La résistance républicaine en Lot-et-Garonne

La résistance républicaine au coup d’Etat du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte en Lot-et-Garonne

par Bertrand Carbonnier

mémoire de maîtrise sous la direction de Bernard Lachaise et Christine Bouneau

Université de Bordeaux 3 – juin 2001

Introduction

 

Il est important, pour commencer, de connaître les mécanismes qui ont conduit le président de la République, Louis Napoléon Bonaparte élu le 10 décembre 1848 à mettre en place un coup d’Etat le 2 décembre 1851.

Il faut également connaître les origines de l’opposition à l’action politique du président de la République pour comprendre la résistance républicaine au coup de force bonapartiste. Nous devons donc replonger dans le contexte politique de la Seconde République.

 

Les jours suivants la proclamation de la Seconde République le 25 février 1848 se sont déroulés dans une atmosphère de fête républicaine. Partout, ont fleuri les clubs, les journaux, les célébrations spontanées comme les plantations d’arbres de la liberté.

Mais ce sentiment d’unité va laisser rapidement place à une demande sociale exprimée avec vigueur. Ainsi, des dissensions ouvertes entre les républicains modérés et les républicains avancés vont rapidement apparaître.

Les affrontements sanglants des journées de juin 1848 vont entraîner l’anéantissement des partisans de la République sociale. Cinq mois plus tard, la constitution de la Seconde République est proclamée, le 21 décembre 1848. Elle est destinée à faire l’unanimité et satisfaire l’ensemble du pays.

Le président doit prêter serment de « rester fidèle à la République démocratique une et indivisible et de remplir tous les devoirs imposés par la Constitution ».

En outre, il lui est interdit de porter la main sur l’Assemblée sous peine d’être renvoyé devant la Haute-Cour de justice. Enfin, le président de la République est élu pour quatre ans et n’est pas rééligible.

Pendant ce temps, les conservateurs monarchistes regroupés au sein du parti de l’ordre redressent la tête et cherchent un candidat pour l’élection présidentielle, prévue le 10 décembre. C’est Louis Napoléon Bonaparte qui va s’imposer comme l’homme providentiel pour le parti de l’ordre.

Né en 1808, il est le troisième fils de Louis Bonaparte, roi de Hollande et frère de Napoléon 1er. Depuis 1832, il est dépositaire de l’héritage bonapartiste.

Louis Napoléon Bonaparte se pose en défenseur de l’ordre, de la religion, de la famille et de la propriété. Ce programme produit l’effet escompté sur la paysannerie qui constitue la grande majorité de l’électorat. Il est finalement élu président de la République le 10 décembre 1848.

A partir de ce moment-là et jusqu’en décembre 1851, il y aura deux partis face à face. Le premier, le parti de l’ordre représenté par le président de la République en exercice et les démocrates-socialistes[1], de républicains partisans de réformes sociales et qui se baptisent aussi « Montagnards » par référence à 1793[2].

Installé au pouvoir, Louis Napoléon Bonaparte n’a eu de cesse ensuite de museler la gauche au cours des années suivantes (1849, 1850, 1851) car les démocrates-socialistes ont constamment augmenté leurs voix pendant cette période.

Le parti de l’ordre, de son côté, s’y oppose tant sur le plan idéologique par une virulente propagande anti-républicaine et anti-socialiste (caricature des hommes et de leurs idéaux), que sur le plan pratique par l’adoption de mesures répressives.

Malgré les mesures répressives à leur encontre, les démocrates-socialistes attendent l’année 1852 avec un certain optimisme car cette année-là, le président de la République, élu pour quatre ans en 1848 et qui ne peut pas se représenter doit être renouvelé tout comme l’Assemblée, élue pour trois ans en 1849.

Le parti de l’ordre constate ainsi avec méfiance les progrès électoraux de la gauche et estime, par extrapolation, que la majorité du corps électoral pourrait lui échapper en 1852. Louis Napoléon Bonaparte a donc le choix soit de se résoudre à quitter ses fonctions, soit de tenter un coup d’Etat pour rester en place, ce qui est bien évidemment interdit par la Constitution.

Au printemps 1851, une campagne révisionniste favorable à une modification de la Constitution, soutenue par le parti de l’ordre, se développe. La majorité des trois-quart étant nécessaire, celle-ci n’est pas atteinte en juillet 1851.

Ainsi, dès l’été, le président de la République pense sérieusement à un coup de force contre une Assemblée qui lui interdit sa réélection.

Le 17 novembre 1851, une proposition de loi dite « proposition des questeurs » est rejetée. Elle prévoyait que le président de l’Assemblée reçoive la force armée pour assurer la sécurité et la défense de la représentation nationale.

Ce pouvait être une parade éventuelle contre un coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte.

Pour celui-ci, le champ est libre. Le neveu de Napoléon 1er sait pouvoir compter sur l’appui des fonctionnaires, de la totalité des préfets, et du concours de l’armée.

Epris de la symbolique bonapartiste, il choisit le 2 décembre 1851, jour anniversaire du couronnement de l’Empereur par le pape (1804) et d’Austerlitz (1805).

Hormis la résistance républicaine des parisiens au coup d’état, c’est surtout le soulèvement produit dans un certain nombre de départements ruraux de la province qui retient l’attention.

Le mouvement hostile au coup de force présidentiel a en effet touché les départements du centre de la France dans le Cher, la Nièvre, l’Allier, la Saône-et-Loire, le sud-est dans les Basses-Alpes, le Var et le Gard enfin le sud-ouest dans les départements de la Gironde, du Lot, du Lot-et-Garonne et du Gers.

