La résistance républicaine en Lot-et-Garonne
La résistance républicaine au coup d’Etat du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte en Lot-et-Garonne par Bertrand Carbonnier mémoire de maîtrise sous la direction de Bernard Lachaise et Christine Bouneau Université de Bordeaux 3 – juin 2001 Partie II : Le déroulement du mouvement insurrectionnel Chapitre VI: L’échec, la répression et le jugement
A) La fin des troubles dans les campagnes
Le lundi 8 décembre constitue un tournant pour l’insurrection lot-et-garonnaise. A partir de cette date-là en effet, dans les bourgades où les insurgés ont essayé de renverser l’autorité, les municipalités ont été définitivement laissé de côté par ces derniers. La situation est devenue par contre critique dans les bourgs ou les républicains se sont emparés des mairies. La proclamation du commandant Bourrelly a fini de saper le moral des contestataires. Elle dit ceci.
«Agissant en vertu des pouvoirs spéciaux qui nous ont été conférés par le Général de division, commandant supérieur des 40e, 41e et 42e divisions militaires et après nous être concerté avec Monsieur le Préfet du département,
Arrêtons
10) Le département du Lot-et-Garonne est mis en état de siège[1].
2°) Tout individu qui sera pris construisant ou défendant une barricade ou les armes à la main sera fusillé sur le champ.
3°) Tout attroupement sera chargé sans sommations.
4°) Le présent arrêté sera immédiatement publié dans toute l’étendue du département.
Fait au Quartier Général à Agen, le 7 décembre
Le commandant militaire du département, Bourrelly »[2].
Dans l’esprit des autorités, la mise en état de siège du département devait permettre de réduire les communes insurgées et de rétablir l’ordre dans le département.
La proclamation du commandant Bourrelly n’a donc pas manqué de susciter des réactions dans les villages lot-et-garonnais. Ainsi, après avoir lu la déclaration placardée sur la place publique du Port-Sainte-Marie, des insurgés ont crié « il faut fuir, nous sommes perdus ». A Sainte-Livrade, ils ont simplement peur « de se faire exterminer par les troupes envoyées jusqu’à eux ». En cette même journée du 8 décembre, les républicains ont commencé à déserter les lieux dont ils s’étaient rendus maîtres quelques jours auparavant.
Généralement, ils le faisaient sans bruit pour passer inaperçu. C’est ainsi qu’une habitante d’Ambrus constate le matin du 8 décembre que « les insurgés en faction hier n’y sont plus »[3].
Dans l’arrondissement de Nérac, les républicains ont abandonné les mairies conquises de Caubeyres et Xaintrailles en profitant de la nuit le 8 décembre.
Certains républicains ont rejoint Marmande et ont participé à la marche jusqu’à Sainte-Bazeille; c’est le cas des trois frères Didouan de Xaintrailles, lesquels ont participé aux deux marches républicaines.
A Lavardac, les notabilités locales et le maire ont réinvesti l’Hôtel de Ville en y installant un conseil municipal en permanence. Une garde nationale composée d’ouvriers a été organisée pour sa défense. Au Port-Sainte-Marie, une cinquantaine d’insurgés conduits par le coutelier Hyppolyte David ont fait une dernière démonstration puisqu’ils ont attendu le 7 décembre l’arrivée de dizaines de contestataires en provenance de Marmande qui devaient passer les récupérer à Saint-Laurent sur la rive gauche de la Garonne. Cette attente devenue vaine, ils se sont par la suite dispersés[4]. Dans l’arrondissement de Marmande, seulement quelques communes ont répondu à l’appel du tocsin lancé sur la place de Lestang le 8 décembre.
Les municipalités de Lauzun, des cantons de Bouglon, de Meilhan-sur-Garonne et du Mas d’Agenais n’ont pas été dans l’ensemble désertées. Pourtant, les nouvelles de l’échec de la marche républicaine marmandaise sont vite arrivées dans les bourgades. Connaissant la défaite de Peyronny, ils sont tombés dans un découragement certain.
