Révélations identitaires et provençalistes sur l’insurrection de 1851

Révélations « identitaires » et provençalistes sur l’insurrection de 1851

 

Il est toujours sympathique de voir évoquer positivement l’insurrection républicaine de 1851, dont le rappel fait désormais consensus sur nos terres méridionales.

Mais il est parfois surprenant de voir le traitement idéologique qu’elle subit.

J’avoue que celui auquel, selon le journal La Provence (25 décembre 2011), s’est livré un responsable régional du Félibrige provençal, lors d’une conférence, m’a laissé pantois. Je lis en effet, sous le titre « La Coupo santo, symbole d’amitié« , cette entame : « Le mouvement Félibrige est né en 1854, fondé par l’écrivain Fédéric Mistral et ses camarades Aubanel, Giera, Mathieu, Roumanille et Tavan afin de promouvoir la langue provençale. Ce besoin identitaire a été ravivé par le coup d’État de Napoléon III, qui a fait émerger en province, et en particulier dans le sud-est, des groupes de résistants, dits insurgés. Les villes d’Apt, Aups, Digne les Bains, Les Mées, Manosque, constituèrent des foyers importants d’insurrection. »

Passons sur le fait que la naissance du Félibrige intervient trois ans après l’insurrection républicaine de 1851. Mais venons-en à cette supposée revitalisation du « besoin identitaire » provençal par le coup d’État. « Besoin identitaire » y avait-il ? Certainement, mais sans doute pas le même que celui avancé, selon le journal, par notre ami félibre, dans un raccourci fulgurant. 

Ces insurgés de la Haute-Provence, ces « Bédoins de l’intérieur » comme les appela la presse conservatrice du temps, chantaient la « férigoule », le thym, cette grise et humble plante de nos colline, que chacun foule au pieds. Et c’est dans le renversement de ce mépris qu’ils en avaient fait leur emblème d’identité populaire. Le peuple, méprisé, foulé au pied par les Gros et les puissants, se levait enfin. C’est tout naturellement dans leur idiome natal et naturel, bien plus qu’en français, qu’ils chantaient cette « férigoule ». Mais il faut une singulière reconstitution d’histoire pour voir là « besoin identitaire » provençal, alors que l’horizon de ces insurgés était pleinement national : la République démocratique et sociale.

Quant il m’arrive de parler cette langue populaire que j’aime, cette langue que veut défendre à sa façon notre félibre, c’est à ceux qui la parlaient alors que je pense, à ce peuple des petits, des sans-grades, ce peuple de paysans, d’artisans, d’ouvriers, de maîtres d’écoles et de médecins de villages qui firent leur devoir de citoyens, et non pas aux notables d’alors qui prétendaient s’intéresser au provençal et soutinrent le coup d’État.

Faut-il rappeler que dans les Basses-Alpes d’alors, les notables provençalistes, le maire de Manosque en tête, que rien ne distinguait du Blanc provençaliste Roumanille, sinon une querelle graphique, furent les pires ennemis du mouvement populaire démocratique ? Cf : René Merle, Quelques remarques sur l’usage de la langue d’Oc dans la propagande démocrate-socialiste, 1848-1851. 

Faut-il rappeler que ce Roumanille, mentor du jeune Mistral (auquel il reprochait son républicanisme initial), et vrai père du Félibrige , semait dans ses pamphlets provençaux la haine et l’appel à la délation contre tout ce qui, de près ou de loin, touchait au mouvement démocrate-socialiste ? Et qu’il n’en démordra pas jusqu’à sa mort. (Sur l’attitude de Mistral en 1851, on se reportera à ce qu’il en dit dans ses souvenirs, Memòri e raconte).

Faut-il donner ici la longue liste des journalistes, poètes, simples militants, qui mirent leur « idiome natal » au service de la cause républicaine, et qui ne participèrent pas, en 1852-1853 aux congrès des poètes provençaux, et en 1854, à la création du Félibrige. Et pour cause, ils croupissaient dans les camps d’Algérie et dans les prisons de France, ou ils vivaient de dures années d’exil pour avoir résisté à ce coup d’État, qui enchanta le Blanc Roumanille…

L’insurrection républicaine provençale de 1851 ne fut en rien une réaction identitaire de défense de la langue provençale. Prétendre le contraire est une falsification historique. Le Félibrige, organisation apolitique qui poursuit avec ténacité sa défense et illustration de la langue d’Oc dans tout le Midi de la France, pas plus que « la langue provençale », n’ont sans doute rien à gagner à de telles reconstitutions d’histoire proposées par des adeptes trop zélés. Tout au contraire. 

 

René Merle, 2011