Insurgés et opposants au coup d’Etat dans les Bouches du Rhône.Chapitre 3

Insurgés et opposants au coup d’État de décembre 1851 dans les Bouches-du-Rhône

 

 

 

Hugues BREUZE 

1ère partie

Opposition démocratique au coup d’État et tentative d’insurrection

Chapitre III : Une répression préparée et immédiate

C/ Une répression immédiate : fermetures, surveillance et arrestations…

 

 

On l’a vu, l’échec inéluctable du mouvement républicain de décembre 1851, a en partie pour cause la prévenance efficace des autorités du département, alertées à de multiples reprises de ce genre de risque.

 

Mais quels furent les renseignements et les mesures qui permirent aux autorités de mettre en échec quasi-immédiatement la tentative d’insurrection républicaine ? Quels ont été les mécanismes de cette répression ?

 

 

Il semblerait que ceux-ci s’articulent en trois mouvements : l’autorité, sachant une réaction inévitable des républicains, tâche de fermer les lieux publics propices à amplifier l’émeute, compte tenu de l’importance de certains dans le dispositif organisationnel démocrate. Ensuite, on active les mesures de surveillance à l’égard des personnes (principalement les meneurs républicains locaux) ainsi qu’à l’égard de l’esprit public dans chaque commune du département. Enfin, la conséquence de ces surveillances amène de multiples arrestations, notamment grâce à l’envoi de troupes de ligne dans les communes ayant connu une quelconque agitation.

 

Toutes ces mesures agissent ainsi dans le même sens : mettre un terme à l’opposition républicaine des Bouches-du-Rhône révélée dans sa pleine mesure pendant les événements de décembre 1851.

 

 

       1§. Fermetures de lieux publics

 

 

Dès le 6 décembre, le procureur général Dessoliers rappelle aux procureurs de la République « toutes les dispositions nécessaires pour la répression des écarts qui peuvent se produire dans l’exercice du droit d’association et de réunion, ainsi que pour la dissolution par voie administrative des sociétés et réunions qui auraient méconnu les conditions de leur existence ».

 

Les magistrats disposent donc d’un véritable arsenal législatif pour réprimer toute réunion jugée illicite ; qu’il s’agisse de « réunions publiques s’occupant de politique » (qu’elles soient accidentelles – comme un banquet – ou non), qu’il s’agisse de « sociétés politiques » qui prennent le titre de « sociétés de bienfaisance ou de secours naturels » pour échapper à la répression (et ce, dès leur origine ou alors par la suite), qu’il s’agisse encore d’une « société mixte », l’innombrable législation sur la matière offre « des armes suffisantes à l’autorité judiciaire, comme à l’autorité administrative, pour prévenir et réprimer les abus du droit de réunion ».

 

Quant à l’exécution des arrêtés administratifs sur la dissolution de « sociétés ou réunions dangereuses », il est possible de s’appuyer sur la force armée et en cas de résistance « les récalcitrants peuvent être poursuivis pour rébellion devant les tribunaux correctionnels ».

 

Cependant, il n’en demeure pas moins « qu’il est très difficile de prouver que les sociétés s’occupe illégalement de matières politiques ».

 

Le procureur général rappelle alors à ce sujet « [qu’] en ce qui concerne l’appréciation à faire par l’autorité administrative, avant de prendre l’arrêté de dissolution, elle s’exerce (…) avec la plus grande liberté et sous la simple responsabilité de son agent. Il suffit que le préfet soit convaincu, et du moment que la conviction est complète, il ne doit pas hésiter à prendre son arrêté ».

 

Le procureur général ne doute alors pas un seul instant de l’issue de la mission confiée aux autorités du département ; l’autorité dispose selon lui      « des armes suffisantes pour nous délivrer de ces sociétés politiques, qui sous le nom de cercles et de chambrées ou de sociétés de bienfaisance, ne sont en réalité que des sociétés secrètes, des clubs déguisés, des écoles de corruption et des foyers de propagande socialiste ». L’objectif consiste pour lui d’endiguer « cet ulcère qui nous ronge et qui fait tous les jours de nouveaux et effrayants progrès. Ces sociétés sont la plaie et le danger de notre époque, ne négligeons rien pour les faire disparaître. Si nous y parvenons, nous aurons fait un nouveau pas vers le rétablissement de l’ordre et de la tranquillité publique  » 195.

