La résistance républicaine en Lot-et-Garonne

La résistance républicaine au coup d’Etat du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte en Lot-et-Garonne

par Bertrand Carbonnier

mémoire de maîtrise sous la direction de Bernard Lachaise et Christine Bouneau

Université de Bordeaux 3 – juin 2001

Partie II : Le déroulement du mouvement insurrectionnel Chapitre IV : Les vicissitudes de la résistance républicaine

 

A- Le reflux de la colonne néracaise devant Agen

 

Les insurgés de la colonne du Néracais campent depuis quelques heures à Roquefort, aux portes d’Agen en cet après-midi du jeudi 4 décembre.

Le menuisier Joseph Ducos, le boulanger Jean Mazère et le tailleur de pierre Jean Madet sont partis en éclaireur pour connaître la situation dans le chef-lieu. Ils ont constaté que la ville est parfaitement calme et qu’aucune insurrection ne s’y est produite.

Les autorités locales ont pu constituer leur défense puisque le sous-préfet Vigne, après l’épisode de Nérac, a pu informer le préfet Paul de Preissac et le maire Jules Menne de l’arrivée imminente de la colonne. La garde nationale qui a été appelé à la rescousse s’est réunie pour maintenir la tranquillité publique. De plus, des troupes de garnison ont été placées à la tête du pont de pierre ainsi que deux pièces d’artillerie braquées en direction de la rive gauche pour empêcher tout risque d’invasion du chef-lieu.

A leur retour, les trois éclaireurs de la colonne sont tombés à la rencontre du capitaine de gendarmerie M. Saint-Marc assisté de quelques hommes. Ces derniers ont donné l’ordre à Ducos, Mazère et Madet de se disperser mais ceux-ci ont refusé tout en affirmant être prêts à tirer. Après un face à face d’une dizaine de minutes, les deux camps se sont retirés chacun de leur côté. Les trois hommes ont livré ces informations à Darnospil en concluant que les fidèles du parti de l’ordre possédaient les moyens et la volonté de se battre.

 

Pendant ce temps, la situation à Agen était assez confuse.

Les chefs du comité insurrectionnel ont appris dans l’après-midi du 4 décembre que leur plan n’avait pas fonctionné comme ils l’espéraient. Arnaud Barral, diligenté à Villeneuve-sur-Lot, a confirmé au comité que l’appel pour marcher sur Agen s’est soldé par un échec. Ils ne pourront donc pas compter sur l’appui de la colonne villeneuvoise le 4 décembre.

Le recrutement dans le canton de Puymirol n’a pas eu plus de succès car pas plus d’une vingtaine de personnes ont répondu aux appels de Barthe et de Soubrié. Ces hommes ont néanmoins marché sur le chef-lieu le même jour mais de façon isolée. Ils ont grossi le nombre des agitateurs de la ville.

Louis Deyres et Lalieuvré ont, eux, réussi dans leur entreprise puisque environ deux cents personnes ont convergé vers la place publique d’Aiguillon au rappel du tambour. La colonne s’est mise en marche en direction d’Agen mais les effectifs ont fondu considérablement en cours de route à tel point qu’au Port-Sainte-Marie, les insurgés n’étaient plus qu’une trentaine. Quatre seulement sont arrivés à Agen[1].

Les habitants du canton de Prayssas, sur lesquels les chefs du comité comptaient fermement ne se sont pas rebellés contre le coup d’état bonapartiste.

Les insurgés agenais ont également appris que la colonne en stationnement à Roquefort ne pouvait entrer dans Agen à cause des forces déployées pour s’opposer à eux.

Les membres du comité insurrectionnel ont donc décidé de se réunir chez Fournel à huit heures du soir pour faire le point et pour prendre les dispositions qui s’imposent.

Ils ont arrêté les décisions suivantes :

« Nous, membres de la commission nommés pour aviser à raison de la gravité des circonstances politiques, invitons tous les citoyens qui pourraient marcher sur Agen à rentrer dans leurs foyers et éviter toute collision.

