LO CÒP D’ESTAT
LO CÒP D’ESTAT DE 1851
Gaston BELTRAME
Éditions Rescontres
Centre Dramatique Occitan
1974 troisième partie LA CHAMBRÉE
oc 1
Li a encara degun ?
oc 2
Que non ! Siáu solet.
oc 1
Qué mi dies ?
oc 2
Qu’ai vist lo pichòt rascla-chemineia que davala de Savòia.
oc 1
Non ! Es totjorn lo pichon gibós ?
oc 2
Totjorn. Fasiá dansar la marmòta dins la carriera de Jasmin. N’i aviá de badaires !
oc 1
Ai rèn vist, ieu. Ai passat lo matin dins la vinha, perqué siáu dins la moscalha ; sabes ! Lo plantier de morastèu es estat de mitat desborrat pèr la gelada, e la vinha de Peirascàs, plantada amb una varietat que si maridava coma faliá amb la terra, es estada desfulhada pèr l’oïdium. Ara li a plus ges de borras : lei gavèus son negres, coma rimats.
oc 2
As assajat d’ensouprar au moment de la florida ?
oc 1
Oc ! Mai a rèn donat.
oc 2
Ne’n fa de mau aquel oïdium ! Es coma la pebrina…
oc 1
Qu’es aquò ?
oc 2
Lei manhanaires e lei manhanarèlas va sabon. Es un mau que corre : lei manhans ne’n crèban… Que malastre pèr leis obriers ! De manhanariás an plegat dins lo canton d’Avinhon ; d’àutrei an fach venir de manhans japanés. Mai pòdon plus faire de seda e de sedariá coma a passat temps.
oc 1
Venèm à l’enguènt !
oc 2
Ti cresi. La situacion economica es mai que marrida ; siam dins un porridier que degun si pòt dire ont anam.
oc 1
Tè ! Lo doctor Blanquet ! Un bòn republican : saberut en politica coma en medicaments.
oc 2
Oc ! Mai pecaire, s’es mes dins l’idèa de parlar francés, perqué lo francés es la lenga dei monsurs.
oc 1
A fach d’estudis !
oc 2
Es pas una rason.
LE DOCTEUR
Bonjour, mes amis !
oc 1
Bonjour, docteur !
oc 2
Bonjorn, monsur lo mètge !
LE DOCTEUR
Alors, de quoi parliez-vous ?
oc 1
Du marasme économique dans lequel se trouve l’agriculture. Entre l’oïdium qui s’attaque à la vigne, la pébrine qui détruit les vers à soie, on se demande comment on va s’en sortir. Bien sûr, il y a l’industrie…
LE DOCTEUR
Détrompez-vous, là non plus ça ne va pas. Tenez, je relisais, pas plus tard que ce matin, un ouvrage écrit par Fourier voici plus de vingt ans et qui s’adapte parfaitement à la situation actuelle.
Oc 2
E qué ditz aqueu monsur Fourier ?
LE DOCTEUR
“L’industrialisme est la plus récente de nos chimères scientifiques ; c’est la manie de produire confusément, sans aucune méthode en rétribution proportionnelle, sans aucune garantie pour le producteur ou salarié”…
oc 1
Oui, c’est bien pareil pour nous
LE DOCTEUR
“Sans aucune garantie, dis-je, de participer à l’accroissement de richesse”.
oc 2
Oc, es verai !
LE DOCTEUR
“Aussi voyous-nous que les régions industrialistes sont autant et même plus jonchées de mendiants que les contrées indifférentes sur ce genre de progrès”.
oc 2
Es quauqu’un aqueu Fourier !
oc 1
E saup çò que ditz !
(On entend, venant des coulisses, le début de la chanson de Charles Poncy “LE CORDONNIER” – air : “La bonne aventure, ô gué” – et un groupe entre en chantant et en dansant).
I
Notre salaire est réduit
d’une façon telle
Qu’au char noir qu’elle conduit
la faim nous attelle
Jusqu’à minuit nous veillons
Pour du pain et des haillons.
