1885 changement du nom des rues de St Maximin
Notes de l’exposé présenté le 7 décembre 2013 dans l’amphithéâtre du lycée Maurice Janetti de Saint-Maximin (Var), lors de l’Assemblée générale de l’Association 1851 pour la mémoire des Résistances républicaines.
1885 changement du nom des rues de St Maximin par Jean Jarry
34 ans donc après 1851, en février 1885, la municipalité républicaine de Saint-Maximin (Var) décide de changer tous les noms des rues, places et boulevards de Saint-Maximin. (48 noms)
Membres du Conseil municipal : GIRAUD Félix (adjoint), BAPTISTE (adjoint), BAUDE, CABASSON, CAIRETY, DAVID ( ?), DROGNON, GIRAUD Joseph, ICARDEN, JAUSSERAN, LEYDET, MARCHAND (secrétaire), MISTRE et PASCAL. Le maire, FABRE, est cordonnier ; quand on s’inquiète de la tenue qu’il va revêtir pour recevoir le Préfet, il répond : – Le préfet est un homme comme moi ! Il consentit, pour recevoir le Préfet, à retourner la moitié de son tablier de cuir sur l’autre moitié ; présentant ainsi un demi-tablier propre. Le maire est malade (il ne finira pas son mandat) ; son premier adjoint le remplace et préside la Commission chargée de changer les noms des rues. GIRAUD Félix (1845-1925) est serrurier ; en 1851, il avait sept ans ; c’est le fils du fournier dénoncé comme Républicain et qui a probablement cuit le pain pour le groupe d’Insurgés venu de TOURVES ; le gamin, consigné à la maison, a pu observer les évènements, derrière les volets de la maison, place de l’Hôtel-de-Ville. On sait qu’il a effectué son tour de France, et séjourné à PARIS. Saint-Maximin et la sainte-Baume sont des étapes importantes pour le Compagnonnage. Le projet présenté par la Commission est adopté par le Conseil Municipal le 15 février 1885. Il concerne le Saint-Maximin urbanisé débordant l’intra-muros. Tous les anciens noms de rues sont supprimés. Sont seuls conservés : la Grand-rue, la place de l’Hôtel-de-Ville, la place Malherbe et les noms des routes partant de St-Maximin et indiquant la direction : route de Marseille, route d’Aix… Parmi ces anciens noms, les noms à caractère religieux sont nombreux : la ruelle du Saint-Esprit, une rue Saint-Jean, pl. des Religieuses et pl. du four des Religieuses , une rue Saint-Marc, une traverse des Capucins, rue et pl. des Pénitents blancs, rue de la Dime, rue St-Pierre de Cony, rue N.D. du bon Voyage, rue des Anges. Certes, on ne peut nier une volonté de « déchristianisation » mais elle entre dans un cadre plus général de « républicaniser » la ville. Le préfet refusera deux noms : MARAT Jean-Paul (1743-1793) et SAINT-JUST Antoine de (1767-1794), deux martyrs de la Première République. Une Commission qui propose comme modèles MARAT et SAINT-JUST se prononce pour une république sociale ; deux autres noms marquent plutôt le contraire… C’est la même Commission qui propose MIRABEAU… ce ne sont pas les mêmes hommes ; les propositions de la Commission sont le résultat de consensus. On accepte donc une rue MIRABEAU (1749-1791). Le marquis a marqué de son empreinte les Etats-généraux et la Constituante ; il meurt en 1791… L’ouverture de l’armoire de fer (après le 10-Août 1792) révèlera ses marchés secrets avec la Couronne. Mirabeau est d’Aix. Pourquoi alors n’avons-nous pas une rue PORTALIS (1746-1807), citoyen d’Aix et un des rédacteurs du Code Civil ? Une rue COLBERT Jean-Baptiste, (1619-1683) le Ministre de LOUIS XIV. Avec ce fils d’un marchand drapier, la grande bourgeoisie s’installe au pouvoir. La commission reconnaît ainsi qu’elle souhaite que l’Etat prenne en mains