Signé : Fournel, Delpech, Barrai, Dauzon, Gardette, Vivens. Agen, le 4 décembre. Huit heures du soir »[2].

 

Aussitôt, le comité insurrectionnel a dépêché Madame Armstrong, connue pour être affiliée depuis longtemps aux sociétés secrètes[3] au-devant de la colonne du Néracais pour l’engager à se retirer. Celle-ci est donc partie en cabriolet informer que le plan d’insurrection avait raté et qu’ils ne doivent pas avancer.

Pourtant, un rassemblement d’une centaine de personnes s’est déroulé au même moment sur la place du Palais. Le groupe a été grossi par d’autres insurgés armés de piques et de broches en provenance du faubourg du Pin. L’intention de ces hommes était de s’emparer de la mairie et contraindre le maire Jules Menne. Ils savaient pouvoir compter sur les septième et huitième compagnies d’infanterie d’Agen qui ont rompu leurs rangs et se sont joints aux insurgés.

Le premier magistrat d’Agen a enjoint ses fidèles de défendre la mairie pendant que les soldats s’occupaient du pont de pierre.

Les gardes nationaux assurent la défense de l’Hôtel de Ville en croisant les baïonnettes.

De leur côté, Foumel et Delpech ont dissuadé la foule sur cette attaque qu’ils estiment inutiles. Ils ont déclaré aux insurgés que « les colonnes de Nérac et de Villeneuve-sur-Lot ne viendraient pas et qu’ils leur faut rentrer chez eux. »

Finalement, Fournel et Delpech sont parvenus à leurs fins puisque les derniers insurgés ont compris le caractère désespéré de leur lutte. En fin de soirée, la place du Palais s’est peu à peu dégarnie. Vers neuf heures du soir, les chefs insurrectionnels ont commencé à récupérer leurs papiers personnels à leurs domiciles respectifs puis ont pris la fuite.

Vivens, Fournel et Davezac sont ainsi partis pour Villeneuve-sur-Lot afin d’y organiser un comité de résistance[4]. Ils y ont joué pourtant un rôle totalement effacé en ne prenant part à aucune des décisions du conseil municipal villeneuvois. Jules Jommain a entrepris des perquisitions au domicile de Vivent, Narbonne, Serres, Davezac, Foumel ainsi qu’au Cercle de l’Industrie et de la Fraternité. De nombreuses arrestations concernant des personnages identifiés comme ayant pris une part active à l’insurrection ont été entreprises. Cela a été le cas du charpentier Michel Séaille, de Bernard Fourcade, Jean Pujol, Joseph Rivière, Bernard Minvielle tous domiciliés à Nérac.

 

La résistance républicaine est donc complètement étouffée. Le comité insurrectionnel est, lui, décapité. Né le 3 décembre, il expire dans la soirée du 4 décembre.

 

Pendant que la défaite du mouvement insurrectionnel se consommait, les combattants de la colonne ont commencé à se disperser sans trop savoir quoi faire ni où aller. Des récriminations ont fusé pour reprocher l’attitude des chefs. Oubliant ces cris de plainte, Darnospil a organisé la retraite qu’il souhaite groupée par Sérignac, Bruch, Feugarolles, et la vallée de la Baïse. Le reflux de la colonne a commencé.

La plupart ont jeté leurs armes près des routes pour ne pas être reconnus et se sont acheminés dans la nuit du 4 au 5 décembre vers leur demeure. D’autres, munis de leurs armes, se sont formés en peloton et profitant également de la nuit ont regagné leurs domiciles[5].

 

Carte 4.1 : Le reflux de la colonne néracaise

Une habitante de Calignac a ainsi aperçu « à leur retour, 1’oeil morne et la tête baissée les conquérants si fiers du matin »[6]. La majorité des insurgés est repartie chez elle. Cependant, il restait dans la colonne en dispersion un groupe résolu d’une centaine de personnes résolues de continuer, au moins pour un temps, la lutte.

