Insurgés et opposants au coup d’Etat dans les Bouches du Rhône. Chapitre 2

Insurgés et opposants au coup d’État de décembre 1851 dans les Bouches-du-Rhône

 

Hugues BREUZE 

 

1ère partie

Opposition démocratique au coup d’État et tentative d’insurrection

 

Chapitre II : La réaction dans les campagnes

 

C/ L’arrondissement de Marseille

 

L’Encyclopédie des Bouches-du-Rhône ne mentionne aucun trouble ayant eu lieu dans les campagnes de l’arrondissement de Marseille. Ce fut pourtant loin d’être le cas si l’on suit les inquiétudes de l’autorité quant au devenir de cet arrondissement au lendemain du 2 décembre :

En effet, à La Ciotat, dès le 3 décembre, « (…) des individus venant du département du Var ont annoncé à plusieurs socialistes que dans le Var tout était prêt pour le mouvement qui va éclater, et qu’il fallait se montrer fidèles au signal qui serait donné 141 ».

Souhaitant éviter la panique dans les communes situées à l’Est de Marseille et pour mieux s’assurer le concours des autorités locales, le préfet de Suleau préconise dès le lendemain aux maires du 1er arrondissement, de veiller au calme de la population – ou de l’y contraindre – et d’agir avec dévouement aux mesures qui leur sont soumises 142.

Toutefois, même en s’assurant de la fidélité et de l’énergie de ces municipalités, l’autorité préfectorale sait d’ores et déjà qu’elle devra faire face à une réaction républicaine. Ces campagnes, si proches de Marseille et influencées par sa classe populaire avec qui elle entretient des rapports fréquents, sont en effet inévitablement politisées. L’ampleur du mouvement va donc en dépendre.

 

C’est d’ailleurs de Marseille que part la première réaction, imitée dans la foulée par les populations ouvrières du bassin houiller du canton de Roquevaire ; le procureur de la République de Marseille en résume le parcours au garde des Sceaux, dans son rapport du 17 décembre :

« Durant la soirée [4 décembre], (…) une bande assez nombreuse sortit de Marseille et se répandit dans la campagne en se dirigeant vers Auriol : une brigade de gendarmerie qui rencontra ces hommes, les frappa d’épouvante ; beaucoup prirent la fuite ; quelques-uns étaient armés ; beaucoup n’avaient pas de fusils.

« Quelques heures après le départ des socialistes de Marseille, il se passait à quelques lieues de là, dans le canton de Roquevaire et en particulier dans les communes de Peypin, de St Savournin et de Gréasque des faits d’une haute gravité : une bande d’hommes armés, formée presqu’entièrement d’ouvriers mineurs partait des hameaux de Cadolive, de Peypin et de Gréasque et se dirigeait vers Auriol, demandant sur son chemin aux habitants paisibles des armes et des munitions : presque partout, les insurgés payaient le pain et le vin qu’ils se faisaient servir : arrivés dans la matinée du cinq au hameau de la Bouilladisse qui dépend d’Auriol, les insurgés se sont dispersés et se sont hatés (sic) de retourner dans leurs foyers : ils avaient dû recevoir de leurs amis de Marseille l’avis que toute résistance eut été dangereuse pour eux. Dans la journée du dix et du onze décembre, d’autres bandes moins nombreuses et qui paraissaient être venues du Var ont traversé quelques communes du canton de Roquevaire : cette fois les habitants revenus à des sentiments meilleurs se sont mis sur la défensive et leur ont fait quitter le pays.

« La nécessité de concentrer sur Marseille toutes les forces militaires pour empêcher un soulèvement a mis obstacle à ce que dès les premiers  jours, des colonnes pussent être envoyées dans le canton de Roquevaire ; (…) 143».  

Complétant ces renseignements, l’information judiciaire établit que « découragés à Marseille par l’énergie et la promptitude des autorités, les démagogues se sont résolus d’aller tenter fortune ailleurs et le rendez-vous général devait avoir lieu à Auriol, point central ; ce fait n’est pas contestable, (…) peu d’insurgés sont parvenus au terme qu’ils s’étaient proposés d’atteindre (…) se réunir à Auriol et de passer dans le Var 144 ».

Le canton de Roquevaire apparaît dès lors comme celui qui a connu la plus vive agitation en réaction aux décrets présidentiels. Mais qu’en a-t-il précisément été ?

