LES CINQUANTENAIRES DE LA SECONDE REPUBLIQUE

LES CINQUANTENAIRES DE LA SECONDE REPUBLIQUE (1898-1902)

 

par Sébastien Guimard

Mémoire de maîtrise sous la direction de Madame Rosemonde Sanson

Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Juin 1996.

CONCLUSION

Démolition du bâtiment temporaire édifié dans la cour du Palais Bourbon en 1848, dessin publié dans l'Illustrated London News du 3 janvier 1852

      Alors que l’engouement commémoratif à partir de la mémoire de la seconde République s’était érodé au fil des ans avec l’installation au pouvoir des républicains, les cinquantenaires constituent bien une occasion de raviver cette mémoire.

     Certes la Révolution de 1848 et la seconde République restent toujours un peu dans l’ombre de leurs grandes aînées de 1789 et 1792, et, quand elle ne constitue pas une farce1, on a pu voir que pour beaucoup  elle ne fait qu’ajouter le suffrage universel à l’oeuvre de la « grande Révolution« .

Il est également vrai que pour les socialistes les références à la Commune sont très présentes à travers l’évocation de la seconde République : on mentionne rarement les martyrs de Juin ou de Décembre sans mentionner aussi ceux de la Commune, et, même si pour le 24  février la comparaison se fait plus discrète on peut signaler par exemple la réunion le 24 février 1898 de la section du P.O.F du dix-neuvième arrondissement dont le débat du jour s’intitule le 24 février et le 18 mars.

     On trouve cependant de nombreuses et importantes personnalités  des différents partis républicains dans les diverses manifestations commémoratives. Pour les progressistes bien sûr lors du cinquantenaire de la mort d’Alphonse Baudin avec les discours de Fallières, Deschanel et Waldeck-Rousseau. Mais même en dehors de la manifestation Baudin qui étant donné son déroulement attire plus l’attention, on peut aussi remarquer ce genre de phénomène pour les autres événement commémorés. Bien que relativement négligé le 24 février 1898 offre par exemple au Comité d’Action pour les Réformes Républicaine, cette sorte d’avant-garde du radicalisme, l’occasion d’exprimer l’un de ses principaux messages de campagne électorale. Toujours à propos du 24 février 1898 on voit se manifester deux des principaux leaders socialistes français, à savoir Jean Jaurès et Jules Guesde. On retrouve une troisième grande figure du socialisme pour ces cinquantenaires, cette fois-ci à l’occasion de l’anniversaire des journées de Juin avec Edouard Vaillant. Avec la commémoration de la mort de Mgr Affre on trouve aussi lors du cinquantenaire des journées de Juin des personnalités marquantes parmi les conservateurs avec P.Chesnelong, H.Wallon ou J.Piou.

En dehors du cinquantenaire qui porte plus facilement à la commémoration, le retour à un regard plus approfondi sur la seconde République au cours des années 1898-1902 doit être impérativement mis en relation avec la prise de conscience de la part des contemporains d’une République en crise et menacée avec les conséquences de l’affaire Dreyfus et la montée du nationalisme. Le thème de la défense républicaine est clairement décelable quand le gouvernement qui porte ce même qualificatif honore Baudin mort pour la défense de la République. Mais c’est déjà ce même thème qu’on trouve en 1898 dans la bouche d’un Jaurès appelant à palier le danger d’une République française qui pourrait se transformer en une République fantoche à la sud-américaine, dans celle d’un Edgard Monteil dénonçant la réaction affublée d’un masque républicain, ou encore dans l’appel au suffrage universel où l’alternative entre une République des républicains et une République des réactionnaires n’ayant de républicain que le nom est clairement énoncée.

 

     Au niveau de la localisation des manifestations commémoratives, une logique des lieux ne s’impose pas forcément. En effet on a pu voir que le cinquantenaire du 24 février avait un certain écho en province alors que l’événement commémoré est essentiellement parisien. Au contraire pour le deux décembre et la résistance au coup d’état à propos de laquelle plusieurs départements de province participèrent grandement, là les manifestations commémoratives sont essentiellement parisiennes. Le rapport entre les départements insurgés de 1851 et la géographie commémorative de la seconde République cinquante ans plus tard n’est pas évident. Seul le sud-est répond à ce schéma et l’importance du pôle ludique et festif lors du cinquantenaire de Février reflète bien une forte tradition commémorative de la seconde République dans cette région. Soulignons tout de même que ce sud-est se limite à l’ensemble Var-Vaucluse-Bouches du Rhône et que les Basses-Alpes qui en 1851 prirent une bonne part à la résistance au coup d’état n’ont pas su entretenir la même tradition commémorative. Quant aux autres principales régions qui opposèrent une importante résistance au coup d’état comme le Midi avec le Gard et l’Hérault ou le Centre avec le Cher et la Nièvre ils ne semblent pas du tout rentrer dans ce schéma.

