HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

HISTOIRE DES CRIMES DU 2 DÉCEMBRE

 Victor Schoelcher

Bruxelles, chez les principaux libraires, édition considérablement augmentée, 1852

tome I

Chapitre IV: La Résistance à Paris

§ II.

Mais c’est surtout dans les atrocités commises de propos délibéré sur les boulevards des Italiens, Montmartre et Poissonnière, le 4, à deux heures, que l’on reconnaît la volonté bien arrêtée de vaincre à tout prix, de terroriser la bourgeoisie, « d’épouvanter la population, de fondre sur elle, de la broyer. » On ne fait pas monter à moins de 50,000 hommes le nombre des troupes, artillerie, infanterie et cavalerie, qui couvrirent toute la longueur des boulevards, depuis la Madeleine jusqu’à la porte Saint-Denis. Pourquoi cet amas de soldats concentré sur un point de la ville où il n’y avait, où il n’y eut jamais de barricades, si ce n’était pour exécuter un plan dont la férocité ne trouve rien d’égal dans l’histoire des plus grands scélérats couronnés ?

Voici de quelle manière la Patrie du 6 relate le commencement des massacres :

« Un malheureux incident a signalé la journée d’hier sur le boulevard des Italiens. Voici les faits détaillés :

Au passage du 1er de lanciers, de la brigade Reybell, et de la gendarmerie mobile, plusieurs coups de feu sont partis de différentes maisons et plusieurs lanciers ont été blessés. Ce régiment a riposté et des dégats regrettables, mais naturels et nécessaires, en sont résultés.

Les individus qui se trouvaient dans ces maisons ont été plus ou moins atteints par les coups de feu de la troupe. Les soldats, sur l’ordre de leurs chefs, ont ensuite dû pénétrer, de vive force, dans plusieurs maisons, et notamment au café de Paris, dans la Maison d’Or, au café Tortoni, à l’hôtel de Castille, dans la maison de la Petite-Jeannette et au café du Grand-Balcon. Ils ont saisi des fusils dont la culasse était encore chaude. Les individus trouvés dans ces établissements ont été arrêtés. Deux ouvriers tailleurs, soupçonnés d’avoir tiré de la maison du tailleur Dusautoy, rue Lepelletier, 2, ont été également arrêtés, et ils auraient été FUSILLÉS sans l’intervention du général Lafontaine.

Le Cercle du Commerce, qui occupe le grand balcon du premier étage de cette même maison, et qui se compose de notabilités de l’armée, de l’industrie et de l’administration, propriétaires, rentiers, négociants, généraux, tos hommes honorables, a failli être victime de son voisinage avec le tailleur. Les balles des lanciers ont malheureusement atteint deux membres distingués de ce cercle, le général Billiard et M. Duvergier. Le premier a été blessé à l’oeil droit par un éclat, et le second plus grièvement à la cuisse gauche. »

 

Doux et bénins personnages qui menacent toujours la société des échafauds du socialisme ! Avec quelle tranquillité ils vous disent qu’on allait fusiller deux ouvriers soupçonnés ! Comme on reconnaît bien des modérés bonapartistes à ces traits d’insensibilité que l’on voit percer jusque dans le récit de ce qu’ils consentent à appeler « un malheureux incident » !

A-t-on tiré de quelques maisons des boulevards sur la troupe ? cela parait certain. — Tous les mauvais gouvernements ont eu des agents provocateurs ; tous ont employé la police à pousser aux excès. Nous en sommes convaincu, rien n’est plus facile à admettre. Cependant nous n’avons pas coutume de voir l’action de la police partout. Mais ici il nous semble difficile de ne pas reconnaître sa main. Des masses de soldats occupaient militairement les boulevards ; quel républicain eût été assez fou pour venir tirer sur elles de l’intérieur d’habitations non défendues ? A quoi bon ? Dans quel but ? Des coups de feu isolés ne pouvaient rien produire là d’utile, absolument rien pour le salut de la république ; ils ne pouvaient évidemment que servir les projets bonapartistes en irritant la troupe, en fournissant aux chefs de corps complices un nouveau moyen de l’exciter. Il faut donc attribuer ces coups de feu à ceux qui en avaient besoin pour pousser l’armée aux massacres. Les fusils d’où ils sont partis doivent avoir été chargés à l’Elysée. La maison du Cercle du Commerce, une des plus maltraitées, comme celle qui aurait été la plus coupable, est habitée, au rez-de-chaussée, par M. Dusautoy, tailleur de l’ex-président, reconnu pour bonapartiste, ce qui permet de le considérer comme un double ami de l’ordre ; au premier, par le Cercle du Commerce, composé de notabilités, selon la propre expression de la Patrie. Le moyen de croire qu’un républicain ait pu se glisser là, et entrer dans un appartement pour y attaquer à lui tout seul deux régiments de cavalerie ?

