Allocution prononcée par René Merle

Allocution prononcée par René Merle, Président de l’Association 1851-2001 pour le 150e anniversaire de la résistance au coup d’État du 2 décembre 1851 à l’inauguration du Rond-Point des Insurgés – Digne, 13 mars 2002.

 

publiée dans notre bulletin n°20, juin 2002

M. le Maire, Mesdames et Messieurs les Maires-Adjoints, Monsieur le Président du Conseil Général, Mesdames et Messieurs, Chers Amis.

 

Il y a cinq ans, un groupe de Bas-Alpins et de Varois se réunissait aux Mées pour créer l’Association 1851-2001.

Dans la diversité de nos sensibilités et de nos horizons, nous avions en commun le désir d’honorer et de remettre en mémoire citoyenne la Résistance républicaine de 1851, injustement oubliée par l’histoire officielle.

Nous nous proposions pour cela de sensibiliser un maximum de collectivités publiques, et au premier chef celles de nos départements méridionaux, où l’insurrection républicaine de 51 fut si massive et si décidée.

Cinq ans après, tout en prenant la mesure, aux plans régional et national, des indifférences et des opportunismes, nous pouvons être satisfaits des échos que cette initiative a rencontrés.

Et tout particulièrement de l’écho dans votre département, qui fut en 1851 le seul département où l’insurrection fut victorieuse.

Et tout particulièrement aussi dans votre ville, qui vit converger, en ce froid décembre de 51, des milliers de Bas-Alpins levés pour la République.

Merci donc à la municipalité de Digne d’avoir répondu à notre demande, merci d’inscrire désormais dans la mémoire collective le souvenir de ce peuple debout pour la Liberté.

Le jour de la victoire des Insurgés fleurissait sur les murs de Digne une affiche dont je lis les dernières lignes :

“Citoyens, que partout l’activité, l’énergie, la fièvre de la Liberté remplace dans vos cœurs toute crainte et tout découragement. Le succès et l’avenir sont dans vos mains, vous les tenez. C’est vous dire qu’ils ne nous échapperont pas”.

Chers Amis, à travers vous, c’est en quelque sorte aux signataires de ces lignes que je veux m’adresser.

Oui, c’est à vous, Aillaud de Riez, Ailhaud de l’Escale et Ailhaud de Volx, Allemand de Riez, Barneaud de Sisteron, Buisson de Manosque, Escoffier de Forcalquier, Guibert et Jourdan, de Gréoux, Rouit de Mane, à vous les Dignois Charles Cotte, et Marius Soustre injustement oublié, à vous et à tant d’autres, les dirigeants de la Résistance bas-alpine, c’est à vous que j’adresse le témoignage de mon émotion et ma reconnaissance.

Et au-delà de vous, c’est à ce peuple assemblé à votre appel que je l’adresse, ces milliers de femmes et d’hommes  citoyens venus du pays de Manosque et du pays de Sisteron, du pays de Forcalquier et du pays de Valensole, des rives du Verdon et de celles de la Durance, du Pays de Seyne et du pays de Digne, à vous tous, instituteurs, médecins, avocats, et massivement  paysans et artisans, vous qui avez sans hésiter fait votre devoir de citoyens, parce que la Constitution était violentée, parce qu’un aventurier politique, allant jusqu’au bout de la logique du pouvoir présidentiel, posait sa botte sur le pouvoir législatif.

Oui c’est à vous que je m’adresse, les habitants de ce bout du monde qu’était alors dans l’imaginaire national le département des Basses Alpes, vous les Gavots que la presse conservatrice et la préfecture comparaient aux Arabes et appelait les Bédouins de l’intérieur. Vous ne parliez guère français, il est vrai, parlaviatz puslèu la lenga dau brès, et c’est en provençal que vous avez défendu la République. Preuve s’il en était besoin que la République n’est pas seulement dans une capitale et dans une langue, mais qu’elle est partout où il y a des citoyens, dans leur diversité.

Sur votre foule assemblée flottaient par centaines les drapeaux tricolores et les drapeaux rouges, rouges comme les brassards, les cravates et les ceintures que vous arboriez.

