Jean-Marie Pugens, déporté deux fois

article publié dans le Bulletin de la Société archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers, 387, premier trimestre 2008, pp. 63-74

mise en ligne le 9 mars 2019

Jean-Marie Pugens, déporté deux fois

 

par Germaine et Jean Béraud

 

Le Gers, apparemment, n’a gardé aucun souvenir d’un événement qui a pourtant mobilisé une partie de sa population et dont le retentissement a touché beaucoup de ses communes en jetant devant les tribunaux, puis sur les routes du bagne des Gersois que rien ne prédisposait à une telle aventure, l’insurrection du 4 décembre 1851. Oubliée ? Occultée ? Trouve-t-on dans le département du Gers une rue, une place vouée à la mémoire de ses hommes qui ont payé cher et parfois de leur vie, leur fidélité à un idéal républicain ?

 

C’est un de ces hommes qui nous intéresse ici. Il s’appelle Jean-Marie Pugens, il est né le 17 décembre 1821, il exerce, à Lavardens (32360) canton de Jegun, le métier de maréchal ferrant, il est marié, a deux enfants, sait lire et écrire. Il est issu d’une famille dont on trouve déjà le nom à La Sauvetat (32500), sous Henri IV, famille de bourgeois, de gros propriétaires terriens et très impliqués dans la vie de la cité, mais qui a perdu au cours des siècles de son importance sociale. Son grand-père est aubergiste à La Sauvetat, son père Gilbert et son oncle Jean-Marie, conscrits dans les armées de Napoléon 1er, se retrouvent le premier, maréchal ferrant à Lavardens, le second, meunier à Antras (32360), un autre oncle Jacques, à peine mobilisé, est mort à l’hôpital militaire de Toulouse.

 

Ces hommes n’ont pas, apparemment, inculqué à Jean-Marie le culte de l’Empereur, il est républicain et milite activement avec les Rouges lavardenais et jégunois, il est soupçonné d’avoir adhéré à une société secrète, il est traité de Montagnard dans les rapports de police, il va être directement impliqué avec 3 à 6 000 Gersois dans le mouvement insurrectionnel qui secoue le Gers à partir du 3 décembre 1851, suite au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, implication qui va faire de lui, l’un des 453 transportés vers les camps d’Afrique du Nord.

Avant de le suivre dans ce parcours, rappelons les faits.

Le mouvement révolutionnaire des 22, 23, 24 février 1848 substitua la république à la monarchie (25 février). Cette Seconde République, née en pleine crise économique, sera agitée par des manifestations ouvrières : problèmes des ateliers nationaux, leur répression de juin 1848 permettra l’arrivée au pouvoir du parti de l’Ordre, les conservateurs font élire Louis-Napoléon Bonaparte, président de la république (10 décembre 1848) et sont majoritaires à la Chambre des députés. Le prince-Président cherche à établir son pouvoir personnel, il mène habilement son jeu par une propagande faite de déclarations rassurantes, il impose ses hommes aux places de confiance, surtout dans l’armée. Ne pouvant se représenter à l’élection présidentielle, Louis-Napoléon fait exécuter le Coup d’Etat du 2 décembre 1851 : tous les chefs républicains sont arrêtés, l’Assemblée est dissoute, le suffrage universel rétabli. L’agitation est insignifiante à Paris, plus importante en province ce qui entraîne une répression rigoureuse et rapide, enfin un plébiscite accorde à Louis-Napoléon le pouvoir avec une énorme majorité (20-21 décembre 1851). Si Paris ne « bouge » pas, ces événements ont des répercussions en province et particulièrement dans notre département.

