Insurgés et opposants au coup d’Etat dans les Bouche du Rhône. Chapitre 1
Insurgés et opposants au coup d’État de décembre 1851 dans les Bouches-du-Rhône
Hugues BREUZE
1ère partie Opposition démocratique au coup d’État et tentative d’insurrection
Chapitre I : La réaction dans les centres urbains
Toute révolution politique menée à son terme s’est nécessairement appuyée sur des bases « urbaines » : les premiers objectifs stratégiques à conquérir sont principalement les bâtiments publics, représentant l’arbitraire d’un pouvoir que l’on souhaite faire vaciller et abritant ses autorités.Dans le mouvement insurrectionnel provençal, il est logique de retrouver ces objectifs prioritaires, même si le mouvement régional possède une consonance « rurale ». Pour les Bouches-du-Rhône, la pérennité d’une révolte républicaine en décembre 1851 restait pourtant tributaire de l’attaque d’une sous-préfecture, de la préfecture ou du siège de la Cour d’Appel.
A/ Tarascon et Arles
Pendant la IIe République, Arles et Tarascon demeurent les principaux centres urbains du 3ème arrondissement, l’un étant sous-préfecture et l’autre siège du parquet de cette circonscription. Leur poids démographique représente respectivement 23 101 et 11 968 habitants en 1846, ce qui les placent comme les agglomérations les plus importantes après Marseille et Aix-en-Provence. Leurs réactions pendant les jours qui suivent le 2 décembre méritent ainsi qu’on s’y attarde.
Si ces deux villes peuvent trouver une place significative dans le mouvement d’opposition républicaine des Bouches-du-Rhône face au coup d’Etat, force est de constater que celles-ci n’ont laissé que peu de traces dans l’historiographie du mouvement départemental. L’Encyclopédie des Bouches-du-Rhône signale seulement que « des bandes armées se réunissaient à Trinquetaille ; devant la force publique elles gagnaient la Camargue et ne tardèrent point à se dissoudre [1] ». Pour Arles particulièrement, Paul Allard ajoute pourtant que « dans cette ville politisée (…) le coup d’Etat ne peut laisser insensible. Non seulement la population ne reste pas indifférente, mais des manifestations violentes ont lieu, suivies de nombreuses arrestations (…). Le maire fait fermer les cafés rouges, fait saisir les armes puis donne l’ordre d’abattre les arbres de la liberté et d’enlever des drapeaux la devise : Liberté, égalité, fraternité [2] ». On semble donc assister, à Arles, mais aussi à Tarascon, à une émulation sensible dans l’ébauche d’une résistance républicaine, d’une opposition politisée, parfois violente et dont l’importance de la répression souligne l’enjeu : se rendre – ou rester – maître de deux villes riches par leur commerce et leurs échanges avec les autres cités environnantes (Nîmes, Beaucaire, Avignon, Cavaillon…) et dont la réaction peut influencer le reste de l’arrondissement. Voici pour le contexte ; penchons-nous maintenant sur les faits.
C’est le 3 décembre que la nouvelle du décret présidentiel est connue dans les deux agglomérations.
A Arles, la proclamation du maire, Remacle, annonçant la dissolution de l’Assemblée « a été accueillie avec le plus grand calme » selon le sous-préfet Emile Paul, faisant état au préfet de Suleau de la situation du chef-lieu du 3ème arrondissement : « (…) Quelques cris de « vive la République » se sont fait entendre. Un groupe d’individus a même commencé à entonner la Marseillaise. Deux d’entre eux ont étés saisis (…) et on n’a plus entendu ni cris, ni chants ». Passées ces premières manifestations, « quelques meneurs sont partis pour Marseille entre autres M. Martin membre du conseil général. (…) Je suis convaincu qu’il est allé prendre le mot d’ordre » déclare le sous-préfet à sa hiérarchie. A minuit, « le calme le plus parfait n’a pas cessé de régner dans la ville, on ne rencontre personne dans les rues mais les cercles sont encombrés de monde [3] ».