Battons la semelle.
Allons !
Battons la semelle.
(On danse, on mime).
II
Aussi quand le peuple à flots
que la faim harcèle,
Lassé de ses vains sanglots,
s’arme et s’amoncèle,
Quand grondent les noirs tromblons,
Ce n’est pas nous qui tremblons !
Battons la semelle.
Allons !
Battons la semelle.
III
L’avenir ! à deux genoux
Le pauvre l’appelle.
Oh ! qu’il abrège pour nous
L’attente cruelle !
Pour trouver les jours moins longs,
Chantons, aimons, consolons,
Battons la semelle.
Allons !
Battons la semelle.
(La danse s’arrête. On boit, on parle par groupes ; deux hommes discutent) .
oc 1
T’ai jamai vist aici !
oc 2
Es Tòni que m’a dich : “Tu qu’as de socits, deuriás anar a “La Pomona”, li a d’amics socialistas que t’ajudaràn”.
oc 1
Bensai.
oc 2
L’oïdium à fach crebar ma vinha e l’ivern a desborrat mon plantier.
oc 1
A fach de freg promier !
oc 2
Oc. Pòdi totjorn mi dire : “Calena au fuèc, Pasca au juec !”, aquò me reviscòla pas fòrça !
oc 1
De segur que l’ivern es lòng… e li a tant de paurei gents !
oc 2
Mai coma faire ? Dison que fau bèn que li ague de paures ambé de riches, bensai ! mai pèr nosautrei, lei paures, nòstra riquesa es la santat !
Oc 1
Oc ! nautrei, bòns trabalhaires, anam totjorn ; mai lei malauts… pecaire !
oc 2
Té ! E l’espitau donc, es perqué faire ?
oc 1
Pèr lei gents de la vila, encara fau de proteccion ; e puèi nosautrei, nos fau l’èr dau bastidon !
oc 2
Aquò’s aquò !
oc 1
Sensa comptar que dins lo tèmps de la fèbre, lo grame e lei marrideis erbas grelhan ; e grelhan bèn !
oc 2
E bè, coma faire ?
oc 1
S’ajudar un pauc, l’un ambé l’autre.
oc 2
Oc, pèr aquò n’en siáu.
oc 1
Es pas malaisat, siam una societat de benfasença, cadun paga son escotisson, un tant pèr mes ; quora siás malaut, as lo medecin e l’apotecari pèr rèn.
oc 2
M’agrada ta societat !
oc 1
Ne’n siàu aurós !
(Le reste se perd dans le brouhaha… puis…)
LE JOURNALISTE
Camarades ! Camarades ! (Le calme s’établit)… Camarades ! Notre journal, votre journal, Le Démocrate du Var, a pu survivre grâce à vous. J’ai là une lettre de Camille Ledeau, qu’il faut que je vous lise :
“Amis et camarades : La bataille est gagnée. Par un effort financier constant, vous avez permis à la presse démocratique de vivre. Désormais et grâce à vous, la propagation des idées socialistes va pouvoir se développer. Ouvriers, paysans, artisans, petits fonctionnaires, Le Démocrate du Var devient, par votre volonté opiniâtre, le premier journal républicain de notre département. Vous en êtes tous les actionnaires. Et bien que les uns, plus favorisés financièrement, aient acheté des coupures de vingt francs et que les autres aient participé pour vingt sous, vous êtes tous des actionnaires à égalité. La presse démocratique est sans cesse mise en péril par le pouvoir et ceux qu’il représente. Souvenez-vous camarades, la Seconde République avait permis aux journaux de se multiplier : il y avait Le Salut Public, La Commune de Paris animée par Georges Sand et Eugène Sue, et surtout L’Ami du Peuple fondé par Vincent Raspail ; la loi scélérate du 16 juillet 1850 frappant tous les petits écrits, périodiques ou non, remet en cause la liberté de la presse. Je vous rappellerai cette phrase de Lamennais, devant arrêter la parution de son journal : “Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or pour jouir du droit de parler. Nous ne sommes pas assez riches. Silence aux pauvres !”. Eh bien, grâce à vous, les pauvres feront entendre leur voix dans les colonnes du Démocrate du Var. Amis et camarades, restons vigilants. Demain, démocrates, républicains et socialistes, tous unis, nous bâtirons enfin “La Bonne”. Vive Le Démocrate du Var ! ”
(Applaudissements, cris d’approbation. Puis tous chantent et dansent).
