entretien avec René Merle publié dans Regards
entretien avec René Merle publié dans Regards, décembre 2001 2 Décembre 1851
Le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte renverse la seconde République par un coup d’État soigneusement préparé. “ Napoléon le Petit ”, comme le désignera Victor Hugo, a la voie libre pour installer un second Empire. René Merle, historien et écrivain (1), préside depuis 1997 l’Association 1851-2001 pour la commémoration du 150e anniversaire de la résistance au coup d’État du 2 décembre 1851 (2).
Pourquoi la Seconde République a-t-elle duré si peu ?
René Merle : Si la République naît en 1848 de la revendication du suffrage universel (mais masculin seulement !), ce droit profite aux notables dans une France grandement rurale, qui s’initie à la politique. La République déçoit aussitôt les espérances de justice sociale : écrasement du mouvement ouvrier à Paris et dans les grands centres, poids fiscal accru sur le monde rural. De cette déception, et du souvenir prestigieux de son oncle, tire profit un aventurier politique “ au-dessus des partis ”, Louis Napoléon, élu fin 1848 pour quatre ans (non reconductibles), président de la République et tout puissant chef de l’exécutif. Les élections législatives du printemps 1849 voient la victoire des conservateurs, mais aussi les progrès de la gauche “ démocrate socialiste ” – la “ Montagne ” – dont le programme réaliste correspond aux aspirations populaires (luttes contre l’usure, protection de la petite propriété, garanties pour la santé et les vieux jours, instruction publique généralisée et laïque). Le pouvoir répond par une brutale répression multiforme contre les démocrates, il prive du droit de vote les plus pauvres et les ouvriers nomades. Alors que les démocrates s’organisent en sociétés secrètes pour faire face à la répression et à un éventuel coup de force, le président se pose en défenseur du suffrage universel. L’échéance est celle des élections de 1852. Dans un pays traversé de redoutables tensions politiques et sociales, le parti de l’Ordre agite le spectre de l’anarchie, et le président demande, en vain, à l’assemblée de lui donner la possibilité de se représenter. Il ne lui reste plus qu’à préparer minutieusement son coup de force, avant le terme légal de son mandat, en s’assurant le soutien de l’armée, grâce aux cadres formés en Algérie C’est chose faite le 2 décembre.
Quelle est donc l’importance historique de ce coup d’État ?
René Merle : Il dénoue une crise constitutionnelle et donne les mains libres au groupe d’affairistes qui entoure le président. Aujourd’hui, un consensus mou s’établit pour considérer avec quelque commisération une Seconde République sympathique mais inefficace, entre deux phases de développement capitaliste (Monarchie de Juillet et Second Empire) qui ont installé la supériorité de l’économique sur le politique. On s’en réjouit ou on le déplore, mais on se laisse dire que le réalisme brutal de l’Empire a fait avancer le “ Progrès ” avec le capitalisme. Louis-Napoléon a violenté la République, mais pour le bien de la France…
Il est vrai que le Prince Président a réalisé un coup de maître en rétablissant le suffrage universel dès le lendemain de son coup d’État. Au fond, cette décision va permettre un double apprentissage : c’est pendant les 20 ans de l’Empire que les Français vont apprendre à voter, mais aussi que le pouvoir et les classes dirigeantes vont apprendre les moyens de contrôler “ de l’intérieur ” les consciences afin d’orienter le suffrage universel dans le sens qui leur convient. À cet égard, le coup d’état n’est pas seulement la fin d’une république, il est l’entrée dans une certaine modernité.
Il y a tout de même eu des réactions ?
René Merle : Le 2 décembre au matin, l’Assemblée nationale est dissoute, les députés protestataires sont arrêtés, la capitale militairement occupée. Dès le soir se constitue un comité de résistance républicain, des barricades s’élèvent. L’insurrection parisienne sera écrasée dans la nuit du 4 au 5. Mais en province, alors que tout l’appareil d’état bascule du côté du coup de force, les sociétés secrètes appliquent les consignes prévues en cas de coup d’État : rétablir la légalité républicaine dans le cadre naturel et immédiat de la vie politique, la commune. L’entreprise échoue dans les grandes villes, où les garnisons sont fortes, où le prolétariat est démobilisé depuis juin 1848 et où les leaders montagnards sont arrêtés préventivement dès le lendemain du coup d’État.
Elle s’affirme dans les petites villes et les campagnes d’une trentaine de départements où la démocratie socialiste était enracinée, la plupart méridionaux. Et, de la Bourgogne au Midi, ces résistances communales se transforment en insurrections, notamment dans l’Yonne, la Nièvre, le Cher, l’Allier, la Saône et Loire, l’Ain, le Jura, la Drôme, l’Ardèche, le Gard, le Var, le Vaucluse, l’Hérault, l’Aveyron, le Tarn et Garonne, le Lot, le Lot et Garonne, le Gers, etc. Seule celle des Basses-Alpes sera victorieuse et attendra que la France suive avant de se résigner…. Partout une terrible répression s’abat sur le mouvement, avec exécutions, déportations massives en Algérie, emprisonnements, surveillance généralisée.
Comment qualifier ce mouvement ?
René Merle : C’est un mouvement interclassiste, à dominante rurale, paysanne et ouvrière, dans lequel nous mesurons le poids de la petite bourgeoisie artisanale et commerçante. Il n’est pas pour autant un mouvement archaïque. On est passé d’une conscience protestataire sur des bases économiques (les “ émotions ” d’Ancien Régime) à une conscience politique, attisée par les “ missionnaires ” montagnards de 1849-1851. La République des paysans, la “ Sainte ”, la “ Bonne ” que réclament les insurgés est celle qui unit le social et le politique : la justice sociale est inhérente au politique, elle en est le sens même, et l’exigence de l’instruction publique garantit le choix démocratique.
De ce point de vue, à l’image de Marx qui opposait au départ arriération rurale et conscience ouvrière urbaine, le mouvement ouvrier a peut-être sous-estimé ce dont accouchaient les insurgés de 1851.
René Merle, pourquoi donc avez-vous voulu “ commémorer ” ?
Si notre association a pu travailler avec autant de succès depuis 1997, c’est parce que le désir est fort de comprendre une histoire locale, familiale parfois, trop souvent occultée. C’est aussi parce que cette résistance témoigne que le militantisme peut retourner des situations apparemment désespérées. Ainsi, c’est dans cette période que le Midi “ blanc ” vire au “ rouge” . Et surtout parce que, plus que jamais, l’esprit de résistance citoyenne, la confiance dans l’initiative populaire, et les idéaux de la démocratie socialiste sont toujours d’actualité… Nous n’arrosons pas un arbre mort.
(1) derniers ouvrages parus : Opération Barberousse (L’écailler du Sud, 2001), Le couteau sur la langue (Jigal, 2001).
(2) groupe scolaire Pasteur, 7 bd des Tilleuls, 04190 Les Mées. le site de l’Association : 1851.fr
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