 

Le 5 août 1830, le Journal du Gers annonce la révolution de Juillet : « Nos concitoyens, essentiellement amis de l’ordre, ont attendu les événements avec un calme parfait. » Cette monarchie de Juillet favorise la haute et moyenne bourgeoisie, par contre la petite bourgeoisie aspire à jouer un rôle, elle s’en sent capable mais le cens (1 électeur pour 170 habitants) est un obstacle. Les paysans étant partisans de l’ordre, petite bourgeoisie, artisans et ouvriers entreront dans une opposition totale et fonderont des associations de secours mutuel et des sociétés secrètes dont l’activité se fera jour et qui demanderont la république et le suffrage universel.

Le 25 février 1848, une dépêche de Ledru-Rollin apprend à Auch la formation d’un gouvernement républicain. Les républicains gersois s’organisent avec Canteloup, Alem-Rousseau, Passerieu, Dansos, Bégué. Les journaux et les clubs se multiplient, ainsi à Jégun, le Club démocratique a des débats agités, des protestations se font entendre à Lavardens contre la Commission provisoire, chargée de désigner les candidats républicains aux élections, elle est peuplée de bourgeois auscitains. Les élections à la Constituante (90 000 électeurs au lieu de 2 100 dans le Gers) furent préparées par des comités. Dès le 28 février, une commission de cinq membres s’est installée à Lavardens : « attendu qu’il est urgent de constituer un nouveau pouvoir pour parer à toute éventualité », les républicains modérés l’emportent sur les Rouges. En avril, des troubles sont signalés à Jegun et à Lavardens, à la suite de saisies, pour le recouvrement de l’impôt dit des Quarante-cinq centimes, c’est-à-dire quarante-cinq centimes de plus par franc sur l’impôt habituel, c’est la suite de la crise financière. Aux élections d’août 1848, le canton de Jegun élit un conseiller général républicain avancé : Dansos, les montagnards se sont organisés autour des cercles et des deux sociétés philanthropiques, particulièrement la Bienfaisance mutuelle. Les élections des 10 et 11 décembre 1848 portent à la présidence le prince Louis-Napoléon, Jegun et Lavardens lui ont donné une très forte majorité 527 voix contre seulement 40 à Ledru-Rollin.

La répression s’aggrave conduite par les préfets de Grouchy et Magnitot, les commissaires ont une activité débordante, des maires sont destitués, comme Gardère, maire de Lavardens, des colporteurs poursuivis, les manifestations républicaines interdites.

Le 3 décembre 1851, l’annonce du Coup d’Etat du Prince Président est faite par le préfet au maire d’Auch, au procureur, au général commandant la place ; la nouvelle soulève l’indignation des républicains qui, réunis dans les locaux du journal L’Ami du Peuple, appelant à l’insurrection, le journal est saisi par les autorités, les républicains, d’abord dispersés par la police, délibèrent au café Lacaze et envoient des consignes aux cantons favorables aux républicains.

Parmi les émissaires venus chercher des ordres, Jean-Marie Pugens, il a déjà été signalé comme agent actif des sociétés secrètes dont il serait le chef de centurie en vue d’un soulèvement révolutionnaire, son action s’étendrait aux cantons occidentaux du Gers. Le 4 décembre au matin, Pugens rapporte à Lavardens l’ordre de marcher sur Auch pour s’opposer au coup d’Etat avec Cortade un charron : « ils vont de maison en maison, menaçant les indécis et les récalcitrants, déclarant qu’ils seraient mis à mort s’ils ne marchaient pas avec les insurgés[1].

Les affidés, devant le refus du maire de livrer les clefs de l’église et de la mairie, brisent les portes et sonnent le tocsin ; à la mairie, une commission est nommée et le drapeau rouge hissé. Les insurgés lavardenois rejoignent ceux de Jegun et marchent sur Auch.

L’activité de Pugens a été remarquée pour rallier les paysans, Gardère et Pugens, meneurs montagnards, ont parcouru la campagne pour enrôler les habitants. Un campagnard au moment où Pugens parlait de s’armer pour la révolution lui dit gaiement : « La révolucion, la ban hé à cop de couéchas d’aouco[2] ». Il invita les deux insurgés à s’attabler. Après avoir mangé et bu, Gardère et Pugens se retirèrent en remerciant leur hôte qui resta paisiblement chez lui[3].