A Tarascon, on assiste à une situation similaire mais toutefois plus radicale en apparence. Ayant plus de renseignements à disposition, la réaction républicaine apparaît plus nette : la dépêche est connue le 3 décembre au matin. Cartier, le maire de Tarascon étant absent, c’est dans les mains de son premier adjoint, Ferrand, que repose l’autorité municipale. Celui-ci décide alors de prendre le commandement des troupes militaires et civiles et s’estime seul apte à donner l’ordre de faire prendre les armes ; le régiment des hussards est consigné et les pompiers sont obligés de se tenir constamment à la disposition de l’autorité. Dans son rapport au procureur général d’Aix-en-Provence, le procureur de la République de Tarascon, de Marigny, relate les faits : « C’était le 3 au matin, la nouvelle se répandit bientôt dans la ville et une certaine agitation se manifesta dans le parti rouge réuni en masse dans les cafés Daureille, Brunet et Simon. (…) Vers les 9 h 00 du soir une bande de jeunes gens [20 à 30 selon le témoignage de Marius Isnard, commissaire de police de Tarascon [4]] poussés par les chefs du parti arrivaient sur le cours et devant la maison habitée par le colonel et le procureur de la République [lui-même], elle chantait la Marseillaise et poussait des cris parmi lesquels se faisait entendre « A bas le Président » [5]». Le commissaire de police de la ville complète ce récit en déclarant avoir vu quatre individus sortant du café Brunet, dont Jullian Chrisostôme, David Millaud et Colombeau – tous trois réputés chefs des républicains « exaltés » -, allant à la rencontre de la bande en s’écriant : « Ce sont les hommes de notre société » [6] . Ensuite, le procureur de la République accompagné de deux gendarmes fait évacuer et fermer immédiatement le café, « mesure qui s’effectua sans difficulté [7] ». Selon le commissaire, « aucun autre désordre n’éclata. C’était cependant ce soir là que la République rouge devait être proclamée ici car le nommé Chanu Jean-Baptiste fut lui-même l’annoncer à M. Allard, pharmacien en lui disant : « ne vous effrayez pas, il ne vous arrivera rien » [8]». Enfin, dans la soirée, le procureur de la République rejoint par une troupe de hussards fait « successivement évacuer et fermer tous les cafés sans exception[9] », dont celui de la veuve Doreille où est trouvé « une grande réunion d’individus parmi lesquels étaient M. Gleise [Crivelli], avocat et Monge docteur en médecine [10] ». Ainsi, « grâce à la mesure distinctement faite d’arrêter tout individu qui ne rentrera pas immédiatement chez lui, bientôt pas une seule personne ne s’est trouvée sur la voie publique [11] ».
La journée du 3 décembre fut ainsi à Arles comme à Tarascon une journée de concertation entre républicains, réunis dans leurs cafés habituels. Hormis les cris séditieux proférés devant les autorités plus par volonté de défiance que par volonté de révolte, on ne note aucun signe flagrant de menace d’insurrection qui soit à l’ordre du jour. L’exemple de M. Martin, conseiller général, allant chercher le mot d’ordre à Marseille en témoigne : l’action spontanée s’efface devant la concertation. Cependant l’anecdote de la proclamation de la « République rouge » dans le café Brunet à Tarascon est plus éloquente qu’elle n’y paraît : si on se concerte, c’est pour prendre la mesure du mouvement, savoir si on est en nombre suffisant pour se révolter, pour prendre la défense d’une République démocratique et sociale dont l’espérance rentre dorénavant en conflit direct avec les mesures présidentielles du 2 décembre.