TOUS
Meis amics, lo melhor plan
Es d’ensertar lei blancs.
Afin que n’escape plus ges,
Leis ensertarem en carronet.
Pèr qu’agan pas de regetons
Fau copar jusqu’ai sagatons.
(On boit ; on discute).
LE PAYSAN
Alors, docteur, on arrive de Toulon ?
LE DOCTEUR
Oui ! Il n’y a pas deux heures. Nous avions une réunion importante avec Ledeau, Sauvan et Legay, au Café du Champ de Bataille. Nous avons profité de la venue de Denfert-Rochereau pour établir des liens plus étroits entre les diverses sections républicaines. Il est important de coordonner nos efforts, pour mieux résister aux provocations de Badinguet.
LE PAYSAN
Et vous n’avez pas vu Ferdinand ?
LE DOCTEUR
Ferdinand ?
LE PAYSAN
Mais oui, le fils du pastre, celui qui est parti travailler à Toulon, depuis que ce gros porc de Maquan a refusé de renouveler le fermage à son père.
LE DOCTEUR
Ah, oui ! Il s’est marié à l’automne. Mais comme la totalité des ouvriers, il ne loge pas dans l’enceinte la ville ; il habite le faubourg du Pont-du-Las.
LE PAYSAN
Il a peut-être moins de misère que nous !
LE DOCTEUR
Détrompe-toi. J’ai l’occasion d’aller dans les faubourgs : les travailleurs ne disposent bien souvent que d’une chambre et d’un cabinet pour une famille de cinq à six personnes.
LE PAYSAN
Ça paraît pas possible
LE DOCTEUR
Hélas, c’est ainsi ! Et pour le travail, ils commencent à cinq heures du matin et ne s’arrêtent que le soir à sept heures, avec une petite demi-heure pour prendre le repas de midi.
LE PAYSAN
Nous aussi, on travaille de l’aube à la nuit.
(Pendant ce temps, un ouvrier s’est avancé et a entendu la fin de la conversation).
L’OUVRIER
Nous sommes tous logés à la même enseigne, ami. Dans les usines, tous les manœuvres, tous les ouvriers sans spécialisation sont des gens qui ne pouvaient plus vivre de leur terre, des paysans contraints à l’exode ; mais crois-moi, ils ne vivent pas mieux de leur travail.
LE PAYSAN
Bensai.
LE DOCTEUR
Sans compter que les ouvriers occitans, pour une même spécialisation et un même temps de travail sont beaucoup moins payés qu’à Paris et dans la région parisienne.
L’OUVRIER
Tenez ! Moi qui vous parle, je suis charpentier, et je gagne deux francs par jour. Savez-vous combien on leur donne aux charpentiers de Paris ?
LE PAYSAN
Deux francs cinquante à trois francs.
L’OUVRIER
Cinq francs cinquante et même six francs. Trois fois plus qu’à moi pour un même travail et une même compétence. Qu’est-ce que vous en dites ?
LE PAYSAN
C’est dégoûtant !
LE DOCTEUR
Oui, C’est inadmissible. Mais c’est voulu par le pouvoir. Ici, en Occitanie, on nous traite en parias, en inférieurs, pour des raisons politiques et économiques.
LE PAYSAN
Les gros ne pensent qu’à s’accaparer nos terres.