Le 8 décembre, quelques heures à peine après la fusillade de Sainte-Bazeille, François Berguin, nommé maire par l’insurrection du Mas d’Agenais a proposé de remettre les clefs de la mairie à son prédécesseur Bourdet mais celui-ci n’a voulu être réinvesti que par le préfet.
Des cris vindicatifs contre les chefs et des pleurs se sont alors fait entendre. Les chefs de l’insurrection ont eux-mêmes donné l’exemple en préférant fuir plutôt que de tenter une dernière résistance désespérée. Petit-Lafitte est revenu au Mas d’Agenais dans l’après-midi du 8 décembre en déclarant que « tout était perdu et que la résistance était désormais impossible. Lui-même devait fuir sinon il passerait devant le conseil de guerre et serait obligatoirement pendu »[5]. Il a quitté les lieux puis est allé à Caumont-sur-Garonne et à Sénestis faire les mêmes déclarations. La résistance républicaine s’est donc terminée dans les campagnes comme dans les villes le soir du 8 décembre. La répression du mouvement a commencé aussitôt après.
B) La répression du mouvement
La mise en état de siège a été proclamée pour l’ensemble du département le 8 décembre.
Pour les autorités lot-et-garonnaises, il ne restait plus qu’à réprimer les derniers soubresauts de l’insurrection et poursuivre les derniers insurgés.
Ces opérations devaient être menées assez rapidement puisque le plébiscite ratifiant le coup d’Etat avait lieu les 20 et 21 décembre. Il était donc impératif pour le parti de l’ordre que ces élections se déroulent dans de bonnes conditions. Le succès de Louis Napoléon Bonaparte devait être unanime et complet. Des procès-verbaux d’arrestation ont commencé. Effectués par les gendarmes communaux agissant en vertu d’une réquisition du procureur de la République datée du 8 décembre, ces procès-verbaux donnaient l’ordre d’arrêter et de conduire à la maison d’arrêt les coupables. Les perquisitions avaient lieu à leurs domiciles. Néanmoins, les résultats de ces perquisitions se sont révélés peu probants puisque la grande majorité des insurgés avait déjà fuit. Il est rapidement apparu opportun aux membres du parti bonapartiste de commencer par pacifier le chef-lieu Agen. Dès le 9 décembre, donc, le commandant militaire M.Bourrelly a ordonné les instructions suivantes destinées à être affichées et lues par la population agenaise.
« 1°) La garde nationale d ‘Agen est dissoute.
2°) Son désarmement aura lieu de suite.
3°) En conséquence, les gardes nationaux appartenant aux compagnies d’infanterie, à l’artillerie et aux sapeurs-pompiers sont tenus d’aller déposer leurs armes à la mairie aujourd’hui même, neuf décembre de dix heures du matin à quatre heures du soir ».[6]
La place du Palais s’est ensuite couverte de personnes venues des différents quartiers de la ville pour remettre leurs armes. Aucun incident n’a troublé cette opération. La ville d’Agen a ainsi retrouvé son calme habituel à partir du 9 décembre.
Pendant ce temps-là, des colonnes mobiles parcouraient les divers cantons du département, réinstallant les autorités, opérant le désarmement et faisant de nombreuses arrestations. C’est le cas au Mas d’Agenais dans la soirée du 11 décembre, un premier détachement d’une centaine d’hommes armés survenait dans le village puis c’était le tour de la cavalerie quelques minutes après. Une heure plus tard, l’infanterie arrivait.
Après cette date, les militaires sont retournés sur Bordeaux d’où ils étaient partis dans la nuit du 8 au 9 décembre. Seul le bataillon du 75e de ligne a stationné dans le département jusqu’au mois d’avril 1852. De retour à Agen le 14 décembre, le préfet de Lot-et-Garonne Paul de Preissac placé en tête de la colonne depuis quatre jours a télégraphié le message suivant: « L’anarchie est vaincue. Les bandes armées qui ont menacé ou envahi nos cités sont en fuite »[7].
La première tâche fixée par les autorités d’apaiser les troubles dans le département était désormais effectuée. Ils devaient, maintenant, contraindre les insurgés à se rendre.
Le ministre de l’intérieur Morny a envoyé au préfet et au commandant militaire des ordres en conséquence.