Ainsi la journée du 4 décembre s’annonçait décisive…
Les événements se radicalisent quelque peu, comme en témoigne le rapport de la Commission mixte des Bouches-du-Rhône, le 5 mars 1852, après avoir statué sur tous les inculpés : « Dans la soirée du 4, les démagogues d’Arles annoncèrent le dessein de s’emparer de l’hôtel de ville, les mesures prises aussitôt par l’autorité firent échouer leur projet, mais sur les deux rives du Rhône une collision qui eut pu devenir sanglante s’engagea entre les socialistes et la force publique [12] ». C’est cependant le rapport du procureur de la République de Tarascon qui est le plus explicite sur ces faits [13]. Résumons-en la situation : Pendant la nuit du 4 au 5 décembre, le sous-préfet d’Arles est informé d’un conciliabule tenu chez un dénommé Brun, cabaretier à Trinquetaille (rive droite du Rhône, à l’ouest d’Arles) ; celui-ci a pour but de rassembler armes et munitions. Une trentaine d’hommes y sont envoyés, dont une vingtaine du 9ème de ligne « tous jeunes soldats, ne sachant même pas charger leur fusil ». Arrivés dans le cabaret, ils y surprennent 12 personnes « faisant semblant de jouer » et Brun « paraissant dormir ». La perquisition amène la saisie de 8 paquets de cartouches et de matériel ayant servi à leur confection. Brun est arrêté ainsi qu’un autre individu surpris dans une chambre haute de l’établissement munis de 9 cartouches ; les autres protagonistes de la scène échappent à l’arrestation par oubli ou par inexpérience des agents de l’autorité présents sur les lieux – ce qui ne sera pas sans exaspérer le procureur -. Puis, averti que des individus envisagent de couper le pont qui sépare le faubourg de Trinquetaille d’Arles, le lieutenant de gendarmerie commandant la troupe fait charger les armes ou charge lui-même celles des jeunes soldats. Lorsque la troupe s’engage sur le pont, le cri « aux armes » se fait entendre du côté d’Arles, puis un coup de feu est tiré « à bout portant » sur un gendarme, mais la capsule seule prend feu ; le gendarme tente alors de riposter mais son fusil ne part pas. Enfin, dans la poursuite que fait la troupe aux insurgés, plusieurs coups de feu sont échangés sans qu’aucun des belligérants ne soit blessé ; plusieurs personnes sont alors arrêtées. On peut remarquer que si l’inexpérience des armes a pu brider quelque peu les ébats, elle a aussi contribué à ce que le sang ne coule pas ce soir-là. Le sous-préfet, informé de ces faits, envoie à la rescousse un piquet de soldats « pour protéger et garantir le pont lui-même ». En arrivant au pont, la troupe surprend une quinzaine d’individus s’occupant avec ardeur « d’enlever les madriers et les trébuchets ». Trois personnes sont arrêtées et dans la fuite un autre coup de feu est tiré n’atteignant encore personne. Pour la Commission mixte, « cette vigoureuse démonstration a rétabli le calme dans la ville [14] ».
A Tarascon, le commissaire de police Isnard apprend, le 4 décembre, que « M. Gleise avait été cherché des nouvelles à Avignon et que selon les événements on tenterait un mouvement d’un coup de main sur la mairie [15] ». Le soir même, Isnard surprend à la mairie des jeunes gens en train de provoquer la sentinelle en lui criant sous le nez : « vive la République ». Ayant dispersé ces groupes avec l’aide des soldats du poste, il remarque que la bande se retire au cours Jarnègues, pour investir le café Daureille [16], à l’intérieur duquel il retrouve « plus de 200 personnes réunies [17] », dont le docteur Monge et Gleise Crivelli. Le commissaire fait alors évacuer l’établissement, « ce qui se fit non sans difficulté » et note dans son témoignage qu’il n’a vu ni Chrisostôme, ni Colombeau, ni David Millaud, le café Daureille étant « composé de gens dévoués au Sr. Gleise [18] ». Ce dernier y aurait d’ailleurs lu peu de temps avant, d’après les renseignements du commissaire, les nouvelles qu’il aurait rapportées d’Avignon.