Ainsi, à Sérignac, des hommes se sont présentés à la mairie dans le but de s’en emparer mais le maire aidé de la garde nationale en poste les en ont dissuadé.

Les contestataires ont aussi agi à Bruch et au Port-Sainte-Marie. Une douzaine de rescapés de la marche républicaine toujours conduits par Darnospil ont pris d’assaut la mairie de Bruch dans la matinée du cinq décembre. La garde nationale a reculé devant cette tentative. Jusqu’au huit décembre, l’Hôtel de Ville a été ainsi aux mains des républicains, simplement gardée par un seul homme Jean Darqué.

Peu de temps ensuite dans l’après-midi, ce même groupe est parti pour le Port-Sainte-Marie ou ils ont aidé les insurgés locaux à organiser des patrouilles dans les rues de la ville. Darnospil est plus tard parti pour Marmande grossir les rangs des révoltés.

Comme pour les membres du comité d’Agen, il semble n’y avoir joué aucun rôle majeur.

 

B) L’autorité municipale renversée dans six nouvelles communes rurales

 

La dispersion de la colonne du Néracais et l’absence d’insurrection à Agen ont été connus dans l’ensemble du département les 4 et 5 décembre. Pourtant, ces nouvelles n’ont pas empêché les insurgés de continuer leurs combats puisqu’ils ont investi les municipalités de six nouvelles communes, toutes situées dans l’arrondissement de Marmande. Ces derniers ont été en contact permanent avec l’insurrection marmandaise puisque des émissaires ont souvent fait le trajet entre le chef-lieu d’arrondissement et ces communes. Ces hommes essayaient de soulever les populations locales en exécution des ordres reçus par le comité insurrectionnel marmandais.

 

Au nord de l’arrondissement à Lauzun, le 4 décembre vers sept heures, un groupe d’une quinzaine de personnes ayant comme chef de file le notaire Antonin Flourens s’est rendu au domicile du maire de la ville M.Charrié afin que celui-ci leur remette les clefs de la mairie et les armes entreposées à l’intérieur. M.Charrié a refusé d’obéir à cet ordre. Aussitôt après, les contestataires ont enfoncé les portes de l’Hôtel de Ville désert à ce moment-là. Un poste de gardes armés a été installé puis Antonin Flourens a été proclamé maire. La nouvelle autorité a sommé le directeur de la poste de Lauzun de rendre les dépêches télégraphiques et les instructions qu’à elle seule ce qui a été fait le cas échéant. Les insurgés ont fait afficher les proclamations de Peyronny et de Paul Vergnes dans la soirée du 5 décembre. De nombreux habitants de Lauzun sont allés jusqu’à Marmande participer aux évènements pendant que des sentinelles armées restées dans le bourg assuraient l’ordre.

 

La mairie de Meilhan-sur-Garonne a également basculé dans le camp de l’insurrection mais à une date plus tardive. En effet, jusqu’au 6 décembre, aucune manifestation d’opposition aux mesures de Louis Napoléon Bonaparte ne s’est produite dans cette commune de deux mille quatre cents habitants à treize kilomètres à l’ouest de Marmande. A cette date néanmoins, les événements du chef-lieu d’arrondissement ont commencé à trouver un certain écho au sein de la population locale. Après avoir reçu la dépêche signée par Paul Vergnes, le conseil municipal de Meilhan-sur-Garonne s’est réuni. Il a été délibéré à l’unanimité moins la voix du maire que « par son acte le Président de la République a agi anticonstitutionnellement ». Le maire n’a pu empêcher que les fusils de la mairie soient mis entre les mains de plusieurs citoyens ayant l’opinion de la majorité du conseil.

Cinq hommes dont le cultivateur Mathieu Delluc se sont ensuite placés devant la maison commune « pour défendre la Constitution violée »[7].