 

Les autorités judiciaires et administratives du département vont donc oeuvrer de concert dans ce sens :

 

Le 10 décembre, le sous-préfet d’Aix apprend au préfet qu’il a ordonné la fermeture d’un cabaret à Saint-Chamas et qu’il vient de prendre un arrêté prescrivant la fermeture du Cercle de la Fraternité à Marignane. Les membre du cercle bravent cependant son autorité « depuis huit jours 196 ».

 

Le lendemain 11 décembre, c’est au tour des cercles et cabarets des communes de Lambesc, d’Eguilles et du Puy-Sainte-Réparade de subir les foudres des arrêtés du sous-préfet d’Aix. De son propre aveu, l’objectif est d’ailleurs de « désorganiser le parti socialiste dans les deux cantons de Peyrolles et de Lambesc et paralyser ses efforts au moment des élections [du plébiscite] 197 ».

 

 

Ces exemples de fermetures ont lieu alors que le risque d’insurrection est encore présent : elles ont donc pour but d’enlever aux républicains l’occasion de se réunir à nouveau pour envisager l’émeute. Mais d’autres fermetures ont lieu aussi a posteriori des événements.

 

Par exemple à La Ciotat, le commissaire spécial, arrivé avec une colonne mobile le 13 janvier 1852, fait fermer dès le lendemain « 6 établissements » que le maire et le juge de paix lui avait signalés, « dont 4 cabarets et 2     cafés ». Deux chambrées sont également fermées par ses soins à Ceyreste 198 .

 

Ces exemples sont tout ce qu’on peut trouver dans les sources avec ceux signalés lors de la chronologie des événements ; toutefois, de nombreux autres cafés et cabarets d’autres communes du département ont subi le même sort pour s’être signalés comme lieux d’agitation aux yeux de l’autorité, pendant les premiers jours de décembre.

 

Ces fermetures de lieux publics s’ajoutent donc à la longue liste d’arrêtés de dissolutions pris auparavant par l’autorité – une vingtaine de cercles, clubs ou sociétés ont déjà été dissous précédemment, entre le mois de janvier 1850 et avril 1851 199 -.

 

Enfin, une fois le département purgé de ces lieux de réunions, l’autorité préfectorale donne l’ordre d’exécution, dans tout le département, du décret du 29 décembre que voici :

 

– Article 1 : « aucun café, cabaret ou autre débit de boissons à consommer sur place ne pourra être ouvert à l’avenir sans la permission préalable de l’autorité administrative ».

 

– Article 2 : « les fermetures des établissement désignés en l’article 1er qui existent actuellement ou qui seront autorisés à l’avenir pourra être ordonné par arrêté préfectoral du préfet, soit après une condamnation pour contravention aux lois et règlements qui concernent ces professions, soit par mesure de sûreté publiques ».

 

– Article 3 : « tout individu qui ouvrira un café, cabaret ou débit de boissons à consommer sur place, sans autorisation préalable ou contrairement à un arrêté de fermeture pris en vertu de l’article précédent, sera poursuivi et puni d’une amende de 25 à 500 frs et d’un emprisonnement de 6 jours à 6 mois. L’établissement sera fermé immédiatement  » 200.

 

 

La tactique des autorités est claire : empêcher la renaissance de ces sociétés, cercles et chambrées qui viennent d’être dissoutes, par des mesures restrictives obligeant chaque ouverture de lieu public à être soumise à l’aval de la préfecture, qui garde aussi ses prérogatives spéciales pour ordonner des fermetures par simple mesure de sûreté publique.

