Hommage aux Résistants bas-alpins, par Paul Arène et Victorin Maurel

article publié dans le Bulletin n°23, avril 2003

Hommage aux Résistants bas-alpins par Paul Arène et Victorin Maurel

 

 Colette Chauvin

 

En complément du travail des historiens, de leurs recherches et analyses, une littérature, riche, engagée ou non, contemporaine des faits puis porteuse de mémoire, documentaire ou romancée, idéaliste ou clairvoyante, majeure ou humble, a nourri de ses différentes approches les travaux de notre Association.

 

Des écrivains, poètes, journalistes aussi divers que Victor Hugo, Emile Zola, Eugène Ténot, Luc Willette, Jean Rambaud, Gaston Beltrame, André Neyton, cités arbitrairement, et tant d’autres, ont eu comme contemporains respectifs des auteurs parfois très modestes qui, discrètement, au sein de leur œuvre, ont tenu à rendre hommage aux vaillants républicains dont ils admiraient le combat, étant républicains eux-mêmes et observateurs parfois des Républiques suivantes, en France et ailleurs.

 

 

Je voudrais à ce sujet, citer deux Bas-Alpins :

 

 

– L’un vécut de sa plume et atteignit une certaine notoriété ; il naquit à Sisteron, habita quelque temps à Paris, fréquenta parfois à ses dépens d’autres auteurs plus connus, il s’agit de Paul Arène (1843-1896). Écrivain à l’expression désuète pour certains, si juste pour d’autres, régionaliste parfois, universel dans sa simplicité cependant.

 

Si l’on vous parle de La chèvre d’or, vous pensez à ce joli conte initiatique écrit en 1889, teinté de mémoire mauresque, qui se passe dans le Var très provençal. Pourtant, l’auteur s’appuie dès le début de son livre sur un personnage capital au déroulement de l’histoire qu’il identifie ainsi :

 

 “ Ruf Ganteaume, et plus usuellement patron Ruf, compromis en 1851 pour avoir avec son bateau facilité la fuite de quelques soldats de la Résistance, s’en était tiré à bon compte, évitant Cayenne et Lambessa, par un internement aux environs d’Arles.

 

Plus heureux que d’autres, en sa qualité de pêcheur, il put gagner sa vie sur le Rhône, se maria et revint au pays après l’amnistie … ”

 

 “ Et j’admirais cet insouciant poète qui, pour que sa femme se sentît heureuse et l’aimât, sur un peu de terre amoncelée par la mer et l’eau d’un ruisseau lui avait fait une patrie. ”

 

Aucune ambiguïté sur l’un des acteurs de cette histoire : son implication en 1851 a déterminé tout le restant de sa vie.

 

 “ Dans les conversations, c’est généralement de politique qu’il s’agit.

 

Grave, rasé, l’air d’un Latin, patron Ruf, plus que jamais, maintient la République. Paris le préoccupe beaucoup ; il en admire les grands hommes, et n’ayant guère pour lecture qu’un vieux Plutarque dépareillé, il se le figure comme Rome ou Athènes. Il possède dans sa cabane un buste en plâtre de Marianne qu’il appelle sérieusement la déesse et qui fait pendant à une sainte Marthe domptant la tarasque, que Tardive (sa femme) apporta d’Arles. Les jours de fête, Tardive partage ses fleurs entre sainte Marthe et Marianne. Parfois, aussi, elle se révolte : “ Eh té ! qu’est-ce qu’elle peut nous donner de plus ta République ?  N’avons-nous pas une maison, un bon bateau, un bel enfant ? … ”

 

À quoi patron Ruf répond :

 

“ Tout le monde n’est pas comme nous. Il y a des pauvres dans les grandes villes. Les femmes ne comprennent pas ça : mais la gloire de la République, c’est d’améliorer le sort des pauvres. ”

 

Je passerai dans la citation sur le jugement de Ganteaume sur les femmes et leur appréhension de la République, car les femmes n’avaient pas le droit de vote, alors on ne pouvait pas préjuger de leur influence sur la République, n’est-ce pas ? On peut apprécier, dans cette naïve expression, la délicate façon de l’auteur de faire passer les devoirs de la République qui très vite s’embourgeoise si elle ne s’occupe pas de ses pauvres.

