La résistance républicaine en Lot-et-Garonne

La résistance républicaine au coup d’Etat du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte en Lot-et-Garonne

par Bertrand Carbonnier

mémoire de maîtrise sous la direction de Bernard Lachaise et Christine Bouneau

Université de Bordeaux 3 – juin 2001

Conclusion

 

Le plébiscite du 21 décembre 1851 a scellé de façon définitive la victoire du parti bonapartiste en Lot-et-Garonne. Ce dernier a remporté un large succès puisque 90,5% des votants du département ont approuvé le coup d’Etat présidentiel. Néanmoins, ce satisfecit général ne peut occulter l’ampleur de la résistance républicaine aux mesures de Louis Napoléon Bonaparte quelques jours plus tôt.

Le mouvement insurrectionnel lot-et-garonnais hostile au coup d’Etat présidentiel a donc duré du mardi 2 décembre 1851 jusqu’au mercredi 14 décembre, jour où les colonnes mobiles en arrivant au chef-lieu Agen ont achevé de réduire tout désordre. La résistance républicaine s’est donc déroulée sur une période relativement courte. Elle s’est développée de manière très rapide du 2 au 5 décembre puis a succédé une certaine phase d’immobilisme du 6 au 7 décembre, une période pendant laquelle les insurgés ont attendu des nouvelles de Paris avant de prendre des décisions. Enfin, à partir du 8 décembre le parti de l’ordre a repris les choses en main après avoir reçu les dépêches rassurantes depuis la capitale et les principales villes de province.

Ce découpage sommaire permet de soulever plusieurs interrogations.

Les autorités lot-et-garonnaises ont-elles sous-estimé au début la capacité d’agir des contestataires ? Les membres du parti de l’ordre ont été en fait surpris par la soudaineté de l’insurrection républicaine ce qui explique qu’ils se soient trouvés rapidement privés de moyens de réagir dans de nombreuses communes. Les autorités en place ont de plus méconnu sinon l’existence, du moins l’importance des sociétés secrètes qui ont donné l’impulsion au mouvement armé.

Concernant maintenant l’immobilisme des 6 et 7 décembre, on peut se demander quelles sont les causes de l’indécision des chefs insurrectionnels. Ces derniers ont-ils été eux-mêmes surpris par leur succès ? Y-a-t-il eu des divisions parmi eux ?

Le mouvement opposé au coup d’Etat a de toute évidence manqué d’unité au niveau départemental.

Le Comité insurrectionnel qui a joué le rôle de centre décisionnel de résistance n’a eu de lien seulement avec l’arrondissement de Nérac, celui de Villeneuve-sur-Lot et les cantons proches. Partout ailleurs, les décisions du Comité ont été ignorées dans le département. Il n’est pas même entré en relation avec le conseil insurgé dirigé par Vergnes à Marmande. En fait, le comité insurrectionnel n’a pas joui d’une certaine légitimité qui lui aurait permis d’imposer une direction ferme durant sa brève existence de un jour et demi. Il n’a pas disposé également d’assez de temps pour faire exécuter correctement ses décisions.

De plus, il semble que le reflux des insurgés néracais ait agi de façon rédhibitoire sur les opposants marmandais et villeneuvois. Ils ont sans doute compris, à ce moment-là qu’il était impossible de marcher en colonne sur le chef-lieu d’Agen sous peine d’y subir une défaite définitive.

Manque d’unité d’une part, la résistance républicaine lot-et-garonnaise a pâti, d’autre part, des divisions certaines en son sein. Les motifs de rébellion n’ont pas été forcément les mêmes partout. Dans de nombreuses communes où les insurgés ont renversé l’autorité municipale, les chefs, voulant avant tout garantir l’ordre se heurtent à la population insurgée, elle plus favorable à des mesures révolutionnaires. Les plusieurs centaines de Marmandais massés devant l’Hôtel de Ville ont ainsi réclamé leur entrée au sein du conseil municipal le 4 décembre et ont reproché vivement à Vergnes son attentisme. A Villeneuve-sur-Lot Léopold Deytier et ses hommes agissent pareillement envers le conseil municipal le 3 décembre La population insurgée a donc joué bien souvent comme un groupe de pression envers leurs chefs. Ce clivage apparaît nettement dans les propos de Peyronny lors de son procès. Il a déclaré ceci :

« Nous n’avions pas en agissant ainsi envie de conquérir la République mais seulement de faire une protestation légale. Si nous avons pris les armes, c’est pour faire face aux éventualités, pour garantir Marmande et 1’arrondissement contre les bandes de pillards organisées par Petit-Lafitte qui auraient voulu se servir du prétexte de défendre la République pour attaquer les citoyens et leurs propriétés. Nous sommes sortis de Marmande car la population y était dans une excitation extraordinaire et qu’il était à craindre qu’on ne voulût résister aux troupes en construisant des barricades.

Ces hommes exaltés voulaient la « sociale ». Je l’appelle, moi, la « déloyale », ce n’est pas la République.»

 

Il existait néanmoins une idée générale commune à tous les insurgés lot-et-garonnais : C’est que la République et le progrès social sont indissociables. Mais dans l’expression de cet idéal et dans la lutte en sa faveur, il existait des divergences.

Selon Maurice Agulhon, les notables (notaires, avocats…) avaient commencé à pénétrer « le certain primitivisme des masses » mais de façon trop incomplète lorsque le coup d’Etat est survenu. Entre la voie légale des chefs républicains et la voie révolutionnaire pour défendre la République en danger, il existait donc un désaccord sur le fond entre les deux. Il faut attendre la IIIème République et le début des années 1880 pour qu’une amorce de fusion entre les notables et les masses populaires ait lieu en Lot-et-Garonne. A partir de ce moment-là, la République s’est définitivement installée dans le département.

 

Nous avons largement insisté dans notre étude sur l’éclatement, les diversités ainsi que sur le manque d’unité de la résistance lot-et-garonnaise. C’est pour cette raison qu’il est souhaitable que de nouveaux travaux viennent enrichir nos connaissances sur les causes de cette résistance. Une étude, canton par canton, mettant en relation les conséquences de la crise économique des années 1846-1850 avec les résultats des votes des élections présidentielles de 1848 et législatives de 1849 peut expliquer précisément les causes de l’attitude passive ou au contraire la vigueur de la résistance dans certains cantons.

 

Un champ d’investigation nouveau peut donc être mis à jour.