«Toute insurrection armée a cessé dans Paris. Les bandes qui apportent le pillage et l’incendie se trouvent hors des lois. Avec elles, on ne parlemente pas, on les attaque, on les disperse. Tout ce qui résiste doit être fusillé au nom de la société légitime.
Fait à Paris, le 9 décembre 1851.
Le ministre de l’intérieur, le Duc de Morny »[8].
Ce message a été affiché dans toutes les places publiques communales du Lot-et-Garonne les 10 et 11 décembre. Pourtant, ces recommandations n’ont pas empêché qu’éclatent encore quelques incidents. A Lauzun, le 12 décembre, un détachement constituant l’avant-garde de la colonne mobile partie de Miramont-de-Guyenne pour rejoindre Lauzun a été attaqué en route. Les hommes ont ainsi reçu plusieurs coups de fusil tirés par plusieurs individus dissimulés derrière une haie au bord de la route. Après leur forfait, ces derniers se sont sauvés à la hâte. Aucun blessé n’est à signaler[9]. Les autorités craignaient cette route entre Miramont-de-Guyenne et Lauzun, une route tortueuse, escarpée, éloignée par rapport aux grands axes de communication du reste du département. Longue de neuf kilomètres, elle était à peu près vide d’habitants sur son chemin. Pendant plusieurs jours, une maison localisée à trois kilomètres de Lauzun a été suspectée de servir de repère à des personnes armées dans le but d’attaquer les gendarmes qui y passeraient amenant les prisonniers. Pour empêcher ces tentatives, le brigadier Galon de Miramont a été détaché avec dix-neuf hommes de la troupe pour conduire les prisonniers jusqu’à Marmande. Aucun désordre ne s’est manifesté. La poursuite des insurgés en fuite était une entreprise difficile pour les autorités lot-et-garonnaises. Certaines zones du département, notamment les cantons de Houeillès et de Casteljaloux situés au sud-ouest du département étaient particulièrement adaptés pour se cacher.
Les républicains de Nérac et de Marmande ont trouvé refuge dans ce territoire composé d’immenses bois. Tout en bénéficiant de la complicité des populations locales, ils attendaient que le climat s’apaise pour rentrer chez eux. Le dimanche 21 décembre, l’arrivée des gendarmes à la sortie de l’église de Durance a jeté la consternation parmi les habitants. Ces derniers sont allés prévenir les fuyards réfugiés à leurs domiciles ou dans les fermes des alentours. Ils ont eu le temps ensuite de s’enfuir dans les bois et les gendarmes n’ont pas pu retrouver leurs traces. La situation devenait donc difficile pour les autorités. De nombreux maires ont commencé à se plaindre du peu d’arrestations effectuées par rapport au nombre total d’insurgés. Ainsi, au Mas d’Agenais, le maire M. Bourdet constate dans une lettre adressée au préfet le 14 décembre que « seulement une dizaine d’arrestations ont été opérées alors qu’environ cent-cinquante personnes ont participé à la prise de la commune »[10]. Les suppliques des maires ajoutées au climat de tension que ces fuites entretenaient ont poussé les autorités à réagir. Le commandant Bourrelly a rendu, dans ce sens, un arrêté décisif le 28 décembre dans lequel il prévenait « tous les individus donnant de l’aide aux insurgés fugitifs qu’ils seraient considérés comme complices de 1’insurrection et traités comme tels. »
Cet arrêté a été décisif. Par exemple, le dénommé Bertrand Fournier, charpentier et aubergiste à Nérac a été arrêté à son domicile par les gendarmes de Lavardac parce qu’il cachait chez lui l’insurgé Jean Dufaure. D’autres, tenaillés par la faim, le froid et fatigués de mener depuis près d’un mois une vie d’errance se sont constitués prisonniers. Au début du mois de janvier de l’année 1852, l’immense majorité des opposants au coup d’Etat se sont livrés aux autorités. Voyons maintenant le parcours de plusieurs chefs insurrectionnels après la cessation définitive des troubles. Leurs attitudes ont varie.
