Publications varoises sur l’insurrection de 1851 dans l’entre-deux guerres

Publications varoises sur l’insurrection de 1851 dans l’entre-deux guerres

par René Merle

Hormis quelques rares plaquettes et chroniques de presse, le souvenir de l’insurrection de décembre 1851 n’avait pas vraiment été rappelé aux Varois depuis la publication de l’ouvrage, désormais classique, de l’avocat républicain Noël Blache, Histoire de l’insurrection du Var en décembre 1851, Paris, Le Chevalier, 1869 (Blache n’avait alors que 27 ans)[1].

Mais malgré sa présence assurée dans la plupart des bibliothèques publiques, l’ouvrage, qui n’avait pas été réédité depuis 1869, était devenu d’une relative rareté. Et, si l’hommage à la « geste » républicaine de 1851 faisait l’unanimité parmi les républicains varois, il n’en allait pas de même des engagements de l’auteur dans les années 1880-1890 : Blache, d’abord leader « opportuniste » opposé aux radicaux « intransigeants » qui le traitaient de droitier, évolue ensuite vers un socialisme original, indépendant et proudhonien, qui l’éloignera des radicaux et des diverses chapelles socialistes, unifiées en 1905…

Dans ce contexte de domination électorale sans partage de la gauche républicaine, mais dans ce climat parfois empoisonné de division de la gauche, la généralisation de l’enseignement laïque, et l’accent mis sur la connaissance des réalités départementales, ne suscitèrent pas immédiatement la publication d’un matériel pédagogique relatif à l’insurrection varoise.

 

L’ouvrage de Barrus en 1919

Un instituteur de Toulon s’apprêtait en 1914 à proposer un petit ouvrage pédagogique sur le département. La guerre en retardera la publication jusqu’en 1919 : E. Barrus, Le département du Var, son histoire, description géographique, organisation administrative, notices communales, Librairie Ferran Jeune, Marseille, 1919, 80 p.

L’ouvrage fut assez largement diffusé et utilisé dans les écoles primaires du département. Son contenu donne donc une bonne image de la vulgate quasiment officielle sur l’insurrection de 1851, et permet d’appréhender la connaissance qu’auront de l’insurrection nombre d’élèves, et de parents, qui n’avaient jamais eu l’occasion de lire Blache.

Dans la partie historique, Barrus consacre en effet deux pages entières (pp. 14-15) à l’insurrection. Son propos est celui d’un républicain (bien informé par la lecture de Blache) : on en trouvera le texte ci-dessous [Document 1]. Le récit précis des événements ne s’accompagne d’aucune considération sur la réalité sociologique populaire et rurale de l’insurrection : les insurgés sont « les républicains » qui n’ont pas accepté le viol de la Constitution. Le passage consacré à la répression ne pouvait que frapper les imaginations enfantines, même si en 1919, tant d’autres souvenirs ensanglantés parvenaient aux oreilles juvéniles.

Barrus conclut son propos par le résumé et le questionnaire suivant :

« Résumé

En 1851, notre département a noblement fait son devoir en face du coup d’État. 

Questionnaire

Qu’est-ce que l’insurrection de 1851 ? Quelle part y prit le département du Var ? Comment fut vaincue cette insurrection ? Comment fut-elle punie ? ».

 

[Document 1]

E.Barrus, Le département du Var, son histoire, description géographique, organisation administrative, notices communales, Librairie Ferran Jeune, Marseille, 1919, 80 p.

pp.14-15 :

« En 1848, la République fut accueillie avec enthousiasme dans le Var ; aussi lorsqu’on y apprit, le 3 décembre 1851, le coup d’État fait par Louis-Napoléon Bonaparte, beaucoup de républicains prirent les armes pour défendre la constitution violée.