En tous cas, cette attaque ne pourrait avoir été qu’isolée, individuelle, sans caractère grave. Elle devint cependant le signal d’une boucherie dont le souvenir effacera celui des massacres de la rue Transnonain en 1834. Sur l’ordre de leurs chefs, les soldats envoyèrent des volées de balles à droite et à gauche, indistinctement du premier au dernier étage, pour se venger, leur avait-on insinué « de la guerre des fenêtres en février et en juin. » Ils visaient toute personne, homme ou femme, qui apparaissait même derrière les vitres. Au moment où partirent les premiers coups, deux jeunes filles, irlandaises, qui habitaient un appartement au-dessus du Café de Paris, s’approchèrent de leur fenêtre par un sentiment bien naturel d’inquiétude et de curiosité. Les vitres grandes et claires rendaient ces demoiselles parfaitement visibles du dehors, aucune méprise n’était possible ; cependant les troupes les mirent en joue, et elles avaient eu à peine le temps de fuir que quinze balles vinrent fracasser leur fenêtre et quelques meubles de leur chambre ! Un grand nombre de personnes, des enfants même furent tués ou blessés ainsi dans leurs appartements. Sur une liste que donne M. P. Mayer, des citoyens bonapartistes tués par les décembriseurs (pages 298 à 304), on en trouve avec cette note « tué chez lui » :

MM. Adde. — Boulevard Poissonnière,

De Courcevelle. — Rue Saint-Denis,

Labitte. — Boulevard Saint-Martin.

 

Voilà donc officiellement avoué le meurtre de trois personnes qui assurément ne faisaient pas d’émeute. Il y en a eu beaucoup d’autres. Nous citerons nominativement M. Jollivart, peintre de paysage assez renommé, atteint d’une balle pendant qu’il travaillait ; il succomba devant son chevalet, le pinceau à la main. On verra tout à l’heure que Louis, domestique de M. Brandus, a été tué dans l’intérieur de la maison. Enfin, boulevard Poissonnière, n° 20, M. Pecquet, ancien médecin, millionnaire, âgé de 75 ans, se trouvait dans son salon, au premier, les rideaux et les fenêtres fermés ; il fut là frappé d’une balle au flanc droit. Des morceaux de drap et de rideaux ont été extraits de la plaie, mais non la balle. M. Pecquet, dont on a longtemps désespéré, n’a heureusement pas succombé, malgré son grand âge et la gravité de sa blessure. On n’avait pas tiré de cette maison, mais on voulait y abriter un soldat blessé et l’on frappait à coups de crosse dans la porte cochère. Le portier avait hésité à ouvrir ; lorsqu’il s’y décida, un officier lui dit : Vous avez bien fait ; car, une minute de plus, tous ceux qui étaient dans la maison auraient passé un vilain quart d’heure. Cela a été répété par toute la famille de M. Pecquet.

On ne tirait pas seulement aux fenêtres, pas seulement sur tout ce qui avait l’apparence d’un groupe, pas seulement sur les passants et les promeneurs on tirait même dans les boutiques. Un pharmacien de la rue Lepelletier, n° 9, M. Boyer, était assis devant son comptoir au moment où les lanciers se précipitèrent à l’entrée de la rue, déchargeant leurs carabines à droite et à gauche ! Il fut frappé de plusieurs balles et expira près de son comptoir ![1] Le garçon d’un marchand drapier, à côté de la maison Sallandrouze, boulevard Poissonnière, a été tué de même au moment où il fermait sa boutique.