Henri Fournel, Armand Delpech, Louis Vivent ont été appréhendés par la police à l’arrivée des troupes à Villeneuve-sur-Lot le 13 décembre. Les membres du comité insurrectionnel de cette ville, Brondeau, Philips et Pouzet en ont fait de même.
Léopold Deytier a lui, fui en Espagne à Saint-Sébastien tout comme Jean Davezac mais celui-ci a été mis en état d’arrestation le 15 janvier à Bagnères-de-Bigorre[11].
Frédéric Nasse a trouvé refuge dans son château d’Allons à partir du 9 décembre ; Paul Vergnes est venu le rejoindre. Les deux hommes se sont livrés peu après à la police.
Bacarisse a fui dans les bois autour de Casteljaloux jusqu’au début du mois de janvier 1852.
Petit-Lafitte et Moreau se sont, eux, cachés dans une ferme au sud d’Agen. Là, un officier de gendarmerie suivi d’une brigade de quatorze gendarmes ont entouré l’habitation. Les deux hommes ont signifié leur reddition quelques minutes après[12].
Darnospil a été arrêté à son domicile de Bruch.
Les fuites de Peyronny, Lafitteau et Séré-Lanauze ont été plus rocambolesques.
Pendant que les trois hommes campaient entre Castelnau-sur-Gupie et Escassefort dans la nuit du 9 au 10 décembre, la troupe a détaché une cinquantaine d’hommes qui se sont lancés à leur poursuite. Ils se sont déployés entre Lévignac-de-Guyenne et Seyches pour cerner les insurgés dans le bois de Caubon-Saint-Sauveur. Peine perdue puisque les deux hommes (Lafitteau est parti de son côté) ont pu fuir grâce à la complicité de la population locale venue les alerter de l’avancée des gendarmes vers eux. Séré-Lanauze et Peyronny ont ensuite voulu embarquer pour l’Angleterre mais au moment où ils remontaient la Garonne jusqu’à l’embouchure, ils ont été appréhendés par la police à hauteur de Branne dans la journée du 19 décembre.[13]
Tout au long des mois de décembre et de janvier, les prisonniers se sont entassés dans les maisons d’arrêt d’Agen, d’Eysses et de Marinande. La prison marmandaise a bientôt été submergée par l’afflux d’individus ayant participé aux désordres de Marmande et des cantons des environs.
Trois cent quarante-huit insurgés y étaient incarcérés. Les autres ont été logés ailleurs. Un premier convoi est ainsi parti de Sainte-Bazeille le 15 décembre et s’est dirigé sur Bordeaux en bateau à vapeur. Les prisonniers ont pris ensuite le chemin de la forteresse de Blaye. Ils étaient attachés deux par deux avec une chaînette fermant à cadenas. A leur droite et à leur gauche, un gendarme les surveillait avec une carabine chargée. En tête du convoi se trouvaient trois ou quatre membres du gouvernement municipal de Marmande dont Paul Vergnes. Ils cohabitent avec les paysans placés derrière[14].Trois autres convois de prisonniers ont été de cette façon acheminés depuis Marmande jusqu’à Blaye. Cent soixante-quinze insurgés se sont retrouvés dans la prison girondine en attente de leur jugement.
C) Le jugement des insurgés
Quel est le nombre de prisonniers que les autorités ont eu à juger ?
Comme on l’a vu, trois cents-quarante-huit insurgés de l’arrondissement de Marmande se trouvaient emprisonner. Il faut ajouter les trois cents quatre vingt prisonniers de l’arrondissement de Nérac et les cent-douze de l’arrondissement de Villeneuve-sur-Lot. Le chiffre exact pour l’arrondissement d’Agen n’a pas pu être trouvé avec précision si bien que nous sommes obligés de faire une approximation autour de cent à cent-vingt prisonniers.
Au total, environ neuf cent-cinquante individus ont été poursuivis. Il apparaît évident que la liste des prisonniers ne peut coïncider exactement avec celle des insurgés. Beaucoup ont ainsi été arrêtés et interrogés sans avoir pris part au mouvement.