 

 

 

        2§. Surveillance des personnes et de l’esprit public

 

 

De nombreux renseignements désignent en outre les chefs républicains aux autorités, entraînant leur mise sous surveillance.

 

Cette surveillance a alors un double objectif pendant le mois de décembre 1851 : tout d’abord, la pression qu’elle exerce sur les républicains les plus modérés a pour but de les faire rester tranquilles. Ensuite, cette tranquillité forcée a pour finalité de favoriser le résultat du plébiscite du 20 décembre.

 

La situation à ce niveau peut en effet, être parfois préoccupante comme en témoigne le sous-préfet d’Arles le 17 décembre :

 

« (…) j’apprends que des émissaires parcourent les campagnes et employent (sic) tous les moyens, pour persuader aux paysans, de ne pas venir voter. Ces conseils ne favorisent que trop l’apathie naturelle de ces braves gens ».

 

Celui-ci cherche donc fort logiquement à rallier à la cause du gouvernement une catégorie influente à Arles :

 

« La marine d’Arles, qui entre la population de cette ville pour le chiffre près de 6000 habitants, avait toujours passé pour être hostile au gouvernement. J’ai lieu d’espérer qu’elle est dans les meilleurs dispositions ».

 

Le sous-préfet Emile Paul profite alors de la présence dans la sous-préfecture de son beau-frère, l’amiral Bruat, pour le charger d’user de son influence sur les capitaines de la marine d’Arles :

 

« (…) il leur a fait sentir la nécessité de se rallier à la cause du président. Les paroles ont été accueillies avec la plus vive sympathie. Tous se sont engagés à voter pour le Président de la République, et ont promis d’agir auprès de leurs matelots, pour les faire voter en faveur de Louis-Napoléon ».

 

Le sous-préfet considère alors que cette intervention doit produire « un grand effet dans la ville et les environs  » 201.

 

 

Mais au-delà de cette surveillance « politique » de l’état de l’esprit public en décembre 1851, on reste vigilant contre une possible résurgence des tensions :

 

Le 10 décembre, le Var se pacifiant, le préfet de Suleau prend « des mesures contre les fuyards qui vont refluer [sur les Bouches-du-Rhône] 202 ».

 

Le sous-préfet d’Aix, on l’a déjà vu, fait de même le 13 décembre : il reçoit plusieurs hommes compromis pour les avertir que l’autorité avait l’œil sur eux  203 .

 

On cherche ainsi à avertir les « exaltés » de ne pas tenter de réveiller les « passions politiques », vexés par la défaite du mouvement insurrectionnel.

 

 

Dans le même temps, on met sur pied un système de renseignements sur les personnes compromises pendant les événements même si, comme à Marseille, compte tenu de la taille de la ville, « les renseignements à recueillir (…) sont plus longs et plus difficiles  204 ».

 

On arrive toutefois à obtenir des renseignements de haute importance sur l’identité de chefs républicains, et ce parfois avant même le coup d’Etat.

 

Dès le 27 octobre, les autorités obtiennent des renseignements sur un certain Marius Augeard, « mécanicien signalé comme un des membres du Comité Central de Résistance et des correspondants du Var (…). Il faisait partie du Cercle Paradis et a des opinions socialistes  205 ».

 

Cette désignation s’était déjà vue confirmée lorsque le 24 octobre, le préfet de Suleau avait déjà reçu des renseignements – vérifiés par la suite – , « parmi lesquels se [trouvait] un état nominatif des membres du Comité Central de Résistance et des correspondants du Var ; en tête, pour Marseille figure le Sr Rique (…), puis le Sr Augeard, mécanicien, et le Sr Conturat, libraire 206 ».

 

Toujours de la même source, le préfet des Bouches-du-Rhône tire le 8 décembre les renseignements suivants :

 

« (…) un Sr Castinel, habitant Marseille fabrique de la poudre ou en a fabriqué pour les insurgés.