Ce n’est pas tout. Les fantassins, toujours conduits par leurs chefs, pénétrèrent dans les maisons, et y commirent les excès que l’on peut attendre de soldats ivres-fous de vin et de colère. Le capitaine Larochefoucault, à la tête d’une compagnie d’infanterie, se distingua particulièrement à l’assaut de la maison du Cercle du Commerce. M. Dusautoy, le tailleur bonapartiste, n’échappa à la mort que par la fuite ; deux de ses ouvriers furent mis en réserve pour être fusillés, et, lorsqu’on entra dans le salon du Cercle, le capitaine annonça aux membres réunis « qu’on allait les fusiller tous. » Fusil1er ! fusiller ! les défenseurs de l’ordre n’avaient que ce mot à la bouche. Le général Lafontaine, membre du Cercle, essaye de faire des remontrances à M. Larochefoucault, lui affirmant qu’aucun des assistants n’avait tiré ; mais l’officier était plus furieux que ses soldats, et moins qu’eux encore en état de comprendre. « Eh bien, s’écria le général, espérant trouver ailleurs à qui parler, vous nous fusillerez, descendons. » Arrivé sur le boulevard, il appela à haute voix le colonel qui se trouvait là, se nomma, et lui dit : « Voilà un capitaine qui veut absolument faire fusiller, moi et trente personnes parfaitement tranquilles ; veuillez le mettre aux arrêts et nous délivrer. » Heureusement le général Lafontaine était bien connu ; il fut écouté, et sauva ainsi ses collègues du Cercle avec les deux ouvriers qui allaient être assassinés s’il avait eu moins de sang-froid et surtout d’autorité. Le nombre des maisons où l’on fit irruption, avec les dernières violences, comme dans celle du Cercle du Commerce, est considérable. Un Anglais raconte en ces termes (Times du 6 décembre) l’envahissement d’un grand hôtel où il se trouvait : « J’étais, en compagnie de sept ou huit autres personnes, sur le balcon du magasin de musique de M. Brandus, qui occupe le premier étage au-dessus du Café Cardinal, au coin du boulevard des Italiens et de la rue Richelieu ; nous regardions les évolutions des troupes, dont le nombre immense, la variété et les mouvements surprenaient tout le monde dans un quartier où l’on prévoit d’ordinaire très peu de danger en temps de révolution. Deux décharges faites sur des maisons voisines, sans que nous ayons pu en deviner la cause, nous donnèrent la conscience du danger que nous courions, et nous nous hâtâmes de nous retirer dans le magasin. Mais le feu ne tarda pas à être dirigé précisément contre notre maison, et le bruit des fenêtres volant en éclats nous engagea bien vite à monter à l’étage supérieur, où nous nous imaginions être hors d’un péril immédiat. Il n’en était rien cependant. Les balles pénétraient jusque dans la chambre à coucher de M. Brandus. La consternation devint aussi générale que la cause de l’agression était incompréhensible. Mais, bientôt, tandis que chacun se mettait le mieux qu’il pouvait hors de la portée des balles, les cris des servantes dans la partie inférieure de la maison nous annoncèrent un nouvel événement, et le bruit de plusieurs centaines de voix criant du dehors : « Ouvrez ! ouvrez ! » nous indiqua que la force armée voulait entrer. Personne n’osant descendre pour leur ouvrir, la porte fut bientôt enfoncée, et un grand nombre de soldats se précipitèrent dans les escaliers, démolissant, brisant tous les obstacles qui se présentaient. Ils fouillèrent successivement toutes les chambres, jusqu’à ce qu’ils arrivassent enfin au quatrième étage où M. Brandus et ses amis s’étaient réfugiés pour leur sûreté. Là, on nous déclara qu’un coup de fusil avait été tiré de la maison, et que les assaillants venaient pour visiter chaque appartement et interroger toutes les personnes présentes. La recherche se trouva n’avoir aucun résultat ; mais, les soldats persistant à dire qu’un coup de feu était parti de la maison, tout le monde fut arrêté et conduit devant le général, qui était sur le boulevard. Heureusement, une des personnes présentes se trouva être M. Sax, le célèbre inventeur des instruments qui portent son nom. M. Sax étant connu du général, sa protestation fut acceptée, et toute la compagnie eut la permission de s’échapper dans le passage de l’Opéra, mais non de rentrer dans la maison.

Il parait qu’ensuite le prétendu coup de feu fut attribué à la maison voisine de celle de M. Brandus, et plus tard au Café Anglais, qui fut à son tour presque démoli.

Je laisse aux hommes que cela regarde le soin de décider si, sous un prétexte aussi futile, la maison d’un citoyen paisible peut être détruite, la vie de ceux qui l’occupent mise en péril. Une perquisition pour rechercher des armes aurait certainement pu se faire sans briser à coups de fusils les fenêtres de l’hôtel. Combien les explorateurs durent se trouver méprisables lorsque, après tant de fracas, ils n’eurent découvert dans la maison qu’un fusil rouillé, lequel avait servi à M. Brandus en 1848, quand il avait aidé, comme un des officiers les plus zélés et les plus actifs de la garde nationale, à maintenir la paix publique dans la capitale ! »

Un autre correspondant du Times ajoute (n° du 13 décembre) : « Dans la maison au coin de la rue Richelieu, dont l’attaque a été minutieusement décrite par un de vos correspondants, Louis, un vieux et fidèle domestique de M. Brandus, a été tué au moment même où ce monsieur et ses amis se précipitèrent dans les escaliers pour se réfugier dans une chambre voisine. Toutes les fenêtres de la pièce où le domestique a été tué étaient brisées, les balles y avaient pénétré dans toutes les directions, ce que l’on peut parfaitement constater par les traces que portent les murailles.

La soldatesque est aussi entrée dans l’hôtel de Castille.

Il parait extrêmement douteux qu’on ait réellement fait feu sur les troupes d’aucune maison du boulevard des Italiens, bien que plusieurs personnes affirment qu’il est possible qu’on ait tiré du Cercle Grammont. Mais il est incontestable que les représailles de la troupe ont été exercées sans distinction, et pour cette raison elles sont doublement injustifiables.