Les insurgés de Jegun arrivent, à Auch, faubourg de l’Oratoire, dans la nuit du 4 au 5, où ils retrouvent des groupes de républicains venus de tout le département. L’armée fait face à 6 000 insurgés environ. Le préfet et le procureur Saint-Luc Corbarieux entament des pourparlers vite rompus. Un coup de feu tue un commandant de hussards, les insurgés se dispersent[4].

Jean-Marie Pugens a-t-il participé à la « bataille » ? On ne le sait pas, mais il doit certainement faire partie des républicains qui se dispersent et rentrent chez eux, vaincus et démoralisés. Menée par les autorités ralliées à Louis Napoléon, la répression commence, poussée par le procureur Saint-Luc Pugens est arrêté le 5 décembre avec 46 autres insurgés, il est écroué à Auch. Fin décembre, il a subi un interrogatoire, il est cité parmi les plus compromis des meneurs : Violet, Arexy, Brenis, Zeppenfeld, Dansos de Jegun.

Les juges sont dessaisis au profit de la Commission mixte, comprenant un représentant du préfet, un militaire, un procureur, elle juge sans appel et sans défense. L’instruction est conduite à Lavardens, par le juge de paix de Jegun, qui informe la C.M. qui décide des sanctions à appliquer, selon un barème établi à Paris. Les sanctions ne sont pas des peines mais des mesures administratives. A Auch, la C.M. ne retiendra que 6 solutions particulièrement, la transportation en Algérie +[5], appliquée chefs incorrigibles et aux auteurs principaux de l’insurrection ; Algérie – [6], réservée aux jeunes et au moins compromis.

La Commission gersoise siège de jour et de nuit du 20 janvier au 24 février 1852, elle examine 894 dossiers. Chaque individu a une fiche signalétique, avec description, mesure proposée, appuis divers : maire, curé, a fait des révélations[7]. A Lavardens, 7 insurgés sont soumis à des mesures de sûreté : l’ex-maire Gardères et Pugens, agents très actifs des sociétés secrètes ont été classés : Algérie +, quatre autres détenus qui ont participé à l’insurrection les armes à la main : Algérie[8].

 

Pourquoi trouve-t-on dans le dossier d’instruction la mention « agent actif des sociétés secrètes » ? Parce que Pugens est signalé à Sauboires (canton d’Eauze) tenant une prestation de serment en tant que chef de cette « centurie »[9].

 

Le général Géraudon va diriger un convoi Algérie- vers Toulouse et Cette (Sète), un autre convoi Algérie+ vers Agen, pour éviter des scènes d’attendrissement, les départs se font très tôt, les transports sont rapides, assurés par une section d’artillerie détachée à Auch, les prisonniers prennent place dans des fourragères aménagées. A Auch, ils sont regroupés pendant la nuit, à la caserne de cavalerie, le long du Gers, du 18 au 23 mars, rassemblés à Lectoure, les 117 condamnés Algérie + sont embarqués sur l’Eclair, un bateau d’Agen jusqu’à Blaye. La frégate l’Isly les transportera à Oran, le 7 avril 1852[10].

Jean-Marie Pugens sera affecté à la colonie pénitentiaire du Pont du Chélif (Cheliff), située à proximité de Mostaganem (Mestghanem). Le village, entouré de montagnes, n’est pas achevé, un fossé d’enceinte est creusé par les transportés. Pas de source, seuls des puits d’eau saumâtre, les chaleurs sont fortes, accablantes, difficiles à supporter ; l’air est « pesant et humide ». L’eau du Chélif – un des principaux fleuves d’Algérie, 700 km –  est mauvaise et ses effets nuisibles. On rencontre, dans les environs, des carrières d’albâtre, les prisonniers en ont construit des filtres : filtrée, l’eau est limpide mais salée.