 

« En outre, avec un Monsieur Ric ou Riques (…) qu’on désigne dans les clubs rouges du chef-lieu des Bouches-du-Rhône comme étant le chef de la ville.

 

« Ces (…) individus fréquentaient le café du Globe (…) 207».

 

De ces surveillances au préalable vont suivrent les multiples arrestations qui auront pour conséquence, soit de priver assez rapidement le mouvement de leurs chefs, soit d’imposer à ceux-ci une seule alternative devant l’apathie des populations urbaines à s’insurger : la fuite.

 

Ces surveillances vont donc conditionner les destinées de l’opposition républicaine de décembre 1851… et de sa répression.

 

 

Pour illustrer l’efficacité de ces mesures de surveillance et des services de renseignements de l’autorité, l’exemple d’Ernest Brémond, ancien sous-préfet d’Aix (mai-juillet 1848), est significatif : le 6 décembre, le sous-préfet d’Aix donne l’ordre d’arrêter Brémond par mesure de sûreté générale, à la suite de quoi, ce dernier prend la fuite. Il est dès lors soupçonné d’avoir fait partie des bandes insurrectionnelles sorties d’Aix du 7 au 10 décembre.

 

L’information qui suit ne fournit pourtant « aucun renseignements sur la participation de Brémond soit à une société secrète soit à un complot ». En réalité, il n’existe contre lui aucun indice de culpabilité quant à ces deux chefs de prévention.

 

Cependant, « l’opinion publique signale Brémond comme ayant été avant le 2 décembre un agent très actif de la propagande démagogique ». Il a en effet été le président de la loge franc-maçonnique ; il a été aussi désigné comme ayant assisté en 1849 à une « réunion politique » du Cercle de la Roquette à Lambesc et « peu de temps avant le 2 décembre », au Cercle ou réunion du Figuier et au Cercle de la Violette 208 – ces quatre lieux de réunions ont d’ailleurs tous été fermés par la suite par l’autorité -.

 

On le voit donc, alors que Brémond ne fait pas partie de la tête de l’organisation républicaine qui a tenté de lancer l’insurrection en décembre 1851, l’autorité ne ménage pourtant pas ses moyens pour satisfaire l’information sur celui-ci. Son ancien poste de sous-préfet en 1848 le transforme peut-être en cible de choix pour l’autorité, il n’en demeure pas moins qu’il ne fait point partie des chefs du mouvement : chaque fait et geste interprété comme manœuvre politique déclenche ainsi sur chaque démocrate  – surtout s’il s’agit d’une notabilité influente – une surveillance laissant inaugurer une inévitable répression. Pour Brémond, même l’intervention en sa faveur du ministre de l’Instruction publique, dont la famille lui est « intimement liée 209 », n’arrive à enrayer cette surveillance outrancière.

 

 

Celle-ci ne se limite d’ailleurs en aucun cas à surveiller les personnes. Elle se porte aussi étroitement sur les cercles et autres lieux de réunion.

 

C’est ainsi que le 10 décembre, la loge maçonnique d’Aix  apparaît au sous-préfet « suspecte » :

 

« Je la ferais surveiller ce soir et si une réunion nombreuse m’est signalée, je la ferai entourer et, au besoin, j’y ferai opérer quelques arrestations. Si l’on y trouve des étrangers ou des citoyens qui n’appartiennent pas à la maçonnerie, elle sera fermée 210 » ; ce qui sera fait en janvier 211.

 

 

Quant aux pouvoirs extraordinaires du préfet, en vertu des décrets présidentiels du 2 décembre, ils lui permettent de suspendre n’importe quel fonctionnaire public n’adhérant pas aux principes du gouvernement. Cet incroyable pouvoir discrétionnaire permet encore un peu plus à l’autorité d’asseoir son emprise sur l’esprit public. Ces pouvoirs se voient toutefois limités à partir du 13 décembre, car selon de Morny, « les circonstances n’autorisent plus les préfets à suspendre les juges de paix ou à s’écarter de la limite de leurs attributions en ce qui concerne les droits respectifs des autorités civiles et militaires 212 ». Le préfet conserve néanmoins le pouvoir de suspendre les maires, commissaires de police et les agents administratifs et civils, de les révoquer et de pourvoir à leur remplacement.