Le général devant qui M. Brandus et sa société ont été conduits était le général Reybell, lequel dit à l’un de ces messieurs : « Moi aussi je fais un peu de musique en ce moment. » ; plaisanterie très-convenable, en vérité, en un pareil jour ! »

Il est bien évident que l’intention des meneurs, de ceux qui avaient le mot d’ordre, était de provoquer des collisions entre l’armée et la population, afin d’avoir occasion « de broyer et d’épouvanter. » C’est le système qu’à Vienne et sur les bateaux à vapeur du Danube nous avons entendu préconiser par des officiera autrichiens comme le meilleur moyen de détruire « la race révolutionnaire. » Dans l’aveuglement de leur rage, les héros de l’ordre tiraient aux maisons indistinctement, sans s’inquiéter qu’elles appartinssent ou non à leurs propres partisans. La maison de M. Billecocq, marchand de châles, boulevard Poissonnière, a été si maltraitée par le canon que, le 5, on dut y mettre de grands étais pour l’empêcher de s’écrouler. M. Billecocq a protesté, dans une lettre adressée au Journal des Débats, qu’aucun coup de feu n’était parti de ses fenêtres, et l’on peut l’en croire, car c’est un bon citoyen ; il ne se plaint nullement des dégâts causés à sa propriété.

Pour ce qui s’est passé boulevard Poissonnière, un capitaine de l’armée anglaise l’a en partie raconté dans le Times du 13 décembre. Comme nous recherchons avant tout les déclarations des témoins oculaires, nous citons volontiers la lettre de M. le capitaine William Jesse. Il habitait boulevard Montmartre, au coin de la rue Montmartre, un hôtel d’où la vue s’étend depuis la rue Richelieu jusqu’à l’extrémité du boulevard Bonne-Nouvelle. Il a vu beaucoup.

« A deux heures et demie, le 4 décembre, on entendait distinctement le canon dans la direction du faubourg Saint-Denis ; à trois heures, je me plaçai sur le balcon de mon appartement, avec ma femme, pour voir les troupes. Les boulevards, aussi loin que l’oeil pouvait atteindre, en étaient couverts, artillerie, infanterie et cavalerie. Les officiers fumaient leurs cigares. Les fenêtres étaient garnies de spectateurs : femmes, enfants, servantes, locataires des appartements, et aussi des commerçants, qui tous avaient fermé leurs boutiques. Tout à coup, et tandis que je regardais attentivement avec ma longue-vue les troupes les plus éloignées vers l’extrémité du boulevard Bonne-Nouvelle, quelques coups de fusil furent tirés à la tête de la colonne, qui se composait d’environ 3,000 hommes. En peu de moments le feu se propagea, et, après avoir été suspendu un instant, descendit le boulevard comme un rideau de flamme ondulant. Cependant il était si régulier que je le pris d’abord pour un feu de joie en réjouissance de la prise de quelque barricade, ou bien destiné à indiquer la position des troupes à quelque autre division. Ce ne fut que lorsqu’il arriva à une cinquantaine de mètres de moi que je reconnus le son tranché des cartouches à balles ; mais alors même je pouvais à peine en croire le témoignage de mes oreilles, car quant à celui de mes yeux il m’était impossible de découvrir aucun ennemi sur lequel on pût faire feu. Je continuai de regarder les soldats jusqu’à ce que la compagnie placée au-dessous de moi apprêtât les armes et qu’un coquin plus vif que les autres, un tout jeune homme sans favoris ni moustaches, m’eût ajusté. En un instant, je poussai ma femme, qui venait de se retirer, contre le massif, entre les deux fenêtres, et une balle qui frappa le plafond au-dessus de nos têtes nous couvrit de poussière et de morceaux de plâtre. Une seconde après, je fis coucher ma femme sur le parquet, et une autre décharge frappa toute la façade de la maison, le balcon et les fenêtres ; une balle brisa la glace sur la cheminée, une autre le globe de la pendule ; tous les carreaux de vitre, à l’exception d’un seul, furent mis en pièces, les rideaux et le châssis des fenêtres coupés. Le balcon de fer, quoique un peu bas, fut une grande protection ; cependant cinq balles entrèrent dans la chambre. Tandis qu’on rechargeait les armes, j’entraînai ma femme, et me réfugiai avec elle dans les chambres de derrière de la maison. Le retentissement de la fusillade ne cessa pas pendant plus d’un quart d’heure ! Quelques minutes après, les canons furent démasqués et pointés contre le magasin de M. Sallandrouze, cinq maisons plus bas à notre droite.

L’objet ou la justification de tout cela était parfaitement une énigme pour tous ceux, Français comme étrangers, qui étaient dans la maison. Quelques-uns s’imaginaient que les troupes avaient tourné et se joignaient aux rouges ; d’autres disaient qu’il fallait qu’on eût tiré sur elles de quelque part, quoique cela ne pût être venu d’aucune maison du boulevard Montmartre, car nous l’eussions certainement vu du balcon. En outre, dans les dispositions où se trouvaient les soldats, si cela eût été vrai, ils n’auraient certainement pas attendu le signal de la tête de colonne placée à plus de 800 mètres de distance. Il faut que cette fusillade de gaieté de coeur ait été le résultat d’une panique, et que les soldats aient voulu effrayer par un premier feu dans la crainte que les fenêtres ne fussent garnies d’ennemis cachés, ou qu’elle ait été le résultat d’une impulsion sanguinaire : double hypothèse également déshonorante pour eux comme soldats dans le premier cas, comme citoyens dans le second. A titre de militaire, c’est avec le plus profond regret que je me sens forcé d’admettre la dernière opinion.