La Commission mixte conclut ainsi que le 4 décembre, « à Tarascon et dans les autres villes (…) une vive agitation a éclaté ; les sociétés secrètes se sont réunies (…), des menaces ont été proférées : là encore tout était préparé pour la révolte ; l’audace seule et l’espérance du succès ont manqué aux conjurés [19] ». Ainsi, si certains républicains d’Arles et de Tarascon se préparent matériellement à un coup de force, on discute encore dans les cafés – où ils se savent surveillés par l’autorité – sur l’opportunité d’une telle décision. Hormis les provocations et la tentation d’aller délivrer par les armes un chef local arrêté par les autorités, seules réactions « violentes » que l’on peut relever, il semble qu’avant de tenter un appel général aux armes, on préfère attendre les nouvelles de Paris, de Lyon, de Marseille, d’Aix ou d’Avignon : on est prêt à suivre un mouvement qui peut éclater, mais pas à prendre le risque de l’initiative.
Cependant, les autorités commencent à s’organiser devant ce levain d’insurrection et, le 5 décembre, les mesures de répression finissent de décourager une résistance tatillonne…
« Prenant en considération les faits graves d’agression contre les agents de l’autorité qui se sont passés cette nuit ; informé d’ailleurs que diverses réunions d’un caractère dangereux pour l’ordre se sont tenues dans la journée d’hier ; voulant protéger la population honnête contre les tentatives intentées par des fauteurs de désordre [20] », le maire d’Arles prend un arrêté municipal : – interdisant toute réunion politique – interdisant tout attroupement sur la voie publique, sur les places ou dans les campagnes de la commune. – obligeant toute réunion, café, cabaret ou cercle de fermer à 10 h du soir – obligeant les chefs d’établissement à laisser le libre accès de leur maison dès la première réquisition d’agents de la force publique et dont le but est de constater des délits et des contraventions. – sinon, les réunions sont menacées d’être dissipées par la force publique, les établissements fermés et les chefs ou propriétaires saisis.
L’autorité municipale d’Arles met donc à sa disposition un arsenal législatif efficace pour se prémunir de toute réunion à caractère politique hostile au coup d’Etat. On peut raisonnablement penser que cette épée de Damoclès placée au-dessus des chefs d’établissements fréquentés par les républicains, se sachant en plus connus de l’autorité, a pu contribuer à rafraîchir certaines ardeurs et a ainsi permis de priver les démocrates de leurs principaux lieux de réunion et de concertation.
Quant à Tarascon, on ne relève plus aucun indices d’agitation significatifs jusqu’au 9 décembre.
Le 6 décembre est à Arles, selon le maire, une journée « profondément calme (…) des arrestations nombreuses ont eu lieu à la suite des lâches et coupables attentats d’avant-hier [21] ». L’autorité reste néanmoins sur ses gardes. La réaction du sous-préfet après l’envoi de la Brigade de gendarmerie de Saint-Martin-de-Crau à Marseille, alors qu’elle était jusqu’ici à sa disposition, en est l’illustration parfaite : pour celui-ci, cette mesure n’est que « d’une très faible utilité dans cette dernière ville et [l’] affaiblit considérablement [22] », vu que les gendarmes ne sont pas assez nombreux pour se relever dans le service qu’ils font de jour comme de nuit à Arles. En outre, dans sa demande au colonel du 3ème régiment de hussards de Tarascon de lui envoyer des renforts, il se voit essuyer un refus : à Tarascon aussi on reste méfiant contre une quelconque tentative insurrectionnelle. Emile Paul se voit ainsi contraint de demander le retour de la brigade à son supérieur hiérarchique : « Je vous serais très reconnaissant si vous obteniez qu’on me rende au moins la brigade de St Martin. Cinq hommes de plus, ce n’est rien pour Marseille mais c’est énorme pour Arles [23]». Le moins que l’on puisse dire, c’est que les autorités arlésiennes ne se sentent pas encore complètement assurées de leur succès ! Une certaine sérénité se doit cependant d’être affichée le lendemain au frère utérin du Prince-Président, Alphonse de Morny, nouveau ministre de l’Intérieur : « la ville est parfaitement calme. L’arrêté qui ordonne la fermeture des cafés, cabarets, cercles et lieux publics à 10 h a été exécuté hier sans difficulté [24] ».
