LA RÉSISTANCE AU COUP D’ETAT A VIDAUBAN

LA RÉSISTANCE AU COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851 À VIDAUBAN

 

par Jean-Bastien Urfels

Mémoire pour l’obtention de la maîtrise,

sous la direction de Jean-Marie Guillon

Année 2000-2001

 

CONCLUSION

La résistance au coup d’État de 2 décembre 1851 à Vidauban est la partie émergée d’un processus latent de politisation engagé plus d’un quart de siècle auparavant. L’acquisition précoce des principes démocratiques a été permise, comme pour la localité voisine du Luc, par la convergence de facteurs naturels et humains, tels que la situation géographique privilégiée de la commune, et surtout la présence d’une élite libérale active. Par ce dernier biais, les idées avancées sont donc descendues “ vers les masses ”, dans un contexte favorable de dynamisme démographique et d’élan sensible vers la modernité.

En effet, les premières transformations du cadre rural traditionnel, notamment l’essor de l’exploitation du liège, mais aussi le dynamisme naissant des activités urbaines, permettent l’adhésion progressive de la population au mouvement républicain. Cette frange plutôt artisanale et commerçante va constituer l’avant-garde des démocrates et faire le lien avec la majorité paysanne. Accélérée par la chute du régime de Juillet, la diffusion du républicanisme est favorisée par l’adaptation de la sociabilité villageoise à la lutte politique. Ainsi, en réaction à l’évolution autoritaire de la Seconde République, et au conservatisme d’autorités municipales maintenues artificiellement par le pouvoir, Vidauban s’est associé au réseau de résistance mis en place par la Jeune Montagne.

Cette organisation permet une opposition massive et active de la population au coup d’État. Elle est également à l’origine du légalisme qui caractérise tant la phase municipale que départementale de l’insurrection, malgré les tensions internes au mouvement. L’événement et ses implications directes, dont la répression antirépublicaine, sont révélateurs de la durabilité de l’imprégnation montagnarde à Vidauban. Soumise à des pressions considérables sous l’Empire comme pendant l’Ordre moral, cette stabilité idéologique a servi de base à la reconquête de la commune par les proscrits devenus radicaux.

Si les suites politiques de la résistance au coup d’État ont pu être discernées, qu’en est-il de sa place dans les mentalités ? L’importance effective d’un épisode historique se mesure également à l’aune de sa mémoire. Celle des insurgés vidaubannais et de la défense de la République a été tout d’abord honorée par les acteurs eux-mêmes. Non seulement, comme nous l’avons précédemment indiqué, à l’occasion de la réhabilitation d’Henry Truchmann et Magloire David en mars 1879, ou encore de l’inauguration de la pyramide d’Aups, mais aussi par l’édification d’un “ monument républicain ” à Vidauban en 1889[1]. Cette volonté de “ s’inscrire dans la lignée si riche des défenseurs locaux de la démocratie, unissant dans un légendaire glorieux 89 à 92, 92 à 1848 et 1851, les “ démoc’soc’ de la 2ème République à 1870 ”[2], est aussi perceptible dans les changements de noms de lieux et voies publics.

Sur 14 rues et places de la commune liées à l’histoire de la République[3], trois furent consacrées à la célébration de l’insurrection. En effet, le 20 avril 1905, le conseil municipal décide de rendre hommage aux insurgés : la place Saint-Roch devient place Ambroise Motus, la rue Notre-Dame est nommée rue Martin Bidouré, et la rue Grande est dédiée à Célestin Gayol. Le souvenir du jeune vidaubannais est évoqué, en outre, dans La Fortune des Rougon d’Émile Zola. Publié en 1871, le premier volume des Rougon-Macquart s’inspire, pour la fin tragique de Sylvère, de la description de l’exécution de Gayol et ses compagnons, rapportée et dénoncée par Eugène Ténot[4].

Célébrée par plusieurs générations d’historiens et, pendant plus d’un siècle, par les hommes politiques républicains, notamment contre le 13 mai 1958, il semble d’après nos recherches que la mémoire populaire de 1851 ait été rapidement occultée par les deux guerres mondiales. Le souvenir collectif s’est peu à peu estompé, mais l’approche du 150ème anniversaire de la Seconde République a fait renaître une volonté de célébration. Elle est à l’origine de la création, en 1997, de l’Association 1851-2001 pour le 150ème anniversaire de la résistance au coup d’État du 2 décembre 1851, mais aussi de la mise en place par le Conseil Général du Var de deux instances chargées de préparer la commémoration en 2001[5].

Enfin, montrant que la “ mise en place collective du sens général de l’événement est inséparable d’une démarche où chacun le revit à son compte ”[6], les recherches généalogiques de M. Gayol, descendant de Célestin et Joseph Gayol, l’ont directement conduit à se plonger dans l’histoire de l’insurrection à Vidauban[7], et à faire revivre l’engagement de ses ancêtres. Ainsi, 150 ans après, le souvenir est entretenu pour rappeler le sens de cet épisode porteur de valeurs démocratiques et fondateur d’une tradition républicaine.



[1] Selon la classification de M. Agulhon, “ Les monuments du centenaire de la Révolution française dans le Var ”, in Var, Terre des Républiques, op. cit., pp. 199-203. Il s’agit d’une statue en fonte de série également inaugurée pour célébrer l’arrivée de l’eau d’Entraigues dans la commune.

[2] Jean-Marie Guillon, “ 150 ans après, la commémoration de la Révolution : 1939 ou 1944 ? ”, in Var, op. cit., p. 235.

[3] On peut citer les rues Blanqui, Garibaldi, Robespierre, et la place de la Montagne.

[4] Émile Zola, La Fortune des Rougon, Fasquelle, Classiques de poche, 1985, pp. 338 à 347.

[5] Un comité scientifique et un comité de coordination ont été prévus à cet effet. 

[6] René Merle, “ Un héritage qu’il convient de faire vivre ”, Bulletin de l’association 1851-2001, n°2, juillet 1998.

[7] G. Gayol, op. cit.