la direction de l’économie du pays (le colbertisme). On oublie d’autant plus facilement le « Code Noir » que la Troisième République est partie à la conquête d’un empire colonial… Le Conseil Municipal propose donc à l’admiration de leurs concitoyens et aux générations futures un ensemble de noms. Pour les beaux-arts : Pierre PUGET (1620-1694), né à Marseille, le grand sculpteur travailla à Toulon (les cariatides de l’hôtel de ville) puis à AIX. Pour les lettres : une place MOLIERE Jean-Baptiste (1622-1673) et une rue LA FONTAINE Jean (1621-1695). Les deux amis allaient retrouver BOILEAU chez lui, à la campagne, à AUTEUIL. Deux grands écrivains mais aussi deux « libertins », des disciples du philosophe GASSENDI, le courant matérialiste que l’Eglise pourchasse. VOLTAIRE (François Marie Arouet 1694-1778) et VOLTAIRE seul… Pas un seul autre nom pour le « siècle des lumières » ! Une petite-bourgeoise voltairienne ? BUFFON Georges Louis (1707-1788). C’est certainement le chercheur, bon vulgarisateur, qu’ils veulent honorer ; ils n’ont pas lu les 36 volumes de son « Histoire naturelle… », mais peut-être une édition pour la jeunesse. Son œuvre suscita de nombreux disciples. Il se montre bon visionnaire quand il évoque la séparation des continents et humaniste quand il affirme qu’il n’y a qu’une seule espèce humaine et qu’un groupe de Blancs placés dans certaines conditions deviendraient Noirs. C’est dans le choix des inventeurs, bienfaiteurs de l’humanité, dont les noms suivent que les Républicains de 1885 nous surprennent : GUTENBERG (1397-1468) : La Commission n’ira pas plus loin dans le passé (milieu du XVème) : Exit l’Antiquité : les lumières commencent avec l’imprimerie ? GUTENBERG est d’ailleurs écrit « Guttemberg ». Ainsi « francisé », le natif de MAINZ (MAYENCE) serait-il plus présentable en 1885 ? GALILEE (1564-1642) : On ne pouvait trouver mieux pour ennuyer et le curé et la papauté ! Affirmer que la Terre n’est pas au centre du Monde… Quelle hérésie ! VAUBAN Sébastien Le Prestre, marquis de … (1633-1707) : Un architecte mais un architecte militaire ! – 1870 n’est pas loin ! – C’est lui qui a fortifié BELFORT. Peut-être aussi le souvenir de son plaidoyer pour une répartition plus juste de l’impôt : « Projet d’une Dime Royale ». VAUCANSON Jacques de… (1709-1782) et son disciple JACQUARD Joseph Marie (1757-1834) : VAUCANSON est le constructeur d’automates qui amuse la Cour. C’est un grand mécanicien. Son chef d’œuvre est un hommage à la Provence ; son joueur de flûte, à taille humaine, est costumé en Provençal car il joue du tambourin et du galoubet. Vaucanson le présentant affirme qu’ « il est difficile de bien jouer de cette flûte à trois trous ; car pour produire certaines notes, les trous ne doivent être fermés qu’à moitié, il y faut du souffle et pour jouer les doubles croches, une grande agilité de la langue ! Mon joueur de flûte joue les doubles croches ! » Ce « joueur de flûte » serait au musée des Arts et métiers à PARIS. On envoie ce génial mécanicien à LYON pour y améliorer les métiers à tisser, il y réussit si bien qu’il doit fuir LYON sous les jets de pierres des ouvriers tisserands ! La mésaventure semblable arrivera à son disciple JACQUARD Joseph (1757 – 1834) et à son métier à tisser. Ce sont des artisans et non des ouvriers qui choisissent Vaucanson et Jacquard. DAGUERRE (1787-1851) et non Nicéphore NIEPCE (1765-1833) ou bien « Niépce et Daguerre ». La première « photographie » date de 1827, elle est de NIEPCE. Leur contrat d’association est de 