Il a pu exister au contraire de vrais insurgés qui ont pu échapper à la répression s’ils avaient eu la chance de regagner leurs foyers sans rencontrer de soldats et de ne pas être dénoncés par leurs voisins; les insurgés en fuite ont fait l’objet de poursuites par contumace pour les plus connus tandis que les autres ont été simplement ignorés.
Avant le jugement prévu pour le mois de février 1852, une commission rogatoire à l’effet « d’informer sur les faits qui ont troublé l’ordre dans les différentes communes du département depuis le 2 jusqu’au 26 décembre » a été nommé ce même jour par le préfet du Lot-et-Garonne[15]. Cette commission devait auditionner les témoins et les prisonniers sur les événements puis consigner les dépositions ayant trait aux sociétés secrètes. Antoine Faucon, conseiller en la Cour d’appel d’Agen et M.Moullié, substitut du procureur général furent délégués à cet effet par la commission.
Les deux hommes protégés par quelques gendarmes ont parcouru les campagnes des quatre arrondissements pendant les mois de janvier et de février 1852. Ils ont auditionné plus d’une centaine de témoins. M. Faucon et M. Moullié ont enregistré les circonstances de l’insurrection, la liste des principaux meneurs et surtout comme le prévoyaient les ordres reçus, ils ont pu connaître des détails sur les principales sociétés secrètes disséminées dans le département.
Par exemple, Jean Pouy de Nérac a révélé les modalités du recrutement, du serment ainsi que les noms des affiliés[16]. Cormarie a quant à lui livré la liste écrite des trente-six adeptes de la société secrète de Casteljaloux dont il était l’un des chefs.
A la fin du mois de février 1852, l’instruction était bouclée. Moullié et Faucon ont livré leur rapport de plusieurs centaines de pages au préfet Paul de Preissac[17]. Quelques jours après le jugement a commencé. Le ministre de l’intérieur le Duc de Morny, le ministre de la guerre Saint-Arnaud et le ministre de la justice Eugène Rouher ont signé le 3 février 1852 une circulaire commune qui crée dans chaque chef-lieu une commission mixte. En Lot-et-Garonne, la commission est composée du préfet Paul de Preissac, du commandant militaire du département M. Bourrely agissant en vertu des pouvoirs conférés par le général Loyré d’Arbouville et du procureur de la République M. Sorbier. Ces commissions mixtes ne rendaient pas de jugement mais prenaient, à huis-clos, sans entendre les inculpés ni aucun témoin des décisions souveraines au vu des renseignements fournis par les autorités locales, du relevé des sommiers judiciaires, des notes consignées sur les registres des prisons et surtout sur le rapport d’audition des témoins. Les commissions mixtes n’avaient pas pour objectif de prononcer une peine mais de prendre une mesure de sécurité dont elle ne fixait pas la durée parce que le gouvernement restait toujours libre de l’atténuer ou de la lever.
Les motifs d’accusation sont très variables. A Sainte-Livrade, il est reproché à plusieurs hommes d’avoir envahi la mairie. Un habitant de Nérac, Jean Lanne est accusé d’avoir crié : « Vive la République démocratique et sociale ! » dans les rues de la ville.
Les inculpés sont parfois qualifiés de « socialistes » ou de « rouges » comme par exemple Antoine Labadie, trente-deux ans, instituteur libre à Roquefort; il est soupçonné d’avoir des opinions très exaltées et d’être un « agent démagogique dans sa contrée depuis 1848. »
L’affiliation à une société secrète constituait un solide motif d’accusation et entraînait souvent une condamnation. C’est le cas du tailleur de pierres Mazeret qui fait partie de la société secrète de Bruch sans pour autant avoir participé à l’insurrection[18].
Les peines infligées ont été les suivantes. Quatre individus ont été renvoyés devant le conseil de guerre. On trouve dans cette catégorie les chefs présumés et ceux qui ont tiré sur la foule.
