Casseroles en tout temps

article publié dans le Bulletin de l’Association 1851, 95, juin 2023, pp. 5-7

mis en ligne le 11 juillet 2023

Casseroles en tout temps.

Tenez-vous bien : ils n’avaient qu’à bien se tenir.

par Colette Chauvin

 

En ces temps troublés de désordre en République, de recherches de modes d’expression pour mettre à l’épreuve le dialogue de sourds conduisant à l’insécurité, de légitimités bafouées, de perte de confiance dans des institutions à plusieurs vitesses, d’incitation à ne pas sortir bruyamment du rang et de convaincre le voisin de faire de même, parcourir les registres du tribunal correctionnel de Digne au cours de l’année 1852 renvoie tout un chacun à sa batterie de casseroles, au choix de la dissimuler, la traîner, ou la faire sonner pour pouvoir la garnir.

Les exemples sonores d’expression républicaine n’étaient pas au goût du jour, non plus, en 1852, face au pouvoir exécutif de plus en plus rigide et personnalisé qui avançait à grand pas vers le second Empire. Quelques paroles sincères exprimant crument l’opposition au prince président pouvaient conduire à la prison et entraîner amendes et frais de justice conséquents. Le coup d’État était passé, les Républicains impliqués dans le soulèvement d’opposition, ou une partie d’entre eux arrêtés, mais la surveillance demeurait très active et la délation toujours bien vue.

En voici ci-dessous pour preuve quelques extraits, chacun retranscrit en respectant orthographe et ponctuation. Seule, la dernière audience de cet article est donnée dans sa forme intégrale hormis les textes des lois et décrets qu’elle contient:

– À l’audience du 8 juillet 1852, au tribunal correctionnel de Digne, dans les Basses-Alpes, comparaissent Savourdieu Édouard, vingt-six ans, menuisier à Vinon, né aux Mées, et Cassan Félicien, dix-sept ans, domicilié à Saint-Julien-d’Asse pour le motif suivant : « allèrent ensemble à Valensole dans l’auberge du sieur Moutet dans un état voisin de l’ivresse. Chassan ayant entendu la femme Moutet proposer de signer une pétition pour demander au Sénat de proclamer Empereur le prince président, l’interrompit aussitôt et lui dit : – C’est pour ce coquin que vous voulez faire signer cette pétition, il y a longtemps qu’il devrait avoir la tête coupée ». Moutet prévient les gendarmes qui rattrapent au cours d’un échange violent les deux amis en fuite.

Savourdieu, plus âgé, écope de quinze jours de prison, cinq pour Chassan et tous deux devront régler les frais de justice.

– Audience du 31 juillet 1852 :

comparaît Louis Roux, trente ans, garçon boulanger, domicilié à Digne.

« Le prévenu avoue avoir porté une cravate rouge dans les rues de la commune d’Oraison, le 11 juillet courant, et que ce fait constitue le délit… de ce que la couleur rouge serait le signe de raliement du parti socialiste » .

Le tribunal condamne le dit Roux à trois jours d’emprisonnement et aux frais de justice.

– L’audience du 13 août 1852 se déroule contre Antoine Lantelme, trente-sept ans, agriculteur, domicilié au hameau du petit Camps, commune des Mées « qui, le onze juillet dernier, sur la route de Dabisse aux Mées, aurait annoncé au sieur Boyer, son compagnon de route, qu’avant un mois les rouges auraient le dessus, qu’en afrique les arabes s’étaient réunis aux insurgés transportés et avaient pris Constantine et que le quinze août prochain son parti était sûr de triompher. »

Vu l’article 15 du décret de la presse du 17 février 1852 qui précise que la publication ou la reproduction de nouvelles fausses sera puni d’une amende de cinquante à mille francs, le dit Lantelme est condamné à l’amende de cinquante francs et aux règlement des frais de justice.

– Audience du 20 novembre 1852 – 1

Léotard Mayeul, vingt-six ans, boulanger à Valensole, ayant prononcé devant témoin, au sujet de la conspiration contre les jours du prince président découverte deux jours avant à Marseille : « Si par bonheur cela avait réussi… ».

