LES CINQUANTENAIRES DE LA SECONDE REPUBLIQUE

LES CINQUANTENAIRES DE LA SECONDE REPUBLIQUE (1898-1902)

 

par Sébastien Guimard

Mémoire de maîtrise sous la direction de Madame Rosemonde Sanson

Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Juin 1996.

DEUXIEME PARTIE

COMMEMORATIONS

 

ET ENJEUX

 

     Après une première partie qui se veut une vision d’ensemble sur la seconde République cinquante ans plus tard, nous entrons maintenant dans une vision plus chronologique en essayant d’apporter une analyse de la vie politique sous la troisième République à travers ses références à la seconde République à l’occasion des cinquantenaires.

     Cette seconde partie est consacrée aux cinquantenaires de trois événements de la période 1848-1850  : La Révolution de Février 1848, les journées de Juin 1848, la mise en place et le vote de la loi sur l’enseignement (loi Falloux) du 15 mars 1850. Ce sont ces événements (surtout le premier) qui se détachent cinquante ans plus tard et dont la mémoire suscite des débats et soulève des enjeux.

     Parmi ces enjeux on distingue des enjeux principalement politiques avec la commémoration du 24 février 1848 d’autant plus que le mois de février 1898 avec le procès d’Emile Zola dans le cadre de l’affaire Dreyfus et la campagne pour les élections législatives de mai 1898 connaît une intense actualité politique. Les commémorations des journées de Juin et de la loi Falloux, même si elles gardent elles aussi un enjeu politique certain, relèvent plus de questions de société (surtout pour la loi Falloux). 

I         LE CINQUANTENAIRE DU 24 FEVRIER 1848 – LES ENJEUX POLITIQUES

 1) POLEMIQUES SUR LA JOURNEE DU 24 FEVRIER 1848

      Le cinquantenaire du 24 février 1848 entraîne une série d’articles à travers la presse, essentiellement les revues, à propos de la journée. Ces articles sont pour la plupart des publications de mémoires ou de souvenirs de témoins de l’événement. Ces extraits de mémoires sont publiés à l’occasion du cinquantenaire, ils ont cependant été écrits bien avant 1898. 

     La plupart des articles émanent du camp conservateur. Ils cherchent à expliquer les raisons qui ont pu entraîner la chute du régime de Juillet 1830. Ainsi la polémique se met en place principalement avec la recherche et la désignation de responsables et de coupables.

     Dans la presse quotidienne un article reprend cette thématique, c’est l’article commémoratif publié dans le journal monarchiste Le Gaulois sous la plume d’Ernest Daudet1. Une bonne partie de l’article est consacré à la vision de la journée du 24 février en tant que telle. L’auteur commence ainsi son article en écrivant que « La Révolution de 1848 eut pour unique cause la faiblesse des conseillers du roi« , affirmation qu’il justifie uniquement par le fait que dans les bureaux du journal républicain La Réforme et dans les sociétés secrètes personne n’avait rien pressenti, et conclut que « Le gouvernement royal est tombé uniquement parce qu’il ne s’est pas défendu« . A partir de ce constat des maladresses gouvernementales et de l’incapacité du régime à se défendre, les responsables sont désignés. Est visée et dénoncée la garde nationale à laquelle on reproche sa trahison; au mieux elle n’a fait que répondre mollement aux ordres mais bien souvent elle a même désobéi à ces ordres en s’alliant aux insurgés. L’autre principal cible est le général Bedeau, l’un des généraux chargés de la répression, auquel on reproche de parlementer avec les insurgés contrairement aux ordres de son supérieur hiérarchique le maréchal Bugeaud. Ainsi « les troupes qu’on a déconcertées et découragées sont noyées dans un flot de peuple« . Une erreur politique est également dénoncée c’est le renvoi de Guizot, décision dangereuse car elle donne satisfaction à une foule en arme.

     L’auteur frise l’anachronisme en regrettant qu’il n’y ait pas eu de solution à la versaillaise en 1871 : il reproche le manque de lucidité général (« tout le monde a perdu la tête« ) quand personne ne pense à reconquérir Paris sur l’émeute.

     Enfin à travers une condamnation claire du 24 février 1848 se glisse une condamnation même de l’oeuvre révolutionnaire depuis 1789. Ainsi la conclusion générale de l’article porte sur « tout ce qui contribue à prouver aujourd’hui, cent ans après la révolution française, qu’elle a fait banqueroute et quel prix onéreux nous payons l’erreur effroyable de ceux des contemporains qui la saluaient comme l’aurore d’un jour libérateur« .