Ainsi, Peyronny a comparu au début du mois de janvier 1852 devant le Conseil de guerre de Bordeaux à cause de sa fonction de commandant militaire de l’arrondissement de Marmande pendant l’insurrection. Il est condamné à la dégradation de la Légion d’honneur, au remboursement de la procédure et à être conduit à la frontière espagnole pour une expulsion sans terme limité qui a été substitué à la déportation. Le dernier jour de son procès, Peyronny, les larmes aux yeux, a donné sa pleine et complète adhésion au coup d’Etat[19]. Peut-être, cet acte de repentance lui a valu un allègement de peine.
Les trois accusés, Jean Prévot, Pierre Plazanet et Pierre Cabeau sont, eux, passés en jugement devant le premier conseil de guerre de la 14edivision militaire de Marmande pour la tentative d’assassinat du maréchal des logis Gardette lors de l’épisode de Sainte-Bazeille. Prévot a été condamné à la déportation, Plazanet à la détention à perpétuité tandis que Cabeau a été remis en liberté.
Voyons maintenant les condamnations subies par les insurgés rendues par les commissions mixtes sachant que celles-ci ont eu à statuer sur 848 cas.
Deux insurgés, Michel Séaille et Etienne Laville ont été condamnés à la déportation à Cayenne.
Cent-quatre-vingt-treize ont été assignés à résidence forcée en Algérie (la peine était présentée sous la mention Algérie plus) et cent-quatre-vingt-neuf en résidence libre (Algérie moins). Dans cette catégorie figurent les cadres de l’insurrection et les personnes qui ont joué un rôle actif pendant les événements.
On y trouve la grande majorité des membres des comités insurrectionnels de Marmande, Villeneuve-sur-Lot et d’Agen, les deux émissaires Jean Baptiste Soubrié et Louis Deyres[20] ainsi que les chefs de la colonne néracaise Darnospil[21] et Soubiran.
Onze insurgés ont été expulsés du territoire français. Parmi eux, il y a notamment Paul Vergnes[22].
Cent-quatre-vingt-huit insurgés furent condamnés à être internés, cent-quatre-vingt-dix-huit libérés sous la surveillance de la police et enfin soixante-trois individus remis en liberté. La commission mixte a jugé qu’il s’agissait de personnes entraînées dans l’insurrection, obéissant aux chefs mais sans avoir eu aucune responsabilité. Les historiens Maurice Agulhon, Luc Willette et Adrien Dansette ont montré dans leurs ouvrages respectifs la sévérité des jugements dus selon eux au sentiment de peur du parti de l’ordre suscité par l’insurrection. Le tableau ci-dessous met en parallèle les jugements des commissions mixtes à l’échelle locale du Lot-et-Garonne et ceux à l’échelle nationale. En tout, 26884 individus ont été poursuivis[23].
Tableau 6.2 : Comparaison sur les condamnations
Le tableau montre que le jugement de la commissions mixte lot-et-garonnaise a été particulièrement sévère car près de 45 % des insurgés ont été déportés en Algérie contre 35,6 pour la moyenne nationale. De plus, 24,4 % des individus ont été libérés sur l’ensemble du territoire français alors que 7,4 % l’ont été dans le Lot-et-Garonne. Peut-être cela s’explique-t–il par le fait que le département ait connu de très nombreux foyers d’insurrection et les désordres plus fréquents par rapport aux autres départements français. Les insurgés ont donc été punis en conséquence. Charles Seignobos a écrit que Louis Napoléon Bonaparte « étranger à la cruauté de sa propre politique n’a ni ordonné ni même bien connu la persécution organisée par Morny »[24]. Adrien Dansette estime, lui, que le Président de la République s’est ménagé le soin de faire triompher son point de vue personnel après s’être plié aux circonstances. A cet effet, à la fin du mois de mars 1852, trois conseillers d’Etat furent envoyés en mission extraordinaire pour examiner l’oeuvre des commissions mixtes et y ajoutaient un peu de clémence l’un dans le centre de la France, l’autre dans le sud-ouest et un troisième dans le sud-est[25]. Le colonel Charles Espinasse, l’aide camp de Louis Napoléon Bonaparte est arrivé à Agen le premier avril 1852 avec la mission d’adoucir le sort des condamnés entraînés dans l’insurrection et ceux dont la participation aux évènements est imputée à des influences personnelles. Quant aux chefs, aux hommes d’intelligence et d’initiative, les décisions des commissions mixtes devaient recevoir leur plein effet. Après avoir pris connaissance des dossiers, Espinasse s’est montré surpris par l’ampleur de l’insurrection[26]. Il a néanmoins apporté les modifications suivantes. Les deux condamnés au bagne à Cayenne ont vu leur peine commuée en résidence forcée en Algérie.