Avant que les insurgés des diverses localités pussent se concerter pour une action commune, ils furent immobilisés dans les grands centres : à Toulon, où des mesures préventives formidables avaient été prises par le gouvernement, personne ne put bouger ; à Cuers, un détachement du 50e de ligne, venu de Toulon à marches forcées, comprima vite le mouvement ; à Hyères, un détachement de l’équipage du vaisseau Uranie, mouillé aux Salins, rétablit l’ordre fort brutalement ; les insurgés de Solliès, Belgentier, Collobrières, Pierrefeu, etc., furent également réduits à l’impuissance.

Au Luc, l’insurrection put s’organiser, et c’est de là que partit le grand mouvement qui embrasa plus de la moitié du département (87 communes). Une municipalité insurrectionnelle, avec M.Latil comme maire, mit en état d’arrestation l’ancienne municipalité, le Receveur des postes, les gendarmes, etc., puis les insurgés allèrent attaquer le château du comte de Colbert (le Bouillidou), et firent main basse sur les armes, la poudre et les balles que détenaient plusieurs personnes suspectes.

En même temps, des émissaires se répandirent dans toutes les localités, et appelèrent les Républicains aux armes. Toutes les communes du Golfe répondirent à leur appel et vinrent se rejoindre à celle de La Garde-Freinet, formant un total de plus de 500 combattants, sous les ordres de Campdoras, chirurgien de marine, et de Ferrier, maire insurrectionnel de Grimaud, suivi de sa femme « la Déesse Raison ».

Cette colonne et celle du Luc devaient se rejoindre à Vidauban. Là se trouvèrent réunis le 8 décembre près de 2.000 insurgés, commandés par Camille Duteil, journaliste, dont les aptitudes militaires n’étaient pas à la hauteur des circonstances.

Il fut décidé qu’on marcherait de suite sur Draguignan, où les républicains étaient surveillés et contenus par les autorités départementales et par la garnison. Mais quand la colonne arriva aux Arcs, il y eut des tergiversations : on voulait la diviser en deux parties, dont l’une passerait par Le Muy et l’autre par Salernes, afin de cerner Draguignan et d’appeler aux armes toute la partie septentrionale du département. Enfin l’on se dirigea sur Salernes, et l’on prit Lorgues en passant (8 décembre).

Pendant ce temps, le préfet Pastoureau arriva à Draguignan, escorté du 50me de ligne, et lorsqu’il y eut assuré son autorité, il se mit à la poursuite de la colonne des insurgés. Celle-ci allait se trouver prise entre deux feux, car les troupes venues de Marseille pour rétablir l’ordre à Brignoles, s’avançaient de leur côté vers Salernes.

Duteil ordonna de se diriger vers le Verdon afin de s’unir aux insurgés des Basses-Alpes, mais on n’en eut pas le temps. La colonne prit Aups et s’y arrêta, mais le commandant négligea de pourvoir à la défense de ses abords, et lorsque les troupes arrivèrent, un sanglant combat eu lieu, qui amena la débandade de la colonne insurrectionnelle (10 décembre).

De très nombreuses arrestations furent opérées et plusieurs exécutions sommaires furent faites, entre autres, celle de Martin Bidouré, de Barjols, qui révolta tout le monde. Martin avait été arrêté le 10 près de Tourtour, et à la suite d’un court interrogatoire, il avait reçu à bout portant un coup de feu à la tête. Le 13, il fut amené à l’hôpital d’Aups pour y être soigné, et c’est là que le lendemain les gendarmes vinrent le prendre, malgré les supplications de tout le personnel de l’hospice, pour le mener sur la place et le fusiller.

Une autre exécution mérite aussi d’être signalée, c’est celle de Giraud, dit L’Espérance, du Luc, et de Antoine Bon, de Vinon. Les deux exécutés n’en moururent pas, et l’on prétend que laissés seuls, ils dialoguèrent ainsi : « Siès mouart, Toino ? – Non, et tu ? ». Ils parvinrent à s’échapper et à se cacher.

Toutes les localités insurgées furent occupées par les troupes, les suspects arrêtés partout et conduits, enchaînés deux par deux, à Draguignan et à Toulon, où une Commission mixte, composée du Préfet, d’un Général et du Procureur de la République, les jugea sommairement.

