La répression à Riez
article publié dans le n°88 du Bulletin d’information des Amis du Vieux Riez, mars 2003, pp. 1-24 La répression de la résistance au coup d’Etat de 1851 (dans la région de Riez)
À la mémoire des républicains de 1851 par Maxime Amiel deuxième partie
La Commission militaire
Les condamnations seront prononcées par des commissions, véritables tribunaux d’exception. Ces procédures sont tout à fait illégales, puisque la Constitution de la République précise dans son article 4 : “ Nul ne sera distrait de ses juges naturels. Il ne pourra être créé de commissions et de tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce soit ”11.
Selon Vigier, “ rien ne saurait égaler l’état de détresse dans lequel se trouvent les 14 à 1 500 habitants des Basses-Alpes emprisonnés dans des geôles improvisées ” en janvier 1852. Le ministre de la Guerre confie l’instruction des dossiers des personnes arrêtées en décembre et janvier à des Commissions militaires, composées uniquement d’officiers. Elles doivent opérer un premier tri afin de désengorger les prisons.
Très rigoureuse dans le département sous la pression du procureur Prestat revenu à son poste au début du mois et principal agent d’Hippolyte Fortoul, ministre de l’Instruction publique depuis le 3 décembre “ elle ne trouve que 35 prévenus susceptibles d’être libérés sur 800 cas examinés au 4 février3 ”. Ce n’est pas suffisant pour “ déblayer les prisons ”. Le pouvoir encourage les mesures de clémence, présentées comme émanant de la bonté du Prince-Président, qui serviront la propagande bonapartiste.
La Commission mixte
Pour “ déblayer les prisons, le ministre encourage les mesures de clémence. Le gouvernement crée les Commissions départementales de trois membres, qui représentent respectivement les autorités administratives, judiciaires et militaires , baptisées Commissions mixtes, chargées de libérer immédiatement “ les compromis seulement égarés ” et de hâter l’examen du cas des autres ”.
Victor Hugo écrira, en parlant des Commissions mixtes : “ Ces infâmes tribunaux où siègent des assassins en robes de juges.12 ”
La Commission des Basses-Alpes siège à Digne du 5 février au 14 mars 1852. Elle est composée du général Lemaire, nouveau commandant de l’état de siège, du préfet Dunoyer et du procureur de la République Prestat.
Le préfet Dunoyer a été incapable d’évaluer l’importance du développement des sociétés secrètes, leur rôle, et s’est enfui dans les Hautes-Alpes à l’arrivée des insurgés dans le chef-lieu du département. C’était le septième des préfets qui se sont succédés dans les Basses-Alpes depuis trois ans ! En réalité, le véritable chef de l’administration est le secrétaire général de la préfecture, Antoine Fortoul, frère de Hippolyte nommé ministre de l’Instruction publique et des Cultes le lendemain même du coup d’État. Dunoyer, “ hostile à la politique de répression systématique prônée par le procureur Prestat et le général Lemaire ” est enclin à la clémence. Mais il est remplacé dès le 15 février par de Bouville qui se montrera le préfet le plus inflexible pour la répression dans les départements du Sud-Est : les peines prononcées à Digne sont beaucoup plus lourdes et plus nombreuses que celles prononcées à Draguignan et la Commission ne prononce plus que rarement des mises en liberté. Selon les chiffres donnés par Philippe Vigier, on peut dresser le tableau suivant :
Le procureur de Digne, Eugène Prestat, avait également pris la fuite : “ Fuyant une insurrection qu’il croyait victorieuse, il franchit clandestinement la frontière, déguisé en paysan piémontais, et après quatre jours de marche, arriva jusqu’à Nice, où les services du Consulat de France, le restaurèrent, le réconfortèrent et lui donnèrent les subsides nécessaires pour regagner Aix-en-Provence par la diligence.4 ”
La Commission juge sur dossiers, d’après les renseignements recueillis par les gendarmes (ou agents de police dans les villes), les militaires et les juges de paix, sans entendre ni les accusés ni leurs représentants ou défenseurs. Elle siège sans désemparer, presque tous les jours y compris les dimanches, et tient 17 séances du 5 février au 14 mars 1852 ; dans la journée du samedi 21 février par exemple, elle statue sur 207 cas13 !