1829. Niépce meurt en 1833. Le procédé de DAGUERRE est de 1837 (temps de pose réduit et « fixation » réussie). En 1839, l’Etat acquiert le procédé et verse une rente annuelle de 6 000 francs à Daguerre et de 4 000 francs au fils de Niépce. Une voix s’élève : on oublie les paysans ? Il y aura une rue de l’AGRICULTURE ! Pas une rue Olivier de SERRES (1539-1619), ce protestant qui écrivit « Théâtre d’agriculture et ménage des champs ». Les autres noms de rues concernent la République et les Républicains. Boulevard NATIONAL, Bd de la LIBERTE, rues de l’EGALITE et de la FRATERNITE, rue et place de la REVOLUTION, rue du 14-Juillet. Le bd. de la LIBERTE –anc. Thubaneau – deviendra bd. Dr.BONFILS après le legs important fait à la Commune par le Docteur Bonfils qui est le père du pharmacien accusé d’avoir fabriqué de la poudre pour les Insurgés en 1851. La municipalité pétainiste fera de la place de la Révolution, une pl. de la « révolution nationale ». Avant la Libération, des Résistants viendront effacer l’adjectif en le martelant. La rue de la REPUBLIQUE qui n’est pas la Grand-rue ! mais l’ancienne rue de la Masse qui zigzague plus au sud jusqu’à la place de l’Horloge. En 1920 encore, il y a dans cette rue une échoppe, une boutique, un commerce au rez-de-chaussée de chaque maison. On signale des modistes, des coiffeurs au 1er étage ! Dans cette rue, embaument les copeaux du menuisier et résonne l’enclume de la forge. Là s’activent et se retrouvent artisans et commerçants. « Le café AUGIER » fut leur lieu de réunion. C’est la rue des Républicains ! Ici est née la République. On laisse la Grand-rue aux « Blancs ». Pour la Première République, des généraux imberbes : HOCHE Lazare (1768-1797), MARCEAU François (1769-1796), KLEBER Jean-Baptiste (1753-1800). Ils sont tous morts avant le 18-Brumaire. Des membres de la Commission ont lu « Les Châtiments » et dans une édition clandestine ! (« …et Marceau sur le Rhin !… Et ton rire, Ô Kléber !… Allez mes vieux soldats, mes généraux imberbes !/Et l’on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes /Sur le monde ébloui ! » ). Pourquoi cette commission n’a-t-elle pas osé une rue « des va-nu-pieds superbes » ? Une rue CARNOT file vers le nord. Aucun prénom !… et trois CARNOT peuvent prétendre se voir décerner cette rue. Ecartons la troisième génération : Sadi (Marie-François) CARNOT (1837-1894), le président de la République assassiné à LYON en 1894. Son oncle Sadi CARNOT (1796-1832), physicien (le Principe de CARNOT !), est le « père de la thermodynamique ». Le « Grand » CARNOT, c’est Lazare (1753-1823). Ingénieur militaire, membre du comité de Salut public, il fut « l’Organisateur de la Victoire »… C’est aussi avec MONGE, un des pères de la géométrie moderne. Il fut un des créateurs de l’école Polytechnique dont son fils et son petit-fils furent de brillants élèves. En mémoire du poète persan SAADI de SHIRAZ, né en 1193 (Le Jardin des Roses), il prénomma son fils Sadi. Notre rue CARNOT est une rue Lazare CARNOT : il n’est pas interdit en la remontant de penser à ces trois Républicains et… au poète de SHIRAZ. La deuxième République : RASPAIL François-Vincent (1794-1878) né à Carpentras ; successivement, séminariste, puis avocat, puis médecin. Il soigne les pauvres et écrit pour eux des traités de médecine pratique ; il découvre les microbes bien avant Pasteur… Armand BARBES (1809-1870), la figure romantique du républicain conspirateur, insurgé ; préparant en prison la prochaine société secrète… Son différend avec BLANQUI divise