L’OUVRIER
Le dernier coup que Badinguet a fait le tour de France, il s’est bien gardé de venir dans le Midi. Il a fait ses tournées de propagande dans les départements du nord, de l’est, de l’ouest, de la région parisienne, mais chez nous, il n’est pas venu.
LE PAYSAN
Perqué nosàutrei, li avèm mandat, a la Cambra, de deputats roges. E ais eleccions que venon, aurem encar mai de deputats socialistas e poirem faire la Bòna.
LE DOCTEUR
Je le pense. A ce sujet, je vais vous dire un poème que j’ai ramené de mon passage à Nîmes, lors du Congrès républicain. Il est d’Antoine Bigot, un jeune plein d’enthousiasme.
(Il annonce : “ Fraternitat ”).
LE PAYSAN
Non, es pas verai ! Lo mètge que va dire de poësia dins la lenga nòstra !
LE DOCTEUR
Jove estrangier, meis abilhatges
Son pas copats coma lei tieus
Tei peus son lòngs, e ton visatge
Es pas de la color dau mieu ;
Mai ton còr bat dins ta peitrina
Pèr tot çò qu’es verai, bèn e grand,
Au mau solet vires l’esquina…
Siás mon fraire, tòca la man.
De qué cèrques, palle sonjaire,
Acrochonit sus ton papier ?
– Dins lo bonur dei trabalhaires
Mon ideia cava son liech.
Bute ai ròdas pèr que cada ora
Pòrte un pauc de jòia, de pan
A quau trima, patis o plora…
Siás mon fraire, tòca la man.
leu dins ma man tène l’espasa
Fau la guèrra en aimant la patz,
Ai pòbles qu’un tiràn escrasa,
Pòrte secors, me pause après.
Dessùs ma tèsta, ulhauça e trôna,
Ai pas paur, vau totjorn abans
S’un crit de libertat me sòna…
Siás mon fraire, tòca la man.
(Applaudissements. Puis la discussion est générale).
L’OUVRIER
Dins un pauc mai de quatre mes, li aurà d’eleccions pèr mandar lei deputats a la Cambra.
LE PAYSAN
Aqueste còp avèm l’ocasion d’arribar d’èstre bèn governats pèr d’òmes que seràn lei mandataris dau pòple.
UN AUTRE
Deman s’organizaràn de coperativas, onte lei patrons e lei porcàs de la finança auràn ges de plaça.
L’OUVRIER
Oc, farèm coma lei bochoniers e lei bochonieras de la Garda ; serèm lei governaires de nòstre trabalh.
UN AUTRE
Lo tèmps dei mèstres es acabat
L’OUVRIER
Lo tèmps deis òmes va començar. Lo tèmps dei mans porjudas, dei còrs dubèrts ; lo tèmps dei rires, lo tèmps de l’amistat.
LE DOCTEUR
Deman lo bonur de cadun serà realitat.
LE PAYSAN
Amics ! cantem toteis ensems Lo cant dei vinhairons. Es una cançon francesa, mai li fa rèn, perqué es una cançon d’esper. Ieu cantarai lo coblet e vosàutrei mandaretz lo refranh. Oc ?
TOUS
Oc !
LE PAYSAN (annonce)
Lo cant dei vinhairons : cançon dei chambradas e dei societats socialistas.
Bons villageois, votez pour la Montagne
Là sont les dieux des pauvres vignerons,
Car avec eux, bonnes gens des campagnes,
Seront rasés les impôts des boissons.
Refrain
Bons, bons vignerons,
Aux prochaines élections,
Il faut, campagnards,
Nommer des Montagnards.
II
N’écoute plus cette aristocratie
Qui convertit tes sueurs en écus,
Quand tu voudras, usure et tyrannie,
Dans un seul jour, tout aura disparu.
Refrain…
III
Quand l’élection sera démocratique,
Tous les impôts des pauvres ouvriers
Seront payés, dans notre République,
Par les richards et par les gros banquiers.
Refrain…
(Ils sortent sur le dernier refrain). |