Voici les résultats de ces jugements :

24 accusés furent renvoyés devant des conseils de guerre ;

4 condamnés à être transportés à Cayenne ;

744 condamnés à être transportés en Algérie ;

132 expulsés du territoire ;

158 expulsés temporairement ;

480 internés hors du département ;

137 renvoyés en police correctionnelle ;

593 soumis à la surveillance de la haute police ;

En tout, 2.272 jugements.

L’état de siège fut proclamé dans trente-deux départements, et cela étouffa toute tentative d’insurrection nouvelle ».

 

L’ouvrage de Fournier en 1928

Tout autre est l’entreprise du jeune professeur dracénois Victor Fournier, qui publie neuf ans après une étude de 80 pages, Le coup d’État de 1851 dans le Var, préface de M.Gustave Fourment, Sénateur, Président du Conseil Général du Var, Draguignan, imprimerie Olivier-Joulian, 1928.

Il convient de rendre hommage à cet ouvrage qui, pour être cité dans les bibliographies, n’est pas suffisamment reconnu comme la première et fort intéressante investigation des archives de la période 1848-1852.

Victor Fournier veut rendre hommage aux insurgés, et ce dès la page de garde où il indique :

« À mon aïeul, RICARD de Vidauban, insurgé de 1851 ».

Fournier veut, s’il en était besoin encore, balayer la thèse de la Jacquerie : il s’agit d’une insurrection politique et citoyenne, menée par des ruraux qui ne sont pas aux abois économiquement et ne sont pas humiliés par les « châteaux ». Il veut aussi écarter la thèse d’un plan préconçu par les sociétés secrètes : l’insurrection fut avant tout le réflexe spontané de citoyens responsables. Il résume très clairement le sens de tout son travail dans sa dernière page [document 2]. L’ouvrage, on le voit, s’inscrit dans la continuité de l’argumentation républicaine classique, argumentation que les études menées depuis quelques décennies ont quelque peu relativisée et nuancée, en particulier depuis les travaux fondateurs et décisifs de Philippe Vigier et de Maurice Agulhon.

 

 [document 2] :

Victor Fournier, Le coup d’État de 1851 dans le Var, préface de M.Gustave Fourment, Sénateur, Président du Conseil Général du Var, Draguignan, imprimerie Olivier-Joulian, 1928.

Conclusion :

« Nous nous sommes proposés d’étudier dans ce travail une des phases de l’histoire du Parti Républicain.

L’existence dans le Var, de centres nombreux et vivaces, d’une propriété morcelée, de petites industries florissantes, explique le développement des idées démocratiques, parmi des paysans libres et des artisans aisés.

Le soulèvement de 1851 fut la réaction spontanée de ce parti républicain, contre le coup d’État, et non le résultat d’un complot ourdi par les Sociétés secrètes. L’absence d’organisation préalable ne permet pas de soutenir l’hypothèse d’une insurrection préméditée.

L’insurrection du Var ne fut pas davantage une Jacquerie. Si les paysans furent nombreux à prendre les armes (c’est là l’originalité du mouvement républicain dans le Var) ce fut uniquement dans un but politique : la défense de la République. La sédition contre les châteaux et contre la religion est une invention du parti conservateur.

Après avoir écrasé l’insurrection par la force, le Parti de l’ordre essaya d’abattre le parti républicain. La Commission mixte fut un instrument de vengeance politique. L ‘étude de ses travaux montre l’arbitraire de cette justice d’exception.

La Commission mixte alla si loin dans la répression que le gouvernement dut susciter des mesures de grâce en masse. Ces grâces, distribuées avec maladresse, ne firent qu’accroître le mécontentement provoqué par les décisions de la Commission mixte.

Le parti républicain du Var ainsi persécuté ne fut pas abattu. Les républicains formèrent pendant tout l’Empire autoritaire une sorte de classe à part, isolée dans une opposition irréductible. Seul le changement d’attitude de l’Empereur après l’attentat d’Orsini, amena une fraction du parti républicain varois à se rapprocher de l’Empire ».