Les travaux entrepris contribuent à l’insalubrité du village : mares, manque d’écoulement des eaux de pluie. Les maisons sont toutes très humides[11].

317 transportés arrivent au Pont du Chélif, le 10 mai 1852. Le règlement a été rédigé par le Gouverneur-général Randon, le 20 mars 1852. A leur arrivée, les condamnés sont divisés en escouades de 20, « occupant des maisons séparées », ils ont des lits de soldat et sont nourris convenablement : 750 g de pain de munition, 250 g de pain de soupe, 350 g de viande, 12 g de riz, 12 g de café, 12 g de sucre, du vin comme les soldats qui les gardent : 1 capitaine, 1 sergent, 300 turcos (troupe indigène). Les transportés travaillent deux fois par jour. Chaque homme possède un « carnet de masse », il reçoit 10 centimes par jour soit 30 centimes d’euro, ce qui lui permet d’acheter des vêtements, du vin.

« La transportation est donc, cela est constant, aggravée par des travaux forcés ». Du 16 mai au 30 novembre 1852, sur 317 hommes, 120 ont été envoyés à l’hôpital. Presque tous les malades sont atteints de fièvre paludéenne, soignée avec du sulfate de quinine. La maladie s’explique par « l’intensité du foyer maremmatique[12] ».

 

La famille, les amis, le village de Lavardens ne restant pas inactifs, les interventions, les suppliques se succèdent. Le 6 janvier 1852, un mois à peine après l’arrestation de son fils, Gilbert Pugens s’adresse au Prince-président[13],

Un vieux militaire de l’Empire demande grâce pour son fils, père de deux enfants[14] .(voir document 1)

Prince.

Le sieur Pugens Gilbert, natif de Lassauvetat [sic], demeurant à Lavardens (Gers) a l’honneur de vous exposer que son fils Jean-Marie, de mœurs sans reproche, honnête homme, père de deux enfants en bas âge, sans fortune… se trouve détenu aux prisons d’Auch (Gers), accusé d’avoir participé aux troubles provoqués naguère par quelques gens de la commune…

Vieux soldat de l’Empire… j’ai séjourné trois ans en Espagne… à Bruxelles, à Munster, à Amsterdam, à Berlin etc. J’ai versé mon sang à la bataille de Poloscow sous les ordres du colonel Richardeau[15] …et suis dans mes foyers, pauvre, sans récompense aucune, âgé de 65 ans…

Prince, si mes services sont dignes de votre bienveillance…grâce, grâce…pour mon fils, (s’il a péché, il est bien repentant), il est mon soutien…celui de deux pauvres enfants…qui à genoux ainsi que moi…vous supplient de leur rendre celui qui leur a donné la vie.

J’ai l’honneur d’être, avec mon plus profond respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur.

                                                               Gilbert Pugens (illettré).

 

Cette lettre est complétée par un certificat de Jacques Despiau, maire de Lassauvetat [sic] attestant que le sieur Pugens Gilbert, natif de cette commune est parti comme soldat en 1807 et qu’il est rentré dans cette localité en 1816 ?[16] le maire certifie aussi que le sus nommé a constamment joui de même que sa famille de l’estime et la considération de tous les gens de bien, et qu’il n’est pas, à ma connaissance qu’il ait démenti sa réputation. La signature de Jacques Despiau est légalisée par la sous-préfecture de Lectoure. Dans cette lettre, le maire se garde bien de parler de Jean-Marie.