 

Si pour le gouvernement, la fidélité des fonctionnaires publics demeure primordiale pour la réussite du coup d’Etat, l’objectif de ces surveillances et des moyens qui les accompagnent reste toutefois clairement établi : « Ce sont surtout les chefs de parti qu’il faut atteindre 213 ». Toute information doit aller dans ce sens ; tous les efforts des magistrats « doivent continuer à être dirigés dans le but de pénétrer l’organisation des sociétés secrètes et de chercher à en connaître les chefs 214 ».

 

 

Mais comment remonter à la tête des organisations républicaines ? Le moyen le plus infaillible est de viser par le bas de la pyramide : menacer de simples soldats de l’émeute en leur demandant de dénoncer leurs chefs. Encore faut-il retrouver ces insurgés, pour la plupart évanouis dans la nature ou rentrés chez eux sans trop se faire remarquer. Pour cela, les procureurs de la République du département posent aux juges de paix les questions suivantes :

 

1°) « Quels sont les noms des individus qui ont quitté leur domicile sans motif avouable depuis le 2 décembre ?

 

2°) « Quels sont les noms de ceux qui sont partis en emportant des armes ?

 

3°) « Quelles sont les personnes qui ont volontairement reçu chez elles des insurgés ? 215 ».

 

 

La machine répressive de l’autorité est donc définitivement lancée, et tant pis si, selon les dires du procureur de la République de Tarascon, « l’administration croit devoir faire de l’arbitraire 216 » : on doit aboutir à mettre sous les verrous tous les républicains compromis ; ceux qui le sont peu dénoncent les autres et ceux qui le sont beaucoup n’osent ainsi plus rien tenter.

 

 

3§. Arrestations et troupes de répression

 

 

La répression anti-républicaine qui se met en place dès le mois de décembre 1851 ne doit pas toutefois apparaître comme un système de « terreur ».

 

Dès le 4 décembre, le ministère de l’Intérieur donne pour cible de la répression les républicains les plus « exaltés », tout en souhaitant  rallier les modérés au gouvernement :

 

« Tout individu qui sera pris construisant ou défendant une barricade, ou les armes à la main sera fusillé sur le champ.

 

« Faites connaître que les anciens représentans (sic) appartenant au parti modéré sont libres et rendus à leurs familles 217 ».

 

Cette volonté de propager ces menaces de répression et de solliciter l’adhésion de la démocratie modérée répond au besoin de l’autorité d’infirmer les fausses nouvelles qui se répandent ; dans cette paranoïa de la fausse information, le préfet de Suleau reçoit la dépêche suivante, le 5 décembre, du ministère de l’Intérieur :

 

« Faites arrêter les colporteurs de fausses nouvelles. Rassurez l’opinion et ne tenez pour exact que mes communications. On ment à Paris sur l’état de la Province, et en Province sur l’état de Paris. Le Gouvernement est complètement maître de la situation.

 

« Surveillez vigoureusement les montagnards. N’hésitez pas à faire arrêter tous ceux dont vous auriez à redouter l’action factieuse 218 ».

 

On le voit, le gouvernement et les autorités départementales souhaitent se présenter en position de force aux yeux des populations. Cette dissuasion est donc accompagnée d’autant de démonstrations qu’il y a d’arrestations à effectuer, grâce aux renseignements requis au préalable.

 

 

C’est ainsi que dès le 6 décembre, Rique est sous le poids d’un mandat d’arrêt. Le préfet fait aussi rechercher Castinel le lendemain, après avoir reçu des renseignements à son sujet du préfet du Var 219.