 

     Cet article donne un aperçu du contenu général de l’argumentation des défenseur de la monarchie de Juillet. Dans certaines revues des articles, des témoignages, s’inscrivent dans ce schéma. Ainsi le témoignage dans La Revue de Paris du fils du préfet de police de 1848 le général Rebillot2. Il précise qu’il existait un plan de défense de la ville de Paris mis en place depuis les émeutes républicaines du début de la monarchie de Juillet (1832 avec les funérailles du général Lamarck et 1834 avec le massacre de la rue Transnonain) par le maréchal Gérard (commandant de l’armée de Paris). Ce plan était à première vue tout à fait judicieux mais malheureusement, dit-il, il reposait sur le concours de la garde nationale. Or « la garde nationale, telle qu’elle est sortie des flancs de la révolution par la main de La Fayette, et telle qu’elle a vécu sous la culture et les arrosages de 1789, n’a jamais fait autre chose qu’ obliger les soldats à céder devant les insurgés auxquels elle a ouvert parfois ses rangs« . S’ensuit une longue digression sur les caractères communs entre la garde nationale et son fondateur tous deux inconscients de la portée et des conséquences de leurs actes.

     L’attitude du général Bedeau est également dénoncée. Les personnalités politiques aussi sont visées même si ce sont plutôt les représentants de l’opposition dynastique que les hommes du pouvoir, il cite Thiers et Odilon Barrot qu’il qualifie d’opportunistes, d’inconscients et d’aveugles.

     Il se distingue un peu plus dans sa conception du peuple et de la foule. Il souligne ironiquement à propos de gardes municipaux tués pendant l’insurrection qu’ « on peut apprécier la générosité du peuple, la justice du peuple, la clémence du peuple, odieux compliments dont l’encensent ses flagorneurs« . Il conclut sa pensée sur le peuple en affirmant que la civilisation dont on vante les progrès n’a pu vaincre la bestialité de l’homme.

     Enfin à l’image d’Ernest Daudet, le général Rebillot à partir d’une condamnation du 24 février 1848 renie l’héritage de 1789. Déjà perceptible dans ses critiques de la garde nationale où il parle de la culture et des arrosages de 1789, ce reniement est présent dans cette métaphore : « Envoyer à l’incendie des pompiers en leur interdisant de se servir des pompes, ouvrir les digues devant l’inondation qui monte, serait une oeuvre de démence; c’est pourtant ce qu’ont fait en France, depuis 1789, les rois qui avaient charge de défendre avec leur couronne les intérêts imprescriptibles de la société« .

 

     La Revue des Deux Mondes quant à elle publie un extrait des Fragments et souvenirs d’un proche de Louis-Philippe, celui qui organisa sa fuite vers l’Angleterre : le comte de Montalivet3. Là le ton est toujours à la condamnation de la journée du 24 février 1848 mais on retrouve une tendance politique nettement plus orléaniste notamment à travers l’introduction écrite par le journaliste Georges Picot. Ainsi ce dernier souligne « la catastrophe de 1848 » mais son rapide portrait du comte de Montalivet est révélateur. En effet « M de Montalivet a attaché son nom à l’effort politique le plus noble que, dans l’ordre politique, la raison humaine ait tenté d’accomplir en ce siècle : la fondation et le développement d’un régime de liberté où la monarchie serait solidement établie, la loi entourée du respect de tous et l’ordre maintenu sans mesures d’exceptions« . Pour Georges Picot le comte de Montalivet fait parti des rares et grandes figures qui surent rester invariablement modérées. Dans cette introduction il n’y a donc plus de condamnation de 1789 mais la vision idéalisée propre à l’orléanisme d’une monarchie libérale et conservatrice (ou modérée pour reprendre les mots de l’auteur).

     Quant aux souvenirs du comte de Montalivet proprement dit, ils notent la faiblesse par sa totale désorganisation des forces de répression mais ne dénoncent personne en particulier. Les reproches sont plus directs en revanche envers les hommes politiques au pouvoir à la veille du 24 février, dont l’action est condamnée d’autant plus facilement que s’il fut un proche de Louis-Philippe il s’opposait à la politique de Guizot et du comte Duchâtel (les deux seules personnalités qu’il cite). A propos de la démission de Guizot il estime qu’elle aurait été utile et nécessaire plus tôt, mais, qu’au soir du 23 février il est alors bien trop tard.