 

Le canton du Mas d’Agenais, limitrophe de celui de Meilhan-sur-Garonne et de Marmande, a connu la même situation. En effet, depuis la réception de la dépêche télégraphique du 3 décembre jusqu’au 6 décembre, « le calme le plus complet a régné dans les rues du Mas d’Agenais » comme le note le commissaire de police M. Carrère[8]. Le 6 décembre à sept heures et demie du matin, l’ancien maire de la commune M. Petit-Lafitte, arrivant depuis Tonneins, a formé la troupe devant la maison de l’aubergiste M.Folin et l’a fait marcher jusqu’à l’Hôtel de Ville. Outre Petit-Lafitte, cette foule de près de trois cents personnes armées de fusils et de faux était commandée par Raymond Trubelle et par le pharmacien Charles Cantillon. Petit-Lafitte a enjoint le maire M.Bourdet d’ouvrir les portes de la mairie. Celui-ci a d’abord refusé pour finalement se constituer prisonnier face à la force du nombre. Les insurgés se sont donc emparés de la mairie puis dans la soirée de la poste. Des hommes armés ont été placés dans les quatre rues aboutissant à la ville. Puis Petit-Lafitte est parti pour Caumont-sur-Garonne, un bourg de mille habitants situé dans le même canton du Mas d’Agenais. Soutenu par des hommes recrutés par ses soins et totalement dévoués à sa cause, Petit-Lafitte a réussi à rassembler environ deux cents insurgés armés de fusils, de sabres et de faux. Ces derniers se sont présentés devant l’Hôtel de Ville afin d’y déposer l’autorité. Le maire s’est démis de ses fonctions face à la pression de la foule.

Dans le village de Sénestis, peuplé par neuf cents âmes, le tambour battant le rappel a retenti le 7 décembre vers cinq heures du matin. Environ cent cinquante hommes se sont aussitôt rendus devant la mairie. Une délégation composée par le cultivateur Gérard Labatut, Etienne Cazenave, et François Bacarisse s’est constituée. Ils ont déclaré au maire de Sénestis être prêts à « défendre la Constitution au péril de leurs vies ». Le premier magistrat a été contraint formellement par les trois hommes de donner sa démission ce qu’il a été obligé de concéder vers midi.

Enfin, dans le chef-lieu de canton de Bouglon, le calme a été rompu le 5 décembre vers neuf heures du soir lorsque environ cent-cinquante insurgés venus de Marmande ont investi la commune. Aidés par une cinquantaine d’habitants de Bouglon, ces hommes commandés par le propriétaire originaire de Fauguerolles Gabriel Séré-Lanauze ont envahi avec force la mairie. Le maire M. Barthélémy a cédé sa démission en remettant aux insurgés les archives communales, les clefs de la mairie et les fusils de la garde nationale[9].

 

Les tentatives des républicains ont donc été couronnées de succès dans six bourgs ruraux. Mais celles-ci ont été vaines dans de nombreuses autres communes.

 

C- Les tentatives avortées de soulèvement

 

Les insurgés ont cherché à susciter l’insurrection au sein de la population surtout dans l’arrondissement de Villeneuve-sur-Lot puisque sept tentatives de soulèvement sont à signaler. Le serrurier Simon Bordes a tenté d’exciter la population de Saint-Antoine-de-Ficalba en criant à celle-ci rassemblée sur la place publique qu’il était contre la mesure de Louis Napoléon Bonaparte. Il n’a pas remporté l’adhésion des habitants puis il est parti à Villeneuve-sur-Lot sans insister. Quatre jours plus tard, le 7 décembre vers onze heures du soir, M.Baldy a tenté la même opération mais accompagné d’une quarantaine d’individus cette fois. Leur tentative visant à s’emparer de la mairie de Sainte-Antoine-de-Ficalba n’a pas connu plus de succès.

 

A Monsempron-Libos, situé à trois kilomètres du chef-lieu de canton de Fumel, l’ancien sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot Victor Corne, son frère Edmond propriétaire à Fumel et le maître de bateau Auguste Bonnal ont parcouru les villages du canton pour inciter les habitants àprendre la municipalité de Monsempron-Libos mais seulement une dizaine d’entre eux a répondu favorablement à leurs appels. La tentative a été abandonnée peu après.