 

Le 5 décembre à 8 h 30 du matin, le maire de Roquevaire fait part au préfet de la situation de son canton :

«On dit que cette nuit [du 4 au 5 décembre] une manifestation armée avait eu lieu au quartier de La Bouilladisse territoire d’Auriol, sur la route  n° 96.

« Une troupe d’hommes armés se serait portés (sic) au hameau de Boyer : les uns disent 400 hommes, d’autres disent moins : ils auraient demandé à M. Boyer négociant, et débitant de tabac et de poudre, de leur livrer des munitions ».

A 11 heures du matin, il apprend que « le rassemblement se serait dissipé de lui-même : il paraît que les nombreux ouvriers mineurs du bassin houiller ne seraient pas étrangers à cette levée de boucliers ».

A midi et demi, il voit arriver du bassin houiller deux charrues vides : « on n’a pas chargé de charbon à la mine : tous les ouvriers sont en grève et ont abandonné leurs ateliers ».

Enfin, voici son témoignage à 1 heure de l’après-midi :

« Le garde champêtre de Roquevaire (…), arrive à l’instant :

« Il confirme les détails qui précèdent : environ 400 hommes, d’autres disent 1000, se sont réunis au quartier de La Bouilladisse : un grand feu de bivouac a été allumé sur la route même : les insurgés se seraient présentés à plusieurs bastides pour enlever les armes, et pour rencontrer les partisans (…) : ils n’ont commis aucun dommage contre les propriétés et les personnes.

« Les ateliers et les mines sont déserts : tous les ouvriers ont abandonné leurs travaux.

« (…) on assure que les insurgés sont campés au bas du Vallon de la Bourdonnière, route n°8 bis, au lieu dit le Pont Long : des marseillais sont dit-on avec eux » 145

La même journée, le préfet de Suleau se voit confirmer « par les propriétaires des mines de Fuveau que dans la journée un rassemblement de 3 ou 400 hommes armés ont dû se rallier au Pont de la Fare à la Bourdonnière ». Devant l’urgence de la situation, le préfet expose la gravité des faits au général de la 7ème division de Marseille en escomptant lui demander les moyens d’écraser cette agitation :

« Tout donne lieu de croire que si ce rassemblement de mineurs a quitté l’endroit indiqué, il a dû retourner aux mines dont il était parti qui sont celles de St Savournin, Cadolive, Gréasque et Peypin.

« La brigade de gendarmerie de Roquevaire qui est ici [à Marseille] et qui retournerait à Roquevaire où sa présence est nécessaire à cause de la proximité du Var guiderait le détachement [de troupes que le préfet sollicite au général] avec une parfaite connaissance des localités et un commissaire de police l’accompagnerait avec mission de procéder à une instruction sur le fait de cette prise d’armes, d’arrêter les principaux meneurs et d’opérer en même temps avec le concours de la force armée le désarmement complet de ces mineurs qui sont au nombre de 7 à 800 ; ceux de Fuveau au moins aussi nombreux n’ayant pas bougé, il me paraît indispensable de faire un exemple qui intimide la classe ouvrière et la ramène aux sentiments de ses devoirs 146 ».

La réponse du général est tout aussi cinglante que la répression souhaitée par le préfet :

« (…) Il y faudrait certainement y consacrer 2 bataillons 147 (…).

« Or vous n’ignorez pas que je n’ai à Marseille que 6 bataillons disponibles (…). Une telle colonne devrait pour accomplir sa mission rester dehors plusieurs jours et qui sait si les mineurs de Fuveau venaient à se soulever s’il ne faudrait pas que l’expédition se prolongeât encore (…).

« Qu’avons-nous à craindre de ces rassemblements ? Qu’ils marchent sur Marseille ? Eh bien laissons leur faire les ¾ du chemin et quand ils seront sur la route je me charge d’aller les recevoir 148 ».

Cette démonstration n’aura finalement pas besoin d’être effectuée, l’évidence dans le résultat de cet affrontement commençant dès le lendemain 6 décembre, à refroidir l’ardeur des ouvriers mineurs. Le maire de Roquevaire se fait alors à nouveau le porte-parole de la situation :

« (…) Les rassemblements qui s’étaient formé (sic) pendant la nuit du    4 au 5 courant (…) ne se sont plus renouveller (sic). Les ouvriers mineurs qui en faisait (sic) partie sont tous rentrés chez eux. (…) Les dits ouvriers, où (sic) du moins une grande partie, reprendront leurs travaux demain huit du Ct ».

Quant aux « étrangers désignés comme les chefs », le maire estime « probable qu’ils se [soient] dirigés sur un autre pays » 149.

