.
[14] A. D. V., 4 M24 1. Etat nominatif des condamnés à la première catégorie par la Commission mixte du Var. [15] Il s’agit de Magloire David et Henri Truchmann, insurgés de Vidauban impliqués dans l’agression du gendarme Neveu sur la route du Luc, et de Henri Martin (contumace). [16] Paul Mourre, Jean-Baptiste Mourre Père, Louis Teisseire et Louis Rampin, habitants de Cuers, impliqués dans l’assassinat du Brigadier Lambert. [17] Jean-Baptiste Bertrand et Louis Sauvan, pour la même affaire. [18] Marius Bourges, id.
[19] Joseph Laugier, id.
[20] Peine prononcée par contumace pour les chefs de l’insurrection : Dutheil, Arambide et Campdoras. [21] Joseph Gayol (contumace), reconnu coupable de l’agression du gendarme Neveu, Marius Mourre et Baptiste Jacquon, reconnus coupables d’assassinat sur la personne du brigadier Lambert. [22] F. Furet, La Révolution, II, 1814-1880, Hachette Pluriel, Paris, 1988, p. 319. [23] Il s’agit du plébiscite du 21 novembre 1852, par lequel la “ dignité impériale ” est rétablie. Le nombre de oui (7 824 189) dépasse celui de la précédente consultation. La République est définitivement enterrée, au profit de l’Empire. [24] Cf. supra, p. 17. [25] J.-B. Duvergier, op. cit., t. 52, p. 245. [26] Ibid. [27] Vercier, op. cit., p. 14.
[28] Cité in J. Godechot, op. cit., p. 297.
[29] L.-N. Bonaparte. Voir introduction, p. 1, n. 1. [30] J. Godechot, op. cit., p. 293.
[31] La seule allusion provient de Vercier, qui se contente de mentionner qu’ “ à la suite d’interventions de personnes sages et modérées ”, le prince-président décida d’infléchir sa politique répressive (op. cit., p. 14). [32] A. D. V., 4 M29. [33] Cf. art. 1 : “ L’Empereur a le droit de faire grâce et d’accorder des amnisties ”, ibid., p. 303. [34] Ch. Galfré (op. cit., pp. 175-176) indique que Mourre trouva la mort au bagne de Cayenne, le 27 octobre 1858. Quant à Basile Jacon, il est décédé le 9 octobre 1854 à Brest en attente de son départ (A. D. V., 4 M 35/2). [35] F. Négrel en dénombre plus de cinquante (“ Morts pour la République ”, Bulletin de l’Association 1851, n° 24, juillet 2003). [36] Comme le note K. Marx, “ les Bonaparte sont la dynastie des paysans, c’est-à-dire de la masse du peuple français. L’élu des paysans, ce n’était pas le Bonaparte qui se soumettait au Parlement bourgeois, mais le Bonaparte qui dispersera ce Parlement ”, cité in M. Winock, La France politique, XIXe-XXe siècle, Seuil Points Histoire, Paris, 1999, p. 62. [37] D. Devos, La Troisième République et la mémoire du coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte. La loi de réparation nationale du 30 juillet 1881, Archives nationales, Paris, 1992, p. IX. [38] Cl. Nicolet, L’idée républicaine en France, 1789-1924, Gallimard, Paris, 1992, pp. 137 à 146. |