LE COUP D’ETAT DU 2 DECEMBRE 1851

LE COUP D’ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851

PAR LES AUTEURS DU DICTIONNAIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 

[Joseph Décembre et Edmond Allonier]

3e ÉDITION PARIS 1868

DÉCEMBRE-ALONNIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

XIII

SOIRÉE DU 3 DÉCEMBRE

 

Dans la soirée du 3 décembre, au moment où la fusillade retentissait encore et où l’issue du combat n’avait rien d’assuré, une conférence militaire eut lieu, sous la présidence du ministre de la guerre Saint-Arnauld. Là se trouvaient réunis le général Magnan, les généraux de division de l’armée de Paris, M. de Morny, et sans doute aussi, comme on l’a avancé, le Président de la République lui-même. M. de Morny proposa un nouveau plan d’opération qui fut aussitôt appuyé par le général Magnan et immédiatement adopté.

Nous avons vu que M. de Morny ne redoutait rien tant que ces engagements partiels, d’où le peuple était sorti victorieux après les journées de juillet 1830 et celles de février 1848. Il proposa, au contraire, de retirer les patrouilles et les détachements isolés, de concentrer fortement les troupes sur quelques points principaux, en assurant soigneusement le service des vivres et des munitions. Sans doute on permettait ainsi à l’insurrection de s’étendre librement, de construire de fortes barricades, de choisir ses positions, mais on avait ensuite l’avantage, en attaquant avec impétuosité et sans ménagement, avec des forces écrasantes, de triompher définitivement de l’insurrection, qui ne pourrait plus mettre en bataille de nouvelles forces. C’était, en outre, un moyen de déjouer le nouveau plan que les défenseurs des barricades semblaient avoir adopté dans la soirée du 3 décembre.

M. de Morny dut vraisemblablement insister ainsi sur le caractère qu’on devait, suivant lui, donner à la répression, lorsqu’il disait dans l’une des dépêches au général Magnan :

« Il n’y a qu’avec une abstention entière, en cernant un quartier et le prenant par la famine, ou en l’envahissant par la terreur, qu’on fera la guerre de ville. »

Cette conférence nous montre évidemment combien la tactique adoptée par le peuple causait d’inquiétude en haut lieu, malgré les avantages qui modifiaient peu la situation.

Les chefs républicains crurent eux-mêmes que la victoire serait bientôt à eux. M. Xavier Durrieu[1], ancien constituant, partageait cette opinion.

« Sur mon honneur, a-t-il dit plus tard, je déclare que, de 7 heures à minuit, tout mon espoir m’était revenu. Je croyais presque la Révolution assurée. »

Les rassemblements ne se présentaient plus, en effet, au-devant des troupes, avec la même faiblesse que dans la matinée : on les voyait enfermer les troupes, les forcer souvent à reculer, par la crainte de se voir coupées, ouvrir les rangs pour laisser passer la charge ou la mitraille, les reformer ensuite, toujours menaçants et résolus, et assourdissant la troupe des cris mille fois répétés de : Vive la République ! Vive la Constitution ! Cette foule crédule accueillait avec une parfaite confiance les bruits les plus invraisemblables sur la révolte des départements, la marche des républicains des grandes villes sur Paris. Dans certains quartiers, on s’abordait mystérieusement en se disant :

« Neumayer, à la tête de la garnison de Metz, s’avance sur Paris. »

Un comité de résistance fonctionnait et rendait des décrets qu’il était assez difficile de porter à la connaissance du public

Dans une réunion de représentants qui se tint chez un membre de la gauche, MM. Garnier-Pagès, Marie, Michel (de Bourges), Jules Bastide, Em. de Girardin et le prince Napoléon (le fils du prince Jérôme), on discuta les moyens de faire triompher la cause républicaine.

M. Em. de Girardin, qui défendit, comme toujours, le système utopique de la résistance légale, se prononça pour le refus de l’impôt et une sorte de grève générale, jusqu’à ce que le Président de la République reconnut lui-même l’impossibilité de gouverner dans ces conditions, il proposa même que les représentants laissés en liberté se constituassent prisonniers. Michel (de Bourges) combattit ce plan. Le temps se passa ainsi en discussions, et les membres présents ne furent unanimes que pour signer une proclamation au peuple, qui dépassait en énergie celles que nous avons déjà citées.

Dans une autre réunion qui eut lieu chez M. Marie, les représentants présents promirent de prendre tous part à l’insurrection, et se séparèrent dans l’espoir du succès pour le lendemain.

Il nous reste à parler, pour compléter le récit des événements du 3 décembre, des actes officiels du nouveau gouvernement. Un décret qui constitua un cabinet fut affiché dans la matinée du 3 décembre ; il était ainsi conçu :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

Le Président de la République décrète :

Sont nommés :

MM. DE MORNY, intérieur ;

FOULD, finances ;

ROUHER, justice;

MAGNE, travaux publics ;

SAINT-ARNAUD, guerre ;

Th. DUCOS, marine ;

TURGOT, affaires étrangères ;

LEFEBVRE-DURUFLE, agriculture et commerce ;

FORTOUL, instruction publique et cultes.