La commission des Basses-Alpes examine 1 669 dossiers (les inculpés sont en prison ou en fuite); elle en libère 583, 41 sont condamnés à la déportation en Guyane, 956 à la déportation en Algérie3 – “ Algérie+ ” signifie en résidence forcée dans un camp pendant 10 ans comme plus coupable, “ Algérie- ” en résidence assez libre pendant 5 ans comme moins coupable ; d’autres sont internés dans un département éloigné de leur domicile ou placé sous surveillance de la police dans leur pays. 16 sont expulsés de France, ils se retrouvent en général à Nice.
Les documents de 1852 sont imprécis et comportent des erreurs et des omissions. Maurice Bel14 a établi avec le maximum d’exactitude possible le sort réellement réservé aux condamnés à la transportation. Selon son étude remarquable, 37 condamnés ont été effectivement embarqués pour Cayenne, 428 condamnés à Algérie+ et 18 condamnés à Algérie- ont été transportés en Algérie. Le même auteur a dressé la liste des Bas-Alpins condamnés à la transportation qui sont décédés en prison avant leur embarquement (5), en Algérie pendant leur résidence forcée (25) et en Guyane (6). Il faudrait leur ajouter les détenus décédés avant que siège la Commission mixte.
La durée de la déportation est variable, d’autant plus qu’un délai assez long, parfois plusieurs mois, s’écoule entre la date de la décision et le retour en métropole. Maurice Bel estime qu’une remise de peine intervient pour deux tiers d’entre eux au bout d’un an en Algérie.Tous seront soumis à la surveillance du Ministère de la Police générale pendant des années et assignés à résidence, même après leur “ grâce ”, terme employé pour “ commutation de peine ”. Les dernières décisions de grâce définitive seront consécutives au décret du 16 août 1859.
La colonne “ Observations ” comporte les motifs de condamnation : le premier est “ affilié ” – à une société secrète –, ils le sont à peu près tous. Dans le canton de Riez, les onze communes ont des condamnés qui sont affiliés : y avait-il onze sociétés secrètes ? Vigier n’en dénombre que huit, mais on peut relever neuf communes ayant eu un ou plusieurs fondateurs, présidents ou vice-présidents, cette mention n’est absente que pour Roumoules et Montpezat.. La mention “ affilié ” est absente pour les trois accusés remis en liberté (qui étaient cependant en prison depuis décembre).
On ajoute certaines activités au sein de la société secrète : a excité ou forcé à partir, abritait chez lui la société secrète ou la réunion préparatoire au départ, a réclamé les armes ou le drapeau à la mairie, a distribué les armes, portait le drapeau… Plusieurs ont été “ émissaires ” – agents de liaison – auprès des sociétés des villages voisins ou même du Var. On peut imaginer la surprise des “ juges ” en découvrant la formidable organisation des Montagnards !
La marche, avec ou sans armes, sur Digne, Malijai ou Les Mées, est mentionnée. Certains sont partis avec un fusil à pierre… sans pierre, ils croyaient naïvement participer à une manifestation, comme le déclare Jean Boulegon, 50 ans, tisserand de Montagnac. La plupart des insurgés du canton de Riez ont participé à la première étape, quelques uns ont quitté la “ colonne ” à Malijai pendant le bivouac, les plus convaincus ont participé à la bataille des Mées.
L’engagement des participants a été variable selon les communes : les Riézois ont attaqué et poursuivi les gendarmes, pris les armes de la Garde nationale et le drapeau de la mairie, mais n’ont pas inquiété le maire.
Ceux de Valensole, parmi lesquels on remarque une forte proportion de cultivateurs et de cafetiers, ont forcé le brigadier de gendarmerie Arnaud à faire des excuses aux républicains et à demander pardon à genoux ; à Digne, ils ont fait partie de la bande qu’Aillaud (lequel, Pierrette ou Ailhaud ?) conduisait à la recherche du procureur de la République Prestat ; ils ont participé au “ pillage des caisses du 25e léger ” et à l’incendie des archives des contributions directes. Les Valensolais étaient au combat des Mées, où Hippolyte Blanc a eu son chapeau troué d’une balle, André Ferrier a été blessé peut-être mortellement, Jean Mouton a été chargé de la garde du capitaine Adrien fait prisonnier et le docteur Jean Joseph Itard a sauvé deux officiers des violences des insurgés.
