Marc-Antoine Brillier

Étude biographique sur Marc-Antoine Brillier

ancien représentant du peuple (1809-1888)

par Claude Berthet, Lyon, 1908

 

DEUXIÈME PARTIE : NOTES ET RÉFLEXIONS

 

DE LA RELIGION

L’ÉGLISE ET L’ÉTAT

Selon la théorie de l’Église ultramontaine, Dieu a choisi le pape pour son pasteur, avec mission de conduire le troupeau des humains dans la voie du ciel. Il lui a donné tout pouvoir sur les âmes, sur le spirituel. Le pape seul peut ouvrir aux hommes, par la confession, les portes du paradis.

Dieu a également délégué au pape ses pouvoirs sur le gouvernement des hommes, le temporel, afin de le faire servir au gouvernement des âmes. Ce pouvoir, le pape l’exerce directement ou le délègue. C’est ainsi qu’il avait la prétention de disposer des couronnes des princes. Les rois, pour le pape, sont les chiens de garde de son troupeau.

En sorte que, dans la théorie de l’Église romaine, non seulement le spirituel est joint au temporel, mais il lui est supérieur ; le temporel lui doit obéissance, et il n’est pas exact de dire que l’Église est dans l’État, il faut dire au contraire que l’État est dans l’Église, ou simplement que l’Église, c’est l’État.

Le commandement, ou plutôt la violation du commandement, doit toujours avoir une sanction. La sanction du commandement d’ordre spirituel ne peut être prise que dans l’ordre spirituel. On ne peut convertir que par la persuasion, ou par la crainte d’une peine dans l’autre monde.

En matière religieuse, l’efficacité de l’acte est dans l’intention, et l’intention est insaisissable.

En matière temporelle, on ne tient pas compte de l’intention ; il suffit que l’acte matériel prescrit soit exécuté matériellement.

La croyance est du domaine exclusif de la pensée. Elle est le produit de la foi, c’est-à-dire de la confiance dans la parole d’un homme, ou bien elle procède de la réflexion, du raisonnement.

Dans les deux cas, la croyance qui existe, qui s’est incarnée dans la pensée, ne peut être remplacée par une croyance contraire qu’à la condition d’être préalablement détruite, de même qu’on ne peut, sur un emplacement construit, édifier un bâtiment neuf qu’à la condition de démolir l’ancien.

La volonté est impuissante, soit à créer, soit à détruire la croyance. C’est un moteur qui met en mouvement nos facultés, notre cerveau comme notre bras, mais qui n’a aucun pouvoir par lui-même. Il ne suffit pas de vouloir frapper, si le bras est paralysé ; il ne suffit pas de vouloir ne pas croire, si le cerveau est immobile et ne fait aucun effort pour penser et se débarrasser de sa croyance. Quant au cerveau lui-même, il a besoin d’un levier pour arracher la croyance qui s’est incarnée en lui ; ce levier, c’est une parole plus autorisée, lui inspirant plus de confiance que la première, ou un nouveau raisonnement le conduisant à des conséquences différentes

La volonté agissant dans la plénitude de sa liberté, n’a pas d’action sur la croyance ; à plus forte raison, ne peut avoir d’action sur la croyance la volonté qui ne cède qu’à la contrainte. La contrainte, c’est-à-dire la persécution en matière de croyance, ne peut avoir que l’une ou l’autre de ces deux conséquences : faire des martyrs ou des hypocrites. La contrainte ne peut pas engendrer l’amour de Dieu, mais la haine de Dieu. Le juif, contraint d’adorer le Christ, le maudira intérieurement. On peut donc dire que la contrainte, en matière de croyance, est un double crime de lèse-humanité et de lèse-divinité.

Avant 1789, on méconnaissait ces principes. L’État mettait ses moyens de contrainte à la disposition de l’Église catholique. On sait quelles en ont été les conséquences.

En 1789, on a reconnu que l’État n’avait ni le droit, ni le pouvoir d’atteindre la pensée, de faire la police des croyances qu’il ne pouvait avoir d’action que sur les manifestations extérieures, en tant qu’elles porteraient atteinte à l’ordre public. Comme conséquence, la Révolution française a été amenée à proclamer cette vérité : que le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel sont d’une nature, d’un ordre tout à fait différents, et qu’ils doivent être séparés. 

 

DES ORDRES RELIGIEUX 

Un religieux profès est un homme qui a renoncé à ses biens, à sa liberté, à ses amis, à sa famille, à sa patrie. Il est mort au monde. C’est un cadavre vivant.

Tous les biens qu’il possède deviennent immédiatement la propriété de l’ordre dont il fait partie. S’il en acquiert de nouveaux en son nom, il n’en est que le propriétaire apparent, son monastère en est le propriétaire réel.

Il ne peut posséder, comme lui appartenant en propre, le plus petit pécule, même avec l’autorisation du pape (bulle d’Innocent III) ; pas même une écritoire, une plume pour écrire (règle de saint Benoît).

Et maintenant, si l’on veut faire un don à un religieux profès, il faut qu’on sache bien que ce n’est pas à lui qu’on le fait, mais à son monastère.

Si l’on veut lui conférer ou lui reconnaître des droits, des facultés, des libertés, il ne les peut accepter et en user que de l’autorité et sous la direction de son supérieur, auquel il doit une obéissance absolue, et dans l’intérêt de son ordre. Voici, là-dessus, les décisions du Concile de Trente : « Défend le Saint Concile qu’aucun régulier, sous prétexte de prêcher, d’enseigner, ou d’être employé à quelque autre occupation sainte et pieuse, ne se mette au service d’aucun prélat, prince, université, communauté, ou de quelque autre personne ou maison que ce soit, sans permission de son supérieur ; nul privilège ou faculté obtenue d’ailleurs, ne lui servira de rien à ce sujet, et s’il contrevient à cela, il sera châtié à la discrétion de son supérieur, comme désobéissant. » 

 

LE DIEU DES PRÊTRES 

Je ne crois pas au pouvoir surnaturel que les prêtres s’arrogent, ni au Dieu cruel qu’ils ont inventé, et dont ils invoquent le nom magique pour mieux établir leur domination et leur fortune.

Ils en ont fait un père dénaturé, qui jette ses enfants dans les flammes pour une simple désobéissance.

Ils en ont fait un père injuste et féroce, qui a poursuivi de sa haine toute l’humanité pour une faute originelle commise par le premier ancêtre, et qui n’a accepté de se réconcilier avec les hommes que lorsque ceux-ci ont eu crucifié son propre fils, innocent, qu’il a chargé des crimes de tous.

Ils ont fait de leur Dieu un juge inique, qui pardonne aux plus grands criminels confessés par ses prêtres, et punit impitoyablement l’honnête homme mort sans confession.

Et pourtant, sil existe une justice divine, — et je souhaite qu’il en existe une pour punir les crimes restés impunis en ce monde, — elle doit être, par son essence même, souverainement juste, équitable, inflexible.

Elle ne doit jamais punir l’innocent pour le coupable ; elle doit proportionner exactement la peine à la faute ; ses arrêts doivent être immuables comme elle.

Nulle sollicitation, nulles prières ne peuvent les changer ou les modifier.

Voilà pourquoi je ne veux pas de prêtre à mon enterrement.