 

Le 11 mai 1852, Jean-Marie Pugens s’adresse, du Pont du Chélif, au préfet du Gers : Fréart[17] (voir document 3)

Ma détention du Pont du Chélif appauvrit complètement ma famille, mon travail était sa vie, et si Monsieur le Préfet ne me prête son concours, près de sa majesté le Prince, Président de la République, elle sera malheureuse. Je fais donc appel à la générosité de Monsieur le Préfet pour obtenir la faveur voulue pour ma rentrée en France. Je vous témoignerai toute ma reconnaissance, Monsieur le Préfet, en observant vos bons conseils, en répudiant toute politique cause de mes misères, je promets fidélité et obéissance au gouvernement actuel. Je me soumettrai à la surveillance de la police qu’elle pourra constater ma sagesse et ma bonne conduite, ces dispositions, Monsieur le Préfet, me permettent d’espérer que vous ferez bon accueil à une demande que (sic) doit sauver une femme et deux enfants en bas âge et mon pauvre père, ancien vétéran de l’Empire et une mère sur un certain âge, toutes ces ressources reposent sur mon industrie de maréchal ferrant de Lavardens.

Je suis, Monsieur le Préfet, avec la plus haute considération, votre très humble et très obéissant serviteur.

                                     Jean-Marie Pugens de Lavardens.

Timbre à date de la préfecture du 7 juillet 1852.

 

Contrairement à son père, Jean-Marie Pugens sait lire et écrire.

Le 5 juillet 1852, le chanoine Bartherote adresse une lettre au préfet[18]. (voir document 2)

Une femme bien malheureuse se présentait à votre audience la semaine dernière. Elle venait appuyer de ses larmes la pétition ci-jointe et vous conjurer de l’accueillir avec ferveur. Vos occupations nombreuses, Monsieur le Préfet, ne vous permirent pas de la recevoir. J’ai moi-même sollicité deux fois l’honneur de vous être présenté pour vous parler de cette affaire. N’ayant pu y réussir, je prends la liberté de vous écrire pour la recommander à votre bienveillance. Je n’ai nullement l’intention de justifier Pugens, si j’en crois la voix publique, il serait très coupable. Je n’alléguerai pas pour excuser qu’il fut un instrument en d’autres mains. Il ne manquerait pas d’intelligence, il devait se sentir en garde contre la séduction.

Tout ce que je veux dire, Monsieur le Préfet, c’est qu’il paraît aujourd’hui fort repentant et que sa famille est bien malheureuse. Si c’était là des titres à l’indulgence du gouvernement, j’oserais vous prier d’oublier que Pugens fut très coupable et vous intéresser pour lui.

Veuillez agréer les sentiments de profond respect avec lequel je suis, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur.

La pièce jointe et la réponse ne sont pas au dossier.

 

Le 1er février 1853, la préfecture du Gers s’adresse au maire de Lavardens afin de légaliser la signature de Pugens transporté politique de votre commune qui a sollicité un recours en grâce[19].

Enfin le 7 mars 1853, la 2ème division, 1er bureau du Ministère de la Police Générale, communique au Préfet du Gers, la lettre suivante : (voir document 12)

Monsieur le Préfet, j’ai l’honneur de vous informer que par décision en date du 2 mars 1853, S.M.I. a daigné faire remise de la mesure de sûreté générale à laquelle Pugens Jean-Marie, maréchal ferrant à Lavardens, a été soumis par la Commission départementale mixte du Gers. Je vous invite à prendre en ce qui vous concerne les dispositions nécessaires pour assurer l’exécution de cette mesure de clémence. Vous veillerez également à ce que la famille soit avisée de la décision de sa S.M.I. (Sa Majesté Impériale)

   Agréez, Monsieur le Préfet, l’assurance de ma considération distinguée.

              Le ministre Secrétaire d’Etat au département de la Police Générale.

              Pour le Ministre et par ordre : le chef de cabinet Thieblin.

   PS : Veuillez, je vous prie, à l’égard de cet individu, vous conformez aux instructions générales que renferme la circulaire du 11 février[20].

 

On peut penser que Jean-Marie Pugens est rentré à La Sauvetat entre le mois de mai et de juillet 1853, la date de libération figurant dans Dagnan est fausse[21]. Ainsi, il est resté en exil plus de deux ans.

 

 

Rentré à Lavardens, Jean-Marie Pugens se fait remarquer : le 26 mars 1854, Despax, commissaire de police de Jegun[22]. Faisant sa tournée, écrit : seule la commune de Lavardens se fait remarquer (4 surveillés), nous veillons et épions leurs actions[23].