Les insurgés de Saint-Jurs, relativement nombreux, ont destitué le maire et “ usurpé les fonctions municipales ” (de même à Quinson). Plusieurs se sont fait nourrir par les habitants et se sont fait donner de l’argent, 20 F ou 25 F, par une veuve ou le curé.
On n’oublie pas les antécédents, la moindre condamnation pénale antérieure entraîne une condamnation au bagne à Cayenne . C’est par exemple le cas de Joseph Julien, 23 ans, garçon tanneur à Allemagne, “ condamné à 15 jours de prison pour rixe politique ” (en fuite, il “ bénéficiera ” d’une mesure d’expulsion le 6 août 1854), ou d’Adolphe Frison, 20 ans, cultivateur à Oraison, “ l’effroi des honnêtes gens, condamné à 5 jours de prison pour tapage politique ” (effectivement embarqué pour la Guyane, il ne sera gracié que le 23 août 1856).
Pour chaque condamné, les observations se terminent par une appréciation générale, riche répertoire de qualificatifs : exalté (épithète le plus fréquent), entraîné, égaré, brutal, orateur de cabaret, phraseur de places publiques, meneur, méchant, vindicatif, mauvais sujet, tapageur, paresseux, taciturne, libertin, ivrogne, dangereux, démagogue, perdu de mœurs, grossier, chef, actif, haineux, jaloux, influent, intelligent, rusé, ardent, nul, peu intelligent, simple, faible, inquiet, léger, conduite équivoque, féroce…
Les “ membres du comité de résistance, signataires des proclamations…, organisateurs du mouvement et responsables par cela seul de toutes les scènes de désordre ” sont condamnés le 12 février : Joseph Buisson de Manosque (Cayenne), André Ailhaud de Volx (Cayenne et Conseil de guerre), Pierre Eustache Aillaud dit Pierrette de Valensole (Cayenne), Charles Cotte de Digne (Algérie+), Bienvenu Lazare Guibert de Gréoulx (Algérie+), Aimé François Barneaud de Sisteron (Algérie+) et Gustave Honoré Jourdan de Gréoulx (Cayenne). La plupart sont en fuite.
Les mesures contre les “ politiques ” – qui n’ont pourtant pris aucune part à l’insurrection – sont prises le 26 février : Melchior Yvan, député montagnard, Marius Soustre, futur député et Jean Denoize, ancien Constituant et Conseiller général, sont condamnés à l’internement ; Jules Duchaffaut, ancien Constituant et conseiller général, Itard, Conseiller général, et Julien Sauve son “ pupille ”, à l’expulsion.
Le registre de la Commission mixte se termine par la condamnation à l’internement de deux “ missionnaires ” protestants, domiciliés à Saint-Michel, avec l’observation suivante : “ Protestants. Sous prétexte de prosélytisme religieux, agitent la commune et y font une sourde propagande ”. (Voir en annexe les extraits du registre des décisions de la Commission).
Décisions et nombre d’électeurs inscrits
Professions des prévenus
1 : et cuisinier, cafetier, cabaretier ; 2 : et militaire, agent de police (municipale) ; 3 : médecin, instituteur, cantonier, géomètre, prêtre, ex-huissier .
Âge des prévenus
1 : l’âge est assez imprécis, lorsque l’année de naissance n’est pas indiquée.
Une Commission des grâces atténue, du 27 mars au 7 avril, les condamnations d’une quarantaine de Bas-Alpins, parmi lesquels 10 sont du canton de Riez : 25 voient leur condamnation à Algérie+ commuée en Algérie-, ce qui ne change pas grand-chose, et 15 échappent à la “ transportation ” en Algérie (dont Prosper Allemand, condamné à l’expulsion, et Claude Morizot, condamné à l’internement). Ces mesures figurent en marge du registre des décisions de la Commission mixte.
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