La troupe, comme je l’ai déjà dit, a fait décharges sur décharges pendant plus d’un quart d’heure, sans qu’on lui ait aucunement riposté. Ils ont tué beaucoup de malheureux qui étaient restés sur les boulevards parce qu’on ne voulait les recevoir dans aucune maison. Quelques personnes ont été tuées sur le seuil de leur porte. Le sang de ces victimes remplissait encore les trous creusés autour des arbres, le lendemain vers midi, quand j’y ai passé. Les boulevards et les rues adjacentes étaient sur quelques points un véritable abattoir. Ce tableau restera gravé par la baïonnette dans le coeur des habitants de ce quartier de Paris, qui pour l’avenir ne peut que redouter la protection des propres soldats de la France.

Les soldats sont entrés dans des maisons d’où jamais aucun coup de feu n’a été tiré, et quoique la Patrie, journal de l’Elysée, ait eu la prétention d’indiquer ces maisons par leurs noms, elle a été obligée, dans son numéro suivant, de démentir ses imputations scandaleuses. Mais admettons que quelques coups de feu aient été tirés de deux ou trois maisons sur les boulevards ; admettons même que quelques soldats français aient été tués, était-ce une raison pour justifier cette attaque meurtrière contre les maisons et les personnes de leurs concitoyens sur une étendue de près d’un mille anglais, au lieu de passage le plus populeux et le plus fréquenté ?…

 

Signé William Jesse,

Ingatestone Cottage,

Essex. »

 

Dira-t-on que M. W. Jesse est un étranger, un ennemi qui fausse la vérité pour calomnier l’armée française ? Nous répondrons que les propres aveux des assassins confirment pleinement le récit du capitaine anglais.

La Patrie, forcée du reste de se démentir plus tard, allègue qu’il y a eu provocation, que l’on a tiré des fenêtres sur la troupe, mais elle ne nie pas les sanglantes répressions. Que l’Europe civilisée écoute le récit de la feuille élyséenne :

« Un feu de tirailleurs, APPUYÉ d’un obusier, a été instantanément dirigé contre les maisons d’où était parti le feu. Les fenêtres, les façades ont été en partie détruites. Puis des détachements soit entrés dans l’intérieur, ET ONT PASSÉ PAR LES ARMES TOUS les individus Qui S’Y TROUVAIENT CACHES. Six individus en blouses, qu’on a découverts derrière des tapis qu’ils avaient amoncelés pour éviter les balles de la troupe, et tirer sur elle sans danger, ONT ÉTÉ FUSILLÉS SUR L’ESCALIER de l‘hôtel Lannes, aujourd’hui dépôt de tapis de la fabrique Sallandrouze.

Plusieurs scènes de même nature se sont passées aux environs du théâtre des Variétés, et la troupe A FAIT JUSTICE de ses assassins. »

« La troupe a fait justice de ses assassins. » Pouvait-on dire, avec une plus odieuse cruauté, que la troupe avait assassiné indistinctement tout ce qui lui tomba sous la main ? Dans quel pays civilisé des soldats font-ils justice des prisonniers qu’ils prennent ? Mais on avait résolu « d’épouvanter. »

« La troupe a fait justice de ses assassins ! »

Voilà ce qu’osent dire, ce qu’osent écrire les instigateurs, les panégyristes de ces abominables égorgements !

Le 11 septembre, il fut question devant nous, dans un salon de Londres, de la polémique qui venait de s’élever entre le Times et le Moniteur sur le nombre des morts de décembre. Il y avait là un étranger de distinction, comme on a coutume de dire des étrangers riches. Il mettait à soutenir la vérité des assertions du Times un feu extraordinaire ; on le sentait agité d’une vive passion. Bientôt nous apprîmes que le hasard nous avait placés en face d’un « de ces assassins dont la troupe a fait justice » précisément à côté du théâtre des Variétés ! On le questionna et il raconta ce qui lui était arrivé, avec une animation dont il ne peut jamais se défendre, dit-il, chaque fois qu’il pense au massacre dont il fut le témoin et une des victimes. Nous l’avons avidement écouté ; nous ne pourrons reproduire la verve, l’originalité de son langage, mais nous jurons que nous n’ajouterons rien à son récit.

« Le 4 décembre, a-t-il dit, une affaire m’appelait sur les boulevards. On voulut me détourner d’y aller, parce qu’il y avait beaucoup de monde et beaucoup de troupe ; mais j’aime les Français ; j’admirais l’armée française. « Il n’y a pas d’exemple, répondis-je, que les soldats de cette nation aient tiré sur des ennemis désarmés, à plus forte raison ne doit-on pas craindre qu’ils tirent sur des promeneurs. » Jamais, jamais je n’aurais cru qu’on pût transformer l‘armée française en une bande d’assassins.

