PIERRE JOIGNEAUX
PIERRE JOIGNEAUXsa vie et ses oeuvres par A.-J. Devarennes Paris, Imprimerie de la Bourse du Commerce, 1903
[page 52] V retour en france. – a bois-colombes. – les champs d’expériences. – p. joigneaux publie ses principaux ouvrages agricoles. – les dernières années de l’empire. – la guerre. – les cultures pendant le siège. – député de paris et de la cote-d’or.
Pierre Joigneaux avait chargé un de ses vieux amis, Auguste Luchet, qui fut, d’ailleurs, son collaborateur à la Feuille du Village et qui écrivait alors des articles très remarqués, dans le Siècle, de lui acheter du terrain aux environs de Paris, dans un endroit sec et sain. Luchet choisit Bois-Colombes et c’est ainsi, qu’un beau matin, Joigneaux débarqua dans cette localité où bientôt il fit construire la maison qu’il habita dans les dernières années de l’Empire et où il mourut, en 1892[1]. Dès son retour en France, il se mit au travail. Il entreprit bientôt la publication du Livre de la Ferme et des Maisons de Campagnes, avec la collaboration de nombreux spécialistes. Ce travail était considérable et lui prit beaucoup de temps, cependant, il trouva le moyen de rédiger encore des manuels d’enseignement agricole pour les écoles primaires et de publier un journal spécial. Ses études sur l’agriculture belge, ce modèle de la petite culture, notamment dans les Flandres, les notes re- [page 53] cueillies dans les grands établissements horticoles de ce pays, les champs d’expérience de Saint-Hubert, enfin, lui avaient permis de faire de nombreuses et curieuses remarques. Il continua ses essais en Bourgogne où il passait la belle saison dans sa propriété que sa mère [illustration légendée Maison paternelle de P. Joigneaux, à Varennes.] lui avait laissée en mourant et, tout en dirigeant de nombreuses publications agricoles et horticoles, en collaborant à divers journaux, c’est là qu’il mit sur le chantier ses principaux ouvrages d’agriculture. En même temps, il donnait des conférences agricoles et horticoles, très suivies, dans la Salle de la rue de la Paix, à Paris, et il obtenait un beau succès au Concours régional de Bar-le-Duc, en 1864, dans une causerie sur le choix des graines qui avait attiré un grand nombre de cultivateurs. En somme, les conférences constituaient, à son avis, le meilleur enseignement agricole, et il n’hésitait pas à les recommander [page 54] dans l’armée pour rappeler leur ancien métier aux cultivateurs qui formaient la majorité de nos troupiers, pour les distraire et les instruire pendant le temps qu’ils passent au régiment. Plus tard, il faisait paraître les Chroniques de l’Agriculture et de l’Horticulture, publication qui lui coûta de l’argent, parce qu’il ne voulait pas insérer d’annonces, mais qui lui permit, du moins, de dire tout ce qu’il pensait des hommes et des choses. Il était là chez lui, débarrassé des questions de boutique, libre de parler des livres qui lui convenaient. C’est certainement le journal d’agriculture qu’il a rédigé avec le plus de plaisir ; et c’est dans cet organe périodique, qu’il soutint les plus rudes polémiques. Tandis que les Chroniques permettaient à Joigneaux de se mettre en communication avec la petite culture, les colonnes du Temps, que dirigeaient alors MM. Netfzer et A. Hébrard lui étaient ouvertes, chaque semaine, et le mettaient en relation avec la grande culture. A ce moment, déjà, le régime impérial était en très mauvaise posture. La guerre du Mexique venait d’avoir lieu ; l’Empire avait commis une vilaine action, et s’était lancé dans une mauvaise entreprise, ruineuse pour le crédit et le renom de notre pays. Nos meilleures troupes étaient tombées en parcourant les terres chaudes ou en prenant d’assaut les villes mexicaines. Devant l’attitude des Etats-Unis, il avait fallu ramener les bataillons affaiblis qui servaient à maintenir Maximilien, puis abandonner à son triste sort ce malheureux prince entraîné dans une misérable aventure. L’Empire n’avait plus de faute à commettre, selon l’expression de Thiers, et, pourtant, il devait trouver le moyen d’en imaginer une plus grave encore, en [page 55] fournissant bientôt aux Prussiens l’occasion d’unir l’Allemagne contre nous et nous envahir. Cependant, en 1868, on ne prévoyait pas encore cette suprême folie. L’opposition ne cherchait qu’à battre en brèche l’immonde régime qui s’était imposé par la violence et ne s’était maintenu que par la force et la terreur. Pierre Joigneaux, vous le pensez bien, ne vit pas d’un mauvais œil le réveil du pays et, dans la limite de ses moyens, il contribua à développer le mouvement qui se produisait dans les esprits. Ses chroniques du Siècle s’adressaient aux cultivateurs ; elles avaient surtout trait à l’agriculture, mais il trouvait le moyen d’y mêler un peu de politique et d’attirer, sur la chose publique, l’attention de nos campagnards qui s’en étaient désintéressés depuis de longues années. La déclaration de guerre à la Prusse, le surprit et l’inquiéta comme tous les hommes sensés ; nos revers, l’invasion, enfin la capitulation de Sedan, lui mirent la mort dans l’âme. Mais l’abattement fut de courte durée chez ce vieux républicain né pour l’action, et c’est alors qu’il publia, dans le Moniteur des Communes, une série d’articles admirables, empreints du plus pur patriotisme. Ces articles où Joigneaux prêchait la résistance aux paysans, rappelait l’héroïsme de nos ancêtres de 1792 et de 1815, engageait les braconniers à faire bon usage de leurs fusils, ne sont pas très connus. Le gouvernement de la Défense Nationale ne disposait que des ballons pour répandre ces écrits en province et le moyen était insuffisant.