Si les mineurs ont donc pris conscience du peu de chance d’aboutir qu’avait leur mouvement, ils savent aussi que, même s’ils ont abandonné tout projet de résistance, ils sont toujours sous la menace d’une répression qui ne tardera pas à se mettre en place.

C’est ainsi que le 8 décembre, le maire de Roquevaire plaide en faveur de leur élargissement :

« Plusieurs habitants paisibles du bassin houiller sont venus hier, au nom de leurs compatriotes en grève, témoigner du repentir des mineurs, et demandant conseil, soit à M.le juge de paix, soit à moi. Nous leur avons conseillé la reprise immédiate des travaux des mines, et une entière soumission aux autorités.

« On nous a donné l’assurance que tous les mineurs reprendraient aujourd’hui leurs travaux 150 ».

 

Ainsi, les troubles du canton de Roquevaire pendant les journées du       4, 5, 6 et 7 décembre sont en fait la juxtaposition de deux réactions :

Tout d’abord, sous l’impulsion des sociétés secrètes, les républicains du canton conviennent d’un lieu de rassemblement pour le 5 décembre, à Auriol, pour se réunir à ceux qui quittent Marseille le 4 décembre au soir. Les démocrates locaux, étant pour la plupart issus de la classe ouvrière du bassin houiller, cherchent alors à décider leurs camarades de Peypin, Saint-Savournin, Gréasque et Cadolive à suivre le mouvement.

La grève se généralise dans ces quatre mines et dure pendant les journées du 5 et 6 décembre, où l’on voit de multiples rassemblements d’ouvriers dans l’arrière-pays du canton de Roquevaire.

Le fait que ces ouvriers confondent leurs intérêts privés et personnels, en lançant une grève pour demander de meilleures conditions de travail, avec la défense de la Constitution bafouée, assure d’emblée l’échec du mouvement : lorsqu’ils prennent conscience des risques encourus, les ouvriers abandonnent la grève, se doutant que l’amalgame entre grévistes et insurgés sera facile pour les autorités. Quant aux républicains purs et durs, ils n’ont d’autre choix que de passer dans le Var…

 

L’insurrection varoise paraît en effet être le seul exutoire pour les républicains du 1er arrondissement comme pour ceux réunis à Roquefavour quelques jours plus tard : le 9 décembre, devant l’impossibilité d’attaquer Aix-en-Provence, ceux-ci sont signalés à Cabriès puis à Simiane pour ensuite se porter sur Saint-Savournin. C’est sans nul doute la même bande armée que l’on retrouve le 10 décembre sur le territoire d’Auriol ; c’est en effet le sentiment du maire d’Auriol s’adressant au préfet de Suleau :

« Aujourd’hui [10 décembre], vers 3h et ½ du soir, j’ai été informé par M. le juge de paix de Roquevaire qu’une bande armée stationnait aux environs de La Bouilladisse à l’extrémité du territoire de ma commune. Ce rassemblement venait du côté de Roquefavour en passant par la commune de Saint-Savournin où il a cherché à troubler l’ordre qui a été heureusement maintenu par la bonne contenance des habitants » 151.

Selon ses dires, « ce rassemblement ou peut-être une fraction [est] composée de 40 à 50 individus ». Ce chiffre s’amenuise quelque peu le lendemain, dans son second rapport : cette « bande composée de 25 à 30 individus s’est livrée à des recherches minutieuses dans un assez grand nombre de maisons de campagne pour se procurer des armes et des munitions qui étaient demandées avec des pistolets en mains. (…) La bande s’est dispersée ensuite dans le territoire de St Zacharie (Var) faisant halte dans la colline du château de Montvert.

« D’après les derniers renseignements (…), la bande armée dont il s’agit, s’est dirigée soit sur le plan d’Aups, soit vers les collines limitrophes du territoire de Gémenos 152 ».

Les derniers renseignements sur cette bande sont l’œuvre du percepteur d’Auriol qui lui en revanche, maximalise le nombre d’insurgés :

« (…) Le 10 du courant mois (…) une bande de cent insurgés armés se trouvait depuis le matin dans le hameau de La Bouilladisse (…).

« (…) Dans la soirée (…) une partie de cette bande drapeau rouge en tête avait traversé les campagnes d’Auriol et s’était rendue dans la propriété de M. de Remusat située dans la commune de St Zacharie. Aussitôt que le maire de St Zacharie fut averti de leur arrivée, il fit sonner le tocsin pour appeler les gens d’ordre de sa commune et se présenta accompagné de son adjoint auprès des insurgés et leur intima l’ordre de quitter le pays. Sur ce, ils se dispersèrent dans les collines (sic) des environs et depuis on ignore ce qu’ils sont devenus 153 ».