J’allai donc, plein de sécurité, sur les boulevards, et à 3 heures je me trouvais près des Variétés. A ce moment, la troupe stationnée sur la chaussée exécuta un mouvement de volte-face vers les maisons. Pas un homme armé n’était mêlé à la foule ; curieuse, elle attendait comme à une revue. Mais qu’on se peigne son épouvante lorsque, au milieu d’un bruit de mousqueterie, une ligne de feu et de fumée descendant avec rapidité du boulevard Poissonnière vint lui révéler l’ordre monstrueux qui s’exécutait méthodiquement ! Nous voyions devant nous les promeneurs tomber sous ces inexplicables décharges à mesure que le feu approchait. On eût dit une trombe tordant et renversant hommes, femmes et enfants, et jusqu’aux arbustes plantés le long des trottoirs. Les soldats tiraient indistinctement sur quiconque se trouvait à la portée de leurs fusils. Chacun fuyait pour éviter la mort. Quelques personnes et moi, nous nous efforçâmes d’entrer dans la maison n°5, près du théâtre des Variétés, et pendant que, pressés les uns contre les autres, nous frappions à coups redoublés pour nous faire ouvrir, la décharge arriva sur nous. Six hommes tombèrent, trois raides morts, les trois autres, moi compris, grièvement blessés ! Une balle m’avait labouré le dessus de la main droite, une autre m’avait frappé dans les reins. J’eus soin de faire le mort, et je dis à mes deux compagnons d’infortune de rester bien immobiles. J’avais vu, peu de minutes auparavant, des soldats abattre des blessés qui se redressaient. Ils achevaient ceux qui remuaient !

Les soldats étaient tous ivres et furieux ; cette ivresse peut seule expliquer tant d’horribles fureurs. Je ne sais si, comme on l’a prétendu, on a tiré de quelques fenêtres du boulevard Poissonnière ; mais ce que je puis affirmer, pour en être bien sûr, c’est que pas un coup n’est parti des maisons de notre côté. J’affirme de même que pas un cri qui eût pu exciter les soldats n’était proféré. Non ! ils n’ont pas même cette excuse, si c’est une excuse. Ils ont tué les messieurs, les bourgeois, parce qu’ils ont voulu les tuer, ni plus ni moins ; c’est, en termes de justice, un assassinat prémédité. A mesure que leur tour arrivait, ils abaissaient leurs fusils, mettaient en joue quelqu’un des promeneurs placés devant eux et lâchaient froidement la détente !!!

Quand il n’y eut plus personne sur l’asphalte que des morts et des mourants, ils se mirent à tirer aux maisons, comme des insensés, et je sentais les balles qui avaient frappé les murs retomber sur moi par centaines. Les murs ont été, après cela, comme s’ils avaient eu la petite vérole.

Je restai là une demi-heure sans remuer, tant que durèrent les décharges. J’étais bien mal, je souffrais déjà beaucoup de ma blessure des reins, et puis j’avais sur ma cuisse un des morts. Tout son sang, coulant sur moi, avait traversé mon pantalon et inondé ma jambe ; de plus, je me trouvais couché face à face avec un autre mort dont le front tout entier avait été enlevé par les balles, et je voyais l’intérieur de sa tête. C’était terrible. Une large nappe de sang ruisselait du trottoir jusqu’aux pieds de la troupe.

UN ROULEMENT DE TAMBOUR FIT CESSER LE FEU ; mais les soldats, ivres de vin, de sang et de poudre, tiraient encore isolément sur les malheureux qui donnaient le moindre signe de vie. Cependant la douloureuse position où j’étais devint intolérable, je me relevai à tout risque. Aussitôt, deux soldats me couchèrent en joue… J’aperçus un jeune officier, je lui tendis une petite badine que je tenais encore à la main. « Vous voyez, monsieur, lui dis-je ; il n’y a pas d’armes ici êtes-vous résolu à massacrer un e étranger inoffensif ? » Il releva avec son sabre les fusils braqués sur moi, en s’écriant : « N’avez-vous pas entendu le tambour ? N’en trouvez-vous pas assez ? » Il fit ensuite un grand geste de désespoir ; ses traits étaient tout altérés. Celui-là avait conscience de l’horrible action que l’on venait de faire commettre à l’armée et de la tache dont elle s’était souillée.

Il y a ainsi de jeunes officiers qui se sont très-bien conduits et qui avaient beaucoup de chagrin. Il y eut un lieutenant d’artillerie qui, ne pouvant arrêter ses canonniers, se mit devant la bouche du canon, leur disant : « Vous ne tirerez plus ou vous me tuerez d’abord. »

Je m’en allai le long du boulevard, en évitant de marcher sur les corps, dans la crainte de faire du mal à des blessés. A l’entrée de la rue Montmartre, j’eus de la peine à enjamber un marchand de coco qui était étendu en travers avec sa fontaine sur le dos. Je vis par-là que l’on avait aussi tiré dans la direction de la rue. C’est un fait connu de tout Paris, que dans la rue Vivienne on a vu étendue morte une dame en chapeau, les mains encore placées dans son manchon.