 

Le 11 décembre, le sous-préfet d’Aix, après avoir fait fermer les cercles et cabarets des cantons de Peyrolles et de Lambesc, y fait aussi arrêter tous les hommes « signalés depuis longtemps comme des agitateurs dangereux » et dont on accuse « pendant ces derniers jours, d’avoir tenu des conciliabules et d’avoir tout préparé pour s’emparer des affaires en cas de succès des anarchistes 220 ».

 

Cependant, si ces exemples démontrent que de nombreuses arrestations ont eu lieu pendant les troubles insurrectionnels, la majorité de celles-ci ont finalement été opérées après l’envoi de troupes de ligne dans les différentes communes du département, une fois l’agitation retombée.

 

En effet, de nombreuses communes rurales durent attendre la fin du risque de soulèvement des grands centres urbains pour récupérer leur brigade de gendarmerie que ceux-ci avaient monopolisée. On a vu, par exemple, pour la commune de Roquevaire qui, le 5 décembre, connaît le passage de nombreux insurgés sur son territoire, le refus cinglant du général Hecquet d’envoyer à son secours deux bataillons de troupes de ligne. Quant aux autres communes, les demandes de retour de leur brigade de gendarmerie se voient aussi essuyer une réponse négative.

 

Il faudra attendre le 12 décembre pour que, devant une situation qu’elle estime stable, l’autorité préfectorale prescrive « de faire rentrer immédiatement dans leurs postes respectifs les brigades qui en avaient été momentanément détachées » :

 

« Leur présence y sera plus nécessaire que jamais pour le rétablissement de l’ordre, pour l’exécution des mesures de répression et de châtiment qui seront ordonnées par l’autorité partout où il y aura lieu , et pour le concours à prêter aux autorités locales contre les excès et les désordres partiels auxquels pourraient se porter les bandes d’insurgés au moment de leur dispersion » 221.

 

Leur retour est néanmoins insuffisant pour effectuer toutes les arrestations à faire.

 

Ce n’est finalement sous l’impulsion du procureur général, le 24 décembre 222, et après avoir obtenu les informations nécessaires sur les personnes s’étant compromises pendant les événements que le préfet prend les dispositions pour engager une répression totale :

 

« Le moyen le plus propre (…) à relever l’esprit public partout où il a fléchi (…) a été déjà employé sur quelques points du département : il consiste à diriger successivement sur toutes les communes des détachements de la force publique, accompagnés d’officiers de police judiciaire qui délivreront des mandats et feront arrêter tous les individus compromis et désignés comme les meneurs et les chefs. On arriverait ainsi à purger les communes les plus travaillés par les intrigues de la démagogie et à détruire ce levain d’insurrection et de révolte qui fermente dans les masses, et qui, dans une circonstance donnée, pourrait encore faire irruption 223 ».

 

Des troupes ont pourtant été détachées peu avant ces mesures dans les communes les plus « travaillées » par l’agitation. La conséquence de l’arrivée d’un détachement de troupes de ligne à Marignane le vendredi 19 décembre est d’ailleurs significative si l’on en croit le percepteur de la commune : « [le détachement] a effrayé nos rouges ; la plupart des principaux, et qui ont sans doute des craintes bien fondées, se sont enfuis et ont passé la nuit sur l’étang ». La troupe opère ensuite des arrestations aux Martigues, à Châteauneuf et à Gignac.

 

Cette démonstration n’a pourtant aucun effet sur le résultat du plébiscite du 20 décembre à Martigues : sur 758 votants, on ne constate que 433 votants, dont 138 non ! Selon le percepteur de Marignane, ce nombre s’explique par « la présence de quelques agitateurs venus de Marseille et du voisinage venus pour stimuler sans doute le zèle de nos démagogues 224 ».

 

Si ces détachements de troupes de ligne n’ont apparemment pas toute l’influence souhaitée sur l’esprit public, ils poursuivent cependant leur mission de répression. Le 25 décembre, une compagnie de troupes de ligne de Salon est dirigée sur les communes d’Istres et de Saint-Mitre 225. Le 26 décembre, une fouille est opérée, sans résultat, dans les bois de La Barben alors qu’étaient signalés quelques débris de bandes d’insurgés 226.