 

La préface de Gustave Fourment  [cf.Document 3]

Très intéressante est la préface que le sénateur et président du conseil général, Gustave Fourment, donne à l’ouvrage de son jeune collègue Fournier (Fourment était professeur de philosophie au collège de Draguignan).

Si elle lui accorde une sorte de reconnaissance officielle de la part du socialisme varois, elle montre aussi que la démarche de Fournier est une démarche de recherche personnelle, qui ne s’inscrit pas dans une atmosphère générale d’intérêt pour 1851[2].

Mais cette préface est très éclairante pour comprendre et situer la position originale de Fourment dans le socialisme et dans le républicanisme varois. Fourment, né à Montpellier en 1869, est nommé professeur au collège de Draguignan en 1902. Libre-penseur, franc-maçon, il noue immédiatement des contacts avec les socialistes locaux, mais se garde de tout sectarisme[3]. Dès son entrée dans la lice politique, lors de l’élection au conseil général dans le canton de Callas, il place sa candidature sous l’égide du « grand parti républicain ». On comprend qu’il se soit reconnu dans l’orientation de Jaurès et qu’il essaiera de la faire triompher dans la S.F.I.O née en 1905, et dans la Fédération du Var dont il devient le secrétaire au congrès unitaire de 1905 : l’idéal de justice sociale est l’aboutissement logique du républicanisme démocratique. C’est toujours cette ligne d’ouverture et du refus d’affrontement à gauche qu’il maintiendra dans ses fonctions électives : conseiller général en 1904, maire de Draguignan de 1912 à 1919, député du Var de 1910 à 1919, sénateur du Var à partir de 1919… Nous ne le suivrons pas dans son évolution politique ultérieure, de la scission socialiste de 1933 à la fin de la République en 1940. Bornons nous à rappeler qu’en 1928, lorsque Fourment écrit cette préface, le parti socialiste a quatre députés sur cinq, et s’apprête à gagner la majorité du conseil général (dont Fourment est déjà président).

Quand Fourment prend la plume, Blache s’est éteint depuis huit ans à peine. Fourment n’en prend que mieux la mesure de la charnière de mémoire de ces premières années d’après guerre. Sa préface met en valeur la différence entre l’ouvrage de Blache, écrit dans l’exaltation de la rencontre des participants de l’événement, et le travail d’archives de Fournier. Comme il met en avant leur continuité, puisque le travail d’archives confirme et accentue la vérité lyrique de l’ouvrage de Blache.

Mais, à la différence de l’ouvrage de Barrus, et même de celui de Fournier, Fourment, tout en magnifiant le geste des insurgés, démystifie en quelque sorte l’épopée par le retour à un double constat (dont on pourra naturellement contester la vérité) : constat ethnotypal d’une nature méridionale prompte à l’emportement comme au découragement, constat plus politique d’un recours à la violence historiquement daté (et implicitement totalement écarté désormais, dans le fonctionnement de la vie démocratique républicaine). Implacable lucidité politique dont homme politique sait que, si elle est aisée a posteriori, elle n’est pas toujours facile à repérer et à mettre en œuvre au présent (les années qui suivront en feront la preuve).

 

[document 3]

Préface

« Monsieur Noël Blache a consacré à l’histoire de l’insurrection du Var en Décembre 1851 un petit livre émouvant et pathétique. Tous ceux qui l’ont lu en conservent un souvenir inoubliable. Écrit en 1869 – il y a près de 60 ans – il garde encore aujourd’hui toute sa valeur historique. Il est vrai et vivant ; c’est qu’il a été composé avec les récits des témoins et des acteurs mêmes des événements et pour ainsi dire sous leur dictée. Le jeune républicain qui les écoutait d’une oreille avide en a formé un tableau lumineux et coloré où les héros de l’Insurrection se détachent avec un relief admirable.