Arrivé chez moi, j’ai fait constater par un médecin la nature de mes blessures. J’ai son certificat ; j’ai été plus de trois mois à me guérir ; il a fallu deux ou trois bains pour enlever de ma chair la trace du sang qui avait coulé sur moi.

Il est bien certain qu’il n’y a pas eu d’autre raison à cette boucherie que la volonté de remplir la ville de terreur ; car on nous a assassinés là tous les six, sans que nous ayons rien dit ni rien fait de mal ; nous tâchions d’entrer dans la maison et nous avions presque tous le dos tourné. Les gens de la maison ont eu tort aussi de ne vas ouvrir, mais ils avaient peur pour eux-mêmes.

Ah ! je ne dirai plus que les soldats français sont généreux. Je les ai vus tuer des gens désarmés, qui ne leur disaient rien. Je ne croyais pas qu’ils pussent être aussi barbares, et il faut qu’on leur ait dit bien du mal des bourgeois pour qu’ils aient été si acharnés. Il est vrai qu’ils étaient tous ivres ; ils avaient la figure rouge comme un soleil. Ils peuvent dire qu’on les a enivrés pour leur faire oublier le sentiment de l’honneur ; je crois bien aussi qu’ils n’auraient pas commis tout ce mal-là, si on ne leur avait pas donné tant d’eau-de-vie à boire. Mais pourquoi, depuis, n’ont-ils pas puni les chefs qui les ont menés au déshonneur ? Moi, je ne me mêlais pas des querelles des Français entre eux, je ne faisais point parti d’un groupe agressif, je n’étais pas dans le quartier des barricades, j’étais tranquillement au milieu d’une foule sans armes, sur la plus belle promenade de Paris. C’est une abomination. Non ! je ne dirai plus que les soldats français sont généreux et qu’ils ont recouvré leur honneur tant qu’ils ne se seront pas vengés des monstres qui leur ont commandé d’assassiner les passants, des promeneurs, des femmes, des enfants, des étrangers paisibles comme moi. »

Au moment où nous ajoutons à l’acte d’accusation des égorgeurs du 2 décembre cette déposition solennelle et accablante, nous lisons dans le Moniteur du 14 septembre une circulaire de l’archevêque de Bourges, M. Célestin, cardinal Dupont, qui dit aux curés de son diocèse : « Vous savez que le prince président honore de sa visite la capitale du Berry… Vous prierez avec nous pour que Dieu bénisse tous les pas du prince, et comble ses voeux et les nôtres, en lui donnant tous les moyens d’achever, dans l’intérêt de la religion et de la société, l’oeuvre de salut qu’il a si noblement et si heureusement commencée, etc »

Et c’est nous qu’ils appellent les ennemis de la religion ! Les mitraillades de Paris, dans lesquelles cet indigne ministre de Jésus-Christ voit une oeuvre de salut noblement et heureusement commencée, ont soulevé l’indignation de tous ceux qui en ont été témoins, à quelque parti et à quelque nation qu’ils appartinssent : « Nous apercevions, rapporte le représentant Versigny, au loin, jusque près la porte Saint-Denis, les immenses feux des bivacs de la troupe. C’était, avec quelques rares lampions, la seule clarté qui permit de se retrouver au milieu de cet affreux carnage. Le combat du jour n’était rien à côté de ces cadavres et de ce silence. R. et moi, nous étions anéantis. Un citoyen vint à passer ; sur une de mes exclamations, il s’approcha, me prit la main et me dit : Vous êtes républicain ; moi, j’étais ce qu’on appelait un ami de l’ordre, un réactionnaire ; mais il faudrait être abandonné de Dieu pour ne pas détester cette effroyable orgie. La France est déshonorée ! » Et il nous quitta en sanglotant. (Napoléon le Petit, p. 160.) Les journaux catholiques de la Belgique eux-mêmes ont exprimé l’horreur dont leurs correspondants avaient été saisis en face des torrents de sang répandus. Les étrangers, les personnes les plus désintéressées, ont été tous d’accord sur ce triste sujet, et c’est à dessein que nous empruntons leurs récits. Nous voulons que l’on ne puisse pas croire que nos passions de proscrit nous portent à rien exagérer.

Voici, entre autres, ce que disait l’Émancipation du 7 décembre, l’Émancipation qui est en Belgique ce que l’Univers est en France :

« Nous avons l’état de siège avec d’incroyables rigueurs, nous avons plus que l’état de siége, nous avons la plus brutale et la plus avilissante compression. Si la France ressentait comme elle le doit son outrage, les pavés s’élèveraient d’eux-mêmes en barricades, le Spartacus de marbre des Tuileries prendrait un fusil.

Je ne sais par où commencer les épisodes de la lutte, et je ne vois aucun moyen de vous les présenter d’une manière croyable, tant il me semble que tout cela doit paraître impossible à croire à tout coeur honnête.

Et ne supposez pas qu’il s’agisse du peuple, des combattants ordinaires de toutes les révolutions.

C’est la bourgeoisie, la société riche et polie qui résiste et qui combat pour la liberté constitutionnelle.