 

Un rassemblement d’une vingtaine de personnes a eu lieu dans le principal café de Villeréal le 3 décembre dans l’après-midi. Dans la soirée, le cafetier Ernest Robert est parti pour Villeneuve-sur-Lot pour recevoir les ordres. Il est revenu à Villeréal porteur d’une lettre de Léopold Deytier. Ce dernier enjoignait les républicains de prendre la municipalité.

Les insurgés se sont concertés par la suite. Les deux frères Mouillerat se sont montrés en faveur du projet mais finalement M. Cardinal et M. Brousse ont dissuadé tout le monde en forçant la population à ne pas se compromettre.

 

Dans le nord de l’arrondissement, à Castillonnès, les dépêches ont été normalement affichées le 3 décembre. Un petit groupe d’une vingtaine de contestataires s’est réuni au café de la République. Rien n’a été décidé mais le 9 décembre (six jours plus tard), les insurgés ont fait une tentative contre l’Hôtel de Ville. Celle-ci a échoué aussitôt.

 

A Monflanquin, les opposants se sont rassemblés au café Barrot avant d’aller à Villeneuve-sur-Lot le 3 décembre. Léopold Deytier et le médecin Paul Doumergues ont apostrophé le maire M. Huc en l’enjoignant de rejoindre le mouvement insurrectionnel. Sur son refus, les insurgés ont tenté de forcer les portes de la mairie mais le maire aidé par six gendarmes les en ont empêché. A Saint-Etienne-de-Fougères, une réunion s’est tenue le 3 décembre chez le forgeron Martin. L’instituteur révoqué M. Bignalet a tenté en vain d’exciter la population car ces derniers sont restés sourds à ces injonctions concernant le renversement de l’autorité municipale. A Monclar d’Agenais, six personnes, notamment Jean-François Séguy, le maçon Raymond Delfour et le boulanger Simon Goubil sont parvenus dans le bourg en provenance de Sainte-Livrade pour persuader les habitants de s’insurger contre les autorités municipales dévouées au parti de l’ordre. Le maire a tout de suite réagi en installant un poste de quinze gardes armés devant l’Hôtel de Ville. La poudre, située dans un entrepôt du village a été réquisitionnée pour ne pas qu’elle ne tombe aux mains des insurgés. Enfin, la caserne de gendarmerie a été mise en alerte. Les opposants au coup d’Etat ont définitivement renoncé[10].

 

Dans l’arrondissement de Nérac, les tentatives pour s’emparer des mairies ont été assez peu nombreuses car le mot d’ordre était de marcher sur Agen. Ce n’était pas un objectif prioritaire si bien que la plupart des municipalités ont été ignorées. La tentative la plus sérieuse a eu lieu dans le sud du département à Mézin. Dans cette localité de trois mille deux cents habitants, environ deux cents personnes se sont massées devant le café de la Jeune France le 3 décembre, le point de ralliement de tous les démocrates-socialistes du canton. Une quarantaine d’individus conduits par Soubiran père et fils et Laclotte se sont portés chez le maire afin que celui-ci se joigne à eux. Sur son refus, les insurgés ont essayé de rentrer dans l’Hôtel de Ville mais cent cinquante hommes dévoués au premier magistrat s’étant préalablement constitués en garde nationale ont défendu la mairie. Les insurgés ont préféré déserter les lieux en partant pour Barbaste.

 

Cinq grands foyers d’insurrection sont localisés dans l’arrondissement de Marmande.

 

A Saint-Barthélémy-d’Agenais, à vingt kilomètres de Marmande où aboutit un chemin de grande communication, les sept cents habitants du village ont reçu favorablement la nouvelle du coup d’Etat le 3 décembre.

Cependant, une dizaine d’habitants sont venus dans le village dans la nuit du 5 au 6 décembre pour sommer le maire Antoine de Chadois de leur rendre les clefs de la mairie et les fusils entreposés. Soixante-dix habitants du village armés de fusils sont venus à la rescousse du premier magistrat si bien que plus aucune manifestation intra et extra-muros n’a eu lieu.

