Michel Berthaud

page mise en ligne le 7 mars 2024

 

document aimablement transmis par Denis Martin, animateur de l’ADIAMOS-89

 

Dossier de Michel Berthaud

 

Un condamné de l’Yonne, Michel Berthaud, rend compte dans une lettre des conditions très pénibles auxquelles il est soumis. Il retrace les conditions de son arrestation, sa détention et tous ses malheurs à l’occasion de la loi d’indemnisation de 1881 :

 

Le neuf décembre 1851 je reçus à 1 heure de l’après-midi une lettre de M. le Juge de paix de Vermenton dans laquelle il me dit de me rendre immédiatement dans son cabinet pour lui donner un renseignement qui lui est nécessaire. Je quitte de suite mon atelier en disant à mes quatre ouvriers dont 3 charrons et 1 forgeron, qu’ils continuent l’ouvrage en train, que je ne ferai qu’aller et venir.

En entrant chez M. le Juge de Paix, 4 gendarmes et les 2 gardes-champêtres de Cravant étaient là qu’ils m’attendaient.

M. le juge de Paix me dit qu’il avait un mandat d’arrêt contre moi : à l’instant même je fus emprisonné. Le lendemain après m’avoir enchainé comme un criminel, je fus conduit avec un nommé Mercier[1] de Vermenton à la prison d’Auxerre.

Je parvins à faire dire à ma femme de fermer l’atelier et de régler les ouvriers ; je laissais ainsi trois enfants à sa charge : une fille de douze ans, et deux garçons, l’un de 16 ans et l’autre de dix ans.

Après deux mois d’emprisonnement à Auxerre je fus conduit à Paris, au fort de Bicêtre, où je restai environ 6 semaines. De Paris on m’emmena au Havre. Deux heures après mon arrivée on me faisait embarquer sur la frégate Le Magellan.

Après 30 jours de mer (je devrais dire 30 jours de martyre) j’arrivais à Alger. On me conduisit d’abord au camp de Bircadène[2], puis ensuite au camp des Cinq Trembles. Au bout de huit jours il fallut travailler à la confection d’une route. Environ huit ou dix jours après, on arriva près d’une butte à pic qu’il s’agissait de trancher pour obtenir l’éboulement ; d’autres camarades étaient restés en bas avec moi afin de charger les brouettes. Tout à coup ceux qui se trouvaient au sommet crient : sauve qui peut ! Mes camarades s’échappent, mais moi, n’ayant point entendu assez tôt, je suis enfoui.

Après d’énergiques efforts on parvient à me dégager, on m’emporte sous la tente sans connaissance et avec un effort dont je suis porteur et qui me fait encore actuellement horriblement souffrir. Je restais alors quinze jours sous la tente en attendant le bandage qui m’est venu d’Alger. Peu de temps après, je suis saisi de dyssentrie qui me tient pendant plus d’un mois.

Ne pouvant alors travailler, je fais demander au lieutenant Olivier mon internement.

Je l’obtiens au bout de 8 jours après lui avoir prouvé mes moyens de subsistance.

J’avais demandé à être interné à Laudy près Médéal[3], chez un nommé Boissard. Cette détention m’a ainsi causé deux ans de fermeture d’atelier et plus d’un an de convalescence. Il me fallait refaire ma clientèle qui était perdue ; je possédais une certaine avance de fonds, j’ai été complètement ruiné. Perte réelle : quinze mille francs. Ma situation actuelle est sans fortune.

 

(Archives départementale de l’Yonne – 3M1 281)


 

Michel Berthault est forgeron et charron à Cravant où il est né le 3 janvier 1811. Il est condamné à l’Algérie plus car : « Chef de société secrète. A fait jurer aux adhérents la destruction des églises et des châteaux. Socialiste exalté. Était présent à plusieurs affiliations. Assistait le 4 décembre à une réunion où il fut question de se soulever et de marcher sur Auxerre. A porté le mot d’ordre et fondu des balles. A tout avoué. »

Il est gracié le 2 février 1853.

 


[1] Pierre Mercier, tonnelier, condamné à l’Algérie moins, il ne fut pas déporté, sa peine étant commuée en surveillance le 7 avril 1852.

[2] Lire Birkadem

[3] Lire Lodi (aujourd’hui Draa Essamar) près Médéa.