Si les différents témoins ne s’entendent pas sur le nombre exact d’insurgés, cela peut signifier qu’ils ont pu ne rencontrer qu’une fraction dispersée de la bande armée originelle.

Toujours est-il qu’au fur et à mesure que ces insurgés s’approchent du Var, les nouvelles de l’abandon de la lutte par les ouvriers mineurs du bassin houiller ainsi que les éventuels premiers échos de la défaite de la colonne républicaine des Basses-Alpes aux Mées a pu vraisemblablement en faire décroître le nombre.

L’épisode de St Zacharie confirme toutefois qu’une bonne partie d’entre eux ont souhaité tenter l’aventure jusqu’au bout… pour se rendre compte presque sur place que la colonne varoise a été mise en déroute le jour même [10 décembre] à Aups, par les troupes de ligne parties de… Marseille.

Cependant, si le canton de Roquevaire est bien celui qui a connu le plus vivement une réelle atmosphère d’insurrection dans l’arrondissement de Marseille, d’autres cantons ont aussi subi un véritable climat d’agitation.

 

Le 5 décembre, le maire d’Aubagne offre en effet au préfet des Bouches-du-Rhône le témoignage d’un de ces concitoyens, Victor Boulanger, habitant au Quartier de la Font-de-Mai :

« Hier au soir [4 décembre], vers les 11 h, étant couché il entendit frapper à la porte à coups redoublés. Aussitôt il se lève, paraît à sa fenêtre et demande qui frappe ? On lui répond, venez ouvrir, c’est un malheureux qui a besoin de secours. Mais réplique Bérenger, à l’heure qu’il est on n’ouvre pas si facilement à la porte. Si vous ne voulez pas ouvrir de bonne volonté dit aussitôt l’individu qui frappait, on vous fera ouvrir par force car nous sommes 400 ici réunis ; du reste, vous n’avez rien à craindre, nous ne voulons pas vous faire de mal ».

La troupe réussi à convaincre Béranger de leur offrir du pain et du vin et lui demande ensuite la route d’Auriol.

Si le maire d’Aubagne convient que « le nombre de [400] est sans doute exagéré », Béranger a néanmoins confirmé que certains de ces hommes « étaient armés de fusils et de poignards » 154.

Il est donc tout à fait probable que cette bande soit celle partie de Marseille dans la nuit du 4 décembre  pour rejoindre Auriol en passant par Aubagne.

 

Le 15 décembre, le maire de Gémenos confirme aussi que ces « bandes d’insurgés (…) ont nuitamment dans le cours de la semaine dernière traversé [la] commune ». Néanmoins, « tout paraît être tranquille maintenant ici malgré l’esprit démagogique qui est en grande majorité ; les rouges de ce pays avaient, comme ailleurs, reçu le mot d’ordre auquel ils allaient se conformer lorsque les frères et amis leur firent donner contr’ordre 155 ».

 

A Cuges-les-Pins, la proximité du Var fait courir le 8 décembre les rumeurs les plus alarmantes – parfois vraies – ou bien complètement abracadabrantes :

« Les bruits de bandes formées dans le Var, auxquelles se seraient jointes les bandes de Marseille ; la présence de Ledru-Rollin au milieu d’elles ; d’un mouvement prochain dirigé par ce dernier ; bruits qui ont pris beaucoup de consistance dans notre commune y répandent la terreur et presque tous les habitants craignent un envahissement 156 ».

 

Pour La Ciotat, la présence d’une classe ouvrière importante ainsi que la proximité du Var sont d’autant plus de raisons aux yeux des autorités locales de se méfier ; mais finalement, « (…) les travaux de l’usine (…) qui occupe 3 à 400 ouvriers n’ont pas été interrompus un seul  instant et la population entière est restée calme à l’annonce des événements (…) 157 ».

Une attaque extérieure inquiète pourtant toujours le maire le                    8 décembre :

« Les insurgés refoulés par les colonnes mobiles peuvent se replier dans la vallée de Signe, et de là, gagner rapidement le bassin de Saint-Cyr (où l’esprit n’est pas bon) qui n’est qu’à huit kilomètres de La Ciotat (…) jusqu’à présent ma commune est paisible. Mais qui m’assure que les trois cent (sic) ouvriers ne se laisseraient pas entraîner par la horde étrangère ? Il est vrai que parmi les deux cents individus qui font aussi plus ou moins profession de socialisme égalitaire, il y a tout au plus une quinzaine d’hommes d’action 158 ».