 

Dans le même temps, un rassemblement d’environ cent personnes s’est massé sur la place publique de Miramont-de-Guyenne. Une certaine agitation a suivi. Les républicains ont tenté de changer l’autorité municipale le 3 décembre dans la soirée mais un solide piquet de quarante gardes armés les en ont dissuadé. Les insurgés se sont bientôt retirés. Le bourg est resté calme deux jours durant. Dans la soirée du 5 décembre, l’ordre du commandant Peyronny dans lequel il exhortait les populations à s’armer et à marcher sur Marmande a été affiché dans tous les lieux publics de Miramont-de-Guyenne. L’adjoint au maire M.Flayolle a voulu déchirer les affiches mais deux individus, Marcellin Lacombe et l’ancien gendarme Barthélémy Jouffreau l’ont simultanément couché en joue. C’est le seul incident sérieux qui est eu lieu àMiramont-de-Guyenne. Le conseil municipal est resté en place et n’a plus été menacé par la suite. Néanmoins, les insurgés ont obtenu le renvoi du commissaire de police M. Hérisson.

 

A Argenton, c’est l’attitude dissuasive du maire M. Ducasse qui a empêché l’envahissement de la mairie dans ce bourg situé à seulement un kilomètre du chef-lieu de canton Bouglon où les insurgés ont renversé l’autorité municipale. Le 6 décembre à quatre heures de l’après-midi, quarante-et-un républicains d’Argenton armés de fusils et de piques se sont présentés devant le maire en lui ordonnant de leur livrer les papiers de la commune ainsi que les insignes de maire. Ce dernier n’a pas hésité à répondre, seul, avec un pistolet dans chaque main. Il a refusé d’accéder à leurs revendications arguant qu’il ne se dessaisirait de ses fonctions que par arrêté du préfet du Lot-et-Garonne.

La fermeté du maire et la vue de ses pistolets ont entraîné le repli des insurgés sur Marmande.

 

A Clairac comme à Argenton, les autorités se sont rapidement retrouvées privées de toute force répressive pour prévenir le rassemblement de deux cents personnes sur la place publique le quatre décembre dans l’après-midi. Vers cinq heures du soir, ils sont allés au domicile du maire Audebez. A la surprise de celui-ci, les insurgés par la voix de Georges Pommeau ont réaffirmé leur dévouement entier au maire et à ses adjoints. Le premier magistrat a pourtant concéder la mise en place d’un poste de vingt gardes armés à la mairie chargé de « défendre la Constitution, les lois et de maintenir 1’ordre public. »[11] Le poste s’est maintenu du 4 décembre au 9 décembre.

Durant ces cinq jours, plus aucune manifestation d’hostilité ne s’est produite dans cette ville de quatre mille cinq cents âmes.

A cinq kilomètres de là, quatre cents individus se sont amassés sur la place du château à huit heures du matin le 3 décembre. Ils se sont ensuite dirigés armés à la mairie. Le maire M.Clouach, lui, a fait saisir la poudre et les fusils chez les armuriers et enlever les cordes de toutes les cloches pour empêcher qu’on ne sonne le tocsin. Pour éviter tout débordement il a installé et armé lui-même un officier militaire, le maréchal des logis ainsi que quatre gendarmes placés à l’Hôtel de Ville. Tous ces hommes ont eu pour ordre de défendre la mairie contre les tentatives des insurgés. Dans le même temps, des agents policiers ont sillonné la ville pour surveiller les rassemblements. Cet ensemble de mesures de sécurité n’a pas intimidé les insurgés puisqu’une députation de douze à quinze hommes ayant à sa tête l’avocat Alexis Laffiteau a été reçu par le conseil municipal le 4 décembre en tout début d’après-midi. Celui-ci a été sommé par la délégation de se décider s’il approuvait ou non le coup d’Etat mais le maire M. Clouach et ses adjoints se montrant toujours en faveur des actes du Président de la République, un important coup de force a été monté par Jean Fonsèque suivi par une centaine d’hommes pour s’emparer de la mairie. Les deux camps se sont fait face durant toute la soirée du 4 décembre. Le maire a toujours refusé d’obtempérer.

