Le socialisme aux champs

Le Petit Provençal, édition Toulon, 30 décembre 1932

 

Le socialisme aux champs

 

La lettre récente par laquelle le citoyen Louis Magne, maire de Flassans, conseiller général du canton de Besse, donne son adhésion au parti socialiste, contient des termes qui permettent d’apprécier le sentiment des populations varoises.

« J’entre au parti socialiste, dit Magne, parce que depuis toujours dans le Var, il représente la tradition républicaine. J’entre au parti socialiste parce qu’il reflète bien cette passion varoise qui faisait des insurgés de 51, de ceux qui rougissaient de leur sang les routes conduisant vers Aups, les pionniers du socialisme varois. »

Oui, il y a dans ces phrases l’expression exacte du sentiment politique de nos populations. Magne est un élu rural et il traduit spontanément, lorsqu’il écrit sa lettre, la sensibilité de son ambiance. La fidélité de nos populations varoises au socialisme est bien plus un élan du sentiment et du cœur que l’adhésion à une doctrine. Non pas qu’on ignore cette doctrine, non pas qu’on recule devant elle, mais parce que cette fidélité au socialisme marque qu’on s’attache par-dessus tout à un idéal et qu’avec lui et pour lui on a peur de rien.

Mais l’idéal dans nos campagnes, il faut bien le dire, reste encore incarné dans la République. Elle représente l’évolution indéfinie vers le progrès social. La classification, dans les villages, se fait par le mot « républicain ». Quand on dit celui-ci est un « républicain », on sait de quoi il s’agit. Ce mot est prononcé avec un accent plein, qui ne comporte aucune dégradation et qui constitue un jugement souverain. Le socialisme représente donc, pour le citoyen Magne, « la tradition républicaine ». Et cette tradition républicaine, par le socialisme, il la rattache au sacrifice des paysans varois de 1851 qui, les armes à la main, mouraient pour la liberté.

Que tout cela est beau et pur ! Certes, mon ami Louis Magne, jeune élu, plein de caractère et de sincérité lui-même, n’a pas pensé à ces choses en les écrivant. Ils les a écrites, je le répète, spontanément, en les puisant dans l’air où il respire.

Que nous sommes loin du jargon compliqué des villes, où toutes la variété des couleurs politiques est utilisée, sans foi, ni loi. Où l’on voit des cabotins, des faiseurs, des gens de sac et de corde, se parer des étiquettes les plus mensongères pour piper les voix électorales et servir non pas un idéal social, mais des convoitises basses et parfois même infectes.

 

Albert Lamarque

 

 

 

 

Albert Lamarque (1885-1970) fut sénateur du Var de 1948 à 1958.

Palois de naissance, apprenti, puis ouvrier, à l’arsenal de Toulon. Il y était secrétaire du Syndicat des ouvriers de 1910 à 1921 et secrétaire Fédération des travailleurs de la marine de 1917 à 1919.

Il quitte l’arsenal en 1932 et devient rédacteur politique au Petit Provençal (édition varoise), puis chef de la rédaction de ce journal jusqu’en 1948.

Parallèlement, sur le plan politique, il accède au poste de secrétaire général (1924-1933) de la Fédération socialiste du Var. Premier adjoint au maire de La Seyne à partir de décembre 1919, il siège au conseil général pour le canton de La Seyne de 1920 à 1940.

Lorsque le gouvernement de Vichy le destitue de ses fonctions électives, il rejoint le réseau Brutus où, à un poste modeste, il remplit les fonctions les plus délicates et les plus efficaces, tout en participant à la mise sur pied du parti clandestin.

Le 1er décembre 1942, il devient chef de secteur de la région de Toulon, fournissant des renseignements de tout premier ordre sur le port de Toulon, le terrain d’aviation du Palyvestre, les chantiers de La Seyne. Malgré les recherches très actives de la Gestapo, il continue son travail pendant tout le temps de l’Occupation et se voit confier le secrétariat de la Fédération clandestine socialiste et du Comité exécutif pour la zone Sud.

En récompense de son attitude exemplaire, Albert Lamarque est fait chevalier de la Légion d’honneur le 4 mai 1946 et reçoit la médaille de la Résistance.[2]

 

 

 

Flassans, dont Louis Magne est maire, a pris sa part dans la résistance républicaine de 1851. Camille Duteil écrit : « A la tombée de la nuit nous arrivâmes à Flassans. Toute la population était sous les armes. On attendait Brignoles et les renforts des autres communes de l’arrondissement pour aller rejoindre à Vidauban les patriotes du Luc. — Je priai un des chefs de nous procurer un char-à-banc pour aller plus vite. — Nous soupâmes à la hâte et, comme la voiture n’était pas encore prête, nous partîmes sans l’attendre.« 

L’agitation politique y avait été remarquée par la préfecture durant la Seconde République (voir la chanson La République rouge).

Voir aussi la liste pour Flassans des victimes du coup d’Etat recollée par René Merle.

 

 

 

Quant à Louis Magne (1891-1967), c’est un fils de paysans, viticulteur, qui a fait un passage dans la marine nationale, mais a fait la Grande guerre dans l’infanterie. Au retour, il dirige la musique locale et la coopérative, puis est élu maire socialiste de Flassans en 1929, ensuite il sera conseiller général et actif dans le Front populaire. Mais il maintenu maire sous la Révolution nationale et ne démissionnera qu’en juin 1944. On le lui reprochera à la Libération et le préfet exprime à son égard les plus extrêmes réserves. Mais la fédération SFIO lui garde sa confiance et il redevient maire en 1945, puis conseiller général, malgré l’opposition très ferme des communistes et aussi d’une partie des socialistes. Il a appelé à voter OUI en 1958. 


René Merle et Frédéric Négrel


[2] www.senat.fr, extrait du dictionnaire des parlementaires français