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Cependant, Paris était investi. P. Joigneaux veut rester au milieu de la population de cette ville et lui venir en aide dans la mesure de ses moyens. Tandis que d’autres s’occupent de la défense, il songe à l’alimentation [page 56] de la place ; les vivres frais vont manquer et les légumes font déjà défaut. De suite, Pierre Joigneaux s’ingénie à procurer aux assiégés quelques légumes verts. En homme du métier, il ne se fait pas d’illusion sur les résultats de cultures entreprises dans de telles conditions. Ce n’est pas en trois semaines qu’on obtient des têtes de choux et de laitues pommées, mais on peut, du moins, avoir de la verdure et l’ajouter au maigre ordinaire. Il demande au Gouvernement de l’aider. Son compatriote, M. Magnin, alors ministre de l’Agriculture, s’empresse de lui venir en aide et, le 27 décembre 1870, il visite ses cultures, lui fait des compliments et l’invite à déjeuner. A cette date, on trouvait encore à manger. Le repas se composait de saucisson de cheval, d’un morceau de porc dont la fraîcheur laissait à désirer et de pommes de terre frites. « Le pain, dit-il, ne valait rien ; je ne touchai pas à la viande, mais les pommes de terre frites furent pour moi un régal. J’ajoute que le vin était bon et l’accueil charmant. C’est le seul repas, que j’aie pris dans un ministère pendant le siège. » Le 12 janvier, il écrivait : « La misère est très grande, le pain n’est plus mangeable ; il craque sous la dent et n’a plus de couleur définie ; le bois manque ; je ne peux plus écrire à cause du froid. » P. Joigneaux a, cependant, la consolation d’avoir fait son devoir. Les halles sont approvisionnées de verdure. Pour atteindre ce résultat, on dépensa 7.510 francs ! « Avec cette somme, dit Pierre Joigneaux, l’installation d’environ 100 maîtres-jardiniers et 550 garçons, a été faite, sur une superficie de 13 hectares ½. Nous occupions 65.100 mètres de terrain sur la rive droite et 68.900 mètres sur la rive gauche, en tout 134.000 mètres. Nous disposions sur les deux rives, de 14.630 châssis et [page 57] de 79.400 cloches. Pour les hommes du métier, ces chiffres montrent, mieux que tous les discours, l’importance des travaux entrepris. » Les Parisiens n’oublièrent pas ce que Joigneaux avait fait pour eux et, en guise de remerciements, ils le nommèrent député, le 9e sur 36, en lui donnant 153.265 voix. Cette marque de reconnaissance le toucha d’autant plus vivement, qu’au moment des élections, il était au lit, malade et même en danger de mort, par suite du froid qu’il avait enduré dans son appartement. Mais les électeurs de la Côte-d’Or n’avaient pas, de leur côté, oublié l’ancien représentant du Peuple ; ils l’avaient, aussi, nommé député, et Joigneaux opta pour son département qu’il ne cessa, du reste, de représenter jusqu’à sa mort, comme député d’abord, comme sénateur ensuite.
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C’est surtout à la fin de l’Empire et dans les premières années qui suivirent la guerre, que Pierre Joigneaux passa le plus de temps en Bourgogne et séjourna au hameau de Varennes où il créa une remarquable pépinière de vignes et de grandes plantations d’asperges, d’après la méthode d’Argenteuil, plantations faites d’abord, de compte à demi, avec M. Terrand-Nicolle et que ce dernier exploita dans la suite, pour son compte personnel. La pépinière de la Feuillotte contenait plus de cent mille plants bien choisis, dans les meilleurs crûs de la Côte, et c’est là que M. Victor Pulliat s’adressait quand il avait besoin de bons pineaux de Bourgogne pour ses importantes pépinières de Chiroubles, près Romanèche. Outre ses amis politiques, Joigneaux fréquentait surtout, pendant son séjour à Varennes, M. Jules Ricaud et M. de Vergnette-Lamotte, deux viticulteurs et [page 58] œnologues de haute valeur et deux collaborateurs au Livre de la Ferme. Il allait rarement à Dijon, si ce n’est pendant les sessions de l’Assemblée départementale, et il descendait toujours chez son parent et ami, M. Louis Robelin, alors industriel et conseiller général du canton ouest. Pierre Joigneaux avait en haute estime et en grande amitié M. L. Robelin qui fut, pendant 4 ans, maire de Dijon et qui, à l’époque de la présidence du maréchal de Mac-Mahon, dans la prévision d’un coup de force, eut l’honneur d’être désigné par ses collègues républicains du Conseil général, pour organiser la résistance. Au Conseil général de la Côte-d’Or, où Joigneaux représentait le canton sud de Beaune, il s’occupa très activement de l’enseignement agricole, dans les écoles primaires, et ne cessa d’appeler l’attention de ses collègues sur les questions intéressant l’agriculture et la viticulture. Ajoutons que le concours de ses collègues ne lui fit jamais défaut et qu’il trouva toujours dans l’intelligent professeur d’agriculture de ce département, M. L. Magnien, actuellement inspecteur de l’agriculture, un ami et un collaborateur dévoués.
[1] Pierre Joigneaux habitait en 1892 le 13 rue de la Procession à Asnières, lieu où il décéda le 26 janvier 1892. (précision apportée par Marcel Croute)
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