 

Ce n’est enfin que le 12 janvier que deux détachements de troupes de ligne partent sur les communes du 1er arrondissement : l’une passe par La Penne, Aubagne, Gèmenos, Roquevaire, Auriol, Peypin, Saint-Savournin, Gréasque, Belcodène et Allauch ; l’autre traverse Cassis, La Ciotat, Ceyreste, Roquefort et Cuges 227. Cette dernière opération dans le canton de La Ciotat amène – en plus des fermetures de six établissements déjà évoquées – 24 arrestations et la confiscation de 235 fusils 228.

 

Le nombre d’arrestations est tel après le retour des troupes de ligne que certaines prisons se voient débordées. Déjà, dès le 10 décembre le préfet sollicitait le procureur du Beux pour faire transférer les prisonniers de Marseille au Château d’If, la maison d’arrêt et celle de dépôt étant dans un réel « état d’encombrement 229 », certains détenus étant « couchés 2 ou 3 dans le même lit 230 ».

 

Au total, ce sont près de 785 personnes qui sont poursuivies dans les Bouches-du-Rhône après les troubles de décembre 1851 231. Ce chiffre considérable s’explique par le fait que les premières arrestations amènent des « révélations qui (…) fournissent d’utiles renseignements sur les sociétés secrètes et amènent de nouvelles arrestations 232 ».

 

 

Tous ces renseignements ouvrent ainsi la voie à la répression a posteriori des événements de décembre : le 3 février 1852, les fameuses Commissions mixtes sont mises en place pour statuer, sans appel possible, sur les prévenus. Voici un extrait des conclusions de celle des Bouches-du-Rhône, après la fin de ses délibérations en mars 1852 :

 

« Depuis, de longues années le département des Bouches-du-Rhône et plus particulièrement la ville de Marseille ont été agités par les passions politiques et les sociétés secrètes (…).

 

« Tout devait faire craindre une explosion imminente, lorsque la courageuse initiative du chef de l’Etat a sauvé la société et déjoué les complots des anarchistes (…).

 

« Un pareil état de choses nécessitait une répression énergique, des arrestations nombreuses ont dû être opérées ; elles se sont élevées pour l’arrondissement de Marseille à plus de 400, sans compter les prévenus en fuite qui sont parvenus jusqu’à ce jour à échapper à l’action de la justice. A Aix et à Arles le nombre des individus arrêtés a été presque aussi considérable 233».

 

 

 La prévention des autorités contre une tentative d’insurrection démocratique comme la répression immédiate suivant le 2 décembre soulèvent de facto l’importance et le rôle de l’évolution des mentalités politiques et de la situation sociale et idéologique pendant la IIe République – période brève mais ô combien dense – dans les Bouches-du-Rhône : l’échec du mouvement, sans rentrer dans la conjoncture globale de la région, trouve en effet de multiples signes locaux avant-coureurs, et ce pas seulement dans l’année qui précède l’événement.

 

Mais le fait que l’autorité se prémunisse d’une quelconque tentative insurrectionnelle souligne néanmoins une situation politique qui ne lui semble pas nécessairement favorable : la propagande socialiste semble influente et le chiffre des arrestations démontre qu’un grand nombre de républicains a tenté de défendre la République et sa Constitution, même si le mouvement de résistance s’essouffle rapidement de lui-même.

 

S’intéresser à la chronologie des événements à travers, d’une part, la réaction des populations urbaines et rurales, et d’autre part, à travers les disparités locales du mouvement,  a ainsi permis de relever les pistes à suivre dans la situation politique et sociale des Bouches-du-Rhône pendant la IIe République, notamment en ce qui concerne la diffusion et la réception de l’idéologie républicaine-révolutionnaire. Tâchons de nous y pencher pour tenter de cerner les origines de  cet échec insurrectionnel.

 

 

 


195 14 U 48, Procureur général au procureur de la République, le 6 décembre 1851.