Son livre est avant tout une plaidoirie, la défense des insurgés que la légende réactionnaire présentait alors comme formant des bandes de pillards et d’assassins. Mais c’est aussi, dans plusieurs de ses chapitres, un poème épique qui chante leur gloire, exalte leur esprit de sacrifice et leur amour passionné de la République. Les descriptions des paysages, les portraits des chefs, les anecdotes, les épisodes, les escarmouches, la concentration de la « phalange » et sa déroute s’enchaînent avec art, entrecoupés par des cris de colère, des transports d’admiration et des sanglots de pitié. Certaines pages sont écrites avec les larmes et le sang des victimes. La mort de Martin Bidouré, dans le simple récit qu’en donne l’auteur, touche au sublime. On devrait donner lecture de ces pages frémissantes dans nos écoles publiques, chaque année pour l’anniversaire du 2 décembre. Quel exemple pour la jeunesse et quelle leçon !

 

Monsieur Victor Fournier, dans l’étude qu’on va lire, n’a pas eu l’ambition de rivaliser avec Noël Blache. Son œuvre n’est pas celle d’un avocat ou d’un poète, mais celle d’un professeur d’histoire et d’un érudit.

On ne trouvera pas dans son livre le style orné de son prédécesseur, mais une langue sévère et pour ainsi dire « dénudée ». La vérité ne s’y présente qu’avec sa propre parure, c’est-à-dire elle même. Pas d’élans oratoires, pas d’effusions lyriques, mais la pratique la plus rigoureuse de la méthode historique, le document et lui seul.

Le jeune professeur – dont je présente le travail dans ces quelques lignes – ne pouvait pas s’appuyer comme Blache sur les souvenirs et les récits des acteurs ou des témoins du drame, puisqu’ils sont tous morts. Et nous sommes aujourd’hui trop éloignés de l’événement lui même, du « crime », pour que la tradition orale ne commence pas à se corrompre et à s’effacer. Il s’est servi de documents d’archives que Blache n’avait pas pu consulter et c’est à l’aide de ces documents qu’il a composé son étude : elle ressemble à un procès-verbal et à un inventaire.

Elle confirme l’œuvre de l’historien de 1869 ; elle la précise et elle la complète. Elle développe des renseignements que Blache n’avait pu qu’indiquer, notamment sur l’état des esprits dans le Var à la veille du coup d’État (journaux, cercles, chambrées) et sur l’atroce répression qui suivit la défaite des insurgés. Les rapports des préfets et des procureurs de 1851, les procès-verbaux des séances des « Commissions mixtes », les dossiers des « grâces » sont pour la première fois consultés et largement utilisés.

C’est avec un très vif intérêt que l’on prendra connaissance de cette documentation en grande partie inédite ; elle nous procure une vision plus nette, plus claire, plus circonstanciée et plus étendue du soulèvement varois de 1851.

 

Les conclusions de la science historique, telle qu’elle est pratiquée par M.Victor Fournier, concordent avec les aperçus, les intuitions et les divinations de Noël Blache. L’un et l’autre mettent bien en lumière quelques-uns des traits essentiels de notre caractère ; car on les démêle plus facilement dans les périodes exceptionnelles, dans les moments de bouleversement et d’exaltation, parce qu’alors ils sont exagérés et grossis.

Quelle puissance d’enthousiasme habite au sein des populations varoises ! comme elles s’enflamment vite ! avec quelle furieuse passion elles poursuivent l’idéal ! avec quel désintéressement et avec quel héroïsme ! – Mais aussi quelle puissance d’illusion réside dans leur cœur ! Comme elles méprisent le réel et les obstacles qu’il apporte à nos élans les plus généreux ! – Et puis quels découragements rapides et quelle propension à l’indiscipline !

