chansons

Texte publié dans le Trait d’Union de Larrazet

En 1851, ils chantaient

par Jean-Paul Damaggio 

 

Joseph Dagnan fit, en 1929, une étude minutieuse de la Seconde République dans le Gers et il note ce rapport de police de 1851 :

« Le chant dans tout le Midi est une distraction et un délassement que l’usage autorise mais qui ne tardera pas à se perdre à Auch en y tenant la main. » » Et par la suite un commissaire précisera «qu’avant 1850 on chantait plus qu’aujourd’hui et avant 1848 on chantait à tête rompre. »

Sous la Seconde République la répression contre les chanteurs fut en effet très sévère. Grâce aux dossiers des tribunaux, nous avons un cas à Beaumont de Lomagne, le 24 juillet 1851. Dans l’auberge du limonadier Régis cadet cinq jeunes chanteurs lancèrent Le Chant du départ, la République rouge, Charlotte la républicaine et La guillotine.  Ils s’échappèrent avant l’arrivée de la police mais furent dénoncés ce qui nous permet de les présenter : Bernard Berthe, 23 ans ouvrier plâtrier, Charles Barrière, 19 ans, forgeron, Marc Gilles, 17 ans, sellier, Jean Daux 18 ans sabotier. Les juges eurent la bonne idée de les acquitter.

D’abord une première question : pourquoi cette répression ? La France était sous une République conservatrice qui déboucha sur un coup d’Etat ; Louis Bonaparte décidant de conserver le pouvoir contre les Républicains et contre les Royalistes. Deuxième question sur les personnages : ils appartiennent au petit peuple de la boutique qui s’engagera en faveur de la République démocratique et sociale, « la bonne » comme ils disaient. Trouver là un sabotier et un forgeron correspond à ce qui se passait partout sauf que souvent en guise de sabotier on avait un cordonnier.

Et enfin troisième, là comme partout, un café républicain servait de lieu de rendez-vous des « démagogues » que Louis Bonaparte avait dans le collimateur. Les chanteurs furent surveillés et après le 2 décembre on ne compte plus les cabarets qui furent fermés. Il fallait ensuite une autorisation spéciale pour les ouvrir à nouveau. Beaucoup de chants viennent de la première république et en particulier le chant du départ, une référence majeure.

 

Après le coup d’Etat, le 15 décembre 1851 une perquisition, à Beaumont, chez le sieur Ducom Honoré, ex abbé de 29 ans permit de découvrir la Chanson des aristos. Ecrite par le condomois Joseph Noulens mais sous le titre La Marseillaise du prolétaire, elle est présentée ainsi par Joseph Dagnan : « Le 20 novembre 1849, le commissaire de police adressait au préfet la copie d’une chanson composée par J. Noulens, qui la chanta dans un dîner d’adieu offert par ses amis, à l’occasion de son départ pour Paris, « où il est allé, dit-on, pour s’inspirer auprès des gros bonnets du socialisme, dont il doit transmettre les instructions à ses correspondants de l’arrondissement » (…) La chanson la plus populaire, chantée par les républicains de l’arrondissement est la Marseillaise du prolétaire de Joseph Noulens. Dans cette composition amère et violente, gronde la haine sociale qu’exaspère l’ardente lutte de classe entre blancs et rouges. » Il avait organisé le banquet démocratique du 3 novembre 1850 sous la présidence de Détours. Et voici le rapport de police le concernant en date du 23 janvier 1852 :

« Après avoir porté pendant plusieurs années l’habit ecclésiastique le sieur Ducom a jeté le froc aux orties et est devenu l’adepte fervent des doctrines démagogiques et socialistes. En effet, il est l’un des organisateurs du banquet qui eut lieu le 3 novembre 1850 sans la présidence du représentant montagnard Détours. M. le juge de paix fit chez lui une perquisition le 15 décembre 1851 qui n’amena pas la découvertes des archives du comité que l’on cherchait. Le sieur Ducom déclara qu’il s’attendait depuis quelques jours à la visite de la justice et que s’il avait été possesseur de papiers compromettants il les eut fait disparaître. Cependant, M. le juge de paix saisit la chanson intitulée les aristos dont une copie est jointe à cet état. Elle fait connaître les sentiments du sieur Ducom qui considère sans doute, la doctrine qu’il exalte comme très innocente puisqu’il l’a gardée. »

Ce même rapport nous fait connaître Jean-Baptiste Taupiac dit Damaze, menuisier de 24 ans :

« Fils d’un septembriseur et animé des mêmes sentiments qui portèrent son père à prendre une part active aux actes les plus horribles de la première révolution, c’est un homme dangereux qui existe les citoyens les uns contres les autres et fait de la propagande socialiste dans les communes rurales du canton de Beaumont. »

Le Sous-préfet demandera l’expulsion du pays pour les deux beaumontois mais il semble qu’il ne fut pas suivi dans sa sévérité. Parmi les quatre chanteurs de tout à l’heure, il manquait le menuisier, une autre profession très républicaine.

 

En conclusion, disons que cette chanson politique avait un idole : Pierre Dupont. Le coup d’Etat mettra bon ordre à cette créativité et en organisant le mépris envers toute culture populaire, en contrôlant la presse, en brisant les libertés, il aura des répercussions profondes dans l’histoire de France.   

Jean-Paul Damaggio

Sources : Joseph Dagnan Le Gers sous la Seconde République, 1929,

 et les dossiers 1 M  de 306 à 309 des Archives départementales du TetG.

 

La chanson des aristos

 

J’ai trop souffert pour garder l’espérance,

Mieux vaut mourir dans le fond d’un cachot

Que de glaner chaque jour sa pitance

Comme le veut l’ignoble providence

Des aristos.

Un lampion projette sa pénombre

Dans mon logis et mal sain et mal clos.

Là, mon enfant se fane comme une ombre.

Je dois son mal et mes douleurs sans nombre

Aux aristos.

De tout bonheur, moi, je suis le Tantale

Aussi, toujours je dresse des complots

Pour inviter la famille sociale

A extirper cette race infernale[1]

Des artistos.

Je n’entre point, moi, pauvre prolétaire

Chez ces gens-là sans quitter mes sabots

Sans que mon cœur n’y reçoive un ulcère.

Pourtant je suis l’égal et le frère

Des aristos.

Au capital je déclare la guerre

Il faut tomber à grands coups de marteau

Sur l’intérêt, sur l’abus délétère

De ce système appelé, laissez-faire

Par l’aristo.

Sans nous donner un pays de Cocagne,

On pourrait bien amoindrir les impôts,

Guérir la faim, notre maigre compagne,

Qui pousse au vol et qui peuple les bagnes,

Vils artistos !

Je veillerai : car l’aristo conspire,

Contre mon droit, ma vie et mon repos.

Et toi, mon fils, avant d’apprendre à lire

Apprends d’abord à haïr et maudire

Les aristos.

Vienne le jour des vengeances finales

Qui doit tarir nos pleurs et nos sanglots,

Et nos fusils prodigueront des balles !

En les chargeant, j’écouterai les râles

Des aristos.[2]



[1] Dans la version de Joseph Dagnan il est écrit : « Pour niveler la famille sociale en étouffant cette race infernale des aristos ».

[2] Un autre couplet dans la version Dagnan : « Pour préluder au courage suprême, Matin et soir, nos voix et les échos, répèteront ce terrible anathème, qui fut lancé par Jésus-Christ lui-même : « Plus d’aristos ! »