LE COMPLOT DE BERLOU

LE COMPLOT DE BERLOU

 

 par Jacques  Cros

 

            Bien que le 150ème anniversaire de l’opposition au Coup d’Etat de Napoléon III soit déjà passé, l’Association 1851-2001, qui a entrepris de commémorer la résistance des Républicains à la forfaiture du Prince Président, Louis Napoléon Bonaparte, continue ses activités.

 

            Jeudi 27 juin une conférence était donnée par deux animateurs de l’Association, Jacques Bonnet et François Charras, dans la salle polyvalente de Berlou, cette commune viticole certainement plus connue pour son bon vin que pour les événements, liés à la fin de la Deuxième République, qui s’y sont déroulés. Une vingtaine de personnes y a participé.

 

            Jacques Bonnet a su situer de manière claire, pédagogique, passionnante… le cadre général de l’affaire. On pouvait, en filigrane, faire un rapprochement avec la situation présente. Un état de crise, une République cruelle pour les petites gens, une manipulation de l’opinion appelant à un pouvoir fort, la vaine tentative d’une trentaine de départements républicains de sauver une République pourtant décevante au plan du social et de la démocratie, un esprit d’initiative des gens du terrain à rapprocher de la citoyenneté dont certains se réclament aujourd’hui… Malgré l’échec de l’opposition au Coup d’Etat des revendications formulées resteront tenaces au cours de l’Histoire : respect du suffrage universel, droit au travail, à l’éducation… et ceci même si, à leur retour d’exil, les Républicains proscrits ont éprouvé les plus grandes difficultés à reprendre le flambeau de la Liberté et de tout ce qui va avec.

 

            Après cet exposé, François Charras a présenté les archives, non encore pleinement exploitées, de ce que la justice d’alors a appelé « Le complot de Berlou » En fait de complot il ne s’agissait que des activités de la Société Secrète du secteur, semblables à celles que l’on pouvait, à cette date, rencontrer en d’autres points du département et un peu partout en France.

 

            Le complot de Berlou est antérieur au Coup d’Etat du 2 décembre 1851. Une lettre du sous-Préfet de Saint-Pons à son supérieur hiérarchique, le Préfet de l’Hérault, en date du 21 août 1851 fait état, à la suite d’une dénonciation par un habitant d’Olargues, de l’existence d’une société secrète à Berlou.

 

            L’auteur de la dénonciation est un certain Jammes, médecin, connu pour ses opinions royalistes légitimistes. Voici quelques extraits du courrier du sous-Préfet : « … plusieurs habitants de la commune de Berlou se seraient laissés entraînés à faire partie d’une société secrète ayant pour but le triomphe des idées socialistes… ils y auraient été initiés par deux habitants de Cessenon… Chaque dimanche les sociétaires se réuniraient dans un lieu différent et toujours dans une habitation isolée… »

 

 

La lettre du Sous-Préfet de Saint-Pons au Préfet faisant état de la dénonciation, par le docteur Jammes d’Olargues, de l’existence d’une  Société Secrète à Berlou

 

 

 

            La correspondance du sous-préfet de Saint-Pons, les rapports de gendarmerie sont une mine de renseignements. Par exemple celui de Ressiguié, lieutenant de gendarmerie à Saint-Pons, à son commandant, adressé le 14 septembre 1851, donne le détail du serment des nouvelles recrues de la Société Secrète, obtenu de Paul Domergue, un affilié qui exerce le métier de maçon, après quatre heures d’interrogatoire : « Sur ce fer, symbole de l’honneur, vous jurez d’armer votre bras contre la tyrannie politique et religieuse, de la combattre partout et toujours. Le récipiendaire répondait « je le jure » et l’assistance répétait deux fois « amen » L’initiateur ajoutait ces mots « Au nom du peuple souverain, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés par la Montagne, je te fais Montagnard »

 

            Au cours de l’interrogatoire qu’il subit, Paul Domergue donne « le mot d’ordre » (le mot de passe) qui permettait aux sociétaires de se reconnaître : « L’heure a sonné – Droit au travail » A Berlou il y a un mot d’ordre particulier de ralliement : « Saint-Michel » Il faut préciser ici que Saint-Michel est le patron de la paroisse de Berlou.