Le 8 décembre, devant une situation désormais stable – le risque d’un coup de force est toujours redouté mais les quatre derniers jours n’ont vu aucun incident grave -, la sous-préfecture en profite pour signaler à l’autorité supérieure le mérite du maire d’Arles, Remacle, qui a déployé « un zèle et une activité digne du plus grand éloge [25] ».
Les chefs républicains de Tarascon eux, – David Millaud, propriétaire, Jullian Chrisostôme, propriétaire, Noyer, négociant, Monge, docteur, Gleise Crivelli, avocat et Colombeau, géomètre – vont quand même tenir à jouer leur double rôle de chefs de file du parti républicain tarasconnais et de conseillers municipaux : le 9 décembre, à 10 h du soir, ceux-ci se présentent à l’hôtel de ville à l’effet de demander des explications à Ferrand – maire par intérim – sur une distribution d’armes qui a eu lieu dans la journée. Ce n’est pas tant la distribution d’armes en elle-même qui déclenche la protestation des notables républicains mais plutôt la liste des personnes auxquelles on les a distribuées : Jullian Chrisostôme, interrogé le soir même par un juge d’instruction sur ces faits et sur son attitude pendant les 3 et 4 décembre, déclare avoir appris que les armes avaient été distribuées au supplément de la compagnie des pompiers nouvellement formé et principalement constitué de « pas gênés » – faction du parti légitimiste local -, à peine âgés de 19 à 20 ans [26]. Cet ordre, pris à l’insu du maire et sans que la liste ne soit approuvée par le conseil municipal, a été donné par le colonel et le procureur de la République, comme le confirme Fabry le capitaine des pompiers, arrivé à la mairie sur la demande du maire ; cette intervention déchaîne alors les protestations de Gleise Crivelli : « Cette affaire n’est ni du ressort du colonel ni du procureur de la République, et en admettant qu’ils eussent le droit de le faire, ils auraient dû vous obliger à fournir au maire une liste de personnes qu’on allait armer [27] ». Puis, les protestataires s’apprêtant à sortir de l’hôtel de ville, Gleise Crivelli s’adresse une dernière fois à Ferrand : « Nous vous supplions, M. le maire de donner ordre pour que les armes qui ont été distribuées sans votre assentiment soient réintégrées dès ce soir [28] ». Cette réaction apparaît comme très révélatrice de l’état d’esprit de ces notables. Jullian Chrisostôme révèle d’ailleurs assez bien leurs objectifs lorsqu’il est contraint de livrer plus tard, son témoignage au juge d’instruction : « Nous étions animés des intentions les plus honnêtes et les plus pacifiques ; (…) nous nous mettions à sa disposition [du maire] pour le maintien de l’ordre et que si la force armée n’était pas suffisante, il pouvait l’augmenter en armant les citoyens aisés et offrant toutes les garanties par leur moralité et leur fortune [29] ». Dans une lutte qu’ils considèrent comme définitivement perdue après l’annonce de l’échec du mouvement de résistance au coup d’Etat dans les principales villes de France et du département, les chefs des républicains tarasconnais, unis dans la défaite – chacun possédant leur cercle respectif et donc une influence « clientélisée » -, souhaitent éviter à leurs affiliés que de vieilles querelles de partis et de quartiers se transforment en luttes sanglantes : cela aurait pu être le cas contre leurs adversaires idéologiques les plus virulents, les « pas gênés », récemment armés par une mesure qui visait à renforcer une force publique amoindrie par le départ de 150 hussards pour Avignon [30].