Finalement, les autorités municipales d’un côté, les forces insurgées de l’autre ont préféré éviter l’affrontement. Les républicains se sont dispersés et les troubles se sont terminés dans Tonneins.

 

L’exemple de Tonneins illustre nettement la détermination du maire de la ville à faire face aux velléités des insurgés bien aidé, il est vrai, par les forces de la gendarmerie locale. Dans de nombreuses communes rurales, ce sont les maires qui ont eux-mêmes assuré la défense. En tant que fonctionnaires de l’Etat, ils devaient exécuter les ordres du Président de la République en obéissant donc aux mesures que celui-ci prenait fussent-elles un coup d’Etat. Cela explique que la très grande majorité des maires lot-et-garonnais s’est jointe aux décisions du chef de l’Etat et a donc refusé d’accéder aux demandes des insurgés. La lettre d’adhésion aux actes de Louis Napoléon Bonaparte envoyée par le maire de Saint-Barthélémy Antoine de Chadois alors que l’Hôtel de Ville est attaqué au préfet Paul de Preissac est un exemple de ce révélateur de ce dévouement. Le message est le suivant :

« Ballotté à partir de 1789 dans le tourbillon d’une révolution, soldat en 1793 dont j’ai vu et déploré toutes les horreurs, je n’ai jamais hésité à me rallier dans les diverses époques de ma longue vie sous les drapeaux de 1’ordre et de 1’honneur. Ce n’est pas dans un moment si décisif que je voudrais abandonner mon poste que j’occupe depuis trente ans et me séparer du pouvoir quand il veille et travaille au salut du pays. Ainsi, vous devez compter sur mon concours le plus dévoué dans tous les ordres et toutes les précautions qui émaneront de votre sage prévoyance.[12]

 

L’attitude des maires a empêché une extension notable du mouvement insurrectionnel en Lot-et-Garonne. En outre, ils disposaient grâce au télégraphe d’un moyen efficace pour être en contact régulier avec le préfet tandis que les républicains attendront parfois des jours pour avoir des nouvelles.

Mais, malgré ces problèmes évidents de communication, les opposants au coup d’Etat étaient en position de force puisque détenteurs de l’autorité municipale dans treize communes dont deux chefs-lieux d’arrondissement et six chefs-lieux de canton.

Néanmoins, les républicains savent pertinemment que leur situation est fragile puisque le chef-lieu Agen n’a pas connu de véritable insurrection. Dès lors, les foyers de troubles de Villeneuve-sur-Lot et de Marmande vont prendre une importance croissante puisque ce sont eux qui détermineront par la suite les orientations du mouvement insurrectionnel lot-et-garonnais.

                                           


[1] ADLG, I 9U6

[2] Le commissaire de police d’Agen, Jules Jommain, fut informé des détails de cette réunion grâce à une perquisition effectuée au domicile de Henri Fournel le 10 décembre.

[3] ADLG, 19U6. L’information est donnée par le commissaire Jules Jommain. Pourtant, nous perdons la trace de Madame Armstrong par la suite. Son nom ne figure ni dans les listes de la commission mixte (ADLG, 4M43) ni même dans les dossiers des condamnés du coup d’Etat (ADLG, 4M26-36).

[4] ADLG, 19U6

[5] Cf. Jacques Clémens, « La marche républicaine de Lavardac à Agen en décembre 1851 », Récit de Ph. Tamizey de Larroque, pp. 380-383, R.A, 1975.

[6] Cf. Hubert Delpont, Pierre Robin, op. cit.

[7] ADLG, 4M24

[8] ADLG, 4M24

[9] ADLG, 19U1

[10] ADLG, 19U5

[11] ADLG, 4M24

[12] ADLG, 4M24