Fait à l’Élysée-National, le 3 décembre 1851.

LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE.

 

Pour répondre aux bruits inquiétants répandus parmi la population sur l’état de Lyon, le gouvernement avait fait afficher dans la soirée la dépêche suivante[2] :

« Lyon, 3 décembre 1851, sept heures du soir.

Monsieur le ministre,

J’ai l’honneur de vous envoyer copie de la proclamation que j’ai faite aux habitants du Rhône, par suite de la dépêche télégraphique que j’ai reçue le 3 décembre à une heure du matin.

Ces deux pièces, que j’ai fait afficher immédiatement dans tout le département, m’ont amené à recevoir de mes correspondances particulières l’assurance que l’acte énergique de M. le Président a été accueilli avec sympathie.

La ville de Lyon est calme, et toutes les mesures sont prises pour prévenir le moindre trouble.

Dans tous les cas, M. le commandant Castellane et moi sommes prêts à toutes les éventualités.

J’aurai l’honneur, monsieur le ministre, de vous tenir au courant de tout ce qui se passera dans mon département. Je suis avec respect, etc.

Le Préfet du Rhône,

DE VINCENT. »

 

Il nous reste à parler enfin de la commission consultative, instituée par un décret du même jour, et qui était ainsi conçue :

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

Le Président de la République,

Voulant, jusqu’à la réorganisation du Corps législatif et du conseil d’État, s’entourer d’hommes qui jouissent à juste titre de l’estime et de la confiance du pays, a formé une Commission consultative de

MM. Abbatucci (du Loiret) ;

D’Argout, gouverneur de la Banque ;

Le général Achard (Moselle) ;

Le général de Bar (Seine) ;

Le général Baraguey-d’Hilliers (Doubs) ;

Barbaroux (la Réunion) ;

Baroche (Charente-Inférieure) ;

Barthe, premier président de la cour des comptes ;

Ferdinand Barrot (Seine) ;

De Beaumont (Somme) ;

Benoit Champy (Côte-d’Or) ;

Berard (Lot-et-Garonne) ; 

Bineau (Maine-et-Loire) ;

Boinvilliers (Seine) ;

J. Boulay (de la Meurthe) ;

 

De Cambacérès (Aisne) ;

 

De Casabianca (Corse) ;

 

L’amiral Cécile ;

Chadenet (Meuse) ;

Chassaigne-Goyon (Meuse) ;

 

Prosper de Chasseloup-Laubat ;

Charlemagne (Indre) ;

Collas (Gironde) ;

Dariste (Basses-Pyrénées) ;

 

Denjoy (Gironde) ;

Desjobert (Seine-Inférieure) ;

Drouyu-de-l’Huys (Seine-et-Marne) ;

Théodore Ducos (Seine) ;

 

Dumas, de l’Institut ;

 

Maurice Duval ;

Le maréchal Excelmans, grand chancelier de la Légion d’honneur ;

Le général d’Hautpoul (Aude) ;

Léon Faucher (Marne) ;

Le général de Flahaut ;

Achille Fould (Seine) ;

H. Forfoul (Basses-Alpes) ;

 

Fremy (Yonne) ;

Gaslonde (Manche) ;

De Greslan (la Réunion) ;

 

F. de Lagrange (Gers) ;

 

Delagrange (Gironde) ;

 

Granier (Vaucluse) ;

 

Augustin Giraud (d’Angers) ;

 

Charles Giraud, de l’institut ;

 

Godelle (Aisne) ;

De Goulard (Hautes-Pyrénées) ;

De Heeckeren (Haut-Rhin) ;

Lacaze (Hautes-Pyrénées) ;

Ladoucette (Moselle) ;

Lacrosse (Finistère) ;

De Lariboissière (Ille-et-Vilaine) ;

Lebeuf (Seine-et-Marne) ;

Lefebvre-Duruflé (Eure) ;

Lemarois (Manche) ;

Magne (Dordogne) ;

Meynard, président de chambre à la Cour de cassation ;

De Merode (Nord) ;

De Montalembert (Doubs) ;

De Morny (Puy-de-Dôme) ;

De Mortemart (Seine-Inférieure) ;

De Mouchy (Oise) ;

De Moustier (Doubs)

L. Murat (Lot) ;

Le général d’Ornano (Indre-et-Loire) ;

Pepin-Lehaleur (Seine-et-Marne) ;

J. Percier, régent de la Banque ;

De Persigny (Nord) ;

Le général Randon ;

Rouher (Puy-de-Dôme) ;

Le général de Saint-Arnaud ;

Ségur-d’Aguesseau (Hautes-Pyrénées) ;

Seydoux (Nord) ;

Suchet d’Albufera (Eure) ;

De Turgot ;

De Thorigny ;

Troplong, premier président de la Cour d’appel ;

Vieillard (Manche) ;

Vuillefroy ;

De Wagram.