Le 2 et le 3 Décembre, le bruit se répand que le prince-président Napoléon, parjure à la Constitution, a dissous l’Assemblée législative et emprisonné quelques-uns de ses membres ; des affiches officielles confirment la nouvelle. Soudain et simultanément dans un grand nombre de communes du Var, les républicains courent aux armes, sans concert, sans plan préalables. Des colonnes se rejoignent au Luc, se grossissent des phalanges de St-Tropez, de La Garde Freinet, de Brignoles, se concentrent aux Arcs, traversent Lorgues, Salernes et se font écraser sur le plateau d’Aups, d’où leurs débris se dispersent, quelques insurgés seulement arrivant, à travers les gorges et les précipices des Alpes, à franchir la frontière du Piémont.

Admirable élan pour la défense de la République ; joie, enthousiasme ! Mais cette armée marche sans savoir où on la mène. Pas d’uniforme ; des haches, des fourches, des fusils de chasse. Les insurgés ne se rendent pas compte de l’insuffisance de leurs moyens. Ce sont des idéalistes passionnés. Ils s’imaginent que l’on doit vaincre parce qu’on défend une cause juste. Ils ont le vertige de l’idéal. Ils croient que le chant de la Marseillaise va leur ouvrir la route de la victoire. Mais quelle route ? De quel côté faut-il se diriger ? Les chefs ne sont pas d’accord là-dessus. Chacun a son plan et s’il n’est pas accepté, il menace de faire défection. Des officiers improvisés s’injurient. L’insurrection était vaincue à l’avance parce qu’elle n’avait pas d’armes et qu’elle n’avait pas de chefs.

Et c’est la déroute, la débandade ; les insurgés ramassés par centaines à travers nos campagnes, conduits enchaînés au Fort Lamalgue, d’où les jugements des tribunaux spéciaux et impitoyables les envoient en Algérie ou à Cayenne, expier le crime d’avoir défendu la Constitution et les lois et d’avoir adoré la République.

Certes, ils n’avaient pas mesuré les difficultés de leur entreprise ; ils n’avaient pas réfléchi à l’impossibilité du succès ; ils appartenaient à une génération qui avait été victorieuse sur les barricades et qui croyait en l’efficacité des coups de mains. Oui, ils avaient été emportés par une sorte de fièvre et de délire à la défense de la liberté ; ils ne se contentaient pas de chanter qu’un Français doit mourir pour elle. Pour elle, ils savaient mourir. Oui, ils étaient impatients de toute autorité et de la discipline. Mais quel courage, quelle abnégation, quelle noblesse ! Je ne m’approche jamais du monument dressé sur l’esplanade d’Aups pour commémorer leur héroïsme et leurs malheurs, sans être secoué d’un frisson sacré. Les soldats de l’insurrection de 1851 restent la gloire la plus pure de notre grand parti républicain varois ; ils se seront acquis des titres éternels à la reconnaissance de notre démocratie.

 

Et c’est pourquoi je remercie notre jeune ami Victor Fournier d’avoir complété l’œuvre de Noël Blache, d’avoir ajouté à l’histoire romancée de ce dernier son histoire documentaire, d’avoir soulevé la poussière de nos archives, car il y a retrouvé la trace de leurs vertus.

 

Gustave FOURMENT,

Sénateur,

Président du Conseil général du Var. »

 

 

René Merle, avril 2010



[1] Cf. Jean-Marie Guillon, « Noël Blache, une figure de la tradition républicaine varoise », 1851, une insurrection pour la République, Actes des journées d’études de 1999 à La Tour d’Aigues et de 2002 à Sainte-Tulle, Association 1851 pour la mémoire des résistances républicaines, 2002

[2] Cf. Jean-Marie Guillon, « Une histoire sans légende ? La résistance au coup d’État du 2 décembre 1851 », Montagnes, Mémoire, Méditerranée. Mélanges offerts à Philippe Joutard, Grenoble-Aix, Musée Dauphinois et Publications de l’Université de Provence, 2002, publié dans le n°22 du Bulletin de l’Association 1851, janvier 2003.

[3] Cf. la très remarquée allocution sur la tolérance qu’il prononcera à la distribution des prix de 1903.