Armand Fallières et la loi de réparation nationale
extrait de Hubert Delpont et Jeanine Dréano-Sestacq, Fallières. La République aux champs. 1868-1881, Nérac, Les Amis du Vieux Nérac, 1996, pp. 220-222 Armand Fallières et la loi de réparation nationale La seconde tâche du ministre Fallières a elle aussi valeur de symbole. Le 25 novembre 1880, il envoie aux préfets une circulaire « très confidentielle et urgente ». Il fait part de la préoccupation du gouvernement du sort des citoyens qui ont eu à souffrir des mesures de répression prises au lendemain du coup d’Etat de 1851, et demande aux préfets de procéder à une enquête individuelle sur tous les poursuivis ou à défaut leurs veuves. Afin de ne pas soulever de vains espoirs, l’enquête doit être discrète et rapide. Ainsi s’ouvre le débat qui mène au vote de la loi dite de Réparation Nationale. Fallières était particulièrement bien placé pour faire avancer ce dossier. On se souvient que quelques mois plus tôt, les proscrits de Barbaste l’avaient chargé de faire entendre leur pétition. On se souvient aussi que lors de sa première élection, en 1868, Fallières avait pour colistier le charpentier Darodes, ancien interné.
En réalité, la demande de réparation naquit dès 1871, au lendemain du retour de la République. On lit dans Le Réveil du 29 septembre, que 35 proscrits de l’arrondissement de Nérac se sont groupés autour de Dayres pour intenter en commun une action en dommages-intérêts contre les bonapartistes. S’agit-il du fils ou du frère de l’instituteur de Lavardac mort en déportation en Algérie ? Toujours est-il que le mois suivant le conseil général émet le voeu que le gouvernement indemnise les proscrits et leurs familles. Ce dernier ne reste pas insensible à la demande : à la mi-décembre, le sous-préfet de Nérac est invité à faire une enquête détaillée sur chaque insurgé. Cette enquête n’eut évidemment pas de suite : l’Ordre Moral enterra tout espoir immédiat de réparation. Mais avec le rétablissement définitif de la République et malgré les trente ans écoulés, le souvenir des transportés glorifie assez le régime pour qu’il rouvre ce dossier, et lui donne une conclusion heureuse[1].
Avec Fallières, les Lot-et-Garonnais prennent une part décisive à son élaboration. En janvier 1881, ils adressent un grand nombre de lettres à la commission chargée de la rédaction du projet de loi, qui est présenté en mars. L’état prévoit l’octroi de rentes viagères d’un montant total de cinq millions de francs aux victimes, qui sont divisées en trois catégories : les transportés, les bannis, et tous les autres, détenus, internés, révoqués, veuves, descendants mineurs de proscrits. La première catégorie aurait 1200F de pension, la seconde 800F, la troisième 400F.
A la Chambre, Deluns-Montaud, député de Marmande, autre grand lieu de résistance au coup d’état, critique la proposition d’indemnisation en raison de l’incohérence des peines. Il obtient un grand succès en souhaitant une correction en faveur des plus malheureux. Fin juin, le projet définitif est rédigé par le sénateur Faye. Profondément modifié, il prévoit que les pensions, dont le montant total est porté à six millions, iront de 100 à1200F, et qu’elles seront allouées par des commissions départementales où siégeront, à côté du préfet, trois conseillers généraux et trois représentants des proscrits. La loi est adoptée le 30 juillet 1881, le lendemain de la loi sur la presse. Le 19 septembre, 40 dossiers de victimes sont adressés à la commission par le maire[2] de Nérac. Le Lot-et-Garonne sera le sixième département indemnisé, après le Var, la Seine, la Drôme, l’Hérault et les Basses-Alpes, avec plus de 400 ayants-droit. L’arrondissement de Nérac se taillera la part du lion avec 205 pensions : 42 à Nérac, 23 à Barbaste, 20 à Lavardac, 12 à Xaintrailles et Sos etc. Deux pensions sont à 1200F, celle du chef de l’insurrection Darnospil, qui vit encore en Algérie en 1881, et celle de la veuve Dayres, dont le mari est mort en déportation. 28 sont à 1000F, et 58 à 100F.
Cette loi de Réparation Nationale est généralement peu retenue par les historiens. Il faut reconnaître que la période est chargée en dates : grandes lois fondatrices de la République, mais aussi loi d’amnistie pour les Communards (qui n’auront pas réparation), et au rang des anniversaires, choix du 14 juillet comme fête Nationale. Il n’en reste pas moins que pour Fallières et sa génération, cette loi garda une forte charge symbolique et émotionnelle. Pour s’en persuader, il suffit de rappeler qu’en octobre 1909, lors de son premier voyage présidentiel en Lot-et-Garonne, Fallières tint à inaugurer deux monuments. Le premier à Allemans-du-Dropt, à la mémoire de Deluns-Montaud, et le second à Marmande, à la mémoire de Faye. Ce n’est pas tout : Fallières revint à Marmande inaugurer la statue dite « du devoir civique ». Un peu dans le style de celle de la Liberté, cette statue magnifie le souvenir des transportés de décembre et affirme symboliquement le droit à l’insurrection. Elle fut inaugurée en septembre 1913. A cette date, Fallières n’était plus président depuis neuf mois. A notre connaissance, ce fut sa dernière apparition publique.
[1] Sur ce dossier voir La Constitution, 34 JX 3 & 4, ADLG.
[2] 3 D 8 ADLG.
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