     Au niveau de la vision des insurgés il n’est pas une seule fois question du mot peuple. Il est question d’ « agitateurs, qui, au nom de la réforme, poussait la majorité inconsciente de la population et de la garde nationale à l’attaque du gouvernement lui-même« . Il souligne l’importance du drame du boulevard des capucines « qui fut si terriblement exploité par la démagogie pour soulever les passions populaires et les pousser à toutes les extrémités. La nuit fut ensuite trop bien employée par les fauteurs de désordres« . Pendant le départ de Louis-Philippe il cite un ouvrier lui demandant pourquoi le roi s’en allait et qu’ils ne voulaient pas lui faire de mal. Il assure que c’était là la pensée de « l’immense majorité des habitants de Paris, de ces aveugles qui ne voulaient pas faire de mal au roi mais qui en faisait un irréparable à la France et à eux-mêmes en se mettant à la suite des trois ou quatre mille hommes armés qui ont suffi à transformer un voeu de réforme en une révolution insensée dont les conséquences devaient peser si cruellement sur l’avenir de la patrie« .

     L’article se termine par l’évocation de l’ambiance qui régnait dans les campagnes le 24 février 1848 où l’on ne trouvait que calme et tranquillité. Certes la population était loin d’être enthousiaste de son gouvernement, là encore on retrouve une volonté de la part de l’auteur de se démarquer de la politique de Guizot, mais cette population souhaitait ardemment qu’il ne fut pas renversé.

     Cet article suscite une réponse du fils du comte Duchâtel4 visant à défendre l’attitude de son père mise en cause par le comte de Montalivet. Lui aussi insiste sur l’importance du « funeste incident du boulevard des capucines dont le parti républicain exploita l’émotion de la population avec une habileté infernale » et voit dans le peuple de Paris une entité à côté de laquelle « rien n’est plus inflammable, plus facilement accessible aux impressions soudaines et aveugles« .

     Ainsi dans chacun de ces articles, qu’ils reflètent une tendance légitimiste ou orléaniste, on justifie la chute de la monarchie de Juillet par la faiblesse de la répression, certaines erreurs politiques et stratégiques ou encore la tragique fatalité (drame du boulevard des capucines). Mais il n’est en aucun cas question d’une majorité de la population hostile au régime. Sur ce point il y a d’ailleurs une unanimité à refuser le mythe du peuple chère à la tradition républicaine; soit on le néglige comme avec le comte de Montalivet où le mot n’apparaît pas une seule fois et on dénonce alors une poignée d’agitateurs, soit on souligne ses débordements (général Rebillot et comte Duchâtel).

 

 

     Voyons maintenant quelles sont les versions des deux principaux responsables qui sont visés par le camp conservateur.

     Quelques mois avant la publication du témoignage du général Rebillot, La Revue de Paris publie le témoignage du général Bedeau sur la journée du 24 février 18485. Lui aussi semble reconnaître que sans le drame du boulevard des capucines les événements n’auraient sans doute pas pris une tournure révolutionnaire. Il se présente cependant comme un inlassable partisan de la conciliation entre les partis opposés. Sa stratégie consistait entre autre à faire connaître le plus rapidement possible le changement de ministère avec Thiers et Odilon Barrot afin d’apaiser la population avant qu’il ne soit trop tard. A propos de l’immense majorité de la population parisienne qui ne voulait pas de la chute du régime, son avis est beaucoup plus nuancé. Il raconte comment le colonel d’Elchingen est acclamé quand il annonce à la foule le changement de ministère, en revanche quand ce dernier veut faire crier « Vive le roi! » il obtient beaucoup moins de succès.

     Quant à ses ordres donnés à ses troupes de se replier et de cesser le feu, il affirme les recevoir directement du maréchal Bugeaud. Plus généralement se dégage l’idée d’une montée en puissance insurmontable d’un flot révolutionnaire face auquel le mieux à faire était d’éviter un inutile carnage.

     Précisons tout de même que le général Bedeau fut l’un des premiers généraux à se rallier à la République. Lors des journées de Juin 1848 il fut l’un des chefs de la répression pendant laquelle sa volonté de dialogue avec les insurgés fut beaucoup moins évidente.