Le 11 décembre, la moitié de la garnison d’Arles part aussi pour la préfecture du Vaucluse [31]. Comme à Tarascon, on considère que toute velléité de résistance est écartée pour se permettre de dégarnir de telle manière la force publique.
Toutefois, les autorités scrutent le moindre signe de résurgence du mouvement républicain. Voici le sentiment du percepteur d’Arles le 12 décembre : « Autant nous devons être tranquille avec 3 ou 400 hommes de garnison, autant nous aurions à craindre si nous restions dégarnis en présence d’une populace tremblante devant la moindre force, mais capable de tous les excès lorsqu’elle croirait les commettre impunément [32] ». Trois phases du mouvement républicain d’opposition au coup d’Etat se distinguent alors, à Arles comme à Tarascon, au lendemain du décret du 2 décembre : Tout d’abord, à l’annonce du coup d’Etat et dans les premières journées qui suivent celui-ci, on se concerte dans les cafés et cercles républicains ; on tente de prendre la mesure du mouvement, on s’occupe de réunir des armes, de fabriquer des munitions et de savoir si on peut être en nombre suffisant pour participer à un soulèvement généralisé. Les émissaires envoyés à Marseille ou à Avignon le 3 ou 4 décembre en témoignent : on semble estimer que seule une insurrection éclatant simultanément en plusieurs points stratégiques importants à une chance d’aboutir. Les démocrates des deux villes sont prêts à s’insurger, mais pas seuls. Ensuite, l’effet de surprise ressenti après la dissolution de l’Assemblée nationale et la concertation improvisée qui l’a suivie laisse place à la violence spontanée. A Arles, les républicains les plus « exaltés » ont trouvé leur adversaire, incarné par la troupe qui a arrêté Brunet, chef local qu’on tente de délivrer. Le champ de la lutte s’est tout à coup déplacé ; on ne se préoccupe plus de la conjoncture globale du mouvement, mais on se focalise plutôt sur un fait précis, contre des visages qu’on connaît. Ainsi, l’échauffourée du 4 décembre s’apparente plus à une lutte locale qu’à une tentative d’insurrection contre le coup d’Etat. Le caractère « archaïque » de cette violence improvisée illustre bien le détachement des classes les plus populaires du mouvement socialiste : la lutte se personnifie sur les agents de l’autorité locale, et non pas, comme le souhaiterait les chefs bourgeois du parti, dans un légalisme pur et dur, où l’on passerait à la lutte violente pour défendre la Constitution. Ainsi, à partir des 5 et 6 décembre, on assiste à cette résiliation des chefs à abandonner tout espoir de réussite d’une résistance « légaliste » : les autorités s’étant rendues maîtres de la situation à Arles et à Tarascon et les mauvaises nouvelles du mouvement arrivant de Marseille et d’Avignon, sont autant de facteurs qui finissent de les décourager. Devant un échec qu’ils estiment inévitable, ces notables républicains souhaitent dorénavant épargner à leurs affiliés une violence gratuite et aveugle : l’ordre vaut mieux que le désordre sanglant et inutile où se réveilleraient de vieilles rancunes de quartiers. Le mouvement de résistance démocratique au coup d’Etat ne doit pas pour eux se transformer en affrontement « rouges contre blancs », républicains contre légitimistes.
Les villes d’Arles et de Tarascon ont donc réagit particulièrement à la nouvelle du coup du 2 décembre : on est prêt à suivre un mouvement que l’on espère régional ; les républicains y sont en nombre, menés par des chefs bourgeois locaux réalistes qui estiment nécessaire d’être suivis dans la lutte par les principales villes du département. Quelle a donc été la réaction de ces dernières – Aix et Marseille – et peut-on y constater des similitudes ou des disparités avec celle d’Arles et de Tarascon ?