Dix-sept personnes passent de la catégorie des internés en Algérie à l’internement en France. Un individu expulsé du territoire est interné en France.
Enfin, vingt-quatre internés deviennent libres mais restent assujettis à la surveillance de la police. Il n’y a pas eu de remise en liberté.
Le colonel Charles Espinasse a mis un terme définitif à la répression du mouvement républicain lot-et-garonnais opposé au coup d’Etat du 2 décembre.
[1] Au total, trente et un départements ont été soumis à l’état de siège en France en décembre 1851. Quatre départements l’ont été dans le sud-ouest, la Gironde, le Lot, le Gers et le Lot-et-Garonne. [2] ADLG, 4mi51 [3] ADLG, 4M24 [4] ADLG, 19U7 [5] ADLG, 4M43. L’acte d’accusation contre Petit-Lafitte est en effet implacable : « Chef véritable de l’insurrection. A plus que tout autre dirigé le mouvement dans tout l‘arrondissement de Marmande. Principal organisateur de la société secrète. Considéré comme ayant fait le plus de mal dans le pays ». [6] ADLG, 4mi51 [7] ADLG, 4mi51 [8] ADLG, 4mi51 [9] ADLG, 4M24 [10] ADLG, 4M24 [11] Jean Maîtron, op. cit. [12] ADLG, 4mi51 [13] Alfred Neuville, op. cit. [14] Cf. Jean Tonnadre, « Le coup d’Etat du 2 décembre 1851 et l’internement des insurgés du Lot-et-Garonne dans la citadelle de Blaye », Revue historique de Bordeaux, t. XVII, 1968. [15] ADLG, 19U5 [16] Jean Tonnadre, op. cit. [17] Le rapport de Moullié et Faucon est consultable dans la série 19U1-7. Les interrogatoires détaillés des témoins y sont consignés. [18] Jean Tonnadre, op. cit. [19] Voici ce que l’on peut lire dans le journal « La Guienne » de Bordeaux en date du 15 mai 1852 : « L ‘ex-commandant Peyronny est, dit-on, parti hier soir de notre ville accompagné de M Teyssier, commissaire de police qui a été chargé de surveiller son voyage jusqu’à la frontière d’Espagne. Ce n’est point un bannissement de dix années mais une expulsion sans terme limité qui a été substitué à sa condamnation ». [20] Louis Deyres mourut le 14 décembre 1852 en déportation à Lambessa en Algérie. [21] Etienne Darnospil est mort en Algérie en 1883. Sa femme s’est battue pendant trente années pour obtenir son retour en France. En vain. [22] Pendant son exil de sept années (jusqu’en 1859), Paul Vergnes a toujours refusé le serment que Louis Napoléon exigeait de lui en tant que membre du Conseil général pour le canton de Marmande. [23] Le chiffre de 26884 individus poursuivis est celui retenu par l’historien Charles Seignobos dans Histoire de France contemporaine, tome VI, Paris, 1921, page 220. Ce chiffre a été l’objet de nombreuses discussions. D’autres chiffres ont été proposés. Jules Simon dans Souvenirs du 4 septembre, Paris, 1874, en tant que secrétaire du comité qui les secourait prétend que les exilés dépassèrent de beaucoup le chiffre officiel donné en 1853 par le préfet de police Charles de Maupas. Le colonel Mouton La transportation en Afrique, Paris, 1901, p. 210, lui, entendit affirmer par un employé du secrétariat général d’Algérie que ce territoire avait reçu plus de 15000 transportés. [24] Charles Seignobos, Histoire de France contemporaine, t. VI, La Révolution de 1848 et le Second Empire, 1848-1859, Paris, 1921. [25] A. Dansette, op. cit.
[26] ADLG, 4mi 83 R1 |