 

     L’autre article a été publié dans La Nouvelle Revue Rétrospective en février 1897 à l’occasion du quarante-neuvième anniversaire du 24 février 1848. Il est cependant intéressant d’en faire mention. En effet il s’agit du témoignage d’Henri Roussel qui était commandant de la garde nationale en février 18486.

     Il évoque une sorte de panique générale qui existait à l’état major mais qui en fait ne reposait sur rien. Il reconnaît une certaine popularité de la garde nationale parmi les insurgés puisqu’à la première barricade qu’il croise il est accueillit par des cris de « vive la garde nationale!« . Il affirme qu’il rassura les insurgés qui redoutaient la troupe et qu’il n’eut aucun mal à les désarmer. Il met ensuite en cause l’armée qu’il  rend responsable par la peur qu’elle inspire au peuple de pousser ce dernier aux armes. Ainsi dans sa marche vers les Tuileries alors qu’il ne remarquait « rien qui pu faire pressentir un mouvement populaire : les rues étaient désertes« , il croise plusieurs bataillons de ligne, auxquels il ne rend pas les honneurs militaires,  qui marchaient comme s’ils eussent été en déroute.

     A propos de la revue de la garde nationale par le roi au Carroussel, il rapporte que celui-ci fut accueilli aux « cris enthousiastes de Vive le roi! » et que peu nombreux étaient ceux qui ajoutaient « Vive la réforme! » Lorsqu’il annonce à une foule d’abord hostile que le roi accepte la réforme, celle-ci devient alors enthousiaste.

     Le récit se termine subitement par cette phrase : « Nous revinmes à notre mairie sans avoir rien remarqué d’extraordinaire et là nous apprîmes le départ du roi« . Ainsi à la différence de Bedeau il pense qu’il aurait été possible de stopper le déferlement révolutionnaire. La condition en aurait été de confier le maintien de l’ordre uniquement à la garde nationale qui plus proche du peuple était capable de le ramener à la raison. Ainsi ce représentant de la garde nationale renvoie toutes les responsabilités à l’armée et oppose à la thèse de la trahison de la garde nationale celui de la maladresse de l’armée qui ne fut bonne qu’à envenimer la situation.

     La Nouvelle Revue Rétrospective précise que le commandant Roussel fut ensuite décoré par la République  en juillet 1848 à la suite de son rôle dans la répression des journées de Juin.

     Ainsi dans ces deux derniers témoignages on refuse la réputation d’une incapacité à savoir combattre, d’où l’argument justificatif de leur attitude pendant les journées de Juin. Aussi soit on retourne les attaques contre les détracteurs (c’est l’armée qui est la principale responsable), soit on assiste sur le côté inéluctable de la chute du régime et la nécessité d’éviter que le sang coule inutilement.

 

 

     Dans la presse républicaine on est plus discret quant à la description même de la journée du 24 février 1848. A l’exception du journal Le Matin qui consacre dans ses éditions du 22, 23 et 24 février 1898 un récit pour chacune des célèbres journées, il s’agit plutôt de quelques allusions glissées de-ci, de-là. On trouve une certaine unanimité pour admettre que le drame du boulevard des capucines eut un rôle important dans le développement de la colère populaire. A propos de cet épisode il est intéressant de remarquer que si pour les conservateurs la troupe ne fait que riposter à un premier coup de feu qui venait des insurgés, pour les républicains l’origine de ce premier coup de feu reste mystérieuse. Ainsi on lit dans La République Française qu’ « il suffit d’un coup de feu parti au hasard et dont on a jamais pu établir la paternité« .

     Cependant bien que les circonstances aient pu favoriser un développement révolutionnaire, il n’en reste pas moins que ce 24 février 1848 « la monarchie s’effondrait dans le mépris de tout un peuple7« .

 

     Examinons de plus près les articles commémoratifs parus dans Le Matin.

A propos de la journée du 22 février, après avoir évoqué l’immobilisme de Guizot en matière de réformes sociales et électorales ainsi que l’interdiction du banquet de l’opposition au Chateau-rouge, on voit apparaître les premières manifestations et barricades et, même s’il est plus question d’escarmouches que de graves combats « on craint quelque chose« .