Malgré ce constat rassurant quant aux risques de révolte intra-muros, le maire prend les dispositions nécessaires pour prémunir La Ciotat d’un coup de force venu du Var, avec l’aval de l’autorité préfectorale. Le soir même du 8 décembre, il fait prendre position à 20 hommes du 10ème Léger à l’intérieur du Fort Bréorard. Leur casernement au Fort a pour but d’y défendre les fusils de la Garde nationale qui y sont entreposés ainsi que le dépôt de poudre, de boulets et quelques canons. Deux pièces sont d’ailleurs montées sur les remparts ; l’une braquée sur l’esplanade dite de l’égalité ; l’autre braquée sur le quai de la fraternité 159.

Le maire compte aussi sur l’aide de la population ; celle-ci ne lui fait pas défaut :

« Les deux cent habitans (sic) dont je suis sûr sont déjà avisés secrètement de se diriger, aux premiers jours de la générale, soit de jour soit de nuit, vers le fort où ils seront armés, et sur lequel se replieront en même temps les trente hommes du détachement qui occupent encore la caserne ».

Pour achever ces mesures de surveillance, le préfet maritime de Toulon expédie à La Ciotat le bâtiment à vapeur « la Salamandre », avec soixante hommes à son bord 160.

Le dépositaire de l’autorité municipale de La Ciotat fait même des émules dans les communes voisines :

« (…) Mr Roustant, maire de Ceyreste a également organisé une surveillance de nuit, parce que les bandes du Var pourraient pénétrer par le ravin des Camisiers 161 ».

La crainte et le refus de voir leurs villes en proie à des « révoltes sociales » contraignent encore le 17 décembre la population conservatrice de ces deux communes à continuer leurs services de surveillance et à se tenir prêtes en cas d’alerte 162.

Mais en fin de compte, les seuls républicains venant du Var sont ceux défaits à Aups le 10 décembre ou ceux déçus de n’avoir pas pu rejoindre la colonne varoise avant qu’elle ne subisse cette défaite.

C’est ainsi que le 13 décembre, le juge de paix du canton d’Aubagne apprend « que diverses bandes d’insurgés venant du Var sont passés par Gémenos pour se rendre à Marseille ; ils viennent du Plan d’Aups par la vallée de St Pons (…) ». Dès lors, il s’inquiète de « la réunion à Marseille d’une grande partie de ces insurgés qui se trouvant aujourd’hui repoussés dans le Var, ont abandonné leurs armées et se rendent isolèment ou par groupes à Marseille 163 ».

La réaction du magistrat s’explique par le fait que la répression anti-républicaine dans les Bouches-du-Rhône n’en est, à la date du 13 décembre, qu’à ses balbutiements. L’interception, la surveillance et l’arrestation de ces insurgés va d’ailleurs demeurer la priorité dans les semaines qui suivent le coup d’Etat.

 

Cependant, avant d’en arriver aux conséquences de leurs actes, il semble intéressant de synthétiser les différentes formes de réaction des démocrates ainsi que les raisons qui les ont poussés à partir rejoindre des bandes armées ou bien à douter d’emblée sur l’avenir du mouvement.

 

Hormis quelques cas isolés, comme à Jouques (arrondissement d’Aix), à Aix ou à Marseille, on n’a pu retrouver aucun exemple de colonne d’insurgés organisée au niveau communal dans les Bouches-du-Rhône. La plupart du temps, les républicains des communes rurales partent seuls, ou en très petits groupes, expliquant de fait leur apathie à continuer la lutte après quelques jours de marche lorsque, arrivés finalement aux rassemblements du Puy-Sainte-Réparade ou de Roquefavour, ceux-ci s’aperçoivent de la maigreur des effectifs de l’insurrection.

Quant à ceux qui se sont rassemblés à Auriol le 5 décembre, seule la perspective que leur offrait l’insurrection du Var a pu les convaincre de continuer le combat, sans le gros des ouvriers du bassin houiller de Roquevaire qui comprennent qu’ils ont trop peu à gagner – de meilleures conditions de travail – et beaucoup à perdre – leur emploi -.

Enfin, quant à ceux qui ont attendu quelques jours pour voir dans quelle faveur allait tourner la situation, « un peu d’hésitation dans le départ leur a donné le temps de la réflexion et ils ne sont pas partis 164».