 

Quant à Paul Arène, il était, lui, un républicain convaincu pour preuve le poème suivant cité comme “ le plus beau des poèmes d’Arène, chant révolutionnaire d’une grandeur épique ” par Armand Silvestre qui préfaça en 1899 les Œuvres complètes de poésies françaises et provençales de Paul Arène.

 

 

La Moisson des Lys

 

 

Prenons la faucille et la gourde.

 

J’aperçois l’orient qui luit.

 

La chaleur tantôt sera lourde.

 

Profitons d’un reste de nuit.

 

Tous en marche, et point de paresse.

 

Appelez, cognez aux volets.

 

Je sais une moisson qui presse

 

Plus que les seigles et les blés.

 

 

 

Moissonneur, mets le bât sur l’âne,

 

Vois si les flacons sont remplis,

 

Prends ta faucille paysanne

 

Et va couper des fleurs de lys !

 

 

 

Depuis quatre mois, ô délices,

 

On ne voyait sous le ciel bleu

 

Que Lys purs dressant leurs calices,

 

Peuplés de bêtes à bon Dieu ;

 

“ Si tous ces lys montent en graine,

 

Murmurait de peuple insolent

 

La France à la saison prochaine

 

Ne sera plus qu’un champ tout blanc ”.

 

 

 

Et plein d’une aimable surprise,

 

“ Ah ! soupirait le roi Henri,

 

Que de lys tremblant sous la brise !

 

Comme ma France a refleuri !

 

“ Des lys ! j’en ai là pour les mitres,

 

Pour les coussins, pour les manteaux,

 

J’en ferai graver sur mes vitres,

 

Et j’en broderai mes châteaux.

 

 

 

“ Des lys, des lys sans qu’on les compte ;

 

Venez, prélats et courtisans ;

 

Cent pour toi, duc, vingt pour toi, comte ;

 

Et qu’on rosse ces paysans !

 

“ Après, en vrai roi gentilhomme,

 

Nous irons, rien n’est plus aisé,

 

Planter sur les remparts de Rome

 

Mon étendard fleurdelisé.

 

 

 

Mais voici que le matin brille… ”

 

Le peuple, ouvrier diligent,

 

A sorti sa grande faucille,

 

Et fait tomber les fleurs d’argent.

 

Et puis, les ayant ramassées,

 

Dans les fossés du grand chemin,

 

Il les entasse par brassées.

 

L’eau les emportera demain.

 

 

 

Maintenant, buvons deux rasades,

 

Les lys ne repousseront pas.

 

Mais vous oubliez, camarades,

 

Que la moisson attend là-bas.

 

En route ! les blés sont superbes.

 

La cigale crie aux échos,

 

Et nous mêlerons à nos gerbes

 

Quelques rouges coquelicots.

 

 

 

Moissonneur, mets le bât sur l’âne,

 

Vois si les flacons sont remplis,

 

Car ta faucille paysanne

 

N’a pas laissé de fleurs de lys.

 

 

 

                                    Juillet 1871

 

 

 

Je voudrais, pour conclure sur Paul Arène, remercier Richard Magnan, adhérent de la première heure à notre Association, de m’avoir communiqué ce poème. C’est lui qui m’a permis d’avoir une approche différente de l’image plus répandue du “ conteur provençal ” Paul Arène.

 

 

– L’autre Bas-Alpin, sensible aux événements de 1851, farouche républicain lui-même, voisin de Paul Arène puisque Jarlandin (habitant de Château-Arnoux), son contemporain et admirateur est Victorin Maurel, né en 1868, maire de 1925 à sa mort en 1935, dont l’action fut remarquable et durable pour sa commune. Lui ne vécut pas de sa plume. Il était instituteur, mais éprouvait le besoin d’exprimer à la fois ses sentiments et ses états d’âme, en rimes.