Le 1er avril, une lettre du préfet est adressée au maire de Lavardens lui demandant de surveiller les graciés qui se réunissent les jours fériés au domicile de l’un d’eux[24].

 

Le 14 janvier 1858, l’italien Felice Orsini, membre de la société secrète, la Charbonnerie, qui demandait l’unification de l’Italie, lança avec ses complices 3 bombes sur le passage du cortège de l’Empereur et de l’impératrice qui se rendaient à l’Opéra. Napoléon III, lui-même ancien carbonaro, ne fut pas blessé, mais l’attentat fit près d’une dizaine de morts et de nombreux blessés. Orsini avait voulu rappeler à Louis-Napoléon Bonaparte sa promesse d’aider l’Italie.

Les terroristes furent arrêtés rapidement et guillotinés. Mais le ministre de la Police, le général Espinasse en profita pour faire voter la loi de Sûreté Générale et se débarrasser des républicains les plus affirmés et remuants.

Loi de Sûreté Générale

Loi du Second Empire votée après l’attentat d’Orsini le 19 février 1858. Elle donnait au pouvoir le droit d’interner ou de déporter sans jugement toute personne ayant « été condamné pour un motif politique depuis la révolution de 1848 ; dans chaque département, des commissions de hauts fonctionnaires dressèrent des listes de proscription qui furent soumises au ministre. Environ 400 républicains furent arrêtés et 300 déportés en Algérie ; mais la loi cessa d’être appliquée dès le mois de juin 1858.

Dans le Gers, département qui avait manifesté une opposition armée au coup d’Etat de 1851, la Commission eut à se prononcer sur le traitement de 144 individus, et en condamna :

34 à la déportation en Algérie,

3 à l’expulsion du territoire,

4 à l’internement dans un autre département,

103 à la liberté surveillée.

En réalité, 6 hommes furent envoyés en Algérie[25]. (voir documents 7, 8 et 9)

 

Dans l’Histoire du Second Empire[26]. on trouve la liste des proscrits de 1858. Gers : Arrivets et Labat, négociants, Aylès, chapelier, Brenis propriétaire, Lucien Lamarque et Pascaut, avocats, Pugens, vétérinaire (sic) ; Aylès de Fleurance mourut en Algérie.

Le 16 août 1859, un décret impérial accorda amnistie pleine et entière à tous les individus condamnés pour crimes et délits politiques ou qui ont fait l’objet de mesures de sûreté *

Selon Madame Renée Courtiade, auteur des acteurs de la Seconde République[27] (voir document 10) on trouverait aux A.D. du Gers un dossier contenant une lettre adressée à S.M.I.(voir document 11) par l’épouse de Jean-Marie Pugens qui aurait embarqué à Cette (Sète) pour l’Algérie et demandant la prise en charge de la malle de son mari partant en exil. On pense que Jean-Marie Pugens débarqua à Alger, le 1er avril 1858 et fut interné à Médéa.

Article au sujet de la déportation de Jean-Marie Pugens en 1858 : version différente.

Débarqués à Mers-el-Kébir, (province d’Oran) ils furent casernés aux Barraques, où de là ils furent dirigés, Pugens et Lamarque, du moins, sur Tlemcen. Un des déportés du Gers, Aylès de Fleurance, mourut en Algérie.

C’est là qu’ils vécurent jusqu’à l’amnistie, sous la loi militaire, loin de leur famille, sous un climat insalubre, au milieu des préoccupations constantes et avec le regret d’avoir perdu leur patrie.

Comme tous les transportés de 1858, Jean-Marie Pugens bénéficia du décret impérial du 15 août 1859[28] lui accordant amnistie pleine et entière à tous les individus condamnés pour crimes et délits politiques ou qui ont fait l’objet de mesures de sûreté générale.