Le Président de la République, LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

Le Ministre de l’Intérieur, DE MORNY.

 

La plupart de ceux dont les noms étaient portés sur cette liste, n’avaient pas même été invités à accepter les fonctions dont on les investissait. Aussi, un grand nombre de protestations surgirent, le 3 décembre et les jours suivants. Nous ne voulons en citer qu’une seule, celle, de M. Léon Faucher.

« Monsieur le Président,

C’est avec un étonnement douloureux que je vois mon nom figurer parmi ceux des membres d’une commission consultative que vous venez d’instituer. Je ne pensais pas vous avoir donné le droit de me faire cette injure : les services que je vous ai rendus en croyant les rendre au pays m’autorisaient peut-être à attendre de vous une autre reconnaissance. Mon caractère, en tout cas, méritait plus de respect. Vous savez que, dans une carrière déjà longue, je n’ai pas plus démenti mes principes de liberté que mon dénouement à l’ordre. Je n’ai jamais participé ni directement ni indirectement à la violation des lois, et pour décliner le mandat que vous me conférez sans mon aveu, je n’ai qu’à me rappeler celui que j’ai reçu du peuple, que je conserve.

LÉON FAUCHER[3]. »

 

M. Véron a exposé, en termes piquants, sous quelles impressions les protestations de ce genre se produisirent, et comment les rétractations se firent agréer, le lendemain de la victoire :

« Le nombre de ces dévoués et de ces courageux du lendemain grossit de jour en jour, dit-il, en raison des certitudes croissantes d’une complète victoire du prince Louis-Napoléon. Quelques-uns, après avoir sollicité la veille l’honneur d’être inscrits sur cette liste, écrivaient le lendemain au ministre pour que leur nom en fût rayé, puis demandaient qu’il fût rétabli, suivant les nouvelles et les agitations de la journée[4]. »

Ce précédent décret fut rectifié par le décret suivant, qui fut publié dans la matinée du 4 décembre :

« Le président de la République,

Décrète :

Art. 1cr. Sont nommés membres de la Commission consultative :

MM. Arrighi de Padoue (Corse) ;

Bonjean ;

De Caulaincourt (Calvados) ;

De Chazelles (Puy-de-Dôme) ;

Dabeaux (Haute-Garonne) ;

Eschasseriaux (Charente-Inférieure) ;

Paulin Gillon (Meuse) ;

Ernest de Girardin (Charente) ;

Goulhot de Saint-Germain (Manche) ;

Husson (le général) (Aube) ;

Hély d’Oissel ;

Hermann ;

Lawoestine ;

Lebreton (le général) (Eure-et-Loir) ;

Lestiboudois (Nord) ;

Magnan (le général) ;

Maillard ;

Marchand ;

Maigne ;

De Maupas ;

Mimerel (Nord) ;

De la Moskowa ;

Paravey ;

De Parieu (Cantal) ;

F. Pascal (Bouches-du-Rhône) ;

Pérignon ;

De Rancé (Algérie) ;

Vast-Vimeux (le général) (Charente-Inférieure) ;

Vaïsse (Nord).

Art. 2. La commission consultative sera présidée par M. le Président de la République. Il sera remplacé, en cas d’absence,,par M. Baroche, nommé vice-président.

Fait à l’Elysée-National, le 3 décembre 1851.

Le Président de la République,

Signé : LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

Le Ministre de l’intérieur,

Signé : DE MORNY. »


                                           


[1] Un des premiers, il avait signé une protestation énergique qu’il avait remise à un ouvrier typographe pour tacher de la faire imprimer. Il nous semble la voir encore ; il ne l’avait pas signée; il avait écrasé sa signature au bas.

[2] Pour être sincère, nous devons ajouter qu’en lisant cette dépêche, beaucoup de gens la crurent écrite de Paris ; le temps devait leur apprendre qu’il n’en était rien et qu’elle émanait bien du préfet du Rhône.

[3] M. Léon Faucher était détesté dans le parti républicain ; on le représentait comme voulant singer M. Guizot ; l’annonce de sa protestation le fit considérer d’un autre œil ; on prétendait même que n’ayant pu trouver aucun imprimeur pour la rendre publique, il l’avait écrite lui-même sur une pierre lithographique. Nous ne garantissons en rien l’authenticité de ce fait ; mais nous le rapportons pour donner à nos lecteurs une idée des bruits qui courait dans Paris.

[4] Mémoires d’un Bourgeois de Paris, par le docteur L. Véron, tome VI, page 186.