Bien que ce ne soit pas « un délit d’offense ou d’injure ou d’outrage à la personne du président », c’est « faire preuve de méchanceté profonde »… « Ces paroles renferment l’apologie d’un fait qualifié de crime, c’est dire que le fait eut été bien en lui même, c’est là, en un mot faire l’apologie de ce fait ».

Le tribunal correctionnel de Digne condamne le dit Mayeul Léotard à la peine d’emprisonnement de quinze jours et aux frais de justice.

– Audience du 20 novembre 1852 – 2

Le tribunal correctionnel de l’arrondissement de Digne sur poursuite de M. le Procureur de la République

contre :

1° Clément, étienne Clement, âgé de vingt six ans, cultivateur, né à Salignac, arrondt de Sisteron, le 1er septembre 1826, domicilié à Salignac, célibataire

2° Banon François âgé de vingt cinq ans, domicilié à Mallemoisson, où il est né le 28 janvier 1827. Cultivateur, célibataire.

3° Bodoul Joseph, âgé de vingt sept ans, né à Thoard le (date non mentionnée, souligné par nous), domicilié au dit Mallemoisson, cultivateur, célibataire.

Ouï Me Gasquey, substitut du procureur de la République, et les prévenus assistés de Me Michel, avoué licencié leur défenseur.

attendu qu’aucun des témoins entendu à l’audience a déposé avoir vu le prévenu Bodoul dans l’appartement du café aillaud où Clément et Banon chantaient la chanson incriminée

attendu que de la déposition des mêmes témoins et principalement celui des sieurs Esmiol et Chais, il résulte que dans la journée du vingt six septembre dernier, jour de la fête patronale de la dite commune de Mallemoisson dans un des appartements du café tenu par le nommé Aillaud, estimé dans la commune, le prévenu Clément etienne Clément, cultivateur domicilié en la commune de Salignac et Banon françois cultivateur, domicilié à Mallemoisson, ont été entendus chantant une chanson ayant un caractère seditieux commençant par les mots : « Républicains aux armes plus de trêve (souligné dans le texte) … et finissant par ceux ci : Et nous vaincrons les tyrans odieux (souligné dans le texte), et dont le refrain est :

« Vengeons le peuple de la terre

« à tous les rois faisons la guerre

« Emancipons le genre humain

« par le canon républicain. »

attendu que le sens moral et les termes de cette chanson présentent un caractère séditieux en ce qu’ils invoquent et font l’apologie de la terreur de 1793 et tendent à troubler la paix publique, en excitant le mépris ou la haine des citoyens les uns contre les autres délit prévu par le décret du onze août 1848 article 7 et constituent encore le délit séditieux proféré dans un endroit public, prévu dans la loi du 28 mars 1822.

attendu que la cause présente des circonstances atténuantes en faveur du nommé Banon, à cause de son jeune âge et de ce qu’il a subi l’entraînement de son co-prévenu Clément

Par ces motifs

[Suivent l’article 46 358 du code pénal, l’article 194 du code de l’instruction criminelle, l’article 8 de la loi du 25 mars 1822, l’article 1er de la loi du 17 mai 1819]

Renvoie des fins de la plainte le nommé Bodoul.

Condamne le prévenu Clément à un mois d’emprisonnement, à cent francs d’amende; et Banon à quinze jours de la même peine ;

Les condamne en outre, solidairement aux frais liquidés à la somme de quatrevingt un franc trente centimes et de plus aux frais de timbre et d’enregistrement du jugement, avec contrainte par corps.

Fait, jugé et prononcé à Digne, dans le palais de justice à l’audience publique correctionnelle du vingt novembre 1852, présents M. M Clément, juge pleinier, président en remplacement, aillaud, Jouyne juges, Gasquey substitut et Meynier, Commis-Greffier

Enregistré à Digne le 27 novembre 1852 – (Suivent les signatures).

Doc. : AD 04, Archives judiciaires 3U275 et 3U375.