[1] Encyclopédie des Bouches-du-Rhône (Par Raoul Busquet & Joseph Fournier, sous la direction de Paul Mason) : Tome V, Vie politique et administrative, 1929, (Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 1929), p. 177. [2] ALLARD Paul, « La seconde République à Arles ou Arles d’une révolution à l’autre », Les amis du vieil Istres, Bulletin n° 21, p. 89. [3] 1 M 595, dépêche du sous-préfet d’Arles au préfet des Bouches-du-Rhône, le 3 décembre 1851. [4] 304 U 67, Témoignage du commissaire de police de Tarascon, le 17 décembre 1851 dans l’information ouverte sur les principaux chefs du parti républicain de la ville. [5] 14 U 47, Rapport du 29 décembre du procureur de la République de Tarascon au procureur général. [6] Ibid 4. [7] 14 U 47, Rapport du 29 décembre du procureur de la République de Tarascon au procureur général. [8] 304 U 67, Témoignage du commissaire de police de Tarascon, le 17 décembre 1851 dans l’information ouverte sur les principaux chefs du parti républicain de la ville. [9] Ibid 7. [10] 304 U 67, Procès verbal du 10 décembre 1851 sur événements de Tarascon. [11] Ibid 7. [12] 1 M 597, Rapport de la Commission mixte, le 5 mars 1852. [13] 14 U 47, Rapport du 29 décembre du procureur de la République de Tarascon au procureur général. [14] 1 M 597, Rapport de la Commission mixte, le 5 mars 1852. [15] 304 U 67, Témoignage du commissaire de police de Tarascon, le 17 décembre 1851 dans l’information ouverte sur les principaux chefs du parti républicain de la ville. [16] 304 U 67, Procès verbal du 10 décembre 1851 sur les événements de Tarascon. [17] 304 U 67, Témoignage du commissaire de police de Tarascon, le 17 décembre 1851 dans l’information ouverte sur les principaux chefs du parti républicain de la ville. [18] Ibid 17. [19] 1 M 597, Rapport de la Commission mixte, le 5 mars 1852. [20] 1 M 603, Arrêté municipal du 5 décembre à Arles. [21] 1 M 595, Maire d’Arles au préfet des Bouches-du-Rhône, le 6 décembre 1851. [22] 1 M 595, Sous-préfet d’Arles au préfet des Bouches-du-Rhône, le 6 décembre 1851. [23] Ibid 22. [24] 1 M 595, Rapport quotidien du sous-préfet d’Arles au ministre de l’Intérieur sur la situation politique de l’arrondissement, le 7 décembre 1851. [25] 1 M 595, Rapport quotidien du sous-préfet d’Arles au ministre de l’Intérieur sur la situation politique de l’arrondissement, le 8 décembre 1851. [26] 304 U 67, Interrogatoire de Jullian Chrisostôme le 9 décembre 1851, mené par le juge d’instruction pour l’inculpation d’outrages à Ferrand, maire adjoint de Tarascon. [27] 304 U 67, Témoignage de Bourelly, secrétaire à l’état civil, le 11 décembre 1851, présent au moment des faits. [28] 304 U 67, Témoignage de Ferrand, le 10 décembre 1851. [29] 304 U 67, Interrogatoire de Jullian Chrisostôme le 9 décembre 1851, mené par le juge d’instruction pour l’inculpation d’outrages à Ferrand, maire adjoint dans l’exercice de ses fonctions. [30] 304 U 67, Témoignage de Fabry, capitaine des pompiers, le 10 décembre 1851. Sur cette mesure, il nous apprend que 28 fusils furent distribués. [31] 1 M 595, Rapport quotidien du sous-préfet d’Arles au ministre de l’Intérieur sur la situation politique de l’arrondissement, le 11 décembre 1851. Il reste alors encore environ 300 hommes de garnison pour assurer la sécurité d’Arles, auxquels s’ajoute la compagnie des pompiers. [32] 1 M 595, Percepteur d’Arles au receveur général le 12 décembre 1851.
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