Il n’y a plus de partis.

Le soldat frappe sans pitié. Il détruit les maisons et en tue les habitants.

Le boulevard Bonne-Nouvelle, du côté des maisons Rasguenault et Odier, la maison Sallandrouze sont à demi démolis par les boulets. Les soldats, en rentrant, se vantaient de cet exploit.

J’ai compté vingt-sept cadavres dans la cour de la maison Odier. Et c’étaient des cadavres couverts d’habits luxueux, c’étaient des femmes, des vieillards et des enfants. »

L’échafaud, que les faussaires de l’ordre nous accusent sans cesse de vouloir établir, bien que le monde entier sache que nous l’avons aboli, aurait à fonctionner de longs jours pour couper autant de têtes que les conjurés de décembre ont percé de poitrines d’hommes, de femmes et d’enfants inoffensifs, en dehors de toute lutte et de tout combat.

Le lendemain, 5 décembre, au matin, le théâtre du carnage était encore affreux à contempler.

Les morts avaient été enlevés : mais les traces sanglantes se voyaient partout, les trottoirs et les murs étaient souillés de débris de cervelles humaines ; une sorte de cascade de sang avait ruisselé par les escaliers et sous la porte de la maison Sallandrouze, et s’y trouvait coagulée.

On avait répandu le sang à telle profusion que les ruisseaux en étaient encore rougis dans la rue Montmartre, jusqu’à la hauteur du passage des Variétés. Notre honorable collègue M. Pierre Lefranc a vu cela de ses yeux.

Nous retrouvons ici cette volonté de terroriser Paris qui détermina le massacre dans les conseils de M. Bonaparte. La veille, on avait laissé les morts sur les boulevards jusqu’à la fin du jour pour effrayer davantage la population par ce lugubre spectacle. M. Mauduit constate lui-même, page 273 de son livre, « que l’on a rangé et exposé trente cadavres devant la maison Sallandrouze pendant vingt-quatre heures ! » Le lendemain on n’effaçait pas encore les taches de sang ; à elles seules, elles étaient une menace terrible, elles apprenaient aux habitants le sort qui les attendait à la moindre tentative de soulèvement contre les ennemis.

Les fenêtres et les vitres étaient brisées, les maisons déchirées, ébréchées, par les balles et les boulets.

Cependant quand l’effet que l’on voulait obtenir fut produit ; quand la ville, plongée dans la stupeur, ne remua plus, les factieux sentirent la nécessité de faire disparaître les stigmates de leurs fureurs ; ils firent réparer les façades dans la huitaine, et, après avoir institué une commission pour apprécier les dommages matériels, ils ouvrirent un crédit de deux cent mille francs, afin de pourvoir au plus-pressé.

Les généraux de la bande des « cinq ou six mille coquins » n’ont aucun sentiment français ; ce sont des condottieri que Paris a vus fondre sur ses places publiques. Vainqueurs à force de trahisons et de massacres, ils ont célébré leur triomphe, comme fait l’ennemi dans une ville prise d’assaut, par un défilé solennel de quelques-unes des troupes victorieuses. Rien n’a manqué à cet odieux caractère de conquête étrangère. Le 5 décembre, vers midi, deux régiments de carabiniers en grande tenue et précédés de leurs corps de musique qui jouaient des fanfares, sont partis de la Bastille et ont parcouru au pas toute la ligne des boulevards, jusqu’à la Madeleine. Pour ajouter à l’effet de la mise en scène, ils étaient suivis de quatre brancards sur lesquels on voyait étendus des blessés de l’armée !

 

                                   


[1] Un témoin oculaire établit que les circonstances de l’assassinat de M. Boyer sont plus odieuses encore qu’on ne nous l’avait rapporté. Nous lisons dans le magnifique ouvrage de notre collègue Victor Hugo : « Un témoin qui nous permet de le nommer, un légitimiste, l’honorable M. de Cherville, déclare : Le soir j’ai voulu recommencer ces tristes investigations ; je rencontrai, rue Lepelletier, MM. Bouillon et Gervais (de Caen) ; nous fîmes quelques pas ensemble et je glissai ; je me retins à M. Bouillon. Je regardai à mes pieds. J’avais marché dans une large flaque de sang. Alors M. Bouillon me raconta que, le matin, étant à sa fenêtre, il avait vu le pharmacien dont il me montrait la boutique occupé à en fermer la porte. Une femme tomba ; le pharmacien se précipita pour la relever ; au même instant un soldat l’ajusta et le frappa d’une balle dans la tête. M. Bouillon, indigné et oubliant son propre danger, criant aux passants qui étaient là : Vous témoignerez tous de ce qui vient de se passer. » (Napoléon le Petit, page 160)

Quoi ! voilà des soldats français qui assassinent un homme parce qu’il secourt une femme blessée ! Et l’on voudrait nous empêcher de dire qu’on les avait enivrés ! Ah ! monstres ! ils ne vous pardonneront jamais, quand ils ouvriront les yeux, les crimes que vous les avez ???