Le drapeau national que vous faisiez flotter n’était pas celui de la République conservatrice. C’était celui de la Nation, celui avec lequel, soixante ans auparavant, vos grands-parents avaient accompagné la naissance de la première République, dispensatrice des prémices de la démocratie politique.

La République que vous souhaitiez, celle que les élections de 1852 vous faisaient espérer, était celle qui établirait une vraie démocratie politique, celle qui dégagerait la représentation populaire des jeux politiciens et des manipulations de notables, celle enfin qui donnerait aux municipalités une véritable autonomie de gestion, en faisant du lieu le plus immédiat et le plus affectif de la vie administrative, la Commune, le laboratoire majeur de la vie politique. 

Le drapeau rouge que vous arboriez n’était pas la négation des trois couleurs nationales. Tout au contraire.

Le rouge de vos bannières mêlait indissolublement à vos exigences politiques une exigence sociale : la République que vous défendiez n’était pas celle des notables conservateurs alors au pouvoir.

La République que vous souhaitiez était la fille de celle qui deux générations auparavant avait abattu le régime féodal. C’était, comme vous le criiez, la République démocratique et sociale, les deux adjectifs étant indissociablement liés.

Celle qui garantirait le droit au travail, le droit à la santé et le droit à la vieillesse heureuse, celle qui abolirait l’injustice fiscale, celle qui par le crédit agricole garantirait l’agriculteur et l’artisan contre l’usurier, celle enfin qui par l’instruction gratuite et laïque permettrait à tous les enfants de réaliser leurs potentialités et de devenir pleinement des citoyens.

Votre devoir de citoyens, vous l’avez fait. Vous avez sans violence rétabli la légalité républicaine dans le département et dans sa préfecture.

Vous avez ensuite attendu avec confiance que la France entière fasse de même.

Vous avez même, fait unique, fait reculer aux Mées l’armée du coup d’état qui voulait marcher sur Digne. Mais les prisonniers que vous avez alors capturés vous ont appris que partout ailleurs l’insurrection était vaincue et que vous demeuriez les seuls dressés pour la liberté.

Invaincus, vous avez alors regagné vos villes et vos villages, et autant vous aviez été humains et magnanimes avec les partisans du coup d’état, autant la répression qui s’abattit alors sur vous sera atroce.

Atroce dans l’emprisonnement, la déportation, la fusillade, mais atroce aussi dans le discrédit, la honte, l’opprobre qui seront ensuite, année après année, jetés sur vous, tant par le pouvoir que par ses collaborateurs locaux, parmi lesquels se signaleront honteusement les Fortoul et autres Damase Arbaud.

Alors que l’oubli et le discrédit étaient instillés dans le peuple, comment s’étonner que votre souvenir se soit quelque peu effacé. D’autant que, il faut bien le dire, les gouvernements républicains qui succèderont à l’Empire ne seront pas vraiment reconnaissants à ce qui pour beaucoup de modérés demeurait une insurrection, fût-elle une insurrection pour la Légalité. Deux seuls monuments, bien modestes, salueront votre mémoire, celui de Malijai et celui des Mées.

Et pourtant, comme souterrain mais toujours mobilisateur, votre souvenir perdurait. Faut-il rappeler qu’ici même, à Digne, la foule qui manifesta contre le coup de force fasciste du 6 février 1934 avait placé en tête du cortège les descendants des proscrits de 1851 ? Faut-il rappeler qu’un des organisateurs de ce cortège était notre ancien Président d’Honneur, Pierre Girardot, dont je salue la mémoire, Pierre Girardot qui, des combats de la Résistance au centième anniversaire de l’insurrection, et au-delà, a toujours lié le souvenir de 1851 aux engagements du présent.

C’est ce que votre municipalité fait aujourd’hui, et vous avez grandement raison. Le souvenir de 1851 est notre bien à tous, républicains unis dans notre diversité pour défendre et enrichir cette démocratie que nous savons si précieuse et si fragile.

À la jeunesse qui quoi qu’on en puisse dire a toujours besoin d’idéal, vous ne communiquez pas ainsi l’inefficace rhétorique de l’instruction civique obligatoire, mais l’exemple vivant, l’exemple charnel de ce qu’a été la responsabilité citoyenne. Soyez-en remerciés.