Notre étude a pour objet la résistance républicaine au coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte dans un de ces département du sud-ouest à savoir le Lot-et-Garonne.

 

Les sources dont nous disposons pour mener à bien notre travail sont assez riches. Les journaux contemporains des événements, les rapports détaillés des maires sur la situation de la résistance républicaine dans leurs communes respectives ainsi que les rapports des commissaires de police et des juges de paix permettent d’avoir une vue d’ensemble des faits dans le département. Abondante sur le plan quantitatif donc, les sources pâtissent par contre d’un manque certain de qualité. En effet, les témoignages étant le fait de fonctionnaires de l’Etat, leur objectivité peut être sujette à contestation. Les autorités ont pu ainsi minorer certains faits ou au contraire les exagérer pour mieux servir leur propagande. Nos sources émanent donc entièrement d’un même camp et d’une même idéologie. Elles sont donc à prendre avec précaution.

 

Au point de vue administratif, le Lot-et-Garonne est divisé en quatre arrondissements respectivement l’arrondissement d’Agen, de Marmande, de Nérac et de Villeneuve-sur-Lot.

Le territoire est composé de 34 cantons comprenant 312 communes. En décembre 1851, le département compte 341000 habitants.

La population urbaine se concentre dans le chef-lieu Agen avec 15500 habitants, Marmande et ses 8500 habitants, Tonneins et Nérac avec 7150 habitants et enfin Villeneuve-sur-Lot avec 13000 habitants.

Le reste est constitué par la population rurale qui représente près de 90% de celle-ci.

L’agriculture est l’activité prépondérante des lot-et-garonnais puisqu’elle représente environ 85 % des actifs. Il faut noter également l’importance de la bourgeoisie dans les villes situées plus haut. La plupart exercent parmi les professions libérales (avocat, notaire…). Ils représentent jusqu’à 20 % de la population dans certaines villes.

 

Le Lot-et-Garonne a connu de nombreux bouleversements dans le domaine politique entre 1848 et 1851.

L’euphorie générale entourant la proclamation de la République est assez rapidement retombée puisque dès le mois d’Avril 1848, sept des neuf députés lot-et-garonnais élus ne sont pas républicains. Lors des élections présidentielles de décembre 1848, seulement 53 % des inscrits ont voté pour Louis Napoléon Bonaparte (un des scores le plus faible en France qui n’a ainsi pas reçu la majorité absolue). 22 % des inscrits ont voté pour Ledru-Rollin. Celui-ci est arrivé en tête dans les cantons du Mas d’Agenais, du Port-Sainte-Marie, et de Marmande. Pour l’ensemble de l’arrondissement de Nérac, Ledru-Rollin compte 42 % des voix.

Les élections du 13 mai 1849 sont venu confirmer l’important courant démocrate-socialiste en Lot-et-Garonne. Cette liste a en effet remporté près de 47 % des voix contre 53 % pour le parti bonapartiste.

Cette élection a révélé la géographie politique du département.

Le parti de l’ordre est solidement implanté dans le centre du Lot-et-Garonne de Castillonnès à Francescas ainsi que dans le Villeneuvois. Marmande, la vallée de la Garonne et l’arrondissement de Nérac forme par contre une zone démocrate-socialiste bien distincte. Cette géographie politique reste identique en décembre 1851.

Le champ d’étude et le contexte sont ainsi posés.

 

Il est temps à présent de définir le cadre de notre étude. Notre récit obéit à des limites chronologiques.

Il commence par la réunion préparatoire au coup d’état qui s’est tenue dans le cabinet de Louis Napoléon Bonaparte jusqu’au jugement des opposants républicains en février et mars 1852. Nous avons choisi d’étudier la résistance républicaine au coup d’état de Louis Napoléon par zone géographique. En effet, le mouvement insurrectionnel a manqué d’unité et s’est déclenché puis déroulé de manière localisé dans les quatre arrondissements. Certains cantons sont ainsi restés totalement à l’écart des troubles.

Il est donc préférable d’analyser un par un les foyers d’insurrection.

Nous nous sommes fixés comme objectif de montrer dans cette étude les enjeux de l’insurrection lot-et-garonnaise et d’autre part les spécificités de celle-ci en comparaison notamment avec les mouvements dans les autres départements.

 

Pour démontrer cela, trois parties se dégagent.

Dans une première partie, nous verrons le déclenchement de la résistance républicaine en Lot-et-Garonne. La période étudiée concerne les premiers jours de l’insurrection depuis le 2 décembre jusqu’au 5 décembre. A partir du 5 décembre, la résistance républicaine là où elle a eu lieu, est définitivement en place. Nous verrons donc dans un second temps le déroulement de l’insurrection dans les différents secteurs où elle est née, son évolution, les principaux faits d’armes, l’échec de celle-ci et la répression.

La troisième partie est plus analytique. Il s’agira ici de mesurer l’ampleur de la résistance républicaine et d’interpréter ces évènements: Quel est le rôle joué par les sociétés secrètes ? Qui sont les insurgés ? A quels mobiles l’insurrection obéit-elle ?

Nous tenterons d’apporter à ces questions des réponses les plus claires possibles.

                                       


[1] Cf Jean Garrigues, « La France de 1848 à 1870», Paris (1995). Le nom de démocrates-socialistes provient du nom du Comité démocratique socialiste formé par cinquante-huit députés de l’ancienne Assemblée Constituante et qui draine tout un réseau de comités provinciaux.

[2] Dans notre récit, nous utiliserons les deux appellations ainsi que celle plus commode de républicains.