les Républicains avancés. Louis BLANC (1811-1882) : il fut un des hommes de février 1848 et fit partie du gouvernement provisoire. Historien, penseur, il se penche sur la « question sociale », tentant de résoudre le chômage des ouvriers dans son livre « L’Organisation du Travail ». … et 1851 : BAUDIN (1811-1851) député de l’AIN, il meurt sur une barricade le 3 décembre 1851. ESQUIROS Alphonse (1812-1876), plusieurs fois élu député, ardent républicain, socialiste ; il a écrit de nombreux ouvrages. La troisième République et leurs contemporains : Victor HUGO (1802-1885), la commission accorde au poète encore vivant la place de l’Horloge et sa fontaine au cœur de la ville ; quelques semaines plus tard, en apprenant la mort de Victor Hugo, le conseil municipal se réunira et donnera à un boulevard le nom de Victor HUGO. La place de l’Horloge devient la place Martin dit BIDOURE, le jeune Insurgé de BARJOLS assassiné deux fois. GARIBALDI Giuseppe (1807-1882), hommage au combattant républicain pour l’unité italienne et à celui qui vint combattre au côté de la France contre la PRUSSE. Il est né à NICE et sera député de Nice en 1871. GAMBETTA Léon (1838-1882) jeune avocat républicain sous le second empire, il joua un rôle important dans la « défense nationale » en 1870. C’est le brillant orateur des débuts de la Troisième. DENFERT-ROCHEREAU colonel Pierre (1823-1878) qui s’enferma dans BELFORT en 1870 et refusa même après l’armistice de livrer la forteresse aux Prussiens. Un siège de 103 jours ! BELFORT demeurera donc un « territoire » français. Une rue STRASBOURG, pour n’oublier jamais. Une rue 4-Septembre pour marquer la naissance de la Troisième République mais aussi la capitulation honteuse à Sedan de l’ex-empereur.
La délibération du dimanche 15 février1885 nous éclaire sur ce Conseil Municipal qui votant article par article en arrive à l’art.22 : il s’agit des rues Saint-Jean et de la Juiverie « lesquelles ne formeraient plus qu’une seule et même rue qui porterait le nom de rue REY. Quant à la nouvelle désignation de cette rue proposée par la commission, une assez longue discussion s’engage à ce sujet entre divers membres notamment le sieur JAUSSERAN qui déclare s’opposer de toutes ses forces à ce que le nom de REY soit inscrit non seulement à la rue en question mais à toute autre rue. « Il poursuit en disant : on propose le nom de M. REY comme un bienfaiteur. Eh bien, la succession qu’il a laissée, ne profite actuellement qu’au parti clérical ; c’est avec cette succession qu’on élève des écoles dirigées par des congréganistes ; c’est avec cette succession qu’on paie le traitement des frères et des sœurs ; en un mot cette succession subventionne nos ennemis politiques. « Si vous recherchez des bienfaiteurs, je m’étonne que la Commission n’ait pas cru devoir proposer le nom de M. HONNORAT qui en 1851 a fait emprisonner nos pères ! »(Il s’agit du maire légitimiste) La proposition de JAUSSERAN mise aux voix, ne sera adoptée que par 7 voix contre 6 ! Ont voté pour : JAUSSERAN, MARCHAND, BAPTISTE, GIRAUD Joseph Vital, DROGNON, MISTRE, ICARDEN. …suite à cette décision, le Président propose la désignation suivante : rue COLBERT ; acceptée par tous. »
En février 1885, des conseillers municipaux, des artisans, anticléricaux et libres penseurs nous ont laissé un patrimoine intellectuel de 48 noms. Ces 48 noms, leur legs est notre patrimoine culturel, il contient leur rêve d’une République démocratique et sociale.
Jean Jarry
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