 

Le docteur Paul François Morucci, (1868-1935), appelé médecin des pauvres, député communiste des Bouches-du-Rhône, érudit en poésie, époux de la petite fille d’André Ailhaud (l’un des chefs du soulèvement de 1851 à Château-Arnoux et à travers tout le département) était lié d’amitié avec Victorin Maurel. Il préfaça ainsi son recueil de poésies Rimes d’Azur :

 

“ Cher Monsieur Maurel,

 

J’ai parcouru vos  “Rimes d’azur”. Elles m’ont constamment montré la grande probité d’âme que je vous ai toujours connue.

 

On trouve dans vos sonnets les sereines qualités du poète qui a puisé son inspiration aux sources vives des humbles humanités…

 

Ce qui ressort, en outre, de cette composition de toute une existence exemplaire, c’est une pensée consacrée au relèvement d’un prolétariat subjugué par les exigences des jours et des religions d’État.

 

Certes, vous ne poussez pas encore le grand cri qui interroge le grondement de la grande révolution sociale, mais tous les germes qui portent la libération des races sont semés dans votre œuvre entière.

 

C’est donc suffisant, au stade actuel de la politique internationale, pour moi qui rêve un autre monde que celui qui existe, pour vous remercier, mon cher poète, des beaux moments d’activité artistique que j’ai passés en votre compagnie ”.

 

Morucci – Château-Arnoux, le 23/10/1928

 

 

Rappelons, pour mémoire, que les descendants d’André Ailhaud, dont la famille Morucci, étaient nombreux à Château-Arnoux en 1997 pour l’inauguration de la plaque en hommage à leur valeureux ancêtre.

 

 

Dans son ouvrage, Victorin Maurel s’adresse ainsi Aux Lecteurs !

 

“ Cédant aux vives instances de mes amis, je donne à respirer le parfum des modestes fleurs que j’ai cueillies dans les sentiers agrestes où j’ai pu m’égarer au cours d’une existence déjà longue, aux enfants du Peuple, de ce Prolétariat dont je suis issu, pour lequel je vis, et à qui j’ai juré de donner le meilleur de moi-même.

 

À tous, je réponds d’ores et déjà : Je suis ce que j’ai toujours été, c’est-à-dire un ardent pacifiste, internationaliste, aimant son pays.

 

Il n’y a pas contradiction, en effet, à maudire la Guerre et à défendre le Droit outragé, quand on a toujours flétri la Haine et acclamé la Fraternité des peuples.

 

Victor Hugo, Jean Jaurès, Jules Guesde, Anatole France, nos guides et nos Maîtres, ne furent-ils pas à la fois de grands pacifiques et de grands patriotes ? ”

 

 

 

Comment ne pas relever ici l’actualité criante de cette prise de position, surtout sachant que Victorin Maurel écrivait aussi en 1932 :  Le désarmement devient une nécessité, il doit être général, simultané et contrôlé ”.

 

 

 

Et c’est dans l’œuvre de Victorin Maurel, socialiste, membre fondateur de la Ligue des Droits de l’Homme, parmi des poèmes en hommage à son père forgeron républicain, à son fils mobilisé en 14-18, au facteur rural blessé à Sedan, au sculpteur qui réalisa sur sa commande le monument aux morts pacifiste de Château-Arnoux, à Paul Arène, au docteur Morucci, député poète communiste, à l’Espagnol Ferrer, que l’on trouve les deux textes suivants :

 

 

VICTOIRE  (Souvenir d’une victoire républicaine) 1902 ;

 

 

 

 L’Hydre était apparue, hérissée et terrible,

 

Semant l’or de Crésus partout, sur son chemin !…

 

Basile bénissait les exploits de Mandrin,

 

Et l’éhonté César attendait… irascible !