Le 23 les barricades sont si nombreuses que les gardes municipaux sont impuissants. Cependant il y a peu d’acharnement mais plutôt de la bonne humeur; on évoque les liens entre la garde nationale et les insurgés quand celle-ci les protège place des petits-pères contre les gardes municipaux. Cependant à la tombée de la nuit un apaisement général se manifeste jusqu’au fameux drame du boulevard des capucines qui entraîne pendant toute la nuit une animation extraordinaire.

Aussi le 24 février c’est tout le peuple qui se retrouve en état d’insurrection, on compte plus de mille six cents barricades. De nombreux soldats fraternisent avec le peuple. L’abdication ne produisit aucun effet, l’affiche qui l’annonçait fut lacérée.

     Ainsi est repris le thème du peuple tout entier, courageux et farouche  s’élevant contre la monarchie. D’autre part ce soulèvement est loin d’être infondé comme le disent les conservateurs qui évoquent un peuple de Paris se soulevant contre l’autorité de manière périodique sans raisons apparentes, c’est contre la politique opposée à tout progrès menée par Guizot que le peuple s’insurge.

 

     Les seuls témoignages sur la journée du 24 février 1848 du côté républicain émanent du professeur de mathématique et aéronaute Wilfrid de Fonvielle, déporté en Algérie pour avoir organisé la déposition d’une gerbe à la colonne de la Bastille le 24 février 18528.

     Il commence par exprimer son regret du peu de cas que l’on fait en France du cinquantenaire de l’événement alors qu’à Berlin le conseil municipal se prépare à organiser une manifestation commémorative au mois de mars, de même qu’en Hongrie à l’initiative de quelques ministres et qu’en Italie est prévue pour le mois de mai 1898 une grande exposition commémorative nationale à Turin.

     Il raconte ensuite sa participation aux journées de Février. Le 22 il fait partie des étudiants qui envahissent la chambre des députés gardée par les municipaux. Le 23 il se dit désespéré et croit l’insurrection arrêtée dans son développement par le changement de ministère.

     En revanche sa journée du 24 est épique. Le matin dans le Quartier Latin il est à la tête d’une bande aidée de quelques gardes nationaux qui s’emparent de postes de gardes municipaux « beaucoup plus par ruse que par force ouverte« . Ensuite sous les ordres du capitaine de la garde nationale Jourdan, accompagné de deux gardes nationaux et de trois polytechniciens, il se rend vers l’hôtel de ville. L’anecdote qui suit sur l’attitude du capitaine Jourdan se veut exemplaire de l’esprit du 24 février 1848. Devant l’hôtel de ville un cordon de soldats bloque le passage. « Je m’attendais à ce que nous allions rebroussé chemin car sept hommes ne pouvaient avoir la prétention à livrer bataille à toute une armée« . Mais le capitaine a recours à la ruse et « magnifique de sang froid et de calme » affirme qu’il a une communication de la plus haute importance à transmettre au préfet de la Seine Rambuteau. Ainsi par la ruse ils passent tous les cordons jusqu’à se retrouver avec le préfet qui était en discussion avec le général Sébastiani (un des responsables des forces de répression). Alors le capitaine Jourdan « avec une assurance et une facilité extraordinaire, dans une inspiration sublime » déclare au préfet qu’il vient prendre possession de l’hôtel de ville au nom de la garde nationale.

     Ainsi fut pris l’un des points stratégiques de la ville, le lieu où se décide quelques heures plus tard la composition du gouvernement provisoire, sans la moindre violence, juste en sachant adopter la bonne attitude dans « le moment psychologique« . C’est là de la part d’un homme qui en 1898 est un républicain modéré une volonté d’entretenir le mythe d’une « révolution pacifique et humaine » à l’inverse des journées de Juin et de la Commune de Paris.

 

                                                   



1Ernest Daudet : Le 24 février 1848 in Le Gaulois, 23 février 1898.

2Général Rebillot : Le 24 février par un témoin oculaire in La revue de Paris, décembre 1898.

3Comte de Montalivet : La révolution de 1848 in La revue des deux mondes, novembre 1898.

4Comte Duchâtel : Souvenirs in La revue des deux mondes, décembre 1898.

5Général Bedeau : 24 février 1848 in La revue de Paris, juin 1898.

6Commandant Roussel : Le 24 février 1848 in La nouvelle revue rétrospective, février 1897.

7In Le 24 février 1848-98 in Le Siècle, 24 février 1898.

8Wilfrid de Fonvielle : Les journées de février 1848 in La revue politique et littéraire, février 1898.