 

            Le programme des sociétés secrètes peut paraître ambitieux ou… utopique quand on lit ce qui est rapporté des propos qu’un témoin a entendus au cours d’une réunion de la Société Secrète (lettre du Sous-Préfet datée du 4 septembre 1851) : « La France est en péril, les classes pauvres sont déshéritées et les riches se sont assuré tous les privilèges… Il faut que cet état de chose cesse et pour cela il faut former une force imposante par l’union et la solidarité… C’est vers ce but que tend le réseau de l’association qui enveloppe la France… Au premier signal de nos chefs nous nous lèverons comme un seul homme et dans un quart d’heure la révolution sera faite, le gouvernement provisoire proclamé et le drapeau rouge flottera sur les édifices publics »

 

            Un des adhérents de la Société Secrète de Berlou, un certain François Planés, dit Francet, facteur rural révoqué, instituteur privé à Cathalo, commune de Pardailhan, interrogé à Saint-Pons où il est incarcéré, refuse de donner les noms des affiliés mais traduit dans ses déclarations le climat qui prévaut. Celles-ci sont citées dans une lettre que le Sous-Préfet envoie au Préfet le 15 octobre 1851 : « il disait : si la loi du 31 mai [adoptée en 1850, elle porte atteinte au suffrage universel en rayant des listes ceux qui ne paient pas depuis trois ans la taxe personnelle dans la commune où ils sont inscrits] n’est pas rapportée il y aura de biens grands malheurs faisant entendre qu’un soulèvement général aurait lieu dans les départements où les sociétés secrètes sont organisées »

 

            Aussi le Sous-Préfet de Saint-Pons s’inquiète et écrit « L’arrestation du nommé Planés François, dit Francet, dont j’ai eu l’honneur de vous informer, peut donner à l’affaire de Berlou des proportions énormes »

 

            A ce moment six prévenus sont en état d’arrestation : outre François Planés, il y a Jean Garriguenc de La Glaudette, Joseph Bousquet garde-champêtre révoqué, centurion (c’est à dire responsable de cent hommes) de l’organisation, Paul Domergue qui vit à Cambis, Paul Affre et Liévin Planés, ce dernier propriétaire d’une bergerie (La Borie ?) où se réunissaient les affiliés.

 

            On notera que certains des membres de la Société Secrète qui se rassemblent à Berlou viennent d’assez loin : Roquebrun, Cessenon (encore que Cessenon englobe alors Prades S/ Vernazobres qui ne deviendra commune qu’en 1900), Ferrières et même Saint Nazaire de Ladarez.

 

On apprend, par les révélations de Louis Fabre, blessé au cours d’une altercation avec Joseph Bousquet, qu’il pouvait y avoir une cinquantaine de participants aux réunions de la Société Secrète.

 

Quelle était la situation économique dans le secteur au milieu du 19ème siècle ? Les industries textiles, importantes à Saint-Chinian et Cessenon, peut-être concurrencées par l’apparition du coton, sont sur le déclin. La viticulture est au début d’une expansion qu’elle ne connaîtra vraiment qu’avec la création des chemins de fer. C’est sans doute une période de transition qui voit la disparition d’activités conflictuelles : exploitation du tanin produit par l’écorce des châtaigniers, élevage de moutons dont la laine alimentait l’industrie textile, agriculture diversifiée où l’olivier et les céréales prenaient une large place…

 

Quoi qu’il en soit la République ne trouvera pas de défenseurs à Berlou au moment du Coup d’Etat. C’est qu’elle les a déjà arrêtés et plusieurs, une demi-douzaine sans doute, seront transportés en Algérie avec la mention « Algérie moins » c’est à dire qu’ils seront assignés à résidence mais libres d’exercer une activité professionnelle. C’est ce que confirme la liste des bénéficiaires de la pension allouée au titre de la loi de réparation votée en 1881 aux victimes de la répression. Liévin Planés se verra attribuer par la commune un bout de terrain, situé sur la rive gauche du Rieu Berlou, que possèdent toujours ses lointains héritiers.

 

Les gens du pays ont évidemment été particulièrement sensibles à l’évocation de patronymes qui existent toujours dans la commune ainsi qu’aux noms de lieux qui ont été cités.

 

Un vin d’honneur, offert par la mairie de Berlou, a agréablement clôturé cette nouvelle initiative, intéressante et sympathique, de l’Association 1851-2001.

 

 

Jacques Cros