 

L’autorité a donc parfaitement joué son rôle de défense des points stratégiques les plus importants : elle refuse – dans la plupart des cas – le retour des brigades de gendarmerie, monopolisées à Marseille par exemple, dans leurs communes en difficulté. Si l’agitation gagne les communes rurales, il sera toujours temps de les reconquérir plus tard…

Mais les pouvoirs publics n’ont même pas eu à le faire au sens propre. Tout au plus, les troupes de ligne traquent les hommes absents de chez eux pendant les jours suivant le 2 décembre.

Toutefois, si la victoire de l’ordre est totale en finalité, le département a connu des troubles sans précédents, même s’ils n’ont pas été sanglants comme ils l’ont été dans le Var, le Vaucluse et les Basses-Alpes.

La proximité comme la nature des événements limitrophes ont d’ailleurs eu des répercussions jusque dans les Bouches-du-Rhône. En voici l’exemple avec le témoignage du percepteur d’Allauch :

« (…) on ne peut dissimuler que la secousse occasionnée par l’ébranlement des départements circonvoisins a eu un retentissement jusque dans nos communes rurales quoique éloignées du centre de l’agitation  165 ».

 

Réalité et crainte s’entremêlent ainsi : si les bandes insurrectionnelles qu’a connu le département ont réveillé le spectre du « désordre social » pour l’opinion conservatrice des Bouches-du-Rhône, elles le font sans toutefois exercer de violences ; quant à ces populations fidèles à l’ordre, elles ont frémi à l’idée qu’elles soient passées si près d’événements similaires aux départements voisins.

 

                   


141 12 U 10, Procureur de la république de Marseille au garde des Sceaux, le 3 décembre 1851.

142 1 M 595, Dépêches du préfet des Bouches-du-Rhône aux maires d’Aubagne (4 décembre), la Ciotat (4 décembre), Gémenos (4 décembre), Allauch (5 décembre) et Cassis (5 décembre).

143 14 U 47, Rapport du procureur de la République de Marseille au garde des Sceaux, le 17 décembre 1851.

144 14 U 52, Observations générales de la 1ère et 9ème catégorie de l’Etat nominal des inculpés politiques dans les affaires du mois de décembre 1851.

145 1 M 595, Maire de Roquevaire au préfet des Bouches-du-Rhône, le 5 décembre 1851.

146 1 M 595, Préfet des Bouches-du-Rhône au général de division, le 5 décembre 1851.

147 700 hommes environ.

148 1 M 595, Général de division au préfet des Bouches-du-Rhône, le 5 décembre 1851.

149 1 M 595, Maire de Roquevaire au préfet des Bouches-du-Rhône, le 7 décembre 1851.

150 1 M 595, Maire de Roquevaire au préfet des Bouches-du-Rhône, le 8 décembre 1851.

151 1 M 595, Maire d’Auriol au préfet des Bouches-du-Rhône, le 10 décembre 1851.

152 1 M 595, Maire d’Auriol au préfet des Bouches-du-Rhône, le 11 décembre 1851.

153 1 M 595, Percepteur d’Auriol au préfet des Bouches-du-Rhône, le 12 décembre 1851.

154 1 M 595, Maire d’Aubagne au préfet des Bouches-du-Rhône, le 5 décembre 1851.

155 1 M 595, Maire de Gémenos au préfet des Bouches-du-Rhône, le 15 décembre 1851.

156 1 M 595, Maire de Cuges-les-Pins au préfet des Bouches-du-Rhône, le 8 décembre 1851.

157 14 U 49, Juge de paix de La Ciotat au procureur de la République de Marseille, le 8 décembre 1851.

158 1 M 595, Maire de La Ciotat au préfet des Bouches-du-Rhône, le 8 décembre 1851.

159 1 M 595, Maire de La Ciotat au préfet des Bouches-du-Rhône, le 9 décembre 1851.

160 1 M 595, Maire de La Ciotat au préfet des Bouches-du-Rhône, le 12 décembre 1851.

161 Ibid 160.

162 1 M 595, Maire de La Ciotat et maire de Ceyreste au préfet des Bouches-du-Rhône, le 17 décembre 1851.

163 14 U 48, Juge de paix du canton d’Aubagne au procureur de la République de Marseille, le 13 décembre 1851.

164 14 U 48, Juge de paix du canton d’Aubagne au procureur de la République de Marseille, le 13 décembre 1851..

165 1 M 595, Percepteur d’Allauch au receveur général, le 14 décembre 1851.