 

 

 

Mai fier le peuple dit : “ Non, non, c’est impossible,

 

L’Honneur ne se vend pas, et nous irons, demain,

 

Au tournoi, haut les cœurs, et la main dans la main,

 

Nous vaincrons ce roquet qui se croit invincible ! ”

 

 

 

Or, après le combat, le sol était jonché

 

De cadavres hideux au froc empanaché,

 

Patriotards honteux d’être en cette aventure !

 

 

 

Et, le flot corrupteur, hier fleuve géant,

 

Tarissait tout à coup,  laissant la Dictature,

 

Idéal inhumain – sombrer dans le Néant !…

 

 

 

“ VICTOIRES ”, écrit 50 ans après le soulèvement, poème rempli d’images percutantes, faisant, une fois de plus, allusion à la honte de ces pauvres qui ont perdu la bonne cause. Victorin Maurel fait ressortir l’injuste mépris dont ils ont été recouverts à travers les termes “ patriotards ” “ aventure ”. Il met en avant la corruption que l’on pourrait peut-être qualifier de populiste et qui servit à installer la dictature.

 

En 1918, l’inspiration  lui vient de nous rappeler qui fut Badinguet, en souvenir de la 2ème République.

 

 

Á LA MEMOIRE DE FEU BADINGUET (48 ans après)

 

PAGE d’HISTOIRE

 

 

 

Quand Napoléon III dénommé le Petit,

 

Enivré par le sang et miné par la “ pierre ”,

 

Dit : Je voudrais mourir !… Un grand bruit de tonnerre

 

Arriva jusqu’à lui. Pâle, il était contrit !…

 

 

 

Et, revoyant soudain l’ombre du “ grand Proscrit ”,

 

Il sursauta, criant : “ A bas !… À bas la guerre,

 

Qui vient me détrôner !… Ombre de Robespierre,

 

Eloigne-toi !… Horreur ! spectre trois fois maudit !…

 

 

 

Mais la mort ne voulut point de ce triste sire ;

 

Il fut fait prisonnier … Sedan ! … À bas l’Empire,

 

S’écria le Pays épris de Liberté !…

 

 

 

République, Salut !… Oh ! sois la bienvenue,

 

Toi qui daignas venir, si pleine de clarté,

 

Et pour qui l’on clama : “ La France continue !… ”

 

 

 

Château-Arnoux 1918 

 

 

Parmi toutes les réalisations remarquables de ce maire de Château-Arnoux, il faut rappeler la commande du monument aux morts qui interpelle les passants par ces vers gravés sur sa base :

 

 

Pax … Vox  Populi !

 

 

 

Passant, incline-toi devant ce monument !

 

Vois cette femme en deuil montrant les hécatombes,

 

Ses yeux, taris de pleurs, scrutent au loin les tombes

 

Où dorment tant de preux, victimes du moment !

 

 

 

Ils firent, ces héros, le solennel serment

 

De fermer à jamais leurs noires catacombes.

 

Arrière, dirent-ils, les obus et les bombes

 

Et sois bénie, ô Paix, sœur de désarmement !

 

 

 

Passant, incline-toi ! regarde cette mère ! 

 

Elle clame à son fils : “ La gloire est bien amère.

 

La Gloire, ô mon enfant, est là chez nos grands morts ”.

 

 

 

Mais sache, désormais, que la guerre est un crime,

 

Qu’elle laisse après elle, à de cuisants remords,

 

Ceux qui firent sombrer les peuples dans l’abîme.

 

 

Et par ses sculptures : une femme éplorée montrant la liste des morts et un homme brisant son arme sur son genou. Enfin, surplombant la colonne qui porte les noms des morts, un globe terrestre couronné d’olivier.

 

 

Bien d’autres humbles amis de la Liberté et de la République ont servi ces causes-là, jusqu’à nos jours.

 

Les faire connaître jusque dans leur simplicité en même temps que leur grandeur d’âme, c’est peut-être activer ce qui peut ancrer, pour l’avenir, les objectifs de notre Association en relation avec les auteurs référentiels indispensables.

 

 

Colette CHAUVIN