     En revanche les principales localités qui commémorent l’événement n’entretiennent pas de rapport particulier avec la résistance au coup d’état en 1851 comme c’est le cas dans la Loire ou à Reims. Il semble parfois même que se soit crée une tradition commémorative de la seconde République là où on pouvait apparemment moins s’y attendre comme à Nantes2. Enfin le rapport à la mémoire de la seconde République peut s’établir à partir d’un homme originaire du pays, c’est le cas à Nantua et à Rodez.

 

     Si les cinquantenaires de la seconde République ont un caractère éminemment politique, ils ont aussi cette particularité de constituer certainement la dernière occasion où la vision sur cette période puisse s’insérer aussi intensément et directement dans la vie politique. En effet par la suite la vision de la seconde République va laisser beaucoup plus la place au champ de l’étude historique. Mais lors des cinquantenaires à chaque camp politique semblent être associées des figures qui soit par leur qualité de témoins des événements soit par celle de vétérans des luttes républicaines tiennent une sorte de place privilégiée quant à l’entretien du souvenir. On trouve ainsi dans ce rôle des hommes comme Wilfrid de Fonvielle3 pour les progressistes, Arthur Ranc pour les radicaux, Jean-Baptiste Clément pour les socialistes dont on publie régulièrement leurs points de vue souvent liés à des expériences personnelles lors des dates anniversaires.

     En revanche au niveau de la production historique à proprement parlée on a pu voir qu’elle restait très modeste. Le cas d’Alphonse Aulard qui après avoir sévèrement critiqué l’oeuvre de Pierre de la Gorce en conseille cependant la lecture faute de mieux est assez significatif. Or il n’est pas incongru de penser que les cinquantenaires de la seconde République ont pu avoir une certaine influence quant à la prise de conscience de ce vide historiographique pour cette période et au renouveau qui intervient quelques années plus tard. En effet c’est ce même Alphonse Aulard qui est avec Georges Renard et Henry Michel à l’origine de la création en 1904 de la Société d’Histoire de la Révolution de 1848 qui donne enfin une place à part entière à 1848 considéré comme le véritable tournant du dix-neuvième siècle et non plus comme un simple dernier sursaut  de la Révolution française. Le président de la société A .Carnot semble d’ailleurs confirmer ce passage de la mémoire à l’histoire en déclarant lors de la première assemblée tenue le 24 février 1904 à l’amphithéâtre Edgard Quinet de la Sorbonne que « le temps semble favorable pour s’occuper de ces événement, l’intervalle qui nous en sépare est suffisant pour que les appréciations soient équitables« .

Signalons au point de vue historiographique la première véritable histoire de la seconde République par un historien républicain, celle de Georges Renard en 1906 qui constitue le tome IX de l’histoire socialiste de Jean Jaurès.

Parmi les membres de la société à sa création, on retrouve plusieurs hommes qui de près ou de loin ont participé aux cinquantenaires de la seconde République. D’abord avec les trois postes de vice-président qui sont occupés par Alphonse Aulard et deux personnalités politiques Maurice Faure et Alexandre Millerand. Ensuite parmi les trente membres du comité directeur on retrouve, en plus des trois vice-présidents, un historien avec A..Debidour, deux personnalités politiques avec Pierre Baudin et Armand Fallières, quant à Jean Jaurès également membre du comité directeur il réunit ces deux qualités. Enfin les historiens Hubert Bourgin et Armand Brette, l’académicien Jules Clarétie, le journaliste Arthur Huc, les socialistes Eugène Fournière et Robert Dreyfus font eux aussi partis des adhérents de la société.

     Quant à l’autre grande période commémorative de la seconde République que fut, en attendant une éventuelle célébration du cent-cinquantenaire en 1998, celle du centenaire en 1948, elle s’inscrit aussi dans ce cadre d’une perte du pôle stratégique et politique au profit de celui de l’étude historique. Certes il y eut des cérémonies officielles notamment le 23 février 1948 à l’hôtel de ville de Paris avec deux discours, l’un du président de la République Vincent Auriol, l’autre du président du conseil municipal Pierre de Gaulle mais cela fut loin de soulever la moindre polémique ou désaccord entre Paris et la République comme ce fut le cas cinquante ans plus tôt. Le 24 février 1948 c’est Léon Blum qui faisait partie en 1904 des premiers adhérents de la Société d’Histoire de la Révolution de 1848 qui donne une conférence commémorative dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, lieu d’étude par excellence au moins au niveau symbolique. Mais le centenaire  est surtout marqué par une intense production de travaux historiques sur la période entre autre avec des hommes comme Henri Guillemin, Ernest Labrousse et Georges Duveau4.



1Cf page 20 à propos de : Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, Paris, 1900.

2In Le populaire de Nantes, 26 février 1898.

3Wilfrid de Fonvielle dont on a pu voir ses articles pour le cinquantenaire de février 1848 signe aussi un article intitulé Il y a cinquante ans le 2 décembre dans Le Matin, 2 décembre 1901. Il y fait notamment l’éloge de Thiers.

4Cf : –Actes du congrès du centenaire de la révolution de 1848, P.U.F, 1948 (on y trouve notamment l’étude d’E.Labrousse Comment naissent les révolutions?).

-(Collectif) 1848 Le livre du centenaire, édition Atlas, 1948 (participation de Georges Duveau).