Le dossier de Jean-Marie Pugens est vide pendant les dernières années de l’Empire et les débuts de la IIIème République. (4 septembre 1870)

Lorsque la république est définitivement établie, après le départ du président Mac-Mahon, en 1880, les autorités politiques commencent à s’intéresser aux transportés à Cayenne et en Algérie, une enquête est ordonnée par le préfet. (voir document 13)

Le 4 février 1881, le maire de Jegun – entretemps la famille Pugens a déménagé à Jegun – signale que le sieur Pugens a été déporté deux fois et est très nécessiteux, il n’a reçu aucun secours[29].

La loi de réparation est votée les 30, 31 juillet 1881 par les députés, le 10 décembre par les sénateurs : elle prévoit l’indemnisation des dommages causés aux transportés. Il ne s’agit pas d’une récompense mais d’une indemnité compensant le préjudice subi du fait de la transportation en Algérie. Elle alloue à titre de réparation nationale des rentes incessibles et insaisissables d’une valeur de six millions de francs aux citoyens victimes du Coup d’Etat du 2 décembre 1851 et de la loi de sûreté générale de février 1858.

Pour répartir les pensions, une commission départementale est élue parmi les transportés : sur 285 bulletins, Pugens ne recueille que 84 voix et n’est pas élu, le procès-verbal de cette élection est dressé le 10 octobre 1881[30] (voir document 16).

Le 24 octobre, le ministère de l’Intérieur, direction de la Sûreté Générale, prévient le préfet qu’il aura à repartir les pensions aux plus nécessiteux, en effet 18 000 demandes pour la France ont été admises, les fonds ne sont pas suffisants, l’Etat ajoutera trois millions de francs.

Une lettre du maire de Lavardens Courtiade déclare le 13 décembre 1882 qu’il a reçu quatre certificats d’inscription de rente pour messieurs Pugens Jean-Marie, Cortade Bernard, Lacroix Jean-Marie, Gardère Ambroise, victimes de 1851 et qu’il leur a remis les certificats d’inscription reçus le 15 octobre. (voir document 14)

Les rentes à verser sont de deux sortes : pour les condamnés les plus gravement atteints : 1 000 francs annuels, pour la plupart des autres des sommes inférieures. Jean-Marie Pugens reçoit le certificat n° 3987 de 1ère catégorie[31].

Les rentes cesseront d’être payées pendant la guerre 1914-1918.

Nous n’avons pas retrouvé le brevet de pension de Jean Marie Pugens.

Tous les actes portent le témoignage d’une certaine ascension sociale, avant 1870, Jean-Marie Pugens est qualifié de « maréchal-ferrant », après 1870 de « maréchal-ferrant expert, après 1882 de « vétérinaire ».

A l’école communale de filles de Jegun, dans les années 1920, la directrice rendait hommage au transporté lors du cours sur l’établissement de la IIIème République. Sur le livre d’histoire, figurait, rajouté au crayon, le nom des déportés.

Jean-Marie Pugens est décédé le 6 avril 1896, sa veuve a reçu la demi-pension, puis ses filles à la mort de celle-ci.

 

Bibliographie :

Jean Dagnan, Le Gers sous la seconde République, Imprimerie F Cocharaux, Auch, 1929

Maurice Agulhon, 1848 ou l’apprentissage de la République. Seuil, 2002

Charles Ribeyrolles, Les bagnes d’Afrique, histoire de la transportation de décembre, Londres, Jeffs, 1853, 263 p.

Association 1851 pour la mémoire des résistances républicaines

 

[1] Jean Dagnan, Le Gers sous la Seconde République. tome 2 : Le Coup d’État et la répression dans le Gers (décembre 1851-décembre 1852), thèse, Auch, Imprimerie F. Cocharaux, 1929, 590 p., note de la page 280

[2] La révolution nous allons la faire à coup de cuisse d’oie.

[3] Dagnan, op. cit.