196 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 10 décembre 1851.

197 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 11 décembre 1851.

198 14 U 48, Juge de paix de La Ciotat au procureur de la République de Marseille, le 17 janvier 1852.

199 1 M 603, Liste des dissolutions de cercles, chambrées…, de janvier 1850 à avril 1851.

200 14 U 48, Préfet des Bouches-du-Rhône aux sous-préfets, le 31 décembre 1851.

201 1 M 595, Rapport du sous-préfet d’Arles sur la situation politique du 3ème arrondissement, au ministre de l’Intérieurs, le 17 décembre 1851.

202 1 M 595, Préfet des Bouches-du-Rhône au ministre de l’Intérieur, le 10 décembre 1851.

203 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 13 décembre 1851.

204 14 U 47, Procureur de la République de Marseille au procureur général, le 18 décembre 1851.

205 1 M 595, Commissaires central de police de Marseille au préfet des Bouches-du-Rhône, le 27 octobre 1851.

206 1 M 595, Préfet du Var au préfet des Bouches-du-Rhône, le 24 octobre 1851.

207 1 M 595, Préfet du Var au préfet des Bouches-du-Rhône, le 8 décembre 1851.

208 12 U 11, Procureur de la République d’Aix au procureur général, le 22 janvier 1852.

209 12 U 11, Chef du cabinet du ministre de l’instruction publique et des cultes au procureur général, le 15 janvier 1852.

210 1 M 595, Sous préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 10 décembre 1851.

211 Ibid 208.

212 1 M 595, Ministre de l’Intérieur au préfet des Bouches-du-Rhône, le 13 décembre 1851.

213 14 U 48, Ministre de la justice au procureur de la République de Marseille, le 22 décembre 1851.

214 14 U 48, Ministre de la justice au procureur de la République de Marseille, le 29 décembre 1851.

215 14 U 48, Procureur de la République de Marseille au juge de paix de La Ciotat, le 12 décembre 1851.

216 14 U 52, Procureur de la République de Tarascon au procureur général, le 16 décembre 1851.

217 1 M 595, Ministre de l’Intérieur au préfet des Bouches-du-Rhône, le 4 décembre 1851.

218 1 M 595, Ministre de l’Intérieur au préfet des Bouches-du-Rhône, le 5 décembre 1851.

219 1 M 595, Préfet des Bouches-du-Rhône au préfet du Var, le 9 décembre 1851.

220 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 11 décembre 1851.

221 1 M 595, Préfet des Bouches-du-Rhône aux sous-préfets, le 12 décembre 1851.

222 1 M 595, Procureur général au préfet des Bouches-du-Rhône, le 24 décembre 1851.

223 1 M 595, Préfet des Bouches-du-Rhône aux sous-préfets, le 31 décembre 1851.

224 1 M 595, Percepteur de Marignane au percepteur général, le 22 décembre 1851.

225 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 25 décembre 1851.

226 1 M 595, Sous-préfet d’Aix au préfet des Bouches-du-Rhône, le 29 décembre 1851.

227 14 U 48, Préfet des Bouches-du-Rhône au procureur de la République de Marseille, le 8 janvier 1852.

228 14 U 48, Juge de paix de La Ciotat au procureur de la République de Marseille, le 17 janvier 1852.

229 14 U 49, Préfet des Bouches-du-Rhône au procureur de la République de Marseille, le 18 décembre 1851. Il y a, à cette date, 116 détenus politiques dans les prisons de Marseille.

230 14 U 49, Commissaire central de police de Marseille au procureur de la République de Marseille, le 27 décembre 1851.

231 BARATIER Edouard, Documents de l’Histoire de Provence, Univers de la France, Collection d’histoire régionale, Toulouse, Privat, 1971, p. 337.

 

232 12 U 10, Procureur de la République de Marseille au procureur général, le 26 janvier 1852.

233 1 M 597, Rapport de la Commission mixte des Bouches-du-Rhône, le 5 mars 1852.