1951, les Communistes et l’insurrection de 1851

article mis en ligne le 25 août 2022

1951, les Communistes et l’insurrection de 1851

 

René Merle

 

Nous pouvons lire sur notre site 1851 dans l’article de Jean-Marie Guillon : « Une histoire sans légende ? La résistance au coup d’État du 2 décembre 1851 »[1] qu’au lendemain de la libération de 1944 « l’assimilation des deux résistances » put se réaliser. Mais, poursuit Jean-Marie Guillon, en 1951, « les communistes sont à peu près les seuls à rappeler l’événement dans la presse, alors que Jacques Duclos s’est rendu aux Mées (au début juillet.) ».

De fait, l’hebdomadaire communiste Le Patriote bas-alpin consacre en mai 1951 une grande place à l’insurrection. L’élu et dirigeant communiste bas-alpin Pierre Girardot (il signe ici Roger Moisson) présente en détail les événements de décembre 1851 et glorifie les insurgés républicains bas-alpins[2].

Notre regretté ami Jean Signoret a donné sur le site de notre association d’abondants extraits de ce texte de Pierre Girardot[3].

 

 

Et le 6 juillet, l’hebdomadaire écrit en éditorial après s’être réjoui de la venue à Digne de Jacques Duclos, le 8 Juillet[4] :

« Jacques Duclos[5] vient à l’occasion du Centenaire de l’insurrection de 1851, où les Bas-Alpins ont inscrit dans l’histoire de notre pays, une des pages les plus glorieuses. Jacques Duclos, l’orateur le plus brillant de la Tribune parlementaire française, prononcera à l’occasion du Centenaire de 1851, un discours d’une grande portée nationale et internationale ».

Jacques Duclos s’exprima donc le dimanche 8 devant une foule considérable.

 

 

Auparavant, à quelques kilomètres de Digne, à l’invitation de la municipalité communiste des Mées, Jacques Duclos s’était recueilli devant « la Fontaine de la Liberté », érigée en 1913 en honneur aux insurgés qui avaient tenu en échec aux Mées l’armée du coup d’État[6].

Mais le 9 mai, le quotidien l’Humanité, « organe central du Parti communiste français, ne s’intéresse qu’à… la portée internationale, sans la moindre allusion au centenaire que Jacques Duclos a présidé.

 

 

Quelques mois plus tard, le 1er décembre 1951, le bandeau-titre de l’Humanité annonce en page 4 (seulement) un article d’un dirigeant alors prestigieux du PCF, André Marty[7], « 2 décembre : le coup d’État du petit Bonaparte ».

 

 

 

On lit dans son entame :

« Mais le 2 décembre 1851 il y a eu peu de résistance. Napoléon-le Petit se présentait comme le sauveur des bourgeois, il se disait « homme d’ordre ». Aux ouvriers, il se présentait en « socialiste » et prêchait – déjà, « l’association[8] ». Comment cela fut-il possible ? »

Marty explique le manque de réaction populaire par l’apathie des masses ouvrières, sonnées par la terrible répression de juin 1848 et détournées ainsi de la République.

Dans le droit fil des deux textes de Marx cités en conclusion, aucune allusion, on le voit à l’état d’esprit complexe des ruraux. Il est vrai qu’il faudra du temps à Marx pour prendre la mesure de la résistance essentiellement rurale dans plus de 33 départements.

Et dans la conclusion de l’article, comme Jacques Duclos l’avait fait également à Digne, c’est la menace d’un autre coup d’État qui est dénoncée, celle de « l’apprenti-dictateur » de Gaulle, menace devant laquelle la classe ouvrière fera front.

Je tire une rapide conclusion de ce montage de documents. Alors qu’en 1951 le silence général sur l’insurrection n’était rompu que par des initiatives communistes, que c’est du local que sont parties les célébrations communistes de l’insurrection, alors que, au plan national, même chez les mieux intentionnés comme Marty, elles apparaissent comme événement secondaires. Il en est allé de même lors de notre célébration en 2001, où c’est la mémoire locale, départementale, régionale, qui a amené à une prise de conscience plus générale.

J’ai souvent dit et écrit que ma sensibilité à l’insurrection a tenu à la persistance de sa mémoire locale. J’ai pu suivre dans ma prime adolescence les feuilletons consacrés à l’événement dans le quotidien socialiste varois et dans le quotidien communiste varois, qui était celui de notre maison. Mais cette sensibilisation n’a pas été une sensibilisation “descendante”, nationale, comme l’a été par exemple la mémoire de l’insurrection ouvrière de Juin 1848 à Paris.

On mesure le chemin qu’il a fallu pour que, depuis 1851, soit prise la mesure du caractère interclassant de ce mouvement républicain préparé par les Sociétés secrètes et la Montagne rouge, dont le programme concret offrait des perspectives réelles et réalisables, en particulier aux paysans. On mesure aussi combien a pu être sous-estimé le républicanisme profond qui a animé ces foules insurgées, en dépit du discrédit jeté sur la République du Parti de l’Ordre.

Je n’en mesure que plus l’importance du travail de notre Association, qui a irrigué particulièrement les familles de la gauche nationale et qui a amené, enfin, une vraie prise en compte par elles de la mémoire de l’insurrection[9].

 

René Merle

 


[1] Texte tiré de Montagnes, Mémoire, Méditerranée. Mélanges offerts à Philippe Joutard, Grenoble-Aix, Musée Dauphinois et Publications de l’Université de Provence, 2002, et publié dans le n°22 du Bulletin de l’Association 1851, janvier 2003

[2] Girardot P. (alias Roger Moisson), « 1851-1951 : un centenaire glorieux », Le Patriote bas-alpin n°7, mai 1951

[3] Association 1851, Bulletin-Lettre n°59, Octobre-Novembre-Décembre 2012.

[4] Je remercie notre présidente Colette Chauvin qui m’a communiqué photocopie de ce numéro

[5] Jacques Duclos était alors secrétaire général du Parti par intérim, depuis que l’hémiplégie avait frappé Maurice Thorez.

[6] Texte et photo du document : le superbe numéro du Bulletin de l’Association Les Amis des Mées, « La Fontaine de la Liberté, 1913-2013 », 2013

[7] Marty sera exclu du PCF en 1952.

[8] Allusion à l’association capital-travail prônée par de Gaulle et son RPF.

[9] À noter que de son côté le journaliste et romancier Jean Rambaud avait publié en mai 1977 dans son journal le Monde une série d’articles consacrés à l’insurrection. Cf. par exemple : Mai 1852, les rebelles sont matés