[4] (Général) André Mengelle, « Les hussards au chevet et à l’agonie de la II ème République dans le Gers (février 1848 – décembre 1851) », Bulletin de la Société archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers, 1998, pp. 86-106

[5] déportation en camp militaire.

[6] déportation en résidence libre.

[7] La fiche de Pugens n’a pas été trouvée aux A.D. du Gers. « A fait des révélations » signifie « a dénoncé ses amis ». Note de l’éditeur du site : dans l’état de la commission mixte conservé aux Service Historique de la Défense (Département du Gers. Insurrection de décembre 1851, SHD, 7 J 71), les observations disent : « Détenu. L’agent le plus actif du socialisme dans sa commune. Très ardent, très dangereux. Est venu prendre le mot d’ordre à Auch, chez Danssos, dans la nuit du 3 au 4 décembre. A soulevé la commune de Lavardens. A marché en tête des insurgés sur Jegun, a fait enfoncer les portes de l’église de cette commune et sommé le maire de livrer les clefs de la mairie. A menacé de faire fusiller les paysans qui refuseraient de se joindre au rassemblement. Etait armé d’un sabre, à la tête de l’une des bandes qui ont marché sur Auch et qui ont été dispersées par la force armée. » (source : base de l’Université de Bourgogne, établie par Jean-Claude Farcy)

[8] A.D du Gers : 1 M 242

[9] A.D.G. 1 M 145

[10] Ce navire était le plus gros transporteur affecté aux transportés, dans des conditions peu confortables, il embarquait 350 condamnés.

[11] Charles Ribeyrolles, Les bagnes d’Afrique, histoire de la transportation de décembre, Londres, Jeffs, 1853, 263 p.

[12] Rapport officiel du médecin de 1ère classe, Emile Cordier, dans Ribeyrolles, op. cit.

[13] timbre à date de la présidence du 9 janvier1852

[14] A.D. du Gers:1 M 247

[15] Il s’agit certainement de Polotsk en Biélorussie pendant la Retraite de Russie. Le 19 octobre 1812, le général russe Wittgenstein repousse le groupe d’armées des généraux Gouvion-Saint-Cyr et Oudinot.

[16] A.D. du Gers 1 M 245

[17] voir le Dictionnaire biographique du Gers, S.A.H.G., 2007

[18] A.D. du Gers 1 M 245. Bartherote Arnaud, professeur au séminaire d’Auch, chanoine en 1848.

[19] A.D. du Gers 1 M 245

[20] Il s’agit de mesure de surveillance des graciés.

[21] Dagnan, op. cit. volume II page 458.

[22] Ce commissaire n’est pas un policier, c’est un surveillant qui rapporte les faits antigouvernementaux aux autorités auscitaines.

[23] A.D. du Gers 1 M 245

[24] A.D. du Gers 1 M 245

[25] Vincent Wright, « La Loi de sûreté générale de 1858 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 16, n°3, juillet-septembre 1969, pp. 414-430.

[26] 1848-1870 par Hippolyte Magen, historien-journaliste, proscrit du 2 décembre, Bordeaux, rue Guiraude 11 – imprimerie G Gounuoilhou, pas de date de publication, page 258

[27] Renée Courtiade, « Les acteurs de la Seconde République dans le Gers », Bulletin de la Société archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers, 385 et 387, 3ème trimestre 2007 et 1er trimestre 2008

[28] Jour de la saint Napoléon.

[29] A.D. du Gers 1 M 248

[30] A.D. du Gers 1 M 258 : sont élus Gallut Charles de Condom, Ninous Emile de Masseube, Doumerc Pierre de Laguian Miélan,. Le bureau est composé des deux plus anciens déportés, : Drouillet Joseph d’Auch, Gallut Charles, des deux plus jeunes Cortade Bernard de Lavardens, Bégué Alexis de Lupiac.

[31] En 1899, lors de reconstruction du Collège de Lectoure, un maçon gagnait 3, 50 francs, un plâtrier 4,50 francs par jour de travail.